Par Marie-Thérèse Mutin *
La Constitution de la Ve République, pensée pour casser les partis politiques, a fonctionné à plein avec Macron. Son ascension rapide est trompeuse. Elle peut faire croire à l’inutilité des partis, mais ce qui est possible pour un homme de droite, soutenu par les puissances d’argent et leurs lobbies, est impossible pour la Gauche : contre les lobbies et les banques, celle-ci a besoin du soutien sans faille de l’opinion publique, du mouvement populaire. Et cela ne s’obtient pas d’un claquement de doigts. Cela nécessite un long et minutieux travail pour gagner la bataille culturelle avec le seul moyen qu’elle a à sa disposition : le militant.

Photo (clin-d’œil) : © ISHTA
Créer un véritable parti de gauche : pour qui, pour quel projet, avec qui ?
POUR QUI ?
Lorsqu’on crée un parti, la première question est de définir pour qui on se bat. Pour qui et avec qui on construit un projet de société.
Le Parti communiste était le parti de la classe ouvrière ; il coordonnait les luttes, les grèves, la lutte de classes dans les grandes unités industrielles. Grâce aux associations de quartiers, du mouvement d’éducation populaire que ses militants animaient, il structurait la vie sociale des plus démunis. Mais la grande industrie (mines, sidérurgie, métallurgie) ayant peu à peu disparu, la classe ouvrière perd de sa cohésion et le PC de sa puissance (sans oublier la chute du communisme en URSS).
Le Parti socialiste d’Épinay était construit sur une notion sociologique plus large : le Front de classe des exploités, c’est-à-dire tous les travailleurs exploités par le système capitaliste : les ouvriers, les cadres, les artisans, les petits commerçants, les agriculteurs…
Les projets consistaient à tenter d’unifier le Front de classe, à prendre des mesures favorables à ses composantes, à assurer une solidarité de classe entre ces diverses composantes. C’est la philosophie du Projet socialiste de 1980 discuté et voté dans toutes les sections et mis en œuvre dès juin 81.
Mais à partir de 1983, le PS abandonne le projet et se convertit à une politique plus libérale. Dès lors, il ne s’agit plus d’une politique favorable au front de classe, on plonge dans le « réalisme », dans le pragmatisme : il faut apporter « des solutions concrètes aux problèmes quotidiens des gens. »
LES GENS ! C’est la nouvelle classe sociologique. Mais quelle définition ? Qui sont les gens ? Où sont-ils ? Pour tenter une précision, on a « les vrais gens » sans que personne ne nous dise qui sont « les faux gens » ! A partir de ces notions vagues, il n’est pas possible de proposer un projet cohérent : on gouverne à la godille, au coup par coup.
A présent, avec l’apparition des nouvelles techniques, les « gens » n’ont plus conscience d’appartenir à une classe sociale. L’individualisation, la mise en concurrence qui fait de l’autre non plus un partenaire mais un rival ont tué la solidarité, le respect mutuel. Pour s’en sortir il faut écraser le collègue ! La rentabilité à tout prix soumet le travailleur à des conditions de travail épuisantes et stressantes qu’il est obligé d’accepter s’il veut garder son emploi. La société est partagée entre gagnants et perdants avec des inégalités jamais atteintes notamment au niveau des rémunérations.
On assiste à une précarisation de la société : chômeurs, intérimaires, stagiaires, auto-entrepreneurs, étudiants obligés de travailler pour payer leurs études, jeunes à la recherche d’un premier emploi, uberisation, multiplication des CDD même dans la fonction publique, temps partiel subi, flexibilité qui sera encore accrue avec les atteintes aux droits des travailleurs contenues dans les réformes voulues par Macron,
Des sociologues ont analysé cette situation nouvelle et l’ont définie sous le nom de précariat.
La notion de précariat englobe celle de précarité et de prolétariat. C’est pour le précariat que nous devons reconstruire un véritable parti de la gauche, capable de porter un projet politique ambitieux et fédérateur.
QUEL PARTI ?
En 1995 dans mon livre Le Crépuscule des gagne-petit, j’écrivais :
« L’expression la classe politique est devenue courante et banale en même temps que croissait l’antiparlementarisme.
Ainsi les élus ou ceux qui aspirent à le devenir ne sont plus les représentants de classes différentes, antagonistes mais ils font partie d’une caste composée des princes qui nous gouvernent indépendamment de la classe fondamentale dont ils sont censés défendre les intérêts. Une fois élus, ils sont de connivence pour fricoter ensemble sur le dos des électeurs ! Ces tous pareils puis tous pourris sont le terreau fertile du Front national !

Quand les notions de gauche et de droite sont dépassées comme se plaisent à le claironner les consensuels qui règnent en maîtres à penser dans les médias, pourquoi s’étonner de l’apparition de cette nouvelle caste ? Pourquoi s’étonner du discrédit qui la frappe ?
Comme le mot politique était encore trop noble, on l’a affublé de l’adjectif très péjoratif : la politique politicienne, summum de la dégradation, qui naguère qualifiait les petites magouilles et qui à présent désigne la politique des partis ! »
Quelque trente ans plus tard, le mot même de Parti est devenu répulsif !
Et pourtant c’est bien un parti fortement structuré qu’il nous faut bâtir, un parti d’où on ne sort pas à la moindre traverse. Fondons-le avec des statuts qui permettent une structure solide capable de réunir divers courants de pensée et de les unifier démocratiquement lors de Conventions et Congrès qui impliquent l’ensemble des adhérents.
En cette époque d’immédiateté, il faut réapprendre le temps long. La construction d’un tel parti se fait à l’aide d’une multitude de réunions, de débats, de concertations pour d’abord comprendre puis vouloir et agir.
QUEL PROJET ?
Le projet de Macron est fait pour « ceux qui réussissent », pour « les premiers de cordée ». Il prône la réussite individuelle ; pour cela il conduit une politique néo-libérale qui donne les résultats suivants : de moins en moins de liberté avec la politique répressive toujours plus grande, les inégalités qui s’accroissent et la fraternité tuée par la concurrence et la compétition à tous les niveaux. Pour sauver l’économie, Macron pressure les classes dites moyennes, leur demande des efforts de solidarité et en même temps, il fait des cadeaux aux capitalistes pour qu’ils daignent rester en France, il cède aux lobbys qui refusent d’engager la transition écologique aux dépens de leurs profits.
Le projet de la gauche doit être construit pour le précariat !
Pour la gauche et les jeunes générations, l’urgence aujourd’hui, c’est la lutte contre le réchauffement climatique, cause de multiples catastrophes, c’est la fin du consumérisme pour une vie plus sobre et plus harmonieuse.
Mais peut-on se préoccuper du sort de la planète quand on ne sait comment boucler ses fins de mois ?
Le projet de la gauche doit tenir compte de ces impératifs et pour cela il faut remplacer le pouvoir de l’argent par le pouvoir du mouvement populaire pour imposer une redistribution équitable des richesses, donner un statut stable à chaque travailleur, préserver la planète…
A gauche, toujours les responsables ont dénoncé ce pouvoir de l’argent. De façon très lyrique pour François Mitterrand au congrès d’Épinay en 1971 : « Le véritable ennemi, c’est l’argent qui corrompt, l’argent qui achète, l’argent qui écrase, l’argent qui tue, l’argent qui ruine, et l’argent qui pourrit jusqu’à la conscience des hommes ! »
Ou le fameux discours de Hollande au Bourget en 2012 : « Mon véritable adversaire, il n’a pas de nom, pas de visage, pas de parti, il ne présentera jamais sa candidature, il ne sera jamais élu et pourtant il gouverne. Cet adversaire, c’est le monde de la finance. »
En 1981, la gauche, portée au pouvoir par l’ensemble du mouvement populaire prend des décisions clairement anticapitalistes avec les nationalisations, notamment celles des banques, les nouveaux droits donnés aux travailleurs (augmentation du SMIC retraite à 60 ans- cinquième semaine de congés payés, les 39 heures, les lois Auroux…) Mais le tournant de la rigueur en 1983 met fin à l’aventure ! Les militants politiques et syndicaux sont “priés” de soutenir cette politique au nom du “réalisme” ! Comment transformer une société en se pliant au “réalisme politique” ?
Avec François Hollande les militants de gauche n’auront même pas une minute de rêve ! L’adversaire, le monde de la finance, ne perd pas une once de son pouvoir et continue à régner en maître. C’est que contrairement à 1981, en 2012 le candidat socialiste défend son propre programme élaboré pour les besoins de la primaire, il n’est pas porté par le mouvement populaire, son élection ne provoque pas la vague d’espoir vécue en 1981.
Ces deux exemples montrent que sans le soutien actif et continu de l’opinion publique, la gauche ne peut rien changer. Comment obtenir ce soutien ?
Les syndicats indiquent la voie : l’intersyndicale créée au moment de la lutte contre la réforme des retraites, si elle n’a pas gagné la bataille, a remobilisé les travailleurs, leur a donné confiance dans le combat collectif. Chaque syndicat a enregistré un nombre appréciable de nouveaux adhérents. Ce demi-succès a incité les responsables syndicaux à rester unis pour les luttes futures.
Cette unité indispensable est plus difficile en politique. A l’étendue des problèmes à traiter en France, en Europe, dans le monde, s’ajoutent les luttes pour le Pouvoir et la première, qui malheureusement écrase toutes les autres, pour la Présidence de la République.
Le projet politique est à construire dans un contexte nouveau. Au XXIe siècle, il ne peut être comparable à celui du XXe siècle. Avec l’évolution des techniques, des moyens de communications, tout change : les rapports entre humains, le rapport au travail, le rapport à la nature…
C’est un travail de longue haleine qui nécessite des heures de concertations, de confrontations sur chaque sujet, avec les travailleurs, les citoyens concernés, les scientifiques, les économistes, les intellectuels… qui ne supportent plus le système actuel. Mais aussi confronter les programmes des partis et des mouvements, multiplier les actions communes, apprendre à travailler ensemble sans esprit de compétition.
Dans un premier temps, plutôt que de se servir des nouveaux moyens de communications pour créer des polémiques stériles, il faut expliquer en profondeur la dégradation des services publics, la démolition du contrat social, l’absence de vie sociale dans les quartiers… Et pour cela multiplier les réunions, les conférences, les rapports humains. Un tweet, un SMS, un mail ne remplacent pas le débat, la confrontation des idées.
À suivre…
* Marie-Thérèse Mutin, écrivain, fondatrice et présidente des éditions Mutine, ancienne conseillère régionale en Bourgogne et députée européenne socialiste (PS), ancienne première secrétaire de la fédération PS de Côte-d’Or, ancienne membre des conseil national et bureau national du PS.
Marie-Thérèse Mutin a déjà publié dans nos pages :
- MUTINERIES #1 – Précariat et revenu universel d’existence (novembre 2022)
- MUTINERIES #2 – « Front de classe » : une contrefaçon (décembre 2022)
- LIVRE – « Graines d’Engrenage », la leçon du futur (septembre 2023)
- TRIBUNE – Union des gauches : pour un nouveau projet – 1 (30 octobre 2023)
- TRIBUNE – Union des gauches : pour un nouveau projet – 2 (17 novembre 2023)

Je ne peux que souscrire à ce que tu dis, Marie-Thérèse. J’ajoute seulement que je suis très étonnée que des militants de gauche de longue date aient pu se faire leurrer par ce pseudo programme de gouvernement consistant en » ni droite, ni gauche » alors que depuis des temps immémoriaux nous savons que dire « je ne suis pour aucun parti politique » indique que l’on est de droite….
Je me demande si ce phénomène : les militants PS glissant dans le giron de Macron, n’est pas dû à une certaine lassitude. Je m’explique : vivre et militer dans l’opposition des années durant, cela veut dire :
entendre sans cesse ses propositions rejetées sans examen, ses espoirs partir à vau l’eau, devenir souvent la risée des autres partis, entendre dire qu’on ne sert à rien etc.. ( j’en sais quelque chose) donnent envie de passer aux travaux pratiques, se disant : là je serai entendu et mon bout de pouvoir me rendra enfin utile ( illusion bien sur ! ) Cette idée n’exclut pas bien entendu les motifs pour raisons… plus personnelles.
Rassembler ! rassembler ! c’est bien le maître-mot. Comment ? je ne saurai le dire car le monde militant que j’ai connu n’est plus du tout le même et j’avoue que parfois j’ai du mal à m’y retrouver. Du mal à me retrouver même dans mon monde syndical … c’est peu dire….
En tout cas j’aime tes propositions qui donnent l’espoir, l’envie qu’on (re) bâtisse un monde
à dimensions humaines, un monde de paroles vraies.
Je t’embrasse.
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MERCI, Thérèse, pour ta lecture ! Je transmets à Marie-Thérèse. Amitiés
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Chère Thérèse, merci d’avoir lu et pris le temps de commenter. Tu es plus indulgente que moi sur les raisons de la « trahison » de certains militants de gauche. De la lassitude ? Mais comment peut-on être lassé quand on a un idéal, des convictions ? Je crois plutôt que les dirigeants de gauche ont négligé la formation des militants par paresse mais aussi par intérêt : un militant non formé est plus « docile » !
En toute amitié « combattante »
M. Th Mutin
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