Que reste-t-il de la loi Immigration, après la censure du Conseil constitutionnel ?

Par Christine Renaudin-Jacques

Zahra, la Malienne, obligée de dissimuler son visage, dans sa chambre, dans l’appartement d’urgence du Comité contre l’esclavage moderne (CCEM), à Paris. Photo : ISHTA.

À l’issue d’une commission mixte paritaire « conclusive », mardi 19 décembre 2023, le projet de loi immigration a été soumis au vote des deux chambres du Parlement dans la soirée. Le texte a été adopté à une large majorité par le Sénat puis par l’Assemblée nationale.

Le Conseil constitutionnel a été saisi fin décembre par le président de la République, la présidente de l’Assemblée nationale, et par 120 ( 60 sénateurs et 60 députés) parlementaires de gauche après un débat sous haute tension qui avait fracturé la majorité et conduit notamment à la démission du ministre de la Santé, Aurélien Rousseau.

Le président de la République a promulgué le texte final, largement censuré par le Conseil constitutionnel, le vendredi 26 janvier, depuis New Delhi…

En retoquant largement le texte du gouvernement adopté à l’Assemblée avec les voix de la droite et de l’extrême droite, les « sages » ont écarté les éléments les plus préoccupants, même si, globalement, on peut estimer que les droits des étrangers ne cessent de reculer.

Le Conseil constitutionnel précise, dans son communiqué de presse, qu’il censure 36 articles de la loi « pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration », qui en comptait 86 (donc un peu plus du tiers). Il censure, en outre, au fond, partiellement ou totalement, trois de ses articles et assortit de réserves d’interprétation deux autres articles. Il déclare partiellement ou totalement conformes à la Constitution dix articles de la loi déférée, dont celui relatif à l’engagement de l’étranger à respecter les principes de la République.

La version définitive du texte comprend 26 des 27 articles du projet de loi originel présenté par le gouvernement. Le Conseil a déclaré partiellement ou totalement conformes à la Constitution dix articles. Parmi eux : 

  • Le titre de séjour conditionné au respect des « principes de la République ».

Désormais, une personne étrangère qui sollicite un titre de séjour s’engagera « par la souscription d’un contrat d’engagement, au respect des principes de la République ». En font partie, notamment, le respect de la liberté personnelle, de la liberté d’expression ou de l’égalité entre les femmes et les hommes. « Aucun document de séjour ne peut être délivré à un étranger […] dont le comportement manifeste qu’il n’en respecte pas les obligations », est-il écrit à l’article 46 de la loi. « C’est à bon droit » que le législateur « a imposé aux ressortissants étrangers, qui ne se trouvent pas dans la même situation que celle des nationaux, la souscription » à ce contrat d’engagement, estime le Conseil constitutionnel dans sa décision.

  • L’élargissement des OQTF à des étrangers habituellement protégés.

L’article 37 de la loi, validé par le Conseil constitutionnel, prévoit que certains étrangers jusqu’ici protégés (ceux arrivés en France avant l’âge de 13 ans) pourront se voir délivrer une obligation de quitter le territoire français (OQTF) : article essentiel pour le gouvernement pour rendre plus facile les expulsions. Dans leur décision, les Sages estiment que les garanties apportées restent suffisantes, car l’administration devra toujours tenir compte de la durée de présence de l’étranger sur le territoire, de ses liens avec la France, de considérations humanitaires… Autrement dit, « le socle institutionnel n’est pas atteint », juge le Conseil constitutionnel.

  • La création d’un fichier des mineurs non accompagnés délinquants.

L’article 39 prévoit le recueil des empreintes digitales, ainsi qu’une photographie des mineurs étrangers non accompagnés contre qui ils pèsent « des indices graves ou concordants » d’infraction à la loi pénale, sans que leur consentement soit nécessaire. Cette disposition a été validée par le Conseil constitutionnel qui a jugé qu’il ne s’agissait pas d’un cavalier législatif*.

  • Un allongement de la durée d’assignation à résidence de certains étrangers.

Dorénavant, la durée d’assignation à résidence de certains étrangers soumis à une mesure d’éloignement du territoire français passe de six mois à un an, renouvelable deux fois au lieu d’une, selon l’article 42 du texte. La période d’assignation maximale sera donc de trois ans. Cela concerne « l’étranger qui justifie être dans l’impossibilité de quitter le territoire français ou ne pouvoir ni regagner son pays d’origine ni se rendre dans aucun autre pays », selon le Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile.

  • Refus de l’Aide sociale à l’enfance à certains étrangers visés par une OQTF.

À cause d’une mesure introduite par la droite, l’article 44 prévoit que les étrangers âgés de 18 à 21 ans visés par une OQTF ne pourront plus bénéficier du service de l’aide sociale à l’enfance (ASE) assuré par les départements, comme c’est jusqu’ici le cas s’ils ont été confiés à l’ASE comme mineurs.

  • Régularisation dans les métiers en tension.

Pour résumer cet article, un étranger ayant exercé une activité salariée dans une profession dite « en tension » durant au moins douze mois au cours des deux dernières années et pouvant justifier d’une résidence ininterrompue sur le territoire au cours des trois dernières années pourra se voir octroyer une carte de séjour temporaire d’un an. L’article supprime également le lien de subordination de l’employeur dans le processus, alors qu’il joue actuellement un rôle essentiel dans la demande d’un travailleur.

  • Le déploiement de pôles « France Asile ».

La loi prévoit à l’article 62 le déploiement dans toute la France d’espaces France Asile. Dans ces lieux, en plus des services des préfectures et de l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII), des agents de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra) seront présents pour traiter les demandes d’asile des nouveaux arrivants en France.

Ont été heureusement censurés par le conseil constitutionnel :

  • Le conditionnement des aides sociales : la mesure allongeant la durée de résidence exigée pour que des non-Européens en situation régulière puissent bénéficier de certaines prestations sociales (APL, allocations familiales…) a ainsi été totalement censurée.
  • La fin de l’automaticité du droit du sol pour les enfants d’étrangers nés en France.
  • L’instauration de quotas migratoires annuels déterminés par le Parlement après un débat obligatoire.
  • Le resserrement des critères du regroupement familial (avec une durée de résidence requise passant de 18 à 24 mois).
  • L’instauration d’une « caution retour » pour les étudiants étrangers.

Néanmoins, la loi sur l’immigration, constitue un tournant de notre histoire politique. Elle consacre l’emprise de la droite et de la droite extrême sur le gouvernement.

Les 349 députés qui ont voté cette loi devront en assumer la responsabilité ! Jamais, une loi sur l’immigration n’était allée aussi loin et malgré la régulation du Conseil constitutionnel qui en a censuré les articles les plus indignes, le mal est fait. De plus, le président de la République, faute d’avoir pu obtenir l’adoption du texte sans faire de concession à l’opposition, a tenté de faire censurer par le Conseil constitutionnel les dispositions avec lesquelles il était en désaccord, recourant ainsi à une instrumentalisation manifeste du contrôle de constitutionnalité.

Nous avons échappé de peu à l’introduction du principe de la préférence nationale. L’état de droit et les principes fondateurs de notre République laquelle s’est toujours bâtie sur l’universalité des droits depuis 1789, ont ainsi été réaffirmés in extremis.

* Un cavalier législatif est une mesure introduite dans la loi en préparation par un amendement qui n’a aucun lien avec le projet ou la proposition de loi déposé sur le bureau de la première assemblée saisie en méconnaissance des règles posées par les articles 39 et 44 de la Constitution.
La première décision du Conseil constitutionnel à avoir consacré réellement cette notion est celle du 28 décembre 1985 (n° 85-199 DC, § 2). Celle qui a censuré pour la première fois des cavaliers législatifs est la décision n° 88-251 DC (§ 2 à 9) du 12 janvier 1989.

LIRE AUSSI :

« Les passeurs », dans La revue du MAUSS, n° 53, 2019