On ne sort pas de ces pages sans faire une crise de conscience. Autant le savoir. Car la lecture du livre de Michel Terestchenko (1), alors que depuis sa parution (2015) la guerre civile mondiale n’a de cesse de s’aggraver, nourrit une réflexion totale sur la violence qui monte dans notre monde, selon une dialectique infernale qui articule terrorisme djihadiste et guerre sans limites menée, parfois hors cadre légal (torture, drones…), par les démocraties contre l’hydre terroriste. Dans la tradition de Marcel Mauss, qui visait à fonder une anthropologie générale (2), le philosophe a mobilisé, en deux cents pages lapidaires, toutes les ressources de l’enquête documentaire (rapports humanitaires et militaires confidentiels), de la sociologie, de l’anthropologie, mais aussi de la philosophie, et même de la théologie.

Un lumineux chapitre sur les « visions de Dieu » de ­Barack Obama ou de Sayyid Qutb, le « doctrinaire de l’islamisme radical », révèle ainsi ce qui traverse la guerre qui enfle, de l’Afghanistan à l’Irak, en passant par Guantánamo : un fanatisme de l’Apocalypse, du côté djihadiste, versus un messianisme mondialisé de la religion civile américaine. Le philosophe explique « pour quelles raisons ce conflit se déploie selon une logique manichéenne », traçant les lignes de fond métaphysiques de « l’ère des ténèbres » qui s’étend désormais jusqu’à l’intérieur de nos frontières. Heureusement, il dessine aussi, en conclusion et sans naïveté, la voie d’un « art de vivre ensemble qui valorise la relation et la coopération ». La flamme d’une chandelle dissipe parfois les ténèbres.

Antoine Peillon

1 – L’ère des ténèbres de Michel Terestchenko. Éditions Le Bord de l’eau, collection « La bibliothèque du Mauss », 2015, 206 p., 17 €

2 – Introduction, publiée par le Journal du MAUSS