« Une guerre contre l’Occident ? », entretien avec le politologue Gilles Kepel

France Culture, dimanche 31 mars 2024

Marc Weitzmann s’entretient avec Gilles Kepel alors que paraît son essai « Holocaustes : Israël, Gaza et la guerre contre l’Occident » aux éditions Plon. Gilles Kepel revient sur les attaques du Hamas le 7 octobre et la riposte israélienne. Il décrypte la recomposition géopolitique qui en découle.
  • Avec Gilles Kepel, politologue, professeur des universités.

Le massacre perpétré le 22 mars dernier au Crocus City Hall de Moscou et revendiqué par l’Etat Islamique au Khorassan est le dernier épisode d’une dynamique de violence complexe, à facettes multiples, impliquant des acteurs nombreux aux objectifs contradictoires, dans des zones géographiques à priori disparates qui vont de l’Ukraine au Moyen-Orient et à l’Asie Centrale. Si l’on s’en tient à l’histoire courte, on peut en dater le début au milieu des années 2010, entre l’annexion de la Crimée par la Russie, la guerre civile syrienne et la guerre de Gaza. Une vision plus longue ferait du 11 septembre 2001 et de la guerre d’Irak qui a suivi le coup d’envoi de notre époque, où la frontière entre guerre et paix est en passe de disparaitre, et une vision plus longue encore remonterait jusqu’aux terrorismes des années 90 voire à la guerre d’Afghanistan.
Ce qui semble en tout cas, c’est que le pogrom géant perpétré par le Hamas le 7 octobre dans le sud d’Israël et ses conséquences aujourd’hui à Gaza accélèrent cette dynamique, tout en marquant une rupture avec ce qui précédait. Quelque chose se met en place, comme si cet évènement clarifiait la donne pour faire émerger un front uni dans la lutte contre un Occident, comme si la prédiction du choc des civilisations de Samuel Huntington voici plus de vingt ans était reprise à son compte par un « Sud Global ».

L’invité du jour

Marc Weitzmann reçoit Gilles Kepel alors que paraît Holocaustes : Israël, Gaza et la guerre contre l’Occident aux éditions Plon.

Le récent attentat de Moscou relève selon Gilles Kepel de la même stratégie que celle, en France, de l’attentat du Bataclan : « Il s’agit d’attaquer les pays occidentaux ou non-occidentaux à partir non pas d’un conflit dirigé contre leurs appareils d’État ou de répression, mais des sociétés civiles dont un certain nombre ne sont pas forcément hostiles. » Il s’inscrit dans un combat de l’État islamique au Khorasan contre un axe irano-russe.

Gilles Kepel considère que l’attentat du Hamas du 7 octobre dernier a agi comme une déflagration sur les dynamiques mondiales, et qu’il a eu plus d’effet sur la recomposition du monde que celui du 11 septembre 2001. Il a notamment relancé le débat autour du terme de « génocide », notion forgée par Raphael Lemkin en 1943.

Cette reconfiguration du monde entre un Nord détesté et un Sud global repose sur des dynamiques mouvantes et souvent profondément contradictoires : « La construction artificielle d’un sud global dont Moscou serait, d’une certaine manière, l’une des têtes de pont, est une vue de l’esprit, puisque à l’intérieur de ce sud global, il y a des contradictions gigantesques ». La religion et les considérations économiques, politiques et géopolitiques ne cessent de s’imbriquer et de se contredire.

Holocaustes. Israël, Gaza et la guerre contre l’Occident, par Gilles Kepel
Date de parution : 21/03/2024

Argument de l’éditeur :

La razzia qui a dévasté, le 7 octobre 2023, l’État juif où 1 140 personnes ont été massacrées, violées, mutilées a été suivie d’une hécatombe lors de l’assaut sur Gaza en représailles, dans lequel ont péri plus de 25 000 Palestiniens.
Ces holocaustes – au sens religieux originel de sacrifices de masse – incarnent la malédiction de la Terre sainte dans notre période tragique. Engrenage de violence et d’aveuglement dont les logiques remontent loin dans l’histoire des deux peuples.
Gilles Kepel montre comment les protagonistes de ce drame entremêlent, dans leurs actes et discours, mystique et politique. À l’islamisme radical du Hamas sunnite et de ses alliés chiites inspirés par l’Iran s’opposent les suprémacistes juifs qui assurent la survie d’un gouvernement Netanyahou aux stratégies ambiguës. Du Yémen au Liban, ce choc exacerbe les tensions régionales et connaît des répercussions mondiales. Il prend l’allure d’une guerre planétaire contre l’Occident et ses valeurs, opposant Apartheid et Shoah. En s’appropriant la notion de « génocide », certains États et organisations se réclament d’un « Sud Global » en lutte contre un « Nord » stigmatisé comme colonialiste et « islamophobe ».
L’auteur révèle ici les enjeux majeurs de ce conflit de civilisations.

Alors que le dimanche 7 avril marquait les six mois des attaques du Hamas contre Israël. Gilles Kepel, politologue et spécialiste du monde arabe, fait un état des lieux du conflit au Moyen-Orient.
« L’Invité » sur TV5MONDE (même si Patrick Simonin n’a visiblement pas bien lu Holocaustes…)

Gilles Kepel, près d’un demi-siècle de recherches sur l’islamisme !