Hollande par-ci, Hollande par-là… Les laudatrices et laudateurs de l’ancien résident de la République (« Nous résidents de la république / Où le rose a des reflets bleus », Alain Bashung) ne manquent pas, à Dijon. Nous nous demandons bien pourquoi. A moins qu’une histoire commune profonde n’oblige encore… Une servitude payée, en retour, d’une blaguounette comme « Flanby » les affectionne (mais, un président devrait-il… ?), puisque certains ne se sont plus sentis d’aise en écoutant celui-ci déclarer « Ce n’est pas rien d’être ici, dans la capitale du monde », lors de l’inauguration de la Cité internationale de la gastronomie et du vin (CIGV) de Dijon, le 6 mai 2022… Sans parler du référencement politique implicite et permanent au démolisseur du Parti socialiste chez ces prétendus socialistes locaux qui n’ont de cesse de propager le même ressentiment contre leur propre parti et sa direction actuelle.

Depuis son échec cuisant de 2017 (incapacité inédite à se représenter à l’élection présidentielle après un premier mandat), François Hollande n’a jamais renoncé à cracher dans la soupe, comme déjà en 2016 : « Il faut un acte de liquidation, il faut un hara-kiri » pour le Parti socialiste, confiait-il aux auteurs de Un président ne devrait pas dire ça… (Stock, 2016). En 2022, il s’est même surpassé, dans la perspective du 80e congrès du Parti socialiste (janvier 2023), invitant le premier secrétaire du PS, Olivier Faure, à « se taire » et à « laisser la place ». Mais peut-être n’a-t-il jamais compris pourquoi les Français et aussi la plupart des socialistes lui ont demandé, depuis longtemps maintenant, de se taire et de laisser définitivement la place… Aussi, je me permets de lui rappeler quelques raisons de cette demande populaire. A lui-même, mais surtout à ses indécrassables supporters.

Par Antoine Peillon

Dans Boursorama du 10 mars 2022. DR

Le Quinquennatus horribilis[1]de François Hollande

« Nous aurons une baisse du chômage à la fin de l’année, mais un chômage qui restera encore trop élevé. Cela veut dire qu’il va falloir continuer la politique que j’ai engagée. »

François Hollande, le 14 juillet 2016.

« Selon l’expression d’un de mes correspondants les plus compatissants, cette année s’est avérée être une annus horribilis (année horrible). Je soupçonne que je ne suis pas la seule à le penser. »

Reine Elisabeth d’Angleterre, discours du 24 novembre 1992, à Guildhall.

#post-vérité Parmi « les raisons les plus importantes dans le sentiment que la démocratie fonctionne mal en France », la première invoquée par les citoyens d’octobre 2016 est que « les élus sont trop souvent corrompus », 74% des sondés considérant que ce soupçon joue un rôle « très important » dans son « sentiment ».

Mais un autre phénomène est en train de bouleverser aussi le « sentiment » démocratique des Français et de produire le rejet croissant des élections. Sous les termes de « politique de la post-vérité » ou « politique post-factuelle », sont dénoncées les nouvelles stratégies politiques de manipulation des opinions publiques à des fins électorales, plus puissantes que jamais. Stratégies de communication pour lesquelles « les faits objectifs ont moins d’influence dans la formation de l’opinion publique que les appels à l’émotion et aux croyances personnelles », selon l’édition 2016 de l’Oxford Dictionnary.[2]

C’est, en 1992, dans un essai de l’écrivain américain Steve Tesich, publié par la revue The Nation, que le concept de « post-vérité » est apparu pour la première fois. Il y traitait de l’affaire de l’Irangate et de la guerre du Golfe. « Nous, en tant que peuples libres, avons librement choisi de vouloir vivre dans un monde de post-vérité », écrivait-il alors. Mais les expressions « politique de la post-vérité » et « politique post-factuelle » ont imprégné profondément le débat public en 2016, lors du référendum sur l’appartenance du Royaume-Uni à l’Union européenne et à l’occasion de l’élection présidentielle américaine. D’ores et déjà, ils semblent aussi pertinents pour analyser les propagandes des candidats à l’élection présidentielle française de 2017.

D’autant que le quinquennat de François Hollande, s’inscrivant parfaitement dans le sillage de celui de Nicolas Sarkozy, a vu se multiplier les communications présidentielles et gouvernementales dénuées de toute réalité et de la moindre vérité de fait. Selon les tenants de la théorie – assez pessimiste – que nous serions entrés dans l’« ère de la post-vérité », la communication politique affranchie des faits et de leur analyse rationnelle s’accorderait à l’indifférence nouvelle des citoyens à la distinction entre mensonge et vérité, voire au goût de nos contemporains, répandu par les réseaux sociaux, pour la rumeur et les guignolades de télé-réalité.

N’est-il pas aujourd’hui acquis que Donald Trump est sorti vainqueur d’une campagne électorale médiatisée comme jamais en mettant à profit toutes les ficelles qu’il avait expérimentées dans la télé-réalité, depuis 2004, lors de ses émissions « The Apprentice » et « Celebrity Apprentice » ? Et qui s’étonne encore, outre-Atlantique, du fait inédit que le nouveau président américain restera producteur exécutif de son émission de télé-réalité fétiche, « Celebrity Apprentice » ?

Dès 1964, Hannah Arendt, la philosophe célèbre des Origines du totalitarisme (New York, 1951), craignait « que le sens par lequel nous nous orientons dans le monde réel – et la catégorie de la vérité relativement à la fausseté compte parmi les moyens mentaux de cette fin – se trouve détruit ». Mais elle se reprenait aussitôt, témoignant de sa confiance dans la résistance ontologique des faits (la « vérité de fait » qu’elle distingue de la « vérité de raison ») et faisant donc le pari de l’incapacité du mensonge politique à se substituer, in fine, à la réalité. « Les faits s’affirment eux-mêmes par leur obstination, et leur fragilité est étrangement combinée avec une grande résistance à la torsion. Dans leur opiniâtreté, les faits sont supérieurs au pouvoir », jugeait-elle heureusement.[3]

Il en reste pas moins que la tendance au mensonge de tout pouvoir politique est une menace constante de destruction de la démocratie. Ce qui nous oblige, bien sûr, à résister aux sirènes télévisuelles et numériques de la post-réalité, aux rumeurs, aux contes et légendes (storystelling) concoctés par les spin-doctors de Havas Worldwide (ex-Euro RSCG) et autres gourous de la com’ qui écument les cabinets ministériels, à mettre en question le récit, voire la fiction, de l’idéologie dominante (politcal mainstream) et à soumettre la communication gouvernementale au crible rationnel de la vérification des faits.[4]

#mensonge Car si le mensonge est consubstantiel à la politique, il est surtout facteur de violence. C’est encore Hannah Arendt qui nous en avertit. Sans doute, le contexte particulier de la publication de Du mensonge à la violence, en 1972[5], explique pour une part la noirceur de ses vues. Hannah Arendt y fait l’analyse des célèbres « documents du Pentagone » publiés par le New York Times au début des années 1970, documents qui montraient comment les administrations Johnson et Nixon avaient systématiquement pratiqué la désinformation pour justifier l’intervention américaine au Vietnam.

Nous le savons bien, il y a une relation organique entre le mensonge généralisé et la montée de la violence. Les discours lénifiants des dirigeants politiques de notre pays sur les tenants et les aboutissants du terrorisme, sur l’appareil sécuritaire – en réalité déliquescent – de l’État, sur la catastrophe économique et sociale qui désarticule la société, surtout dans ses marges appauvries et ghettoïsées de plus en plus étendues, sur les corruptions et les fraudes fiscales protégées, etc., ne font qu’alimenter toutes les violences, qu’elles se déploient à l’intérieur ou à l’extérieure du pays.

Dans ses essais réunis en 1972 sous le titre Du mensonge à la violence, Hannah Arendt a parfaitement établi cette dialectique morbide entre le mensonge et la violence. Prolongeant ses réflexions élaborées entre Condition de l’homme moderne (1958) et De la révolution (1963), la philosophe démontrait que le recours des gouvernants au mensonge affaiblit leur pouvoir, ce qui, combiné avec la crise de l’autorité, produit une « invite manifeste à la violence »[6]. Mais elle ajoutait ce constat pessimiste : « Le secret, la tromperie, la falsification délibérée et le mensonge pur et simple, employés comme moyens légitimes de parvenir à la réalisation d’objectifs politiques, font partie de l’histoire aussi loin qu’on remonte dans le passé. La véracité n’a jamais figuré au nombre des vertus politiques, et le mensonge a toujours été considéré comme un moyen parfaitement justifié dans les affaires politiques. »[7]

De même, à la suite des réflexions pionnières de Jacques Ellul sur la propagande, l’excellent sociologue Philippe Breton pointait la relation entre tyrannie, manipulation de l’opinion et besoin populaire d’une parole publique, avant de faire appel à l’exercice de la responsabilité individuelle : « L’institution de la manipulation provient du constat que les peuples, même sous le joug d’un tyran, veulent encore être convaincus. »[8]

#courbe Le pire mensonge de François Hollande a porté, de façon continue tout au long de son quinquennat, sur « l’inversion de la courbe du chômage » promise lors de sa campagne électorale de 2011 et 2012.

Dans une interview au Journal du dimanche, publiée le 15 avril 2012, le candidat socialiste déclarait : « Le chômage n’est pas une fatalité. Et j’inverserai la courbe. » Élu à l’Élysée, il précisait même, le 9 septembre 2012, au journal de 20h, sur TF1, qu’il se promettait de réaliser cette inversion de la courbe du chômage « d’ici un an ». Mais dès septembre 2012, le Premier ministre, Jean-Marc Ayrault, et la porte-parole du gouvernement, Najat Vallaud-Belkacem, sont obligés de rectifier le tir en parlant d’un « horizon 2014 ».

Dès lors, la machine à multiplier les reculades, feintes, déclarations ambigües est lancée. François Hollande réitère sa promesse de candidat les 3 et 21 décembre 2012, mais en décalant discrètement son échéance d’un bon trimestre, dans un style alambiqué : « J’ai moi-même dit que nous avions l’objectif à la fin de l’année 2013 de pouvoir l’inverser mais, d’ici là, nous allons encore subir des augmentations du nombre de demandeurs d’emplois avec toutes les conséquences que cela a… »  Le nouveau calendrier de « l’inversion de la courbe du chômage » est ensuite confirmé lors des vœux du président de la République aux Français, le 31 décembre 2012.

Successivement, les ministres du Travail Michel Sapin et François Rebsamen assènent la même promesse de plus en plus absurde, de mois en mois, jusqu’en 2014. Le 8 septembre 2013, Michel Sapin, demande aux journalistes, sur France 5, de « ne pas jouer sur les mots », renvoyant le bilan à la fin de l’année 2013 et affirmant l’importance d’une « inversion durable » de « la courbe ». Mais le jour de l’annonce d’une nouvelle hausse du chômage au mois de janvier 2014, Michel Sapin ne se décourage visiblement pas et affirme, sans sourciller, qu’« il doit y avoir moins de chômeurs à la fin de l’année qu’au début ».

« Si le chômage ne recule pas d’ici à 2017, je n’ai aucune raison d’être candidat à un deuxième mandat », réaffirme François Hollande, le 18 avril 2014, lors d’une visite de Michelin, à Clermont-Ferrand. En mai 2014, le nouveau ministre du Travail, François Rebsamen, renchérit donc, en expliquant que le gouvernement ne doit pas seulement « inverser une courbe » du chômage, mais qu’il travaille bien à réduire le nombre réel de chômeurs. Il va même jusqu’à fixer un nouvel objectif : ramener le chômage à son niveau de 2012, à moins de 3 millions de demandeurs d’emploi. Mais le 24 juin suivant, le ministre change à nouveau de discours, en expliquant que son nouvel objectif est de « stabiliser » le taux de chômage en dessous des 10 % en 2014. Le 18 mars 2015, François Rebsamen « prend l’engagement », sur les ondes de Radio Classique, d’une « stabilisation, voire d’une baisse du chômage », d’ici la fin de l’année 2015…

#désinformation Le 24 décembre 2015, la mauvaise foi gouvernementale en matière de « courbe » du chômage a franchi un seuil. Le nombre de demandeurs d’emploi de catégorie A, c’est-à-dire sans aucune activité, ayant très légèrement diminué de 0,4% en novembre 2015 par rapport au mois précédent, la ministre du Travail, Myriam El Khomri, s’est sentie autorisée d’expliquer que le pays était enfin entré « dans une phase de stabilisation du chômage ». Pourtant tous les autres indicateurs témoignaient du contraire, puisque le nombre de chômeurs, toutes catégories confondues, continuait de progresser, selon les chiffres publiés par Pôle emploi et même le ministère du Travail.

Le chômage de longue durée continuait même à s’amplifier dramatiquement, 2 447 300 demandeurs d’emploi étant à la recherche d’un travail depuis plus d’un an, un chiffre en hausse de 9,7% sur un an, tandis que le nombre de demandeurs inscrits depuis plus de trois ans avait progressé de 16,5% ! De même, la précarité ne cessait d’augmenter, le pourcentage de demandeurs d’emploi ayant exercé, en novembre 2015, une activité réduite ayant encore progressé de 0,9% en catégorie B (+6,4% sur un an) et de 1,4% pour la catégorie C (+12,8% sur un an).

#chômage Revenons complètement aux faits, même s’ils sont accablants. Selon les derniers chiffres dont je disposais (24 janvier 2017), toutes catégories confondues (A, B, C, mais aussi D et E souvent « oubliées »), avec 6 575 000 privés d’emploi et travailleurs occasionnels, sans parler des quelque 4 500 000 « invisibles » qui n’entrent dans aucune statistique, le chômage a encore atteint un sinistre record, en décembre 2016.[9] On mesure à quel point les chiffres du non-emploi et du mal-emploi ont explosé, quand on les compare, entre autres, aux 4 400 000 chômeurs de mai 2012, date de l’élection de François Hollande à la présidence de la République, et aux 3 200 000 de mai 2007, date de celle de Nicolas Sarkozy. Il faut rappeler ici qu’un inscrit sur deux à Pôle emploi (49,11 %) ne perçoit aucune indemnité, ni allocation retour à l’emploi (ARE), ni allocation de solidarité…

#pauvreté L’augmentation du chômage est bien la première cause de l’accroissement de la pauvreté dans notre pays. En 2015, pour la deuxième année consécutive, le taux de pauvreté a augmenté, selon l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee). De 14,1 % de la population en 2014 il est passé à 14,3 %, soit 8,8 millions de personnes. En 2014, la proportion de personnes vivant en dessous du seuil de pauvreté monétaire (1 008 euros par mois) avait déjà progressé dans la même proportion, selon des chiffres définitifs publiés par l’Insee. La France comptait alors 8,8 millions de personnes pauvres.

Aujourd’hui, l’Insee confirme bien que cette hausse de la pauvreté « proviendrait principalement de l’augmentation du nombre de chômeurs vivant en dessous du seuil de pauvreté, elle-même liée à celle du nombre de chômeurs de longue ou très longue durée ». Elle s’explique aussi par la multiplication des périodes d’inactivité des travailleurs en contrat à durée déterminée ou en intérim (précarité).[10]

En élargissant la perspective historique, l’Observatoire des inégalités a calculé qu’au cours des dix années 2004-2014, le nombre de pauvres a augmenté de 1,2 million (seuil à 60 % du niveau de vie médian des Français). Il commentait : « Les années 2000 et 2010 constituent un tournant de notre histoire sociale. » Car la pauvreté avait fortement baissé jusqu’au milieu des années 1990. Mais, depuis, cette tendance historique s’est inversée. « Il faudrait plusieurs années de reprise de l’activité et de baisse du chômage pour retrouver le niveau de pauvreté du début des années 2000 », conclut l’Observatoire.

A noter qu’en août 2016, le patrimoine professionnel de Liliane Bettencourt (L’Oréal), première fortune de France, équivaut à 1,8 million d’années de Smic. Soit 31,2 milliards d’euros. Et il ne s’agit là que de son patrimoine professionnel, fondé sur la propriété partielle ou totale de l’entreprise, à l’exclusion considérable de ce qui relève du domaine privé ou qui ne repose pas sur un outil de travail. Plus largement, le montant total de la fortune professionnelle des 500 personnes les plus riches de France s’élève à 456 milliards d’euros. La fortune du 500e a augmenté de 20% en un an, de 2015 à 2016, et dépasse désormais les 100 millions d’euros, soit sept fois plus qu’il y a 20 ans, lorsque cette 500e fortune s’élevait à 14 millions d’euros.

#épidémiologie Je l’ai déjà écrit, mais il faut y revenir sans cesse : le chômage et la pauvreté tuent.[11] Car les études épidémiologiques sur la surmortalité générée par le chômage se succèdent sans susciter, jamais, la moindre réaction adéquate du côté des dirigeants politiques du pays. Ainsi, selon une toute dernière recherche sur le sujet, le taux de mortalité des chômeurs est trois fois supérieur à celui des personnes qui travaillent. Publiée dans une grande revue internationale d’épidémiologie, elle révèle, entre autres, que le chômage tue chaque année, en France, 14 000 personnes, soit presque deux fois plus que les accidents de la route ![12]

La journaliste Olivia Recasens a parfaitement résumé les conclusions des scientifiques : « Pendant douze ans, les chercheurs de l’INSERM ont suivi 6 000 Français, âgés de 35 à 64 ans, dans huit régions. Après avoir écarté tous les facteurs de risque et autres biais possibles, leurs conclusions sont sans appel : perdre son emploi fait chuter l’espérance de vie ! La mortalité des chômeurs est en effet trois fois supérieure à celle des travailleurs. Non seulement les scientifiques ont découvert que les personnes sans emploi affichaient un taux de mortalité par suicide plus élevé que les actifs, mais aussi que la perte de travail favorisait l’apparition de pathologies cardiovasculaires. Les chômeurs ont ainsi un risque d’AVC et d’infarctus augmenté de 80% par rapport aux actifs. Ils sont aussi plus nombreux à mourir de cancer. Le constat est identique chez les femmes ou les hommes. (…) Comme l’écrivent les épidémiologistes, en conclusion de leur étude, “tuer des emplois signifie tuer des gens, au sens figuré comme au sens propre”. »[13]

Les dirigeants politiques ne peuvent plaider leur innocence, à ce sujet aussi grave que celui des surmortalités faramineuses générées par les pollutions de l’air, de l’eau et de l’alimentation, en invoquant une éventuelle ignorance des faits. Il y a une quinzaine d’années, de nombreuses données médicales et sociales étaient déjà disponibles en France et leurs conclusions étaient terribles.[14] Ainsi, selon des statistiques de l’Insee synthétisées par Georges Menahem, travailler en CDD ou en intérim entraîne l’aggravation spectaculaire du « stress » et donc des risques de souffrir de pathologies cardio-vasculaires, d’alcoolisme et de tabagisme, facteur majeur de nombreuses maladies graves, au premier rang desquelles figure le cancer. Enfin, il est bien connu, depuis la publication de ces études, que le risque suicidaire est douze fois plus élevé chez les chômeurs – vingt fois plus chez ceux de longue durée – que dans la population active.

#dissimulation Malgré cette gravité terrible du sujet, la politique de François Hollande et du gouvernement de Manuel Valls n’a porté, jusqu’au bout, que sur la dissimulation de l’ampleur en réalité croissante du chômage. Cet engagement dans la tromperie s’est exaspéré seize mois environ avant l’élection présidentielle d’avril et mai 2017. Dans quel but ? Sauver le soldat Hollande ?

Le 18 janvier 2016, le président de la République annonçait le lancement soudain d’un plan de 500 000 formations supplémentaires pour les chômeurs.

« L’objectif, vous le savez, est de porter à un million le nombre de formations pour les demandeurs d’emploi cette année, dont 300 000 à destination de ceux qui sont peu ou pas qualifiés, ou demandeurs d’emploi de longue durée », expliquait sagement la ministre du Travail, Myriam El Khomri, le 31 mai suivant, lors de la convention des managers de Pôle emploi, reprenant sans nuance le nouvel objectif des 500 000 formations supplémentaires.

Le soupçon d’une manipulation forcenée des statistiques du chômage fut immédiatement exprimé par certains observateurs compétents. Car l’opération « 500 000 formations » avait la première vertu de faire passer en masse des demandeurs d’emploi de la catégorie A (tenus de rechercher un emploi, n’exerçant aucune activité), sur laquelle est fondée la communication officielle, à la catégorie D (demandeurs d’emploi non tenus de rechercher un emploi, en raison d’une formation, d’une maladie…), largement ignorée par les médias.

Le stratagème semble, d’ailleurs, avoir bien fonctionné, la presse ayant très vite répercuté, sans plus de questionnement, l’infime baisse consécutive du nombre de chômeurs de catégorie A. Ainsi pouvait-on lire, le 26 décembre 2016, ce titre d’un grand quotidien national : « Nouvelle baisse du chômage en novembre ». Et ce commentaire, dès le chapeau de l’article excessivement optimiste : « Du jamais vu depuis 2008. » Il n’était alors pas surprenant de lire, dans le corps de l’article lui-même les leçons politiques que le lecteur était lourdement invité à tirer : « François Hollande doit se dire que son destin politique aurait pu être différent si de tels chiffres étaient tombés plus tôt. » Et de citer, dans la foulée, l’intéressé, sur le ton de la romance : « ’’Une confiance est revenue, c’est une satisfaction’’, s’est réjoui, lundi 26 décembre, le président de la République. Propos tenus au moment même où le ministère du Travail dévoilait cette nouvelle batterie d’indicateurs qui confirment l’inversion de la courbe du chômage ; M. Hollande en avait fait une condition sine qua non pour se présenter en 2017, avant finalement d’y renoncer. »

Cruel destin ! La trajectoire de la candidature avortée de François Hollande à l’élection présidentielle 2017 aurait donc croisé trop tard la fameuse « inversion de la courbe ».

#finance La duperie présidentielle et gouvernementale s’est donc exercée premièrement sur le dos des plus de 6 millions et demi de chômeurs et des près de 9 millions de pauvres de notre pays, dont beaucoup, massivement souffrants, n’ont pratiquement plus accès aux soins médicaux. Car, selon la quatrième édition du « Panorama de la santé » de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), en 2016, « quelque 12% de la frange la plus pauvre (20% « les moins aisés » de la population française) ne se font pas soigner, alors que ce n’est le cas que de 1,6% des plus riches. Elle (la France) fait donc partie des pays les plus inégalitaires d’Europe, derrière l’Espagne, l’Italie ou la Grèce. »

Mais elle a contaminé aussi presque tous les domaines de l’action publique, notamment celui de la maîtrise du secteur bancaire. Qui ne se souvient d’un certain discours dit « du Bourget », prononcé le 22 janvier 2012 : « Mon véritable adversaire, il n’a pas de nom, pas de visage, pas de parti, il ne présentera jamais sa candidature, il ne sera jamais élu et pourtant il gouverne. Cet adversaire, c’est le monde de la finance… » L’ami Denis Robert s’est souvenu, lui-aussi, de ce moment de bravoure du candidat socialiste, et il a rapidement jugé, comme moi, sur résultat : « Dix-huit mois se sont écoulés. François Hollande n’en a pas grand-chose à faire de la lutte contre la finance ou les paradis fiscaux. Sinon il s’y serait pris autrement. Il a cédé sur ce terrain, comme il a cédé à Lakshmi Mittal à Florange. Son discours du Bourget était une promesse de campagne. »[15]

En réalité, François Hollande aurait été mieux inspiré, et surtout plus honnête, en s’exclamant : « Mon amie, c’est la finance ! ».[16] Mais il n’aurait sans doute pas été élu en mai 2012. Au vu de sa passion pour les banquiers, tout au long de son quinquennat, on pourrait même dire que le président de la République était un amoureux de la finance. Et que cela date de longtemps.

#Transcourants Michel Jacob, ancien directeur général de la Compagnie financière Edmond de Rothschild, a vendu la mèche, début décembre 2016.[17] Fin 1993, François Hollande, déçu par la perte de son siège de député en Corrèze, se reclasserait volontiers chez Rothschild, comme banquier d’affaires. Les deux hommes se rencontrent plusieurs fois, mais Edmond de Rothschild conditionne l’embauche de cet ancien élève de Sciences Po Paris, d’HEC et de l’ENA à son abandon définitif de la carrière politique. Ce à quoi François Hollande ne peut finalement pas se résoudre, après plusieurs semaines de tentation.

Mitterrand a été réélu président de la République, en 1988, alors que tous pouvaient connaître ses liens d’amitié fidèle avec René Bousquet, ancien secrétaire général de la police du régime de Vichy, ses relations d’affaires intensives avec des cagoulards notoires (dont Eugène Schueller, fondateur de la société L’Oréal), son idolâtrie du maréchal Pétain, mais aussi son opposition à l’indépendance de l’Algérie, lorsqu’il était ministre de l’Intérieur du gouvernement Mendès France (1954), sa réticence sans pitié à gracier les condamnés à mort, quand il était Garde des Sceaux du gouvernement de Guy Mollet (1956 et 1957), ses manipulations de l’opinion publique et autres barbouzeries : affaires du faux attentat de l’Observatoire, en 1959, des Irlandais de Vincennes, en 1983, des écoutes de l’Élysée, de 1983 à 1986…

Nous avons élu François Hollande – pour celles et ceux qui ont voté pour lui -, en mai 2012, alors que nous pouvions connaître son double-jeu en faveur du libéralisme et des milieux d’affaires les plus décomplexés.

Mes amis Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot avaient ainsi révélé, en 2010, les racines idéologiques de l’oligarchie soutenue par François Hollande et ses acolytes.[18] Ayant retrouvé La gauche bouge, l’œuvre oubliée de François Hollande et de ses quatre plus proches camarades, publiée en octobre 1985 chez Lattès, sous l’élégant pseudonyme de « Jean-François Trans », les deux sociologues y décryptaient une pure doctrine néolibérale. Ils racontent aussi comment le futur président de la République et ses coauteurs, Jean-Pierre Jouyet, actuel secrétaire général de la présidence de la République, Jean-Yves Le Drian, actuel ministre de la Défense, Jean-Pierre Mignard, avocat, ami personnel du président et parrain de deux de ses quatre enfants, supporter de la candidature d’Emmanuel Macron à la présidentielle de 2017, ainsi que Jean-Michel Gaillard (Cour des comptes, ENA) fondèrent alors le mouvement « Transcourants » au sein du Parti socialiste, se réunissant dans une arrière-salle de la maison d’édition P.O.L, dont un certain Jean-Jacques Augier possédait alors 60 % des parts.

Jean-Jacques Augier, lui aussi ancien de la promotion Voltaire de l’ENA, dirigea les taxis G7 de 1987 à 1999, sous l’aile protectrice d’André Rousselet, le financier des campagnes électorales et exécuteur testamentaire de François Mitterrand. A noter qu’il fut aussi trésorier de la campagne électorale de François Hollande en 2012 et actionnaire de deux sociétés offshores dans le paradis fiscal des îles Caïmans, par le biais de sa holding financière Eurane.[19]

#pantouflages Regarder le cas Hollande à travers la longue-vue sociologique permet de comprendre à quel point son élection fut une apogée de l’ambigüité administrative de la Ve République.

Dans l’entourage familial et amical le plus proche et constant du président élu en mai 2012, se côtoient, se soutiennent et s’entremettent les marquis de la finance, de l’industrie et de la haute fonction publique fusionnées, qui pratiquèrent sans limites le pantouflage, c’est-à-dire les allers et retours au plus haut niveau de l’État et des groupes financiers : Jean-Pierre Jouyet (« promo Voltaire »), qui fit une carrière au sommet de l’administration, sous la présidence de Nicolas Sarkozy autant que sous celle de François Hollande ; Matthieu Pigasse, banquier d’affaires chez Lazard France et Europe, investisseur en presse d’influence ; Henri de Castries (« promo Voltaire »), longtemps directeur général et président d’AXA, fréquentant sans distinction Nicolas Sarkozy, François Hollande et François Fillon, dont il est un soutien essentiel pour la présidentielle de 2017 ; Charles-Henri Filippi, inspecteur des finances, conseiller au cabinet de Jacques Delors, ministre des Finances, en 1983-1984, directeur de la banque Stern puis de la banque HSBC France ; Pierre Duquesne (« promo Voltaire »), responsable de la division commerciale des marchés de devises à la banque Indosuez, secrétaire général adjoint de la Commission bancaire, président du comité d’audit de la Banque mondiale et du comité d’éthique du Fonds monétaire international (FMI) ; Jean-Hervé Lorenzi, professeur d’économie à l’université Paris-Dauphine, président du Cercle des économistes, conseiller du directoire et banquier-conseil de la Compagnie financière Edmond de Rothschild, administrateur de BNP Paribas Assurances et membre du conseil de surveillance de la compagnie financière Saint-Honoré ; Emmanuel Macron, associé-gérant de la banque Rothschild, avant de devenir secrétaire général adjoint de la présidence de la République et même ministre de l’Économie ; Laurence Boone, chef-économiste Europe de Bank of America Merrill Lynch, membre du conseil d’administration du Groupe Kering (Pinault-Printemps-La Redoute), avant de devenir conseiller économique et financier de François Hollande et de succéder à Emmanuel Macron à l’Élysée…[20]

Combien d’entre eux ont bénéficié, à un moment donné, d’un fauteuil à l’Élysée, au titre de conseiller, de directeur de cabinet, de secrétaire général, de secrétaire général adjoint, ou de même « visiteur du soir », et ont géré – avant, après – les affaires des plus grandes entreprises financières nationales, au mieux des intérêts de celles-ci et de leur enrichissement personnel ?

#intérêt (conflit d’) Depuis le premier septennat de François Mitterrand (1981-1988), l’autodiscipline de certains hauts fonctionnaires vis-à-vis du risque de conflit d’intérêt s’est dangereusement relâchée, donnant une image corrompue du service de l’Etat. Nombre des cas les plus emblématiques du pantouflage débridé concernent principalement des proches de Nicolas Sarkozy et de François Hollande, des énarques bien classés qui ont tous intégré le corps aristocratique de l’Inspection générale des finances. Et qui ont tous fait carrière dans la banque.

Citons, pour être précis, François Villeroy de Galhau, ex-directeur général délégué de BNP Paribas, qui fut aussi directeur de cabinet de Dominique Strauss-Kahn à Bercy et, dans le prétendu « autre camp » politique, Pierre Mariani, directeur de cabinet de Nicolas Sarkozy au ministère du Budget de 1993 à 1995, qui a rejoint ensuite BNP Paribas avant de prendre la tête de la banque Dexia en 2008. Nicolas Namias, quant à lui, a travaillé au Trésor, en 2004, puis, en 2008, à un poste de direction au sein du groupe bancaire BPCE, avant de conseiller le Premier ministre socialiste Jean-Marc Ayrault, puis de repasser dans le privé, en juin 2014, où il dirige la stratégie de Natixis, la banque d’affaires du groupe BPCE.

Ces trois inspecteurs de finances de haut vol ont été précédés, sur les voies du pantouflage d’exception, par un Jean-Marie Messier, conseiller chargé des privatisations au sein du cabinet de Premier ministre Balladur, à la fin des années 1980, avant de devenir associé dans la banque d’affaires Lazard et de devenir PDG de la Compagnie générale des eaux (Vivendi), ou un Jean-Charles Naouri, associé-gérant chez Rothschild, puis PDG du groupe Casino, après avoir été directeur de cabinet de Pierre Bérégovoy de 1982 à 1986, au ministère des Affaires sociales, puis de l’Économie et des Finances, où il assuma la mission de déréglementation des marchés financiers et boursiers.

Cependant, le parcours de Jean-Pierre Jouyet, ami personnel de François Hollande, lui aussi ancien de la promotion Voltaire de l’ENA, est un des plus contestables du point de vue du conflit d’intérêt. Directeur adjoint du cabinet du Premier ministre Lionel Jospin (1997-2000), il est responsable de la régulation bancaire, en tant que directeur du Trésor, de 2000 à 2004, et aussitôt après président de Barclays France, en 2005, avant d’être nommé secrétaire d’État du gouvernement Fillon (2007), puis président de l’Autorité des marchés financiers (AMF), le « gendarme de la bourse » (2008-2012). En 2012, il est nommé directeur général de la Caisse des dépôts et consignations et, très vite, président de la Banque publique d’investissement (BPI). En avril 2014, il rejoint François Hollande à l’Élysée, en tant que secrétaire général de la présidence de la République. De quoi donner le tournis politique…

Et de quoi conclure, plus largement, avec les sociologues François Denord et Paul Lagneau-Ymonet que la banque d’affaire est devenue le cœur de la structure contemporaine du pouvoir et de l’ordre économique financiarisé qui domine notre société.[21]

#banques Ceci explique-t-il cela ? Ceci, je veux parler de l’entourage bancaire ultralibéral du président de la république, dès son élection en mai 2012. Par « cela », je veux dire les renoncements injustifiables, au regard des engagements du candidat Hollande, en 2012, sur les régulations les plus nécessaires de la toute-puissance des banques et même sur la répression de la délinquance financière.

Comment justifier, en effet, que :

  • François Hollande promette que les exilés fiscaux paieront également l’impôt sur la fortune (ISF), le 15 mars 2012, dans l’émission « Des Paroles et des Actes » (France 2), et que le 6 avril 2013, Hélène Conway-Mouret, secrétaire d’Etat aux Français de l’étranger, enterre la promesse, en expliquant qu’il n’y avait « pas actuellement de discussion » sur la taxation supplémentaire des expatriés fiscaux ;
  • François Hollande se soit engagé à interdire aux banques françaises d’exercer dans les paradis fiscaux (Le Changement, c’est maintenant. Mes 60 engagements pour la France, 30 janvier 2012) et que le 16 mars 2016, les ONG CCFD-Terre Solidaire, Secours catholique et Oxfam France aient publié un rapport qui révélait que les banques françaises réalisent encore un tiers de leurs bénéfices dans les paradis fiscaux ;
  • François Hollande ait promis la séparation entre les activités bancaires utiles à l’investissement ou à l’emploi et les opérations spéculatives (toujours parmi les « 60 engagements » du 30 janvier 2012), mais qu’en juin 2015, seules deux banques, sur dix banques concernées, aient annoncé qu’elles rassembleraient leurs activités les plus risquées dans des filiales séparées… ?

#réseaux Cette gouvernance ultralibérale du pays par un réseau de gestionnaires des affaires publiques et privées – surtout bancaires – mélangées, où la formation commune dans la promotion Voltaire de l’ENA (1978-1980) représente un centre de gravité exceptionnel, est la marque peut-être la plus originale du quinquennat présidentiel de François Hollande.

Mais un autre réseau, plus discret encore, a aussi structuré la politique de la France en matière sécuritaire, bénéficiant de l’aubaine providentielle de l’état d’urgence institué le 14 novembre 2015 et prolongé, depuis, sous forme d’un état d’exception perpétuel. J’en ai déjà détaillé la composition, l’histoire, les fonctions régaliennes et l’affairisme dans mes précédents livres, notamment Corruption (Seuil, 2014) et Résistance ! (Seuil, 2016). Cependant, une nouvelle plongée au cœur de cet « État profond »[22] mérite d’être ajoutée, aujourd’hui, car elle concerne un candidat majeur à la présidence de la République, certes éliminé lors de la primaire soi-disant de gauche, le dimanche 29 janvier 2017, mais dont le pouvoir de nuisance avait atteint, depuis 2012, un niveau inédit dans l’histoire du Parti socialiste.

Son effondrement politique est plein d’enseignement.

Tout d’abord, par la révélation d’une approche tout à la fois policière et déviante de la République, dont la mise en œuvre implique l’articulation de groupes d’intérêts qui ont comme dénominateur commun un mépris total de la démocratie. Ensuite, par le constat que la nomenklatura des administrations et officines sécuritaires, mais aussi des états-majors du CAC 40, est aveuglée par le pouvoir, au point de se fourvoyer dans le choix d’un petit cheval particulièrement incompétent. Enfin, par la bonne nouvelle d’un rejet populaire du côté obscur de la force, ce dont ont témoigné des salles vides et des incidents incontrôlés, lors des meetings et déplacements de campagne du champion de l’état d’urgence.

En janvier 2017, nous avons assisté à une sorte de destitution. Mais, aussitôt, les sorciers de l’État profond reportaient leur mise sur un nouveau petit cheval : Emmanuel Macron.

#49.3 Manuel Valls, puisqu’il s’agit de lui, ministre de l’Intérieur (mai 2012 à mars 2014), puis Premier ministre (mars 2014 à décembre 2016) de François Hollande, s’est cru tellement hors d’atteinte du jugement des Français, si sûr de la puissance de ses appuis, qu’il a multiplié les bévues et les faux pas tout au long d’un mois et demi de campagne pré-électorale, dans le cadre de la primaire organisée par le Parti socialiste dont les dirigeants lui étaient totalement dévoués.

Misant sans doute sur la politique post-vérité qui venait de réussir à Donald Trump, l’ex-Premier ministre affirmait, le 15 décembre, sur les ondes de France Inter, qu’il promettait de supprimer « purement et simplement » l’article 49, alinéa 3, de la Constitution, une procédure parlementaire brutale qu’il a lui-même utilisée pas moins de six fois pour faire passer en force les lois Macron (sur la croissance et l’activité) et El Khomri (réforme du marché du travail). Il commentait même : « Dans la société de la participation dans laquelle nous vivons, son utilisation est devenue dépassée, et elle apparaît comme brutale. Je veux une renaissance démocratique où les citoyens, les collectivités, le Parlement aient plus de pouvoir. » Dans l’après-midi, à l’occasion d’un déplacement à La Rochelle, l’ancien chef du gouvernement ajoutait encore : « Y a-t-il, oui ou non, une crise démocratique, de confiance ? Il faut essayer d’y répondre. Avec un langage de vérité, et en tenant ses engagements. Moi, je m’engage sur ce que je propose : le renouvellement démocratique. »

Rapidement, d’autres incohérences spectaculaires sont apparues dans les propos du candidat Manuel Valls. Ainsi « Manuel » plaida-t-il soudain pour un retour de la défiscalisation des heures supplémentaires, sur le modèle de la mesure antisociale mise en place par Nicolas Sarkozy en 2007 et supprimée, tout de même, par la gauche en 2012. Candidat à la primaire socialiste de 2011, Manuel Valls déclarait, sur France 2 : « Nous devons revenir sur la défiscalisation des heures supplémentaires qui n’ont rien changé et ont détruit l’emploi. »

#clan Il est probable que l’ancien chef du gouvernement ne s’est pas rendu compte que la puissance de son réseau de sponsors plus ou moins visibles ne pouvait suffire à compenser le fait de dire n’importe quoi.

Début décembre 2016, Manuel Valls débauche la crème de son cabinet, à Matignon, pour étoffer son staff de campagne. Ses conseillers politiques, versés surtout dans l’art de la communication, le suivent comme un seul homme. Le conseiller spécial Yves Colmou, gardien du temple, et Marie Murault, la cheftaine du service de presse, qui a fait ses classes chez Havas Worldwide, sous le haut patronage de Stéphane Fouks, suivent le mouvement. Mais il y a plus important.

Côté Cour, les poids lourds du gouvernement, notamment les plus proches de François Hollande, ont manifesté publiquement leur soutien à leur ancien chef : la ministre de l’Éducation nationale, Najat Vallaud-Belkacem ; la ministre du Travail, Myriam El Khomri ; le ministre de la Justice, Jean-Jacques Urvoas ; le ministre de la Défense, Jean-Yves Le Drian ; le secrétaire d’État chargé du Développement et de la Francophonie, Jean-Marie Le Guen ; la ministre des Familles, Laurence Rossignol ; le ministre de l’Économie, Michel Sapin ; le ministre de l’Intérieur, Bruno Le Roux. Manuel Valls a pu également compter sur le soutien du président de l’Assemblée nationale,

Côté arrière-cours, Manuel Valls s’est aussi attaché, en décembre 2016, quelques pointures de l’État profond. Renaud Vedel, par exemple, chargé des « affaires intérieures » à son cabinet de Matignon, ancien bras droit du préfet Michel Gaudin (préfecture de police de Paris), pilier de la sarkozie, en lien avec de nombreux patrons de la police, avec les encouragements fraternels d’Alain Bauer. Un autre conseiller de l’ex-Premier ministre sur la sécurité, Cyrille Chabauty, était aiguillé à temps vers la direction de l’Académie du renseignement, rattachée au Premier ministre, qui « concourt à la formation du personnel des services de renseignement, au renforcement des liens au sein de la communauté française du renseignement, ainsi qu’à la diffusion de la culture du renseignement ».

La remise de la décoration de commandeur de la légion d’honneur à Alain Bauer[23], par Manuel Valls lui-même, le 25 octobre 2016, dans les salons de Matignon, fut une excellente occasion de recensement du réseau très ouvert du « criminologue » en chef de la République, un réseau pour une grande part mobilisé à soutenir l’ascension du Premier ministre d’alors vers le sacrement élyséen.

Parmi les invités à la cérémonie, on pouvait reconnaître (attributions à cette date) l’ex-directeur de cabinet de Nicolas Sarkozy et ex-préfet de police de Paris Michel Gaudin ; l’ex-directeur général de la police nationale et secrétaire général des Républicains, Frédéric Péchenard, ami d’enfance de Nicolas Sarkozy ; le conseiller sécurité de l’ancien chef de l’État, Bruno Beschizza, ex-responsable du syndicat Synergie, qui rassemble les officiers de police de droite ; Renaud Vedel, ancien adjoint de Michel Gaudin, alors conseiller des affaires intérieures du Premier ministre Manuel Valls ; Jean-Claude Delage, le responsable très droitier du syndicat Alliance qui est majoritaire chez les gardiens de la paix ; Jean-Marc Berlioz, sarkozyste du premier cercle, chargé de la sécurité chez Renault…

D’autres personnalités du supramonde sécuritaire ont honoré Alain Bauer, ce jour-là, de leur présence : l’ancien directeur de l’Institut national des hautes études de la sécurité et de la justice (INHESJ), André-Michel Ventre ; Émile Perez, directeur de la Coopération internationale (DCI) du ministère de l’Intérieur ; les « criminologues » Xavier Raufer et Christophe Soullez…

Des grands patrons avaient été aussi invités : Antoine Frérot, de Véolia, et Laurent Obadia, son conseiller en communication ; Stéphane Fouks, vice-président d’Havas et Philippe Delmas, ancien d’Airbus. Des notabilités maçonniques faisaient enfin partie de la fête : l’ancien grand-maître du Grand-Orient de France (GODF), Philippe Guglielmi, Michel Barat et Roger Dachez, autres lumières de la même obédience, dont Alain Bauer fut le grand-maître précoce, de 2000 à 2003.

Il ne manquait, a priori, que Yves Colmou, le premier (ou quatrième) des trois mousquetaires de l’Union nationale des étudiants de France (Unef) des années 1980, lorsqu’il pactisait avec Alain Bauer, Stéphane Fouks et Manuel Valls, sous la bannière usurpée de « Jeunes rocardiens ». Mais aussi Julien Dray, Jean-Christophe Cambadélis, Jean-Marie Le Guen et Olivier Spithakis, tous ces complices de la gestion corrompue de la Mutuelle nationale des étudiants de France (Mnef), dont Michel Rocard – malgré la légende – et Lionel Jospin se méfiaient tant, mais que Dominique Strauss-Kahn a tellement cautionnés.

#Mnef Le pourrissement rapide du quinquennat de François Hollande n’a pas tardé à produire ses premiers symptômes. J’en ai fait, à l’époque, le relevé pénible et détaillé, dans Corruption (Seuil, 2014), dont le titre n’était pas un abus de langage, de même que Laurent Mauduit, cofondateur de Mediapart, en faisait aussi l’inventaire méticuleux dans son A tous ceux qui ne se résignent pas à la débâcle qui vient (Don Quichotte, 2014).

Car, tout juste après deux catastrophes électorales de la gauche aux municipales et aux européennes du printemps 2014, en une semaine à peine, Jean-Christophe Cambadélis est intronisé – bien plus qu’élu – Premier secrétaire du PS, grâce au soutien décisif de Manuel Valls, nouveau Premier ministre, tandis que Jean-Marie Le Guen est nommé au poste stratégique de secrétaire d’Etat aux relations avec le Parlement[24], et que Christophe Borgel, député de Haute-Garonne, est élu, le 15 avril 2014, secrétaire national aux élections du PS. Tous trois sont de nouveau en grâce, car ils ont comme point commun d’avoir été, autrefois, inquiétés par la justice dans l’affaire de la Mnef …[25]

La persévérance d’une telle communauté d’intérêts entre des personnalités issues de camps politiques parfois opposés, telle qu’elle s’est ostentatoirement manifestée, le 25 octobre 2016, dans les salons de Matignon, autour de la décoration d’Alain Bauer par le Premier ministre Manuel Valls, démontre combien une oligarchie affranchie des règles et des lois communes s’imagine toute-puissante, inatteignable non seulement par la Justice, mais aussi indétrônable par le peuple souverain.[26] Funeste erreur, très certainement ! Mais qu’il nous revient de rectifier par des actes politiques nouveaux.

#oligarchie La démonstration n’est plus à faire que nous vivons, en France, sous régime oligarchique corrompu et à tendance tyrannique. J’ai argumenté scrupuleusement ce point de vue dans Corruption (Seuil, 2014) et dans Résistance ! (Seuil, 2016) ; il n’a pas été contesté, au contraire, la revue de presse en témoigne abondamment. Tout récemment, le visionnaire Emmanuel Todd s’exclamait encore, à propos de la présidentielle de 2017 : « La France n’est plus une démocratie. On fait tous semblant, on est dans un monde d’illusion, on est dans une comédie, on fait du théâtre. » (« C Polémique », sur La 5, le 15 janvier 2017)

Mais dans les coulisses du théâtre, un jeu particulièrement dangereux régit en réalité sans partage les politiques publiques. En 2011, un livre fracassant de Pierre Péan, La République des mallettes (Fayard), mettait les pieds dans le plat, révélant entre autres l’incroyable pouvoir d’un repris de justice, Alexandre Djouhri, aujourd’hui poursuivi par les juges d’instruction, qui est resté pourtant un intermédiaire incontournable de tous les affairistes de la République.[27]

Les « gens » qui composent l’oligarchie politico-financière démasquée par Pierre Péan relèvent, pour une partie d’entre eux, du gangstérisme. Car ils disposent de « revenus qui proviennent directement de l’économie clandestine, constitués de rétro-commissions et de financements occultes se traduisant en espèces sorties de valises ou en comptes installés dans des paradis fiscaux ». Selon le journaliste Eric Conan, Pierre Péan a été particulièrement choqué de voir que cette oligarchie transcende le clivage droite-gauche et que ses membres, qui ne sont mus que par les ressorts de l’intérêt, ont acquis une influence majeure sur de grandes décisions publiques concernant la diplomatie ou la restructuration des groupes industriels sur lesquels repose l’avenir du pays. Plus particulièrement, l’histoire de la Mnef lui a paru exemplaire de « ce mélange qui avait vu des affairistes de gauche s’allier avec des patrons balladuriens, en compagnie de flics et de voyous, pour faire de l’argent noir et vivre la belle vie sur le dos d’une mutuelle étudiante siphonnée au détriment de ses adhérents ».[28]

L’histoire de la Mnef fut une affaire « exemplaire », en effet, et qui s’est métastasée, depuis 2014, jusqu’au cœur du Parti socialiste et de l’État, sous les gouvernements de Manuel Valls. Elle est une des causes profondes de l’effondrement de François Hollande, au bout d’un quinquennatus horibilis dont l’inventaire désolant vient d’être fait, pour une grande part, par mes consœurs et confrères de Mediapart.[29]

#horribilis Le 2 mai 2012, lors du débat télévisé qui l’opposait à Nicolas Sarkozy, François Hollande se lança dans une longue conclusion de sa prestation par cette déclaration : « Je veux être un président qui d’abord respecte les Français, qui les considère. Un président qui ne veut pas être président de tout, chef de tout et en définitive responsable de rien. » Nous savons, aujourd’hui, ce qu’il en a été.

S’en suivit une formule thaumaturgique en ces cinq mots, « Moi président de la République », répétée pas moins de quinze fois pendant près de trois minutes et demi ! Puisque le césarisme de François Hollande a commencé dès ce spectacle télévisuel assez surréaliste, rendons à César ce qui lui est dû.[30]

Lui président de la République, l’organisation de l’évasion fiscale la plus massive de tous les temps (affaire UBS) n’aura jamais été sanctionnée par l’administration, autrement que symboliquement : 10 millions d’euros demandés par l’Autorité de contrôle prudentiel (ACP) de la Banque de France à UBS France, le 25 juin 2013, à comparer aux plus de 12 milliards soustraits au fisc par la banque suisse en France.[31] D’ailleurs, l’engagement de campagne d’interdire aux banques françaises d’exercer dans des paradis fiscaux ne fut jamais tenu, et, le 27 janvier 2017, un apport du groupe Verts/ALE au Parlement européen révélait que « parmi les vingt plus gros intermédiaires en évasion fiscale », on retrouve UBS (de loin en première place, avec plus 13 000 « entités offshore » créées) et… la Société Générale (1639 entités).

Lui président, il fit nommer, en mai 2012, un fraudeur fiscal majeur, Jérôme Cahuzac, comme ministre délégué au Budget auprès du ministre de l’Économie et des Finances, c’est-à-dire comme contrôleur en chef du fisc. Informé personnellement, depuis le 15 décembre 2012 au plus tard, de la réalité de l’évasion fiscale du ministre, François Hollande a attendu, sans réagir, jusqu’au 19 mars 2013, la démission de Jérôme Cahuzac du gouvernement. Il a couvert pendant des mois, si ce n’est durant des années, le mensonge du ministre délinquant et les tentatives de blanchiment de sa faute par des services de l’État. J’ai moi-même considéré que les comptes non-déclarés ouverts et gérés par celui-ci en Suisse, depuis les années 1990, étaient précisément connus, dès alors, par le renseignement français et donc par les plus hauts responsables de l’État.[32]

Lui président, furent promulguées des lois de « lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière » (2013) ou de « lutte contre la corruption » (Sapin 2, novembre 2016) sans aucun effet réel, la seconde permettant même à UBS et bientôt à HSBC de s’épargner des procès ravageurs en termes d’image, grâce à la possibilité nouvelle de négocier une convention judiciaire d’intérêt public (CJIP). A noter, dans le même registre, que l’excellent Office central de lutte contre la corruption et les infractions financières et fiscales a perdu près du quart de ses effectifs entre 2012 et 2016. Quant au parquet national financier, créé à l’automne 2013, après l’affaire Cahuzac, avec seulement une vingtaine de magistrats affectés, il dispose de deux fois moins de moyens judiciaires que son homologue espagnol et de vingt-quatre fois moins d’enquêteurs que le Serious Fraud Office britannique.

Lui président de la République, et Manuel Valls Premier ministre, ce fut l’instauration forcenée d’un état d’urgence perpétuel, totalement inutile quant à la lutte antiterroriste, et dont un rapport d’Amnesty International soulignait, en février 2016, comment, sous son couvert, « les pouvoirs exécutifs étendus, assortis de très peu de contrôles sur leur application, ont causé toute une série de violations des droits humains ».

Ce fut, en revanche, la désorganisation historique des services de renseignement et de lutte antiterroriste[33], sanctionnée par une succession d’attentats monstrueux : entre les 7 et 9 janvier 2015, au siège de Charlie Hebdo, à Montrouge, à Dammartin-en-Goële et à la porte de Vincennes : 20 morts, dont les trois terroristes ; 13 novembre 2015, au Stade de France (Saint-Denis), dans le Xe et XIe arrondissements de Paris, dans la salle de spectacle parisienne du Bataclan : 130 morts et 415 blessés ; 13 juin 2016, double meurtre de fonctionnaires de police, à leur domicile ; 14 juillet 2016, sur la promenade des Anglais, à Nice : 86 morts et 434 blessés ; 26 juillet 2016, dans l’église Saint-Étienne de Saint-Étienne-du-Rouvray, en Seine-Maritime : assassinat du prêtre Jacques Hamel, pendant la célébration de la messe du matin. Au total, de l’attaque de Charlie Hebdo, en janvier 2015 à ce dernier meurtre, en juillet 2016, 238 personnes ont perdu la vie dans des attaques terroristes.

Ce fut aussi, pour répondre dans l’urgence à l’immense émotion suscitée par les attentats terroristes du 13 novembre 2015, un projet d’extension de la déchéance de nationalité à tous les binationaux et de constitutionnalisation de l’état d’urgence, heureusement abandonné en mars 2016, dans une crise de panique politicienne du président, après des mois d’exaspération de l’opinion publique.

Ce fut encore la validation élyséenne historique d’une quarantaine d’assassinats ciblés contre des djihadistes, depuis 2013, hors cadre légal de la guerre, selon les révélations du journaliste Vincent Nouzille.[34]

Ce fut l’homicide de Rémi Fraisse – non jugé à ce jour -, dans la nuit du 25 au 26 novembre 2014, sous le feu d’une grenade offensive, lors d’une « opération de maintien de l’ordre » menée par la gendarmerie, sur la ZAD du barrage de Sivens, dans le Tarn.

Ce furent des violences policières déchaînées, lors des manifestations écologistes, au moment de la COP21, et tout au long du mouvement social contre la loi El Khomri, au printemps 2016, provocant des dizaines de blessures graves par des tirs de grenades de désencerclement, de grenades lacrymogènes, de balles de lanceurs de défense (LBD) et par des coups de matraques totalement injustifiés.

Ce furent trois ans de hausse de la mortalité routière, après une tendance lourde à la baisse depuis le milieu des années 1970, et ce fut aussi un bilan 2016 de hausse des violences physiques délinquantes, des statistiques de coups et blessures volontaires, des cambriolages, des escroqueries bancaires… qui sont autant de symptômes de la brutalisation et de la désintégration sociale de notre pays.

Ce fut la régression – inédite à ce point, depuis le milieu des années 1970 – de la politique environnementale, par lâcheté vis-à-vis de multiples groupes de pression (dossiers du non-arrêt de la centrale nucléaire de Fessenheim, de l’abandon de l’écotaxe poids lourds, de l’autorisation de rejeter des « boues rouges » en Méditerranée, de remise en cause avancée de la loi de protection du littoral, de l’autorisation de tirs purement démagogiques de loups…) et rigueur budgétaire, le ministère de l’Écologie perdant 10 % de ses modestes effectifs au fil du quinquennat.

Ce fut, enfin et surtout, le mensonge systématique sur l’aggravation dramatique du chômage, de la précarité et de la paupérisation de millions de Français qui désespèrent comme jamais de l’action publique. Car durant le quinquennatus horribilis de François Hollande, il y eut 570 000 chômeurs de plus inscrits en catégorie A, et 1,3 million de plus inscrits à Pôle Emploi.

#rébellion Depuis le cataclysme électoral de 2002, les meilleures enquêtes sociologiques montrent que la défiance vis-à-vis des dirigeants politiques ne cesse de s’approfondir, mais que l’action collective protestataire paraît de plus en plus légitime. Il y a, hors du regard des médias presque tous tenus par l’oligarchie[35], une montée de la revendication de démocratie directe et un rejet de la « politique politicienne » qui ne remet pas en cause l’attachement de la plupart des Français aux valeurs démocratiques. En réalité, les Français veulent plus de démocratie, et ils la veulent sociale et plus participative.[36]

Se faisant volontiers provocateur, face à l’aveuglement et aux mensonges institutionnels qui sont fauteurs de violence, le sociologue Michel Maffesoli établit un lien de cause à effet entre la tendance de l’oligarchie de ce monde à la politique post-vérité et la guerre civile larvée qui est « un élément remarquable de l’époque ». En sociologue des bandes et des marginalités, il a compris que lorsque les « idées officielles » ne sont plus en accord avec l’existence, nous sommes confrontés à une « fiction de la représentation ». Dès lors, il n’est plus étonnant que se multiplient des actes de rébellion et de révolte.[37]

Au bout – au fond, plutôt – du quinquennat horrible de François Hollande, le temps de la rébellion est venu. Renversons l’ancien régime pseudo-républicain qui n’est que le coup d’État permanent de l’oligarchie. N’abdiquons plus notre souveraineté. Boycottons l’élection présidentielle et ranimons la démocratie !


[1] « Horrible quinquennat », ou « quinquennat d’horreur ».

[2] C’est, en 1992, dans un essai de l’écrivain américain Steve Tesich, publié par la revue The Nation, que le concept de « post-vérité » est apparu pour la première fois. Il y traitait de l’affaire dite de l’Irangate et de la guerre du Golfe. « Nous, en tant que peuples libres, avons librement choisi de vouloir vivre dans un monde de post-vérité », écrivait-il alors.

[3] Hannah Arendt, La Crise de la culture, Gallimard, coll. Folio, 1972, pp. 327 à 330, dans le chapitre « Vérité et politique ».

[4] Edwy Plenel, « Leur catastrophe, notre résistance », dans Mediapart, Sonnons l’alarme ! Faits & gestes de la présidence Hollande, Don Quichotte, 2017.

[5] Hannah Arendt, Crises of the Republic: Lying in Politics; Civil Disobedience; On Violence; Thoughts on Politics and Revolution, New York, Houghton Mifflin Harcourt, 1972. Du mensonge à la violence. Essais de politique contemporaine, Calmann-Lévy, 1972.

[6] Hannah Arendt, L’Humaine condition, Gallimard, coll. Quarto, 2012, pp. 840, 973, 1002.

[7] Hannah Arendt, Du mensonge à la violence (1969 et 1972), Calmann-Lévy, 1972, Pocket, 2002, pp. 8 et 9, et dans L’Humaine condition, Gallimard, coll. Quarto, 2012, p. 846.

[8] Philippe Breton, La Parole manipulée, La Découverte, 2000 et 2004. Du même auteur et dans le même sens, lire aussi L’Incompétence démocratique. La crise de la parole aux sources du malaise politique, La Découverte,2006.

[9] Dares Indicateurs, janvier 2017, n° 004, Pôle Emploi et ministère du Travail, de l’Emploi, de la Formation professionnelle et du Dialogue social (Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques / Dares). Synthèse qui ne tient compte que des catégories A, B et C de chômeurs, à l’exclusion des catégories D et E, pourtant considérables.

[10] Maëlle Fontaine et Michaël Sicsic, division Études sociales, INSEE, « Des indicateurs précoces de pauvreté et d’inégalités », 23 décembre 2015.

[11] Antoine Peillon, Résistance !, Seuil, 2016, pp. 179 à 183.

[12] Pierre Meneton, Serge Hercberg, Joël Ménard, “Unenmployment is associated with high cardiovascular event rate and increased all-cause mortality inmiddle-aged socially privileged individuals”, International Archives of Occupational and Environmental Health, I/2014.

[13] Olivia Recasens, « Le chômage tue 14 000 Français par an », Le Point, 4 février 2015.

[14] Les premiers travaux sur l’impact considérable des inégalités sociales, de la précarité et de la pauvreté sur la santé et l’espérance de vie datent de la fin des années 1960, aux Etats-Unis (A. Antonovsky surtout) et des années 1970 et 1980 en France (entre autres, Catherine Sermet, Morbidité et Conditions de vie, rapport du CREDOC, 1982 ; Andrée et Arié Mizrahi, « Mortalité, morbidité et soins médicaux des populations pauvres », Journal d’économie médicale, 1, 3, 1983, pp. 161-179 ; Jean-Daniel Rainhorn et François Grémy, La Progression de la précarité en France et ses effets sur la santé, Haut comité de la santé publique, éditions de l’ENSP, Rennes, 1998…). Cf., aussi, J. V. Johnson, E. M. Hall, “Job strain, work place social support, and cardiovascular disease”, American Journal of Public Health, 78, 1988, pp. 1336-1342 ; F. Otten, H. Bosma, H. Swinkels, “Job stress and smoking in the Dutch labour force”, European Journal of Public Health, 9, 1, 1999, pp. 58-61 ; E. Michel, E. Jougla, F. Hatton, « Mourir avant de vieillir », INSEE Première, n° 429, INSEE, 1996, et Communication du Dr Françoise Chastang (psychiatre) au congrès de l’Association pour la médecine du non-travail (ASNOTRA), en janvier 2000 (Viva. Le magazine mutualiste, n° 145, mai 2000, p. 44).

[15] Denis Robert, Vue imprenable sur la folie du monde, Les Arènes, 2013, pp. 232 et 233.

[16] Adrien de Tricornot, Mathias Thépot, Franck Dedieu, avec une introduction de Gaël Giraud, Mon amie, c’est la finance ! Comment François Hollande a plié devant les banques, Bayard, 2014.

[17] Michel Jacob, « La tentation Rothschild », Le 1, n° 133, 7 décembre 2016.

[18] Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot, Le Président des riches. Enquête sur l’oligarchie dans la France de Nicolas Sarkozy, La Découverte, 2010.

[19] Le Monde du 4 avril 2013.

[20] Attac et Basta !, Le Livre noir des banques, Les Liens qui Libèrent, 2015.

[21] François Denord et Paul Lagneau-Ymonet, Le Concert des puissants, Raisons d’agir, 2016, p. 36.

[22] Edwy Plenel, « Le putsch de l’État profond », Mediapart, 21 juin 2015.

[23] A cette époque, Alain Bauer est déjà visé par une enquête préliminaire, ouverte en décembre 2014 par le parquet national financier à la suite d’un article de Mediapart révélant qu’il avait profité de contrats de complaisance à la Caisse des dépôts et consignations.

[24] Le 27 juin 2014, il apparaît que Jean-Marie Le Guen a initialement sous-déclaré son patrimoine d’environ 700 000 euros à la Haute Autorité pour la transparence de la vie politique.

[25] Eric Decouty, Les Scandales de la Mnef. La véritable enquête, Michel Lafon, 2000.

[26] Pierre Péan, La République des mallettes, Fayard, 2011. Lire aussi « L’oligarchie dans la France de François Hollande », troisième chapitre de La Violence des riches (Zones / La Découverte, 2013) des sociologues Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot ; Hervé Kempf, L’oligarchie ça suffit, vive la démocratie, Seuil, 2011 et (coll. Points) 2013 ; Sophie Coignard et Romain Gubert, L’Oligarchie des incapables, Albin Michel, 2012, et La Caste cannibale, Albin Michel, 2014 ; Jack Dion, Le mépris du peuple. Comment l’oligarchie a pris la société en otage, Les Liens qui Libèrent, 2015. Pour une analyse sociologique profonde et décapante de la « structure du pouvoir » dans la France contemporaine, outre les livres Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot, lire François Denord et Paul Lagneau-Ymonet, Le Concert des puissants, Raisons d’agir, 2016.

[27] Des écoutes judiciaires permettent d’entendre Alexandre Djouhri se vanter d’avoir été invité à la table de François Hollande : « J’ai rendez-vous avec Hollande. Il faut que je t’en parle, ça y est, c’est fait », dit-il ainsi, le 27 février 2013, à un correspondant. Alexandre Djouhri raconte que Laurent Fabius (alors au Quai d’Orsay) et Manuel Valls (ministre de l’Intérieur) étaient présents lors de cette rencontre « classe de chez classe ». L’Élysée a démenti son existence.

[28] Eric Conan, Marianne du 10 septembre 2011.

[29] Mediapart, sous la direction d’Edwy Plenel, Sonnons l’alarme ! Faits & gestes de la présidence Hollande, Don Quichotte, 2017.

[30] Lire le fantastique et tellement actuel Du césarisme en France, par M. Jourdeuil, Librairie Muzard, 1871, téléchargeable sur le site de la Bibliothèque nationale de France : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k54535608

[31] Antoine Peillon, Ces 600 milliards qui manquent à la France, Seuil, 2012 ; « Le parquet national financier renvoie UBS en correctionnelle », La Croix, 4 novembre 2016.

[32] Antoine Peillon, Corruption, Seuil, 2014, pp. 71 à 82. Sur l’ensemble de l’affaire : Fabrice Arfi, avec la rédaction de Mediapart, L’Affaire Cahuzac. En bloc et en détail, Don Quichotte, 2013.

[33] Antoine Peillon, Résistance !, Seuil, 2016, les quatre premiers chapitres : « Vendredi 13 », « La destruction du renseignement », « L’hydre des Frères musulmans » et « Le piège salafiste ».

[34] Vincent Nouzille, Les Tueurs de la République : assassinats et opérations spéciales des services secrets, Fayard, 2015, et Erreurs fatales, Fayard et Les Liens qui Libèrent, 2017.

[35] Laurent Mauduit, Main basse sur l’information, Don Quichotte, 2016, et Aude Lancelin, Le monde libre, Les Liens qui Libèrent, 2016.

[36] Gérard Grunberg, Nonna Mayer et Paul M. Sniderman (dir.), La Démocratie à l’épreuve. Une nouvelle approche de l’opinion des Français, Presses de Sciences Po, 2002.

[37] Michel Maffesoli, Apocalypse, CNRS Éditions, 2009.