Par Marie-Thérèse Mutin *

Construire le contrat social !

Préserver la planète !

C’est autour de ces axes qu’on peut construire un projet et un programme de gauche. C’est, peu ou prou, autour de ces axes que se construisent tous les mouvements de gauche, mais au lieu de se battre à l’intérieur d’une structure pour faire progresser ses idées, on la quitte au moindre désaccord.

Marie-Thérèse Mutin, le 23 mars 2024, à Cessey-sur-Tille (21). Photo : ISHTA

Revenons à l’histoire : jusqu’à son calamiteux Congrès de Rennes, en 1990,  le PS continue son rôle de rassembleur, fédérant des rocardiens du PSU en 1974 aux trotskistes de Cambadélis en 1986. A partir de 1990 où la majorité mitterrandiste a volé en éclats entre Jospin et Fabius, le PS  ne rassemble plus, au contraire. Pourquoi ? Parce qu’aux courants de pensée qui permettaient des synthèses idéologiques ont succédé des écuries présidentielles où les ambitions personnelles prennent le pas sur l’orientation politique, où la belle idée de 1981 « changer la vie » s’est transformée en « changer ma vie ». Dès lors la lutte des places remplace la lutte des classes et on assiste à l’émiettement du PS :

En 1993, Jean-Pierre Chevènement le quitte et crée le MDC (Mouvement des citoyens).

Jean-Luc Mélenchon bataillera à l’intérieur jusqu’en 2008, il crée alors le Parti de Gauche puis La France insoumise, en 2016.

En 2015, Liem Hoang-Ngoc crée La nouvelle gauche socialiste (NGS)

En 2017, Benoît Hamon crée Génération.s

En 2018, Gérard Filoche crée La gauche démocratique et sociale.(GDS)

 En 2019, Marie-Noëlle Lienemann et Emmanuel Maurel créent La gauche républicaine et socialiste (GRS)

En 2021, Arnaud Montebourg crée L’Engagement

En 2022, Bernard Cazeneuve quitte le PS et crée La Convention 

Il semble qu’après cette dernière division, l’hémorragie soit arrêtée au Parti Socialiste. C’est à présent au sein de LFI et son fonctionnement autocratique que se produisent les craquements.

Y a-t-il des divergences insurmontables entre ces « gauches » ? Les élections législatives de 2022 ont montré des signes encourageants de rassemblement.

Le PS, le PCF, LFI et le pôle écologique (Verts + Génération.s)  ont formé la NUPES (Nouvelle union populaire écologique et sociale) autour d’un programme législatif commun.

La campagne législative a donné lieu à un autre rassemblement  dont on a peu parlé : la fédération de la gauche républicaine avec des Radicaux de gauche (LRG), l’Engagement, la Nouvelle gauche socialiste (NGS) et la Gauche républicaine et socialiste.(GRS).

Souhaitons que cette force centripète  remplace durablement la force centrifuge de ces trente dernières années. Il y aura des à-coups :

1) L’union de la NUPES est compromise par la stratégie radicale de la France insoumise, mouvement sans démocratie interne et soumis aux extravagances de Jean-Luc Mélenchon.

2) Il n’y aura pas d’union pour les élections européennes, les divergences sur l’Europe, le mode de scrutin de liste proportionnel et le mode de financement des partis rendent l’union très difficile. Les écologistes ont été les premiers à faire cavalier seul dans une élection qui leur réussit plutôt bien jusqu’ici. En sera-t-il toujours ainsi maintenant que tous les partis et mouvements ont intégré la dimension écologique à leur programme ?

Si aucune union n’est possible du moins serait-il important de conclure un contrat de non-agression entre les listes de gauche, qu’elles concentrent leurs attaques contre les listes de droite et d’extrême-droite, qu’elles profitent de ces moments d’accès aux médias pour une action positive.

Or on assiste à une stratégie suicidaire où il faut être les plus forts à gauche pour apparaître après l’élection ceux autour desquels se fera l’union !

Il faudra donc une nouvelle fois panser les plaies avant de repartir pour une action commune, remplacer la compétition par l’émulation, apprendre aux militants à travailler ensemble dans une même structure dotée de statuts stricts et intangibles. Ces statuts ne doivent pas s’adapter à la culture dominante qui consiste toujours à édulcorer le vocabulaire pour affaiblir la gauche et ses combats. Un exemple : l’expression lutte des classes trop guerrière a été remplacée par confrontation sociale puis par consensus affublé de démocratique pour faire plus propre. 

Autre exemple plus récent : les partis de gauche traditionnels se sont construits en s’appuyant sur les syndicats ouvriers et les associations.  En 1971, l’article 12 des statuts du parti socialiste stipulait : « Les membres du parti doivent appartenir à une organisation syndicale de leur profession, à la coopérative de leur localité s’il en existe une et à une organisation de défense des consommateurs. »

En 2021 : voici l’article 2.1.1.2.3 ( !)  « Les membres du parti sont encouragés à appartenir à une organisation syndicale de leur profession et au moins à une association, notamment de défense des droits de l’Homme, de solidarité, de consommateurs, d’éducation populaire, de parents d’élèves ou d’animation de la vie locale. »

Ce changement de verbe peut sembler anecdotique mais il est le signe d’une défaite de la pensée de gauche. En réalité il montre que le recrutement des militants n’est plus de même nature ; autrefois il se faisait par des actions communes des militants syndicaux, politiques ou associatifs pour la protection de l’emploi,  pour la revendication de droits supplémentaires pour les salariés, pour la protection de la nature, à présent il se fait surtout au moment des élections soit pour être candidat, soit pour soutenir une candidature par une adhésion qui n’a pas toujours à voir avec l’idéal politique. Avec ce type de recrutement, on peut « monter » des listes pour les élections mais on ne peut pas construire un programme.

Doter la nouvelle structure de règles intangibles est la première exigence pour réussir l’union. Comme la situation de la gauche est quasi la même en 2024 qu’en 1971, pourquoi ne pas reprendre les statuts du PS de cette époque qui permettent, grâce à la démocratie interne, la coexistence de courants de pensées et le débat, la confrontation d’idées qui enrichissent et renforcent l’ensemble.

LE CONTRAT SOCIAL

C’est avec les organisations syndicales qu’il faut construire un contrat social pour le précariat, cela demande des militants politiques distribuant des tracts et dialoguant avec les travailleurs aux portes des entreprises, des  réunions communes (syndicats, partis)  pour débattre et faire remonter aux instances fédérales et nationales des  partis et des syndicats.

Défendre les acquis, redonner des droits aux travailleurs, donner un statut stable aux auto-entrepreneurs mais aussi réfléchir avec les scientifiques, les sociologues, les philosophes aux nouvelles formes du travail liées aux nouvelles techniques et particulièrement à l’IA (l’intelligence artificielle) véritable révolution dans tous les domaines.

L’IA  est source d’angoisse pour la population. Comme toutes les découvertes, elle peut être la pire ou la meilleure des choses. La gauche doit s’emparer de ce problème, expliquer et surtout encadrer cette technique pour qu’elle soit bénéfique au précariat.

L’ÉCOLOGIE

A présent que l’écologie est devenue un problème majeur, il est urgent de jeter les bases d’un projet cohérent. Seule la gauche rassemblée peut construire ce projet car elle aura la force de résister aux lobbys.

Les élections locales (municipales, régionales) sont propices au rassemblement. C’est à cela qu’il faut travailler dès maintenant en maillant le territoire de la plus petite commune à la plus grande. Nos quelque 35000 communes sont une richesse pour la vie démocratique, de même que les milliers d’associations loi 1901, à but non lucratif, qui permettent de fédérer des membres autour d’une cause culturelle ou d’entraide ou de défense du patrimoine, de la nature…

Un parti de militants peut recenser toutes les initiatives prises par des associations de défense des biens communs, par les professionnels, par les « amateurs » connaissant leur territoire et bouillonnant d’idées sur la régulation des rivières, sur l’entretien des forêts, sur l’aménagement du territoire… faire remonter ces informations au niveau national et recevoir des indications, des conseils pour mener un débat cohérent sur tout le territoire national.

Pour éviter les ZAD qui bien souvent se terminent dans la violence par la défaite des défenseurs, il faut se servir des institutions c’est-à-dire avoir des militants attentifs aux projets du conseil municipal de leur commune car lorsqu’elles réalisent des aménagements, des ouvrages ou des travaux, susceptibles de porter atteinte à l’environnement, elles doivent ouvrir une enquête publique préalable annoncée par le maire quinze jours avant l’ouverture. Ces enquêtes sont de courte durée (un mois minimum) il faut donc être rapidement mobilisables pour engager le débat préalable, faire des suggestions, amender le projet c’est-à-dire avoir une action positive a priori.

Ces va-et-vient permanents entre la base et le sommet, permettent d’enrichir le projet et les programmes qui en découlent en fonction des analyses délibérées en commun et cela dans tous les domaines : travail – écologie – éducation – santé – consommation – logement – loisirs…

Ainsi chaque militant se sent partie prenante du projet et des programmes démocratiquement élaborés, il en comprend l’importance et peut les défendre intelligemment et avec enthousiasme.

Le parti de gauche ainsi constitué est à présent le seul lieu de mixité sociale en France. Chacun  apporte son expérience, ouvriers, employés, fonctionnaires, artistes, agriculteurs, hauts fonctionnaires, scientifiques, philosophes, sociologues, économistes, historiens, géographes…

Le programme de politique intérieure peut ainsi être démocratiquement construit en fonction des valeurs de notre République : « Liberté, Égalité, Fraternité », dans le cadre juridique fixé par l’article 1 de la constitution : « indivisibilité – laïcité – démocratie. »

La politique internationale

1) L’union européenne :

Les crises sanitaires, climatiques, géopolitiques ont permis à l’union européenne de construire de la solidarité en tournant le dos aux dogmes néolibéraux et pourtant les forces d’extrême-droite progressent  partout. Là aussi il est grand temps d’unir les forces de gauche. Plus aucune ne souhaite sortir de l’Union, il devrait donc être possible d’harmoniser les positions en discutant des changements des traités et des règlements avec la gauche européenne.

2) La politique étrangère

Là aussi, Macron a montré ce qu’il ne faut pas faire : son attitude arrogante de donneur de leçons a ruiné l’influence française dans les pays africains, il n’est que de voir les troupes françaises quitter le Mali ou le Niger sous les huées alors que Hollande en 2013 y était reçu triomphalement. Ses positions contradictoires sur l’Ukraine et la Russie discréditent la parole de la France, désorientent nos alliés et angoissent les Français. Enfin, afin de pouvoir décider seul, il dissout le corps diplomatique pour remplacer à loisir les diplomates formés à ce métier si particulier par des hauts fonctionnaires qui auront pour mission d’expliquer a posteriori les positions changeantes du président.

Dans ce domaine  l’idéal serait que la France parle d’une seule voix pour pouvoir peser au niveau international, pour lutter contre la progression de l’extrême-droite et défendre la démocratie. Pour cela il faut quitter la politique manichéenne, la lutte entre le Bien et le Mal, l’invective et les faux procès.

La première mesure à prendre est le rétablissement du corps diplomatique et comme pour tous projets, débattre avec les diplomates, les philosophes, les historiens, les géographes, les militaires, les grands reporters, les ONG… pour tenter de définir une position commune.

CONCLUSION

Pourquoi écrire ce vade-mecum pour militant de gauche ?  J’ai bien conscience que c’est aux jeunes générations de préparer le monde dans lequel ils vont vivre, à partir de celui qu’on leur laisse et en fonction des nouvelles techniques qui révolutionnent ce monde. Mais la situation de la gauche éparpillée en pléthore de petits mouvements est tellement semblable à la gauche éclatée des années soixante que peut-être le vieil adage « aux mêmes maux les mêmes remèdes » peut s’appliquer en politique. Le mal, c’est le vieux rêve des centristes , le « ni gauche ni droite » qui finit toujours à droite comme le démontre magistralement le macronisme. Le remède c’est la reconstitution du clivage droite/gauche et d’un solide parti dominant dans chaque camp. C’est dans cet affrontement entre deux projets de société que se forgent des citoyens conscients et non des sujets abêtis par un matraquage médiatique quotidien.

La vie ne vaut que s’il y a combat pour ce qu’on croit juste ; reprenons la lutte pour l’indispensable union de la gauche, pour construire une société de liberté, d’égalité, de fraternité.

Fin de la série rassemblée sous format PDF

* Marie-Thérèse Mutin, écrivain, fondatrice et présidente des éditions Mutine, ancienne conseillère régionale en Bourgogne et députée européenne socialiste (PS), ancienne première secrétaire de la fédération PS de Côte-d’Or, ancienne membre des conseil national et bureau national du PS.

Marie-Thérèse Mutin a déjà publié dans nos pages :