Par Antoine Peillon

« Sous le prétexte d’une attitude critique envers l’État juif et ses partisans, une antique passion inspirée par la haine continue à se frayer un chemin. »
Léon Poliakov, De l’antisionisme à l’antisémitisme, Calmann-Lévy, Paris, 1969, Avant-propos.

« L’antisionisme est une incroyable aubaine, car il nous donne la permission – et même le droit, et même le devoir – d’être antisémite au nom de la démocratie ! L’antisionisme est l’antisémitisme justifié, mis enfin à la portée de tous. Il est la permission d’être démocratiquement antisémite. Et si les juifs étaient eux-mêmes des nazis ? Ce serait merveilleux. »
Vladimir Jankélévitch, L’Imprescriptible [1967], Seuil, 1986, cité dans in Léon Poliakov, Histoire de l’antisémitisme 1945-1993, Seuil, 1994, p. 405.

« L’antisionisme et l’antisémitisme sont la même vilenie et produisent les mêmes effets. L’antisionisme est par excellence le nouvel antisémitisme. »
Paul Giniewski, Antisionisme : le nouvel antisémitisme, 2005, p. 8

In memoriam Christian Delacampagne
« Et comme je suis un philosophe européen, mes valeurs sont celles des Lumières. »
Islam et Occident : les raisons d’un conflit, PUF, 2003, pp. 150 et 151.

Encore aujourd’hui, j’observe, à Dijon, ce spectacle rituel, pitoyable, comme presque chaque samedi, d’un petit rassemblement des idiots utiles du Hamas, antisémites plus ou moins conscients (ah, le masque de l’antisionisme !), qui clament « Cessez-le-feu ! », et qui essaient de faire croire (mais qui les croit encore ?) qu’ils sont mobilisés pour « une paix juste et durable » entre Israéliens et Palestiniens.

Capture d’écran. DR

« Cessez-le-feu ! », revendiquent-ils, sachant, pour certains (les instigateurs), ou ne comprenant même pas (les idiots utiles) que ce slogan signifie, en réalité : « Victoire du Hamas, capitulation d’Israël. » Car bien évidement, un cessez-le-feu, surtout « durable » comme ils le réclament, ne se tournant que vers Israël, serait la planche de salut du Hamas, ce « mouvement de résistance » dont l’antisémitisme génocidaire n’entame en rien une complicité, voire une admiration à peine dissimulée envers lui, au nom de tous les « damnés de la Terre », de l’anticolonialisme recuit, de la soi-disant « insoumission »…

Le « cessez-le-feu ! » des idiots utiles* du Hamas (et de ceux qui les manipulent), scandé depuis le 8 octobre (commencement de la riposte israélienne aux atrocités terroristes du Hamas), est d’une telle absurdité, d’un tel irréalisme et tellement inimaginable pour toute personne ayant un minimum de notions militaires et géopolitiques ! Oui, il est tellement vain que le seul motif véritable de celles et de ceux qui le scandent, jusqu’à l’abrutissement, ne peut être que la haine, plus ou moins consciente, d’Israël et même des Juifs.

Terribles questions

Car, comment expliquer, autrement, que les mêmes n’ont jamais défendu, ni même évoqué, la seule et unique solution pour sauver la vie des civils de Gaza : que le Hamas libère tous ses otages encore vivants, rende les dépouilles de ceux qui sont morts sous sa garde, dépose les armes et se rende sans condition ? Comment se fait-il que tous ces militants pour « une paix juste et durable » n’aient jamais exigé cette seule et unique possibilité d’un… cessez-le-feu immédiat et définitif ?

Comment se fait-il qu’ils participent à ce point à la constante montée aux extrêmes qui nourrit la « guerre de civilisations » qu’ils affirment pourtant dénoncer ? Comment se fait-il qu’ils soient à ce point objectivement complices du martyre des dizaines de milliers de Gazaouis palestiniens, otages civils du Hamas, en évitant d’interpeller les premiers responsables terroristes et comptables islamistes de la guerre totale qui détruit le peuple dont ils s’affirment, pourtant, être les protecteurs ?

La réponse évidente à ces terribles questions est dans leur simple énoncé. L’antisémitisme est l’arrière-pensée – pour une part impensée – des plaideurs d’un « cessez-le-feu immédiat à Gaza ».

* L’expression « idiot utile » s’applique en politique à des personnalités qui servent des desseins divergents de leurs représentations authentiques, et se trouvent, bien que peut-être de bonne foi, utilisées, instrumentalisées ou manipulées.

LIRE AUSSI :

Ressources

Collectif, dir. Alexandre Bande, Rudy Reichstadt, Pierre-Jérôme Biscarat, Histoire politique de l’antisémitisme en France. De 1967 à nos jours, Robert Laffont, 2024

Alors que la question de l’antisémitisme reste prégnante au sein de notre société et suscite débats, interrogations et inquiétudes, alors que le discours de certains partis et personnalités politiques reste encore parfois ambigu à l’égard des Juifs. Et même si la bibliographie sur l’histoire de ce discours est riche, il n’existe à ce jour aucun ouvrage proposant une synthèse sur la place de l’antisémitisme dans la vie politique française. Les auteurs offrent ici une réflexion transversale proposant un éclairage sur l’antisémitisme contemporain au sein des partis et courants politiques. Il y est considéré sous toutes ses formes : le « complot juif », la négation de la Shoah, les tentatives de réécriture de l’histoire, l’antisionisme, etc.

Prophète en son pays (L’Observatoire, 2023) couvre les quatre décennies pendant lesquelles Gilles Kepel a parcouru le monde arabe et musulman, de l’Égypte au Maghreb en passant par le Levant et le Golfe, ainsi que les « banlieues de l’islam » de l’Hexagone et de l’Europe. Kepel fut en effet le premier à identifier et à étudier les mouvements islamistes, lors de l’assassinat de Sadate, en 1981, et à observer la naissance de l’islamisme en France dans ses significations multiformes.
Malgré l’écho international de sa vingtaine de livres, traduits en de nombreuses langues, ses analyses se sont régulièrement heurtées aux idéologies dominantes à l’Université – du tiers-mondisme d’hier à l’islamo-gauchisme d’aujourd’hui – comme aux politiques à courte vue des dirigeants français et de leur administration.
Sa mise en perspective de l’évolution du jihad faisant désormais autorité, et ses réflexions sur le « jihadisme d’atmosphère » alimentant le débat public, il en éclaire ici la controverse avec humour et érudition, face à la déferlante woke qui menace les études circonstanciées de l’islam contemporain et obère la libre réflexion sur notre société française.

Dans « De la haine du juif », Pascal Ory déjoue les pièges de l’histoire
En s’attaquant à la « question antijuive », l’historien décortique les différentes formes de judéophobie intervenues depuis l’avènement du christianisme, de l’antijudaïsme médiéval à l’antisionisme contemporain en passant par l’antisémitisme du XIXe siècle.
Le Monde du 3 décembre 2021

Pierre-André Taguieff : « Si les juifs n’existaient plus, les antijuifs les réinventeraient »
Philosophe, politiste et historien des idées, Pierre-André Taguieff a publié récemment Sortir de l’antisémitisme ? (Odile Jacob), réflexion aussi bien sur l’histoire du concept que sur le mot lui-même au travers du cheminement et des variations idéologiques de nombreux intellectuels. Il a accepté de répondre aux questions de Marianne.
Marianne, le 3 mars 2022

Lecture de Jean-Bruno Renard, sociologue, pour la Revue des deux mondes (15 juillet 2022) : « Islamo-gauchisme, islamo-nazisme : les liaisons dangereuses ».

Revue de presse du Comité Laïcité République.

Quelques essentiels :

Léon Poliakov, De l’antisionisme à l’antisémitisme, Calmann-Lévy, 1969, 2016

Robert S. Wistrich (éd.), Anti-Zionism and Antisemitism in Contemporary World, New York University Press, 1990 (+ article de 2004 dans la Jewish Political Studies Review 16:3-4, automne 2004)

Raphael Israeli, « L’antisémitisme travesti en antisionisme » (traduction de l’anglais par Jean-Pierre Ricard), Revue d’histoire de la Shoah, n° 180, janvier-juin 2004

Paul Giniewski, Antisionisme : le nouvel antisémitisme, Cheminements, 2005

Caroline Fourest, La tentation obscurantiste, Grasset, 2005

Céline Pina, Silence coupable, Kero, 2016

Cent quarante-huit personnes sont tombées sous les balles du terrorisme islamiste en 2015, des milliers de jeunes sont radicalisés sur notre sol. À quelques kilomètres de Paris, certaines femmes ne vivent plus vraiment en France, ensevelies sous un linceul noir, assignées à résidence communautaire. La laïcité est combattue à l’école, à l’hôpital, dans les services publics comme dans les entreprises privées. On abandonne les Français de confession musulmane sous la coupe de l’obscurantisme.
Les islamistes ne sont grands que parce que nos politiques sont à genoux. Cet abandon défait la promesse de paix, d’égalité et de prospérité que nous espérions léguer à nos enfants. Soyons notre propre espoir. Nous avons dans notre histoire, nos principes et nos idéaux de quoi redonner sens à notre monde et renvoyer les islamistes à leur obscurité, revendiquons-les et utilisons-les. Et alors nous serons grands parce que nous serons debout !

Elhanan Yakira, Post-sionisme, post-Shoah. Trois essais sur une négation, une délégitimation et une diabolisation d’Israël, PUF, collection « Intervention philosophique », 2010

Depuis quelques années, la critique d’Israël a pris la forme d’une disqualification généralisée du sionisme. Ses enjeux sont désormais, explicitement, non pas la politique des gouvernements israéliens, l’occupation des territoires conquis en 1967 aux pays arabes ou les implantations juives dans ces territoires, mais la légitimité de l’idée d’un État juif et, donc, l’existence même d’Israël. Voici trois essais, relativement indépendants les uns des autres, ayant pour thème commun les différentes manières par lesquelles la Shoah est devenue un argument central dans la critique antisioniste et anti-israélienne. Par son rôle symbolique dans le discours antisioniste, la Shoah est devenue non plus un élément d’une « critique », mais une arme principale dans une lutte idéologique qui nie la légitimité d’une auto-détermination du peuple juif, et dont les enjeux sont non pas « l’occupation » mais l’existence même d’un état juif. Les trois études réunies dans ce volume analysent et critiquent, à partir du négationnisme de certaines courants de la gauche radicale en France, en passant par l’antisionisme des intellectuels occidentaux, le post-sionisme israélien pour terminer, avec Hannah Arendt, la dénonciation d’Israël.

Collectif, Yves Charles Zarka (dir.), Cités, n° 47/48, 2011, « Sionismes/Antisionismes »

Collectif, dirigé par l’historien Georges Bensoussan, Les Territoires perdus de la République : antisémitisme, racisme et sexisme en milieu scolaire, Mille et Une Nuits, 2002 ; (3e édition augmentée, Hachette, 2015, coll. « Pluriel »)

Antoine Spire, « Réponse à l’antisémitisme, réponse à l’antisionisme », dans le n° 127 – été 2004 – de Hommes et Libertés, revue de la Ligue des droits de l’Homme.

« Aujourd’hui, l’antisionisme, même s’il ne se veut pas antisémite, vise non seulement la politique oppressive d’Israël contre les Palestiniens, mais aussi Israël et son lien avec ses soutiens en diaspora qu’on accuse sans toujours aller y voir d’inconditionnalité ; il en vient à récuser l’existence même d’un État juif. C’est là que peut se nouer le lien entre antisionisme et antisémitisme : de l’antisionisme au vœu de disparition de l’État hébreu, il n’y a qu’un fil, et de la disparition de l’État hébreu à la haine de ceux qui militent pour le droit à l’existence de l’État d’Israël, il n’y a qu’un pas. »

Edward H. Kaplan & Charles A. Small, « Anti-Israel sentiment predicts anti-Semitism in Europe », Journal of Conflict Resolution, vol. 50, no 4,‎ août 2006, p. 548-561.

« In the discourse surrounding the Israeli-Palestinian conflict, extreme criticisms of Israel (e.g., Israel is an apartheidstate,theIsraelDefenseForcesdeliberatelytargetPalestiniancivilians),coupled with extreme policy proposals (e.g., boycott of Israeli academics and institutions, divest from companies doing business with Israel), have sparked counterclaims that such criticisms are anti-Semitic (for only Israel is singled out). The research in this article shines a different, statistical light on this question: based on a survey of 500 citizens in each of 10 European countries, the authors ask whether those individuals with extreme anti-Israel views are more likely to be anti-Semitic. Even after controlling for numerous potentially confounding factors, they find that anti-Israel sentiment consistently predicts the probability that an individual is anti-Semitic, with the likelihood of measured anti-Semitism increasing with the extent of anti-Israel sentiment observed. » (Abstract)

Moishe Postone, textes traduits de l’anglais (États-Unis) et présentés par Olivier Galtier et Luc Mercier, Critique du fétiche-capital. Le capitalisme, l’antisémitisme et la gauche, PUF, 2013

Alexandra Laignel-Lavastine, La pensée égarée: Islamisme, populisme, antisémitisme : essai sur les penchants suicidaires de l’Europe, Grasset, 2015

Pierre Birnbaum, Sur un nouveau moment antisémite : « Jour de colère », Fayard, 2015

Jean Birnbaum, Un silence religieux. La gauche face au djihadisme, Seuil, 2016

Nonna Mayer, « Permanences et renouveau de l’antisémitisme en France », Communications, année 2020, n° 107, pp. 63-76

Michel Dreyfus, L’antisémitisme à gauche : histoire d’un paradoxe, de 1830 à nos jours, La Découverte, coll. « La Découverte-poche. Essais », 2011

Marc Hecker, Intifada Française ? : De l’importation du conflit israélo-palestinien, Ellipses, 2012 (livre intégralement en ligne sur le site de l’Institut français des relations internationales – IFRI)

Nonna Mayer, « Nouvelle judéophobie ou vieil antisémitisme ? », Raisons politiques, Presses de Sciences Po, numéro 16, « Antilibéralisme(s) »,‎ 2004 (intégralement en ligne)

Alain Finkielkraut, Au nom de l’Autre. Réflexions sur l’antisémitisme qui vient, Gallimard, 2003

Shmuel Trigano (dir.), Le sionisme face à ses détracteurs, Raphaël, 2003

Joël Kotek, Dan Kotek, Au nom de l’antisionisme. L’image des Juifs et d’Israël dans la caricature depuis la seconde Intifada, Éditions Complexe, 2005

Pierre-André Taguieff, La nouvelle judéophobie, Mille et une nuits, coll. « Essai », 2002

Pierre-André Taguieff, La nouvelle propagande antijuive, PUF, 2010

Pierre-André Taguieff, Une France antijuive ? : regards sur la nouvelle configuration judéophobe : antisionisme, propalestinisme, islamisme, CNRS Éditions, 2015

Pierre-André Taguieff, L’Antisémitisme, PUF, collection « Que Sais-Je ? », 2015, 2022

Pierre-André Taguieff, Le nouvel opium des progressistes. Antisionisme radical et islamo-palestinisme, Gallimard, collection « Tracts », décembre 2023

« S’il est vrai que les passions antijuives se sont mondialisées, c’est avant tout parce qu’elles se sont islamisées. C’est sur la base de cette matrice théologico-politique islamique que s’opère aujourd’hui la démonisation des Juifs. L’islamisation de la « cause palestinienne » fournit à l’antisionisme radical, dont l’objectif est la destruction de l’État d’Israël, sa légitimation. En témoigne l’appel au jihad dans la Charte du Hamas : « Il n’y aura de solution à la cause palestinienne que par le jihad. » Pour l’extrême gauche occidentale, la « cause palestinienne » joue le rôle d’une nouvelle « cause du peuple » tandis que les « sionistes » sont diabolisés comme les nouveaux « nazis ». Mais la vision islamiste apocalyptique du « combat final » contre les Juifs, censés incarner l’ennemi absolu, voire le Mal, confère une dimension sacrale à la lutte contre Israël et le « sionisme mondial ». La lutte contre les Juifs redevient la voie de la rédemption. C’est pourquoi les convergences entre les gauches radicales et l’islamisme mondialisé sont si inquiétantes. »

Michel Wieviorka (dir.), La tentation antisémite : haine des juifs dans la France d’aujourd’hui, Robert Laffont, 2005 ; Hachette littératures, coll. « Pluriel : actuel », 2006
Ce livre expose les conclusions d’une longue enquête conduite par une équipe de sociologues dirigée par Michel Wieviorka dans plusieurs lieux (à l’école, à l’université et en prison ; à Roubaix, à Marseille, en région parisienne et en Alsace) pour évaluer la réalité de l’antisémitisme dans la France contemporaine. Opposant aux assertions catastrophistes comme aux dénégations outragées la réalité des faits, ce livre n’évite aucune question gênante. L’antisémitisme en France est-il lié à l’existence d’une importante population musulmane comme l’assure une idée répandue ? Doit-il beaucoup à la rencontre de l’islamisme et d’une extrême gauche résolument antisioniste ? Le phénomène est-il favorisé par la tendance au communautarisme des juifs de France ? Trouve-t-il un débouché dans une extrême droite puissante, comme semble en témoigner la situation alsacienne ? Rencontre-t-il dans l’institution scolaire un espace favorable susceptible de le rendre vivace ?

Tous les rapports annuels sur l’antisémitisme en France.