Par Antoine Peillon
Aux atrocités perpétrées, en Israël, par les terroristes du Hamas, le 7 octobre, le gouvernement d’extrême-droite du premier ministre Benyamin Netanyahou (בנימין נתניהו) répond par une guerre totale dans la bande de Gaza où des centaines de milliers de Palestiniens subissent, entre autres fléaux, un déferlement de bombardements meurtriers. De part et d’autre, les deux peuples israélien et palestinien sont victimes d’une « montée aux extrêmes » nourrie par la folie réciproque du messianisme nationaliste des gouvernants israéliens et de l’antisémitisme eschatologique des islamistes du Hamas, une branche fanatique des Frères musulmans. Cette folie théologico-politique gouverne de plus en plus le monde et risque de le précipiter dans une apocalypse globale.

Photo : A. P.
Selon le quotidien israélien Haaretz, la bande de Gaza a subi, dans la nuit de vendredi à samedi, des frappes israéliennes d’une intensité inédite depuis l’attaque du Hamas le 7 octobre. Les bombardements ont visé le nord de l’enclave, en particulier les secteurs de Jabaliya, Beit Lahiya et Beit Hanoun.
Le nombre de victimes de ces dernières frappes est pour l’instant inconnu.
L’armée israélienne a « frappé 150 cibles souterraines dans le nord de la bande de Gaza [par voie aérienne] », selon son communiqué. Parmi ces cibles, des « tunnels terroristes, des espaces de combat souterrains et des infrastructures souterraines supplémentaires ». Aussi, l’armée de l’Etat hébreu rapporte avoir tué plusieurs membres du Hamas.
Les forces de défense d’Israël ont ainsi annoncé, dans un communiqué publié ce samedi matin, sur Telegram, avoir frappé « le chef du réseau aérien du Hamas, Asem Abu Rakaba ». Selon Tsahal, il avait « participé à la planification du massacre » du 7 octobre
Des combats au sol se déroulaient, ce matin, dans la bande de Gaza.
La veille, L’armée israélienne déclarait que la principale base d’opérations du Hamas est située sous l’hôpital al-Shifa, le plus grand de la bande de Gaza.[1]
L’Assemblée générale de l’ONU avait réclamé, vendredi, à une large majorité une « trêve humanitaire immédiate ». La résolution non contraignante a recueilli 120 votes pour, 14 contre et 45 abstentions, pour 193 pays membres de l’ONU.
Les divergences des Vingt-Sept de l’Union européenne sur le conflit au Proche-Orient sont apparues au grand jour, lors de cette Assemblée générale de l’ONU. Seuls la Belgique, l’Espagne, la France, l’Irlande, le Luxembourg, Malte, le Portugal et la Slovénie ont voté pour le texte proposé par la Jordanie appelant à une « trêve humanitaire immédiate » à Gaza. Quinze Etats membres se sont abstenus et quatre ont voté contre.[2]
Le ministère de la santé de la bande de Gaza, administrée par le Hamas, a annoncé, ce samedi, que 7 703 personnes avaient été tuées dans la bande de Gaza depuis le début de la guerre avec Israël, et que plus de 3 500 enfants figurent parmi les morts recensés. Dans l’après-midi de vendredi, l’Allemagne considérait avec « une certaine prudence » les bilans publiés par le Hamas. « Nous ne pouvons pas vérifier de façon indépendante les déclarations du Hamas, et c’est pour cela qu’il faut faire preuve d’une certaine prudence », déclarait ainsi Christian Wagner, un porte-parole du ministère allemand des affaires étrangères. « Le Hamas n’est pas pour nous une source d’information », avait affirmé, de son côté, un porte-parole adjoint de la chancellerie, Wolfgang Büchner : « Personne ne conteste (…) la terrible souffrance de la population dans la bande de Gaza », ajoutant que Berlin « ne pouvait pas donner de chiffres exacts et ne pouvait pas les vérifier ».
L’explosion dans l’hôpital Al-Ahli, le 17 octobre, a été, de fait, l’objet d’une propagande rapidement démontée. Dans l’heure qui suivit, l’autorité de santé de l’enclave annonçait hâtivement au moins 500 morts, du fait d’un bombardement israélien. Le bilan du Hamas a été revu à 471 personnes tuées le lendemain. Les services de renseignement américains et européens ont fait savoir que leurs estimations se situaient entre 100 et 300 victimes, du fait d’une roquette du Djihad islamique.
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Le samedi 7 octobre, les terroristes du Hamas ont perpétré des atrocités inédites depuis la Deuxième Guerre mondiale sur des centaines de civils, dans le sud d’Israël. Quatre jours plus tard, la rabbin et écrivaine Delphine Horvilleur parlait d’« un véritable pogrom » (AFP). La veille, le mot « pogrom » était aussi utilisé par le géopolitologue Dominique Moïsi, dans un entretien avec Le Point. Depuis le kibboutz de Kfar Aza, attaqué par le Hamas, le major général de l’armée israélienne Itai Veruv avait déjà raconté n’avoir « jamais vu une chose pareille de toute (sa) vie ». « Nous imaginions ce qu’avaient pu vivre nos grands-mères et grands-pères lors des pogroms en Europe. Mais nous ne l’avions pas revu dans l’histoire récente », ajoutait-il alors.
Dans son usage général, le terme « pogrom » désigne des « violences extrêmes contre la population juive ». Il est l’expression systématique de l’antisémitisme et même de l’antisémitisme religieux, lequel est particulièrement vif dans la population de confession musulmane, y compris en France.[3]
Le Hamas fut créé en 1987 par le cheikh Ahmed Yassin, Abdel Aziz al-Rantissi et Mohammed Taha, de l’organisation islamiste des Frères musulmans. Sa charte a été adoptée le 18 août 1988 et définit les objectifs fondamentaux du mouvement : institution d’un État palestinien, libération des Territoires palestiniens occupés et élimination d’Israël. Appelant au jihad contre les Juifs, elle abonde en références antisémites. Ainsi, l’universitaire allemand Bassam Tibi, politologue et professeur de relations internationales, estime que la charte du Hamas exprime « l’agenda antisémite d’une organisation présentée à tort comme un mouvement de libération » et qu’elle traduit une « idéologie génocidaire ».[4]
Un des passages de la charte du Hamas, souvent (volontairement ?) ignoré est le Hadith [communication orale du prophète Mahomet] eschatologique cité dans son article 7 : « L’Heure ne viendra pas avant que les Musulmans ne combattent les Juifs et les tuent ; jusqu’à ce que les Juifs se cachent derrière des rochers et des arbres, et ceux-ci appelleront : Ô Musulman, il y a un Juif qui se cache derrière moi, viens et tue-le ! »[5] L’antisémitisme du Hamas est en réalité le cœur de sa doctrine théologico-politique. C’est un antisémitisme apocalyptique et rédempteur, pour citer Pierre-André Taguieff qui compare, par ailleurs, la judéophobie islamiste radicale à l’antisémitisme hitlérien, depuis son essai La Nouvelle Judéophobie (Mille et une nuits, 2002).
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Le mercredi 26 octobre, lors d’une allocution télévisée sur la chaîne nationale israélienne i24, le premier ministre Benjamin Netanyahou a proféré des paroles eschatologiques pour promettre de sauver sa nation de l’Iran, du Hezbollah et du Hamas. « Nous sommes le peuple de la lumière, ils sont le peuple des ténèbres, et la lumière triomphera des ténèbres », a-t-il ainsi déclaré, selon une traduction de i24NEWS. « Notre guerre contre le Hamas est un test pour toute l’humanité, c’est une lutte entre l’axe du mal de l’Iran, du Hezbollah et du Hamas, et l’axe de la liberté et du progrès », a-t-il encore affirmé. « Le moment est venu de se rassembler dans un seul but pour aller de l’avant et remporter la victoire avec des forces conjointes et une croyance profonde dans la justice, une croyance profonde dans l’éternité du peuple juif. Nous réaliserons la prophétie d’Isaïe », a-t-il enfin déclaré.[6]
Nul besoin de décrypter longuement ces phrases pour saisir que le premier ministre israélien se place délibérément dans un registre messianique, la « prophétie d’Isaïe » faisant référence au livre biblique du même nom, qui raconte notamment la déportation du peuple juif, la fin de son exil, la reconstruction du Temple de Jérusalem et la fin des temps…, et qui comporte de nombreuses prophéties messianiques.
Pour qui lit attentivement le journaliste Charles Enderlin depuis longtemps, et revient à son décisif Au nom du Temple : l’irrésistible ascension du messianisme juif en Israël. 1967-2012 (éditions du Seuil, 2013 ; nouvelle édition, Points Seuil, 2023), en y ajoutant le tout récent Israël. L’agonie d’une démocratie (Seuil, collection « Libelle », septembre 2023), la surprise est très limitée…
Dans un très récent entretien avec Pascal Boniface (6 octobre 2023 !), le directeur de l’Institut des relations internationales et stratégiques (IRIS), Charles Enderlin explique : « Il y a deux formes d’intégrisme juif en Israël. Le fondamentalisme des ultra-orthodoxes qui veulent maintenir à tout prix l’autonomie de leur communauté, empêcher l’intrusion du monde moderne, obtenir la dispense de service militaire pour tous leurs jeunes, et recevoir de l’État le financement de leur système d’éducation, sans que leurs écoles talmudiques ne soient obligées d’enseigner les matières fondamentales. L’autre intégrisme, le sionisme religieux, est expansionniste et vise le contrôle de l’État et de ses institutions, au nom d’un message eschatologique. Pour ce mouvement, la terre d’Israël, en l’occurrence la Cisjordanie, a été donnée par Dieu au peuple juif, et ce serait anathème d’en céder ne serait-ce qu’une partie à des non-Juifs. »[7]
Dans un nouvel entretien, donné à Télérama, le 11 octobre, le journaliste précise comment le « gouvernement messianique et raciste de Benyamin Netanyahou » n’a cessé d’être complaisant envers le Hamas dont l’émergence réduisait à néant « la question palestinienne ». Ainsi, en 2007 déjà, « Benjamin Netanyahou reprend la stratégie de Sharon d’affaiblissement de l’Autorité autonome et de l’OLP. Aucun accord politique n’est conclu avec Mahmoud Abbas, impuissant face au développement de la colonisation en Cisjordanie et à Jérusalem-Est. Netanyahou maintient le blocus de Gaza, mais en autorisant le financement du Hamas par le Qatar. Régulièrement, un émissaire qatari arrive à l’aéroport Ben Gourion avec des valises de billets. La police israélienne l’escorte jusqu’au poste-frontière d’Erez où la somme est remise au Hamas… »[8]
Le dernier gouvernement Netanyahou (décembre 2022) intègre, comme jamais auparavant, des ultra-orthodoxes et des sionistes religieux. Charles Enderlin le décrit en termes clairs, nets et précis : « On y trouve de vrais racistes comme le ministre de la Sécurité nationale, Itamar Ben Gvir, adepte du rabbin Kahane. Leur seule obsession : la totale conquête territoriale de la Cisjordanie. Bezalel Smotrich, chef du Parti sioniste religieux, est ministre des Finances, mais aussi ministre délégué à la Défense, en charge de l’administration civile de la Cisjordanie. Avec lui, depuis le début de l’année, la violence monte, les colons font régner la terreur. En février, après le meurtre de deux colons près de Naplouse, une centaine d’entre eux ont encerclé le village palestinien de Huwara, incendié et dévasté les maisons, tiré sur les habitants, réalisant selon un général israélien un véritable pogrom. Galvanisés par leurs ministres d’extrême droite, les colons échappent désormais à tout contrôle. L’armée a donc envoyé de nombreuses unités, dégarnissant les abords de Gaza. Mais voilà, Gaza était faussement calme et le Hamas n’était pas le gentil mouvement religieux avec lequel Israël a fait affaire pendant des décennies… »
Alors, le lien dialectique Hamas-Netanyahou ne serait-il pas le Janus apocalyptique de l’histoire actuelle du Proche-Orient et, peut-être très bientôt, de notre monde en cours de « montée aux extrêmes » précipitée ? Je laisse lectrices et lecteurs avec cette question en forme de réponse.
[1] Lors d’un briefing pour les journalistes des médias internationaux, le porte-parole de l’armée israélienne, le contre-amiral Daniel Hagari, a déclaré que la principale base d’opérations du groupe terroriste palestinien du Hamas se trouvait sous l’hôpital al-Shifa, dans la ville de Gaza. Hagari a expliqué que le Hamas possédait plusieurs complexes souterrains sous Shifa – le plus grand hôpital de la bande de Gaza – qui sont utilisés par les dirigeants du groupe terroriste pour diriger des attaques contre Israël. En outre, selon Tsahal, la sécurité interne du Hamas dispose d’un centre de commandement à l’intérieur de l’hôpital al-Shifa, d’où elle dirige les tirs de roquettes sur Israël et stocke des armes. Hagari a ajouté que l’infrastructure énergétique de l’hôpital était également utilisée par la base souterraine du Hamas. Il a accusé le Hamas d’utiliser l’hôpital – qui compte 1 500 lits et quelque 4 000 employés – comme bouclier humain. Il a affirmé que les informations sur l’utilisation de l’hôpital par le Hamas se basaient sur un large éventail de sources de renseignements recueillies par le Directorat des Renseignements militaires et l’agence de sécurité intérieure du Shin Bet. Il a précisé que ces informations avaient déjà été communiquées aux alliés. L’armée israélienne a publié une superposition graphique d’une image satellite de l’hôpital Shifa, montrant ce qu’elle dit être des centres de commandement du groupe terroriste palestinien du Hamas cachés sous l’hôpital.
[2] Les abstentionnistes sont l’Allemagne, la Bulgarie, Chypre, le Danemark, l’Estonie, la Finlande, la Grèce, l’Italie, la Lettonie, la Lituanie, les Pays-Bas, la Pologne, la Roumanie, la Slovaquie et la Suède. L’Autriche, la Croatie, la République tchèque et la Hongrie ont voté contre.
[3] Fondapol, « Radiographie de l’antisémitisme en France – édition 2022 », janvier 2022 : https://www.fondapol.org/etude/radiographie-de-lantisemitisme-en-france-edition-2022/ Lire aussi « L’antisémitisme en milieux et pays musulmans : débats et travaux autour d’un processus complexe », par Günther Jikeli, dans la Revue d’histoire moderne & contemporaine 2015/2-3 (n° 62-2/3), pages 89 à 114 : https://www.cairn.info/revue-d-histoire-moderne-et-contemporaine-2015-2-page-89.htm, ainsi que « Antisémitisme dans l’islam » (Wikipédia) : https://fr.wikipedia.org/wiki/Antis%C3%A9mitisme_dans_l%27islam
[4] Bassam Tibi, Global Antisemitism: A Crisis of Modernity: Volume IV: Islamism and the Arab World, ISGAP, 2013.
[5] https://islamqa.info/fr/answers/9341/lauthenticite-du-hadith-evoquant-le-combat-a-mener-contre-les-juifs
[6] https://twitter.com/i24NEWS_EN/status/1717233758003171833
[7] https://www.iris-france.org/178683-israel-lagonie-dune-democratie-3-questions-a-charles-enderlin/
[8] https://www.telerama.fr/debats-reportages/comment-la-droite-nationaliste-israelienne-a-fait-le-jeu-du-hamas-l-eclairage-de-charles-enderlin-7017578.php
