Comme solennellement rappelé, ce soir, par la Défenseure des droits, « le droit des étrangers régulièrement établis sur le territoire à ne pas subir de discriminations à raison de leur nationalité a été consacré par le Conseil constitutionnel et la Cour européenne des droits de l’Homme ». Or, « en prévoyant, pour ces mêmes étrangers, de différer dans le temps l’accès à un certain nombre de prestations sociales, le texte élaboré par la Commission mixte paritaire (CMP) dans le cadre du débat parlementaire relatif au projet de loi immigration, remet en cause des droits fondamentaux et porte une atteinte grave aux principes d’égalité et de non-discrimination, socle de notre République ».

Salle des Fêtes de l’Élysée, mai 2017. © DR

Ce soir, donc, en fidèles héritiers politiques de Pétain, Emmanuel Macron, Élisabeth Borne, Gérald Darmanin et Olivier Dussopt ont choisi de rompre totalement les digues républicaines qu’ils prétendaient opposer à la crue de l’égout de l’extrême-droite xénophobe. Ils tentent ainsi de contraindre les députés d’extrême-centre (Renaissance, Modem, Horizons) à voter pour un texte qui porte de « nombreuses atteintes aux droits et la profonde remise en cause des principes républicains de dignité et d’égalité » (Défenseure des droits).

En effet, « les dispositions du texte dans son dernier état prévoient que des personnes étrangères régulièrement établies en France seront privées, pendant plusieurs années, de prestations essentielles concourant à l’effectivité de droits fondamentaux, alors même qu’elles auront satisfait à toutes les règles relatives au droit des étrangers, et notamment aux conditions d’intégration que le projet de loi se propose par ailleurs de renforcer ». Il est donc écrit que « de telles dispositions auront des effets redoutables de précarisation des personnes présentes sur notre territoire, au détriment de la cohésion sociale. Les retombées du dispositif envisagé sont d’autant plus inquiétantes qu’elles vont spécifiquement affecter des personnes particulièrement vulnérables compte tenu de la nature des prestations sociales concernées ».

A juste titre, les organisations républicaines de notre pays appellent à la résistance.

La secrétaire générale de la CGT, Sophie Binet, a affirmé sur X (ex-Twitter) qu’Emmanuel Macron serait « comptable devant l’histoire d’avoir rompu le barrage républicain face à l’extrême droite » et a demandé aux députés de prendre « leur responsabilité en votant contre » le projet de loi. A l’unisson, la secrétaire générale de la CFDT, Marylise Léon, a estimé que « l’histoire jugera [un] accord signé sur les bases d’une idéologie d’extrême droite » et a également appelé à « résister » contre un projet « qui fait honte à notre pays ».

Le député Génération.s Benjamin Lucas a dénoncé, lors des questions au gouvernement, une « victoire idéologique majeure » de l’extrême droite, laquelle a d’ailleurs annoncé qu’elle voterait l’accord trouvé en commission mixte paritaire. « Vous avez cédé sur tout », a dénoncé le parlementaire, estimant qu’il ne s’agit « plus [de] la gauche, plus [de] la droite, plus [de] la majorité, plus [de] l’opposition, [mais du] serment humaniste » fait aux Français.

« Il y a une nouvelle majorité de fait sur la question migratoire, qui est une majorité d’extrême droite« , a estimé le premier secrétaire du parti socialiste, Olivier Faure. « Jamais nous n’aurions imaginé un seul instant, lorsque nous avons appelé à voter pour Emmanuel Macron à deux reprises, que celui qui s’était présenté comme le barrage aux idées de l’extrême droite pourrait un jour en devenir le marchepied« , a poursuivi le socialiste. Il a ensuite appelé les députés de la majorité à « refuser de suivre la dérive personnelle du chef de l’Etat », avant d’insister : « Les députés Renaissance, Horizons, et MoDem ont une occasion unique de montrer qu’ils ne sont pas simplement des Playmobil. Est-ce qu’ils ont encore la possibilité de penser par eux-mêmes ou est-ce qu’ils sont désormais totalement lobotomisés et prêts à se prostituer pour obtenir le vote d’une loi de la honte ? »

Le texte, sur lequel députés et sénateurs réunis en commission mixte paritaire (CMP) ont trouvé un accord, « n’est ni plus ni moins désormais que le projet de loi le plus régressif depuis au moins quarante ans pour les droits et conditions de vie des personnes étrangères, y compris celles présentes depuis longtemps en France », ont enfin déploré, dans un communiqué commun, une cinquantaine d’associations, syndicats et ONG, dont la Ligue des droits de l’homme. Ces associations et syndicats déplorent un texte à la « xénophobie décomplexée ». « Le gouvernement et les parlementaires qui le soutiennent se sont pliés aux sommations des dirigeants du groupe [Les Républicains] pour laisser triompher des mesures profondément discriminatoires », estiment ces organisations, appelant encore « à ne pas adopter » le texte, car « les principes d’égalité, de solidarité et d’humanité, qui fondent notre République, semblent ne plus être aujourd’hui une boussole légitime de l’action gouvernementale », dénoncent-elles.

Tout ceci étant clairement dit, écrit, publié, maudits seront celles et ceux qui voteront, en toute connaissance de cause, le projet de loi Immigration !

Il y a quatre ans et demi, déjà, l’un d’entre nous écrivait : « D’Emmanuel Macron, quelle mémoire restera dans l’Histoire ? Ayant gouverné en tyran, réprimé férocement un peuple pacifique, menti sans vergogne, trahi l’exigence républicaine et l’espoir démocratique de toutes celles et ceux qui crurent qu’il était, en mai 2017, leur champion pour « faire barrage au fascisme », une constituante populaire ne gardera certainement du nom du roi des éborgneurs, au mieux, qu’une seule lettre : « M ». » Il développait, entre autres : « Orienté vers le Veau d’or, le président des ultra-riches est aussi le briseur en chef des liens qui font une société humaine : liens économiques et sociaux fondés sur l’équité et la solidarité, l’idéal d’égalité ; liens moraux, affermis par la confiance dans la justice et les services publics, police comprise. »

Ce soir, nous signons aussi ces dernières lignes.

Le Jacquemart

Mise à jour du 20 décembre :

Les députés du groupe Renaissance Benoît Bordat, Didier Martin et Philippe Frei (suppléant de Fadila Khattabi) ont voté POUR le projet de loi Immigration (source : Assemblée nationale). Députés maudits !

Chez les prophètes bibliques, maudit est celui qui brise l’Alliance.

Jérémie : « Maudit soit l’homme qui n’écoute point les paroles de cette Alliance que j’ai prescrite à vos pères, le jour où je les ai fait sortir du pays d’Égypte, de la fournaise de fer. » (Jérémie 11,2-4)

Quant aux « malheur à vous ! » prononcés par le Christ, ce sont des déclarations prophétiques annonçant les calamités auxquels se vouent les malfaisants obstinés : « Mais, malheur à vous, riches, car vous avez votre consolation ! Malheur à vous qui êtes rassasiés, car vous aurez faim ! Malheur à vous qui riez maintenant, car vous serez dans le deuil et dans les larmes ! » (Luc 6,24-25)

Dans la Rome antique, la damnatio memoriae, condamnation à l’oubli éternel, était votée par le Sénat et annulait les honneurs de celui qui en faisait l’objet, souvent un tyran déchu pour « haute trahison ». L’anniversaire de sa naissance était scellé comme « jour néfaste », son nom était effacé par martelage des monuments publics, ses statues étaient renversées. Cette malédiction était une ignominia post mortem, une ignominie pour toujours. Après la mort de Caligula, le Sénat songea, selon Suétone (Vie des douze Césars, publiée entre 119 et 122 ap. J.-C., Paris, Gallimard, coll. Folio, 1990), à abolir la mémoire de tous les Césars en détruisant leurs temples pour rétablir la république (Jean-Marie Pailler et Robert Sablayrolles, « Damnatio memoriae : une vraie perpétuité ? », dans Pallas. Revue d’études antiques, Toulouse, Presses universitaire du Mirail, 1994, n° 40, pages 11 à 55).

Ont été frappés de la damnatio memoriae, la malédiction mémorielle, les empereurs Néron, Commode, Héliogabale, Sévère…