« L’écourtement de la mémoire, c’est la mort. L’homme ou le peuple à mémoire courte, et qui vit, vit dans la mort, ce qui est pire que de mourir. »
Jean Cassou, La Mémoire courte, Minuit, 1953 (nouvelle édition, Sillage, 2017)

Guerre Israël-Hamas : la Cour internationale de justice (CIJ) demande à Israël d’autoriser l’accès humanitaire à Gaza et d’empêcher tout éventuel acte de génocide. Elle ne se prononce pas sur la question de savoir si Israël commet ou pas un génocide. Elle se prononce sur des ordonnances d’urgence déjà respectées – certes insuffisamment – par l’armée de cet état avant d’examiner l’affaire sur le fond, un processus qui peut prendre des années. Malgré une propagande immédiate des antisionistes patentés, cette décision est une défaite des accusateurs d’Israël, dont l’Afrique du Sud qui réclamait à la CIJ, comme le Hamas, un cessez-le-feu immédiat et unilatéral.

Capture d’écran : Les Echos. A. P.

Joan E. Donoghue, présidente de la CIJ, a ouvert la session pour lire la décision prise par un panel de dix-sept juges. « La Cour est pleinement consciente de l’ampleur de la tragédie humaine qui se déroule dans la région et est profondément préoccupée par la poursuite des pertes de vies humaines et des souffrances humaines », a-t-elle déclaré.

La CIJ déclare qu’Israël doit « prendre toutes les mesures en son pouvoir » pour empêcher la commission d’actes génocidaires contre les Palestiniens, prendre des mesures pour prévenir et punir l’incitation au génocide contre les Palestiniens, et prendre des mesures pour fournir « l’assistance nécessaire d’urgence pour remédier aux conditions de vie défavorables à Gaza ».

Pas de cessez-le-feu…

Toutefois, la Cour n’a pas accédé à la demande de l’Afrique du Sud d’imposer un cessez-le-feu unilatéral immédiat dans son opération militaire contre le Hamas à Gaza.

La CIJ, qui siège à La Haye (Pays-Bas), ne se prononce pas non plus sur la question de savoir si Israël commet effectivement ou non un génocide. Elle se prononce ainsi sur des ordonnances d’urgence avant d’examiner l’affaire sur le fond, un processus qui peut prendre des années.

Israël doit prendre « des mesures immédiates et efficaces pour permettre la fourniture des services de base et de l’aide humanitaire dont les Palestiniens ont un besoin urgent pour faire face aux conditions de vie défavorables auxquelles sont confrontés les Palestiniens », a statué la cour, ce qui est la moindre des exigences.

La veille, Israël avait déclassifié plus de 30 ordres donnés par des responsables gouvernementaux et militaires qui réfutent l’accusation de « génocide » portée par l’Afrique du Sud devant la CIJ et montrent au contraire que son gouvernement et son armée cherchent à limiter le nombre de morts civiles à Gaza, comme l’a rapporté le New York Times.

…ni jugement opérationnel

Selon des premiers commentaires juridiques publiés dès la décision de la CIJ rendue, toutes les mesures ordonnées par la CIJ sont des éléments avec lesquels Israël dit être d’accord en général : ne pas commettre de génocide, faciliter l’aide humanitaire, préserver les preuves pour les enquêtes sur les crimes de guerre présumés et poursuivre les Israéliens qui se livrent à des incitations illégales contre les Palestiniens.

Pour preuve, Aharon Barak [ancien président de la Haute Cour israélienne et membre nommé par Israël au tribunal de la CIJ – lire son témoignage, ci-dessous, en annexe II] a voté « pour » deux des six points de l’ordonnance de la Cour :

  • « L’État d’Israël doit prendre toutes les mesures en son pouvoir pour prévenir et punir l’incitation directe et publique à commettre le génocide à l’encontre des membres du groupe des Palestiniens de la bande de Gaza. »
  • « L’État d’Israël doit prendre sans délai des mesures effectives pour permettre la fourniture des services de base et de l’aide humanitaire requis de toute urgence afin de remédier aux difficiles conditions d’existence auxquelles sont soumis les Palestiniens de la bande de Gaza. »

Pour comprendre la décision complexe de la CIJ et pourquoi cela a été une victoire pour Israël, il faut comprendre la différence entre le droit déclaratif et le droit opérationnel [declarative and operative law].

Le droit déclaratif consiste essentiellement à demander ou à conseiller à une partie de faire quelque chose. Un jugement opérationnel est contraignant et est assorti de sanctions en cas de non-respect de ses injonctions.

Les accusateurs d’Israël espéraient qu’il y aurait un ordre de la CIJ pour mettre fin immédiatement à la guerre et retirer son armée de Gaza. Cela aurait placé Israël dans la position inconfortable : soit renoncer à sa sécurité nationale pour se conformer à cet ordre, soit devenir un contrevenant public aux décisions de la CIJ. Cela aurait également placé les alliés d’Israël dans une position beaucoup plus difficile et aurait peut-être conduit certains d’entre eux à pénaliser Israël sur le plan diplomatique et même économique. Ces accusateurs en sont pour leurs frais et se rabattent, par la diffusion immédiate d’une propagande formatée à l’avance, sur une interprétation outrancière de la décision de la CIJ.

« Inversion des valeurs »

Sur le fond, la décision de la CIJ montre, avec un embarras manifeste, que la saisine de l’Afrique du Sud ne tenait pas la route, que ce soit en matière de droit ou moralement. C’est ce que démontrait, le 22 janvier, l’avocate Noëlle Lenoir, ancienne ministre des Affaires européennes et ex-membre du Conseil constitutionnel, et le Cercle droit et débats qu’elle préside[1], dans une tribune substantielle publiée par Le Point, puis dans une expertise diffusée par Le Monde du droit, trois jours plus tard.

Les termes utilisés par les juristes internationaux ont le mérite de la franchise : « En accusant Israël de génocide, le 28 décembre 2023, devant la Cour internationale de justice (CIJ) de l’ONU, le gouvernement d’Afrique du Sud opère une inversion des valeurs aussi moralement scabreuse que juridiquement atterrante. Moralement scabreuse, car sa saisine tend à transformer en bourreau un État bel et bien victime, quant à lui, d’un commencement de génocide. L’agression subie par Israël le 7 octobre caractérise en effet une tentative de génocide tant par l’intention – compte tenu des objectifs affichés par le Hamas – que par les modalités – eu égard à la nature des actes commis par les terroristes. Cette saisine est non moins juridiquement atterrante, car elle illustre jusqu’au paroxysme l’instrumentalisation idéologique dont la justice – particulièrement, comme ici, la justice internationale – peut aujourd’hui faire l’objet. »

S’affranchir de la charge de la preuve

Du point de vue juridique, les auteurs du Cercle droit et débats font remarquer : « En principe, la CIJ se prononce en cas de conflit entre deux États, par exemple à propos de la délimitation d’une frontière. En se prévalant devant la Cour de La Haye de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide du 9 septembre 1948, l’Afrique du Sud cherche à s’affranchir de la charge de la preuve qui incombe normalement à tout accusateur (et qui serait, par exemple, exigée devant la Cour pénale internationale). »

Ainsi, la saisine de l’Afrique du Sud – qui ne mentionne pas une seule fois le mot « Hamas » – « conjugue en effet trois prétentions : premièrement, invoquer la convention devant la CIJ, alors qu’elle n’est pas affectée par le conflit ; deuxièmement, obtenir que soient ordonnées par la Cour des « mesures provisoires » (en réalité un cessez-le-feu inconditionnel) avantageant un camp contre l’autre sur le champ de bataille ; enfin, être dispensée d’apporter la preuve des actes de génocide qu’elle reproche à Israël, son argumentation se bornant, au nom de l’urgence, à soutenir que de tels actes sont « plausibles ». Rien de cela n’est sérieux en droit ».

Hurlements de prétendue « victoire »

Si, sur X, le leader de La France insoumise, Jean-Luc Mélenchon, a évoqué précipitamment « un triomphe du droit sur la loi du plus fort », l’excellent journaliste Jean-Dominique Merchet commentait ainsi, toujours sur X : « Les antisémites pourraient ainsi trouver leur revanche [dans la lecture biaisée de la décision de la CIJ], qui, sous couvert d’antisionisme, ne cessent de vouloir comparer Israël aux nazis… » Mais ce serait [c’est] au prix de se décrédibiliser encore plus, si c’est encore possible.

Car, a contrario de tous les hurlements de prétendue « victoire » des antisionistes radicaux, idiots utiles du Hamas, la déception de nombreux Palestiniens démontre tragiquement, s’il le fallait, combien la décision de la CIJ n’est pas celle réellement attendue par les premiers concernés, comme le relève un reportage de France Info : « Devant la mairie de Ramallah, un drapeau sud-africain flotte aux côtés des drapeaux palestiniens. À l’intérieur, ils étaient une petite centaine de Palestiniens, venus assister, en direct au verdict de la Cour Internationale de Justice. Iyad Staiti, un musicien venu avec son fils, se dit déçu. Il espérait un cessez-le-feu, a minima, persuadé du génocide en cours à Gaza : ‘C’est un problème majeur, nous sommes un peuple opprimé. En tant que personnes militairement faibles, nous constatons que la loi est toujours, malheureusement, du côté des puissants. J’espère qu’à l’avenir, le droit international jouera un rôle plus décisif.’»

Antoine Peillon

Lire :


[1] Le Cercle droit et débats est présidé par Noëlle Lenoir (membre honoraire du Conseil constitutionnel) et comprend notamment comme membres Pierre-Henri Conac (professeur de droit), Jean-Claude Magendie (ancien premier président de la cour d’appel de Paris), Emmanuel Piwnica (avocat aux conseils), Jean-Éric Schoettl (ancien secrétaire général du Conseil constitutionnel), Frédéric Thiriez (avocat aux conseils)…

ANNEXE I

Analyse du Jerusalem Post [traduction : A. P.]

La CIJ dénigre Israël pendant 35 minutes, puis Israël gagne

Il s’agissait de savoir si des sanctions internationales contre Israël fabriquerait un nouveau gourdin géant à brandir contre l’État hébreux.

Par YONAH JEREMY BOB

The Jerusalem Post / 26 JANVIER 2024

« (…) [L’ordonnance de la CIJ] pourrait également convenir aux positions des alliés d’Israël, les États-Unis et l’Union européenne, selon lesquels l’intensité de la guerre doit diminuer. Cela ne signifierait pas que dans un mois Tsahal se retirerait ou cesserait de rechercher les terroristes. Mais Israël pourrait à un moment donné déclarer que la guerre formelle est terminée et qu’officiellement les activités de Tsahal à Gaza ont évolué vers un paradigme d’application de la loi plus proche de ce qui se passe en Cisjordanie, mettant l’accent sur l’arrestation des terroristes et ne tirant sur eux qu’en cas de besoin. Israël pourrait également prévoir des exceptions pour les opérations liées à l’élimination des dirigeants du Hamas et au sauvetage des otages israéliens, mais il s’agirait d’opérations spéciales ciblées et non d’une « guerre » à part entière. Un autre résultat de cette décision pourrait être de renforcer la capacité du procureur général Gali Baharav-Miara à poursuivre plus agressivement les responsables publics pour incitation de meurtre contre les Palestiniens. Il pourra désormais affirmer clairement qu’il le fait à la fois pour faire respecter la loi israélienne et pour protéger le pays d’une vague d’allégations de crimes de guerre et de boycotts. Certains Israéliens seront furieux des 35 minutes passées à dénigrer Israël, à traiter comme neutres des responsables partiaux de l’ONU, à ignorer les tirs de roquettes sur Israël après le 7 octobre (les juges ont reconnu le 7 octobre comme un massacre), à ignorer les efforts massifs d’évacuation, par Israël, de civils palestiniens en évitant de leur faire du mal, même au prix de permettre aux dirigeants du Hamas de s’échapper, et par l’ignorance délibérée des abus systématiques du Hamas contre les hôpitaux, les mosquées, les écoles et tout Gaza utilisés comme un grand bouclier humain. Mais ce n’était pas l’enjeu de cette procédure. La bataille rhétorique n’allait certes jamais dans le sens d’Israël. Mais il s’agissait de savoir si un ensemble de sanctions internationales contre Israël donnerait lieu à un nouveau gourdin géant à brandir contre l’État hébreux. Or, sur cette question, Jérusalem a esquivé une balle massive – au moins pendant 30 jours. »

ANNEXE II

« Les nazis n’ont pas réussi à nous ôter notre humanité » : le témoignage d’Aharon Barak, à La Haye. L’Holocauste, selon Barak, l’a amené, en tant que juge, à reconnaître l’importance de l’existence d’Israël et à croire en la dignité humaine.

Par BINI ASHKENAZI

The Jerusalem Post / 27 JANVIER 2024 [traduction : A. P.]

« Le génocide est pour moi plus qu’un simple mot », a écrit Aharon Barak, ancien président de la Haute Cour israélienne et membre nommé par Israël au tribunal de la Cour internationale de Justice (CIJ), où l’Afrique du Sud a accusé Israël d’avoir commis un génocide alors qu’il lutte contre le Hamas en Gaza.

Barak a écrit ces mots dans le cadre de la décision de la CIJ de La Haye, dans un document qui, en plus de faire partie d’un jugement, comprend également un témoignage personnel.

« J’étais un garçon de 5 ans lorsque, dans le cadre de l’opération Barbarossa, l’armée allemande a occupé ma ville natale de Kaunas en Lituanie », écrit-il. « En quelques jours, près de 30 000 Juifs de Kaunas ont été arrachés de leurs maisons et placés dans le ghetto. C’était comme s’ils étaient condamnés à mort et nous attendions leur exécution », a-t-il poursuivi. « Le 26 octobre 1941, tous les Juifs du ghetto reçurent l’ordre de se rassembler sur la place centrale, connue sous le nom de « Place de la Démocratie ». Environ 9 000 Juifs ont été emmenés de la place ce jour-là et exécutés par des tirs de mitrailleuses. »

Barak a ouvert son discours en critiquant l’appel de l’Afrique du Sud devant la Cour. Il a ensuite rappelé à Israël ses obligations en vertu de la Convention pour la prévention du génocide, tout en reconnaissant le droit d’Israël à se défendre et en soulignant l’importance de fournir une aide humanitaire aux habitants de Gaza. Il a noté que le tribunal a souligné que « toutes les parties du conflit dans la bande de Gaza sont soumises au droit international – qui inclut certainement également le Hamas ».

Barak a expliqué en détail pourquoi il s’oppose à l’exigence d’une cessation immédiate des hostilités et à la définition des actions d’Israël à Gaza comme un « génocide », un concept qui représente, selon lui, « une destruction calculée et un comportement humain dans ce qu’il a de pire ». Selon lui, « c’est l’accusation la plus grave possible, et elle est tissée dans l’expérience de ma vie personnelle ».

Barak a également parlé de ses expériences personnelles en tant que survivant de l’Holocauste. « Il y avait une faim constante dans le ghetto surpeuplé », écrit-il, « c’était une communauté de personnes condamnées à mort, mais dans leur cœur il y avait une étincelle d’espoir et un désir de préserver leur dignité humaine fondamentale ». Il raconte l’un des épisodes particulièrement douloureux de l’histoire du ghetto : « Début 1944, les nazis rassemblèrent tous les enfants de moins de 12 ans, les chargèrent dans des camions et les fusillèrent. Il était clair que je devais partir pour survivre. J’ai été sorti clandestinement du ghetto dans un sac et j’ai été emmené chez un agriculteur lituanien. Quelques semaines plus tard, ma mère et moi avons été transférés chez un autre agriculteur. Pour être très secret, le fermier a construit des doubles murs dans l’une des pièces. Nous nous sommes cachés dans cet espace étroit jusqu’à la libération par l’Armée rouge le 1er août 1944. Seuls 5 % des Juifs lituaniens ont survécu. »

L’ancien président de la Haute Cour israélienne a ensuite détaillé l’impact de l’Holocauste sur sa vie et son œuvre : « J’ai beaucoup réfléchi à la façon dont cette expérience m’a affecté en tant que juge. À mon avis, l’effet a été double : premièrement, je suis profondément conscient de l’importance de l’existence de l’État d’Israël. Si Israël avait existé en 1939, il est possible que le sort du peuple juif aurait été différent. Deuxièmement, je crois beaucoup en la dignité humaine. Les nazis et leurs conspirateurs voulaient nous transformer en cendres et poussière. Ils voulaient nous enlever notre dignité d’êtres humains, mais ils ont échoué. Dans les moments les plus difficiles du ghetto, nous avons préservé notre humanité. Les nazis ont réussi à assassiner un grand nombre de nos concitoyens, mais ils n’ont pas réussi à nous enlever notre humanité. »

ANNEXE III

Israël accusé de génocide : la bonne lecture de l’ordonnance de la CIJ

Par Noëlle Lenoir, avocate internationale et ancienne ministre, propose l’analyse de l’ordonnance de la CIJ, la plus haute juridiction de l’ONU, des suites de la requête de Pretoria contre Israël.

Le Point, 28 janvier 2024

Certains médias ont cru bon d’affirmer dans la hâte que la Cour internationale de justice (CIJ) de l’ONU, par son ordonnance du 26 janvier 2024, « a donné raison à la diplomatie sud-africaine ». Il n’en est rien. Ce que montre une lecture attentive de cette ordonnance rendue en réponse à la demande de l’Afrique du Sud « en indication de mesures conservatoires » – en fait, principalement la suspension des opérations militaires de Tsahal –, c’est qu’elle consacre au contraire le droit d’Israël de se défendre. Étayée en droit et en fait, elle rappelle d’ailleurs au passage les responsabilités des deux parties au conflit.

Certes, en admettant la recevabilité de ce recours, la CIJ ouvre la voie à d’autres contentieux du même type. À chaque fois qu’un conflit armé touchera des populations civiles, ce qui est hélas toujours le cas, des tentatives semblables d’instrumentalisation de la justice internationale pourront avoir lieu. Pour autant, la décision de la Cour internationale de justice n’est pas déraisonnable. Rappelons en effet que la Convention sur la prévention et la répression du génocide du 9 décembre 1948, au fondement de l’action de l’Afrique du Sud, a pour spécificité (avec d’autres conventions sur les droits de l’homme) d’ouvrir au maximum le droit au recours. Compte tenu du « but purement humain et civilisateur » de cette convention, l’article 9 permet à tout État contractant d’attaquer n’importe quel autre État contractant pour le rappeler à ses devoirs. Il suffit qu’il existe entre les deux « un différend sur l’interprétation, l’application ou l’exécution de la convention » (affaire Gambie c/ Myanmar de 2020). La CIJ exige en principe que l’opposition soit « manifeste », c’est-à-dire cristallisée par des échanges sur le différend.

Des échanges par ONU ou médias interposés n’auraient pas dû suffire. Si la CIJ les a jugés suffisants, on peut supposer que c’est dans le souci de ne pas se dérober face aux attentes de l’opinion internationale. En l’occurrence, l’ordonnance qu’elle a rendue présente l’avantage de clarifier des points juridiques importants, notamment pour Israël et la légitimité de sa riposte militaire.

Le second critère de compétence de la CIJ l’a conduite à vérifier si les griefs de l’Afrique du Sud – accusant Israël de génocide par action ou par omission – portaient sur des actes « semblant susceptibles d’entrer dans les prévisions de la convention sur le génocide ». La réponse a été positive car la CIJ, dans le cadre des demandes en indication de mesures conservatoires, n’examine ni les arguments en droit, ni les faits invoqués par les demandeurs. Elle se borne à s’assurer que ces faits, s’ils étaient avérés, constitueraient une violation de la convention sur le génocide et qu’ainsi le droit à être protégé par cette dernière est « plausible ». Par exemple, si l’Afrique du Sud avait allégué que l’interdiction d’une manifestation pro-palestinienne ressort de la convention sur le génocide, son recours aurait été rejeté. En faisant état de la catastrophe humanitaire à Gaza et en alléguant qu’Israël entend éliminer tous les Gazaouis, elle s’assurait de bonnes chances de voir son recours accueilli.

L’Afrique du Sud n’a pas atteint son but

Ce que certains commentateurs ont omis de souligner, c’est que la CIJ ne dit rien de la crédibilité des allégations de l’Afrique du Sud et de l’intention que celle-ci attribue à Israël (fermement rejetée par ses dirigeants) de cibler les populations civiles. Après avoir cité les déclarations de responsables de l’ONU, comme son secrétaire général ou encore même le commissaire général de l’Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (Uunrwa), la CIJ indique seulement que les Palestiniens, dont font partie les Gazaouis, « semblent constituer un groupe national, ethnique, racial ou religieux » à protéger au titre de la convention sur le génocide. Et qu’il y avait urgence à dire le droit, compte tenu de la situation humanitaire à Gaza.

À LIRE AUSSI De quoi l’accusation de génocide portée contre Israël est-elle le nom ?

Cela étant, l’Afrique du Sud n’a pas atteint son but : faire ordonner par la CIJ la suspension immédiate des opérations militaires de Tsahal. Dans le cadre, en effet, du contentieux sur les mesures conservatoires destinées à préserver les droits découlant de la convention sur le génocide, la CIJ ne précise dans ses décisions que les mesures qu’elle prononce. Elle ne mentionne pas les demandes qu’elle rejette, comme la cessation de l’opération militaire israélienne. Or cette demande était au cœur de l’action de l’Afrique du Sud, qui n’a donc pas obtenu, à l’instar de l’Ukraine, que la CIJ ordonne à son adversaire « de suspendre les opérations militaires » (affaire Ukraine c/ Fédération de Russie de 2022).

Au total, la CIJ, suivant une formule générale, se borne à demander à Israël de prendre toutes les mesures « en son pouvoir » pour prévenir la commission, à l’encontre des Palestiniens de Gaza, de « tout acte entrant dans le champ d’application de la convention » (ainsi, on ne pourrait imputer à l’armée israélienne la mort des civils utilisés comme boucliers humains par le Hamas). Est plus particulièrement visée « l’incitation directe et publique à commettre le génocide » qu’Israël est invité à prévenir et punir eu égard aux déclarations à l’encontre des Gazaouis de certains responsables politiques. Pour le reste, Israël est appelé à prendre des mesures pour la conservation des preuves et à faire rapport dans le mois à la CIJ de l’exécution de l’ordonnance.

Rappel des obligations de l’Afrique du Sud

Enfin, de façon tout à fait inédite, la CIJ ne se contente pas de demander des comptes à Israël. Elle souligne, hors du champ de sa saisine, « que toutes les parties au conflit dans la bande de Gaza sont liées par le droit international humanitaire » et, se disant « gravement préoccupée par le sort des personnes enlevées pendant l’attaque en Israël le 7 octobre 2023 et détenues depuis lors par le Hamas et d’autres groupes armés, appelle à la libération immédiate et inconditionnelle de ces otages ». La CIJ a-t-elle voulu ainsi implicitement rappeler à l’Afrique du Sud son devoir de contribuer au respect de la convention en faisant usage de son pouvoir d’influence sur le Hamas pour qu’il libère les otages ? Étant observé qu’en cas d’inaction l’Afrique du Sud pourrait elle-même être taxée de manquer aux obligations qui lui incombent en tant qu’État contractant à la convention sur le génocide !

Déjà publiés par Le Jacquemart

* ACTU – Une explosion d’antisémitisme ! / 25 janvier 2024

* ACTU – Appel du Parlement européen pour la paix à Gaza / 24 janvier 2024

* LU/VU – Pour une paix juste et durable à Gaza. Qui, quand, comment ? [opinions] / 13 janvier 2024

* OPINION – « Cessez-le-feu ! » Le mantra des idiots utiles du Hamas / 6 janvier 2024 (conséquences politiques vues par Le Bien public : https://c.bienpublic.com/politique/2024/01/16/idiots-utiles-du-hamas-la-question-israelienne-dechire-encore-un-peu-plus-la-gauche-locale)

MAJ DU 28 JANVIER

Israël accusé de génocide : la bonne lecture de l’ordonnance de la CIJ

Noëlle Lenoir, avocate internationale et ancienne ministre, propose l’analyse de l’ordonnance de la CIJ, la plus haute juridiction de l’ONU, des suites de la requête de Pretoria contre Israël.

Par Noëlle Lenoir
Publié le 28/01/2024 / Le Point

Certains médias ont cru bon d’affirmer dans la hâte que la Cour internationale de justice (CIJ) de l’ONU, par son ordonnance du 26 janvier 2024, « a donné raison à la diplomatie sud-africaine ». Il n’en est rien. Ce que montre une lecture attentive de cette ordonnance rendue en réponse à la demande de l’Afrique du Sud « en indication de mesures conservatoires » – en fait, principalement la suspension des opérations militaires de Tsahal –, c’est qu’elle consacre au contraire le droit d’Israël de se défendre. Étayée en droit et en fait, elle rappelle d’ailleurs au passage les responsabilités des deux parties au conflit.

Certes, en admettant la recevabilité de ce recours, la CIJ ouvre la voie à d’autres contentieux du même type. À chaque fois qu’un conflit armé touchera des populations civiles, ce qui est hélas toujours le cas, des tentatives semblables d’instrumentalisation de la justice internationale pourront avoir lieu. Pour autant, la décision de la Cour internationale de justice n’est pas déraisonnable. Rappelons en effet que la Convention sur la prévention et la répression du génocide du 9 décembre 1948, au fondement de l’action de l’Afrique du Sud, a pour spécificité (avec d’autres conventions sur les droits de l’homme) d’ouvrir au maximum le droit au recours. Compte tenu du « but purement humain et civilisateur » de cette convention, l’article 9 permet à tout État contractant d’attaquer n’importe quel autre État contractant pour le rappeler à ses devoirs. Il suffit qu’il existe entre les deux « un différend sur l’interprétation, l’application ou l’exécution de la convention » (affaire Gambie c/ Myanmar de 2020). La CIJ exige en principe que l’opposition soit « manifeste », c’est-à-dire cristallisée par des échanges sur le différend.

Des échanges par ONU ou médias interposés n’auraient pas dû suffire. Si la CIJ les a jugés suffisants, on peut supposer que c’est dans le souci de ne pas se dérober face aux attentes de l’opinion internationale. En l’occurrence, l’ordonnance qu’elle a rendue présente l’avantage de clarifier des points juridiques importants, notamment pour Israël et la légitimité de sa riposte militaire.

Le second critère de compétence de la CIJ l’a conduite à vérifier si les griefs de l’Afrique du Sud – accusant Israël de génocide par action ou par omission – portaient sur des actes « semblant susceptibles d’entrer dans les prévisions de la convention sur le génocide ». La réponse a été positive car la CIJ, dans le cadre des demandes en indication de mesures conservatoires, n’examine ni les arguments en droit, ni les faits invoqués par les demandeurs. Elle se borne à s’assurer que ces faits, s’ils étaient avérés, constitueraient une violation de la convention sur le génocide et qu’ainsi le droit à être protégé par cette dernière est « plausible ». Par exemple, si l’Afrique du Sud avait allégué que l’interdiction d’une manifestation propalestinienne ressort de la convention sur le génocide, son recours aurait été rejeté. En faisant état de la catastrophe humanitaire à Gaza et en alléguant qu’Israël entend éliminer tous les Gazaouis, elle s’assurait de bonnes chances de voir son recours accueilli.

L’Afrique du Sud n’a pas atteint son but

Ce que certains commentateurs ont omis de souligner, c’est que la CIJ ne dit rien de la crédibilité des allégations de l’Afrique du Sud et de l’intention que celle-ci attribue à Israël (fermement rejetée par ses dirigeants) de cibler les populations civiles. Après avoir cité les déclarations de responsables de l’ONU, comme son secrétaire général ou encore même le commissaire général de l’Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (Uunrwa), la CIJ indique seulement que les Palestiniens, dont font partie les Gazaouis, « semblent constituer un groupe national, ethnique, racial ou religieux » à protéger au titre de la convention sur le génocide. Et qu’il y avait urgence à dire le droit, compte tenu de la situation humanitaire à Gaza.

Cela étant, l’Afrique du Sud n’a pas atteint son but : faire ordonner par la CIJ la suspension immédiate des opérations militaires de Tsahal. Dans le cadre, en effet, du contentieux sur les mesures conservatoires destinées à préserver les droits découlant de la convention sur le génocide, la CIJ ne précise dans ses décisions que les mesures qu’elle prononce. Elle ne mentionne pas les demandes qu’elle rejette, comme la cessation de l’opération militaire israélienne. Or cette demande était au cœur de l’action de l’Afrique du Sud, qui n’a donc pas obtenu, à l’instar de l’Ukraine, que la CIJ ordonne à son adversaire « de suspendre les opérations militaires » (affaire Ukraine c/ Fédération de Russie de 2022).

Au total, la CIJ, suivant une formule générale, se borne à demander à Israël de prendre toutes les mesures « en son pouvoir » pour prévenir la commission, à l’encontre des Palestiniens de Gaza, de « tout acte entrant dans le champ d’application de la convention » (ainsi, on ne pourrait imputer à l’armée israélienne la mort des civils utilisés comme boucliers humains par le Hamas). Est plus particulièrement visée « l’incitation directe et publique à commettre le génocide » qu’Israël est invité à prévenir et punir eu égard aux déclarations à l’encontre des Gazaouis de certains responsables politiques. Pour le reste, Israël est appelé à prendre des mesures pour la conservation des preuves et à faire rapport dans le mois à la CIJ de l’exécution de l’ordonnance.

Rappel des obligations de l’Afrique du Sud

Enfin, de façon tout à fait inédite, la CIJ ne se contente pas de demander des comptes à Israël. Elle souligne, hors du champ de sa saisine, « que toutes les parties au conflit dans la bande de Gaza sont liées par le droit international humanitaire » et, se disant « gravement préoccupée par le sort des personnes enlevées pendant l’attaque en Israël le 7 octobre 2023 et détenues depuis lors par le Hamas et d’autres groupes armés, appelle à la libération immédiate et inconditionnelle de ces otages ». La CIJ a-t-elle voulu ainsi implicitement rappeler à l’Afrique du Sud son devoir de contribuer au respect de la convention en faisant usage de son pouvoir d’influence sur le Hamas pour qu’il libère les otages ? Étant observé qu’en cas d’inaction l’Afrique du Sud pourrait elle-même être taxée de manquer aux obligations qui lui incombent en tant qu’État contractant à la convention sur le génocide !