Par François Ernenwein

Au squat de la Seine, à Aubervilliers, en Seine-Saint-Denis, Ibrahim, de Côte-d’Ivoire, attend travail et papiers / Photo : Ishta (24 avril 2020).

Comment la peur, entretenue à dessein, parvient à miner les débats ? Comment un usage opportuniste des tensions internationales, conduit des gouvernements à proposer des projets de loi étranges, contenant des dispositions contraire au respect des libertés et des droits de l’homme ?

En voulant légiférer très vite sur l’immigration, à l’instigation du président de la République, le ministre de l’intérieur Gérald Darmanin a choisi de surfer sur l’inquiétude née des horreurs récentes au Proche-Orient et de la multiplication des actes et des menaces terroristes en France et en Belgique.

Il avance convaincu d’avoir le soutien de l’opinion et cherche sa voie à l’exacte hauteur des exigences de la droite et de l’extrême droite. Le fait majoritaire, d’ailleurs très relatif pour la majorité actuelle, n’autorise pourtant pas à s’affranchir du droit, de la jurisprudence de la Cour européenne des Droits de l’Homme. Cette loi sur l’immigration serait une attaque frontale contre des droits fondamentaux. Dans l’actuel projet de loi, ces droits deviennent une concession de l’État échangées contre des gages d’intégration. Ils cessent donc d’être inconditionnels. On mesure facilement les pièges de cette pente et l’usage qui peut en être fait. Bienvenue dans le monde de l’arbitraire ; mais alors, qui « gardera les gardiens » ?

La loi « Immigration » contiendra, par exemple, une disposition permettant d’expulser un étranger sans qu’il ait commis d’infraction pénale, a déjà expliqué Olivier Véran. Le port d’un signe religieux ostentatoire à l’école pourrait, selon lui et le gouvernement dont il est le porte-parole, conduire à priver celui qui s’y livre de son titre de séjour. « Le but est de faire en sorte que quand une personne étrangère dans notre pays ne respecte pas les valeurs de notre République (…) », que celle-ci « ne soit pas contrainte de la conserver sur son territoire », insiste-t-il.

L’article 13 du projet de loi prévoit ainsi  que « l’étranger qui sollicite un document de séjour s’engage à respecter la liberté personnelle, la liberté d’expression et de conscience, l’égalité entre les femmes et les hommes, la dignité de la personne humaine, la devise et les symboles de la République au sens de l’article 2 de la Constitution et à ne pas se prévaloir de ses croyances ou convictions pour s’affranchir des règles communes régissant les relations entre les services publics et les particuliers ».

0n devrait d’ailleurs en attendre autant des ressortissants français…

En pratiquant l’amalgame entre insécurité et immigration, le ministre de l’Intérieur tend sans cesse à déséquilibrer son projet de loi initial qui prétendait répondre aux besoins de main d’œuvre dans les « métiers en tension ». Il en durcit la part répressive et en fait sa priorité. L’ambition, par pure démagogie, a bien changé. Il espère ainsi trouver une majorité qui lui manque pour l’instant.

Dans ce même mouvement, Gérald Darmanin a fait accélérer l’examen du texte dès le mois de décembre, et prétend le durcir par des dispositions nouvelles permettant ainsi l’expulsion systématique de tout étranger considéré comme dangereux par les services de renseignement.

Tous ceux qui soulignent les risques de légiférer à chaud, qui évoquent des menaces pour les droits de l’homme ou s’inquiètent simplement du recul des libertés publiques, ne sont pas entendus. Une spirale semble s’être enclenchée, au détriment d’une réflexion de fond sur la manière de mener les combats contre toutes les menaces exogènes. Parfois jusqu’à la caricature.

« Il n’y a pas de liberté sans sécurité », va répétant Gérald Darmanin.  Comment ne pas objecter que si le tout sécuritaire envahit l’espace public, il conduit mécaniquement à d’étranges interdictions de manifester. Il s’en prend méthodiquement à la liberté d’expression. Ce sont alors nos libertés qui sont menacées.

En France, le débat sur l’immigration est profondément miné par les fantasmes et les surenchères. C’était déjà le cas il y a une dizaine d’années… Mais tout s’aggrave et des digues sautent. On l’a vu lors de la dernière présidentielle. Le sujet est devenu une machine de guerre politique.

De faux chiffres circulent sur l’ampleur et le coût de l’immigration dans notre pays. En fait, en Europe, il y a aujourd’hui 4 ou 5 millions de sans- papiers pour 506 millions d’habitants. Depuis le début des années 1980, le monde vit une nouvelle grande vague de migrations de masse et l’asile reste un droit, même si la demande est en hausse à cause du contexte international. Et la crise climatique va accélérer le phénomène. Nous allons assister à un tassement des migrations post-coloniales. Les migrants climatiques seront de plus en plus nombreux, au point d’être sans doute plus déterminés que tous les autres. Le débat sur la libre circulation des individus va donc s’amplifier et tous les murs du monde (physiques ou juridiques) n’empêcheront rien.

Établir une hiérarchie juste des problèmes devient urgent. Le migrant est devenu un ennemi dans la fabrique de l’identité. Il faut beaucoup douter de soi pour en arriver là.

Une version initiale de cette tribune, mise à jour ici, est parue dans l’hebdomadaire Réforme.