Par Marie-Thérèse Mutin *
Marie-Thérèse Mutin a choisi de publier, dans Le Jacquemart, une série de tribunes portant un « nouveau projet », afin d’orienter et de soutenir la vitale refondation de l’Union des gauches. Le 30 octobre, elle nous livrait, sans aucune complaisance, un « constat » politique sous forme de relevé précis d’une catastrophe commencée par les renoncements de François Hollande et sans cesse aggravée par les menées ultra-libérales et anti-démocratiques d’Emmanuel Macron. Aujourd’hui, elle affirme que ce n’est pas la structure des partis politiques qui est obsolète, c’est la pratique que les hommes et les femmes politiques en ont eue. Et ne voit de solution à « la catastrophe » que dans un parti démocratiquement structuré en référence à l’article 4 de la Constitution : « Les partis et groupements politiques concourent à l’expression du suffrage.«
Photos : Ishta
Où en sommes-nous, après six ans de présidence Macron ?
La société française n’a jamais été aussi fracturée. Le mépris de Macron, sa morgue, sa suffisance ont créé un climat malsain de haine pour l’exécutif en général et le président en particulier, qui se traduit en multiples grèves, manifestations, émeutes, agressions verbales et physiques de toute personne qui autrefois faisait autorité : députés, maires, enseignants, personnels soignants, pompiers et bien sûr police… La réponse du président est toujours la même : la répression, de plus en plus violente. Jamais d’appel au civisme, à l’éducation, au respect. Toujours plus de policiers, mal formés, mal dirigés. Jamais d’éducateurs de rue, jamais d’aide aux associations d’éducation populaire…
Comment lutter contre ce démantèlement systématique ?
Ce ne sont pas des réponses au coup par coup qu’il faut employer. Il faut refuser les polémiques, les controverses stériles, les vociférations qui tiennent lieu de débat et qui contribuent aussi à l’exaspération du peuple, le détournant de la politique ou le précipitant dans le giron de l’extrême droite. A cet égard, l’action de l’intersyndicale dans la lutte contre la réforme des retraites même si cela n’a rien empêché constitue un message d’espoir d’autant que cette alliance est toujours active. Il faut retisser patiemment les liens sociaux disparus. Mais comment et avec qui ?

Faisons un peu d’histoire :
A la fin des années 1960, la gauche non communiste était morcelée en de multiples partis, clubs, cercles, foisonnant d’idées mais sans réelle efficacité politique. Après l’élection présidentielle de 1965 où le candidat unique de la gauche, François Mitterrand, avait, à la surprise générale, mis le Général de Gaulle en ballotage, il y a une tentative d’union de partis dans la Fédération de la gauche démocrate et socialiste (FGDS). En 1966, la FGDS se dote d’un programme et conclut un accord de désistement avec le PCF. Elle obtient un succès aux élections législatives de 1967 en faisant élire 121 députés. Aux élections législatives de juin 68 qui suivent le mouvement de mai, la FGDS recule fortement et ne conserve que 57 sièges à l’Assemblée nationale. Dès lors la FGDS cesse d’exister. A l’élection présidentielle de 1969, la gauche désunie ne participe même pas au second tour. Le PC domine fortement avec 21,37 % pour son candidat Jacques Duclos. Defferre pour la SFIO obtient 5,01 % des voix, Rocard pour le PSU 3,61 % et pour la première fois il y a un candidat d’extrême-gauche : Alain Krivine de la Ligue communiste révolutionnaire (LCR) qui obtient 1,06 %.
L’échec cuisant de l’union des partis va conduire à la création d’un parti au Congrès d’Épinay, en 1971 : le Parti socialiste, un parti démocratique structuré en courants internes, qui n’hésitera pas à conclure une alliance avec le puissant parti communiste. Il lui faudra dix ans d’un travail quotidien de milliers de militants formés pour inverser les valeurs, gagner la bataille culturelle.
La situation actuelle a quelques similitudes avec celle des années soixante quant à la dispersion de la gauche en multiples mouvements. La NUPES est un accord électoral semblable à celui de la FGDS avec, me semble-t-il, le même avenir.
La différence c’est qu’aucun parti structuré ne domine et qu’à l’inverse des clubs, cercles et autres groupes, les mouvements qui se créent rejettent toute forme partisane. Dès lors naît une foule de mouvements éphémères tels que Nuit debout ou les Gilets jaunes qui fonctionnent sans leader, ni porte-parole selon les principes de la démocratie directe.
Les hommes politiques issus d’un parti organisé refusent même le mot “parti” quasi infamant.
Bernard Cazeneuve présente ainsi son mouvement La Convention : « Il ne s’agit pas de créer un parti mais un espace de réflexion et de proposition permettant à chacun de conserver sa sensibilité »
Lorsqu’il quitte le PS en 2008, Mélenchon fonde Le Parti de Gauche. En 2016, La France insoumise n’est plus un parti mais un mouvement.
En 2016, Benoit Hamon est vainqueur de la primaire socialiste avec un projet novateur très cohérent, appuyé sur une analyse fine de l’évolution de la société, du travail et sur la proposition très argumentée du Revenu universel ! Mais ce projet était trop utopique pour un vieux parti sclérosé comme le PS. Sitôt désigné comme candidat, Hamon est abandonné par les vieux caciques retranchés dans leur pré-carré (mairie, département, région), oubliant qu’ils le devaient au travail de fourmi de militants sans grade.
Après tant d’autres, Hamon quitte le PS et crée un mouvement avec la volonté d’une démocratie participative. On entre et on sort du mouvement en fonction de ses ambitions du moment. Le Revenu universel au lieu d’être l’élément moteur de Génération.s est cité en une phrase dans les différents textes.
Ce n’est pas la structure des partis politiques qui est obsolète, c’est la pratique que les hommes et les femmes politiques en ont eue.
PARTIS OU MOUVEMENTS ?
Le constat ci-dessous est celui de mon expérience au sein du PS, ce grand parti démocratique.
Au début : des militants enthousiastes, désintéressés, porteurs d’un idéal commun. Le militantisme est leur seul loisir. Ils s’occupent de politique en soirée après le travail, pendant les fins de semaine, ils ne demandent jamais à être indemnisés pour leurs déplacements. Mais dès que certains sont élus, tout change. L’élu qui accède à une vie plus facile, à une notoriété nouvelle flattant son ego, n’a qu’une envie : rester élu ! Dès lors, il va chercher à s’entourer non plus de militants enthousiastes, formés, capables de mener des réunions mais d’adhérents fidèles, les moins rétifs étant ceux qu’on rétribue. Au besoin avec une partie des indemnités d’élu, on paiera les cartes de ces affidés, on grossira la section de façon à ce qu’elle pèse sur la fédération et qu’on ne risque rien au moment de l’investiture. Si l’un des militants se montre un peu trop brillant, on lui coupera les ailes.
Les élus forment une caste et se soutiennent : se présenter contre un sortant est un crime de lèse-majesté, un signe d’une ambition débordante qui bien sûr n’avait jamais effleuré le notable en place ! Petit à petit, il tisse ses réseaux au niveau local, au niveau national, devient inexpugnable. Lui qui était contre le cumul des mandats lorsqu’il était simple militant en mal d’en atteindre un, trouve des raisons imparables à être à la fois maire, conseiller général, conseiller régional, député ou sénateur car il est indispensable d’être « proche des gens ». Voilà pourquoi, il n’y a pas de renouvellement de la vie politique ou le renouvellement se fait à partir des assistants parlementaires ou des membres des cabinets ministériels qui ont appris toutes les ruses, les magouilles nécessaires à la prise de postes. Ainsi en est-il à présent : la politique est devenue une profession. Perdre une élection équivaut à un licenciement. Ne pas être réinvesti par son parti est un licenciement abusif, le conseil national devient alors le conseil des prud’hommes de ces malheureux.

Avec cette façon de procéder, ne restent à la tête des partis que les béni-oui-oui, les élus dont l’idéal se résume à « garder mon poste » ou en acquérir un plus important, les ambitieux prêts à tout pour arriver à décrocher le Saint Graal, bref les « sans scrupules et sans convictions. »
Peut-on s’étonner de la déliquescence de la société quand ceux qui sont en charge de la chose publique n’ont en tête que leur propre devenir ? S’il faut sacrifier une partie de la population pour être réélu quelle importance ? Ainsi la gauche, portée au pouvoir pour réduire les inégalités, protéger le monde du travail, verse des milliards au patronat sans exiger de contre-parties car un patron qui a le pouvoir de l’argent peut démolir un élu qui ne lui convient pas.
1) La fin des partis.
En vue de la présidentielle de 2012, les primaires pour désigner le candidat socialiste à l’élection présidentielle sont ouvertes à l’ensemble du peuple de gauche. Pour 1 €, sans obligation d’adhésion, tous ceux qui le souhaitent peuvent choisir leur candidat parmi le panel issu toutefois du parti. Chaque candidat présente son propre programme, les débats sont télévisés. Plus de 2 millions et demi de votants, c’est une réussite au dire de la presse unanime. Est-ce cet élan qui propulse Hollande à la tête de l’État ou le rejet de Sarkozy ? Toujours est-il que cela fit grande impression sur la droite qui, pour 2017, va procéder de la même façon.
Dès lors pourquoi adhérer à un parti ? A quoi sert le militant ? Il est dépossédé de son pouvoir de désignation du candidat à l’élection qui commande toutes les autres. L’orientation définie au congrès, les conventions pour l’élaboration du projet, tout cela ne s’impose pas au candidat élu sur son propre programme.
2) Ma brève expérience dans un mouvement.
Séduite par le programme de Benoît Hamon, je fais l’expérience de ces nouvelles structures en adhérant en 2017 au Mouvement du 1er juillet devenu, quelques mois plus tard, Générations.s.
Comme je ne peux pas me contenter de réunions plus organisationnelles que de débats de fond, je crée un groupe qui a pour ambition d’approfondir la proposition phare du programme, à savoir le Revenu universel. Ce groupe constitué en grande partie de personnes de ma génération produit articles, argumentaires, réussit quelques réunions publiques.
La pandémie et les confinements mettront fin à cette aventure en accentuant le militantisme par internet. Les visioconférences ne remplaceront jamais le débat direct si formateur. Lorsqu’on sort de cette période, c’est la présidentielle qui occupe les esprits et les militants politiques. En 2022, le mouvement entre dans le Pôle écologiste dominé par Europe Écologie Les Verts et perd toute originalité.
Ainsi cette expérience dans un mouvement après mes longues années de militantisme au PS de 1971, confirme ce que j’ai observé, à savoir l’incapacité à durer, à peser sur la vie politique faute d’organisation stricte et ce malgré la qualité des militants qui se dévouent sans compter dans des actions militantes défensives (ZAD –Manifestations-Grèves) rarement couronnées de succès car elles se heurtent à l’institution (État, municipalité, communauté de communes, région) qui a à sa disposition les forces du maintien de l’ordre.

Voici ma conclusion au livre Graines d’engrenage qui retrace la lutte dans la ZAD des Jardins de l’Engrenage à Dijon (2023) :
Quel constat tirer de ces manifestations ? Aucune ne revendique la Révolution, toutes au contraire arrivent à la conclusion que seul le suffrage universel peut changer la donne.
Dès lors que peut-on opposer à la finance et aux lobbys qui dominent la société ? Nos militants de L’engrenage ont la réponse : inventer les moyens de maintenir les liens créés entre les personnes au cours de cette lutte.
J’attends avec impatience ce qu’ils « inventeront ». Pour ma part, je ne vois la solution que dans un parti démocratiquement structuré en référence à l’article 4 de la Constitution : « Les partis et groupements politiques concourent à l’expression du suffrage. »
Au XXIe siècle, les priorités ont changé. La survie de la planète exige de tous, riches ou pauvres, un changement de manière de vivre et de consommer. Une lutte demeure : celle contre les puissances d’argent.
À suivre…
* Marie-Thérèse Mutin, écrivain, fondatrice et présidente des éditions Mutine, ancienne conseillère régionale en Bourgogne et députée européenne socialiste (PS), ancienne première secrétaire de la fédération PS de Côte-d’Or, ancienne membre des conseil national et bureau national du PS.
Marie-Thérèse Mutin a déjà publié dans nos pages :
- MUTINERIES #1 – Précariat et revenu universel d’existence (novembre 2022)
- MUTINERIES #2 – « Front de classe » : une contrefaçon (décembre 2022)
- LIVRE – « Graines d’Engrenage », la leçon du futur (septembre 2023)
- TRIBUNE – Union des gauches : pour un nouveau projet – 1 (30 octobre 2023)




