Par Valérie Jacq

Alors que le gouvernement et les médias tendent à criminaliser de plus en plus le militantisme écologiste, qualifiant certains mouvements d’« écoterroristes » et d’« extrémistes », j’ai voulu rencontrer des membres d’Extinction Rebellion (XR) pour comprendre leur fonctionnement. Loin de l’image d’une bande d’écervelés violents, reflétée par le pouvoir en place au service des industriels et de l’agriculture intensive, j’ai découvert une organisation aux pratiques démocratiques selon moi irréprochables et dans laquelle non-violence et bienveillance sont prônées et appliquées.

Action de XR à Dijon. DR

Prise de conscience écologique

A Dijon, XR connaît un succès inédit et révélateur. Depuis la dernière élection présidentielle, le nombre de ses membres ne cesse de croître : 15 à 20 personnes y rejoignent le mouvement chaque mois. Autre fait émergent : la grosse majorité des militants de XR ont moins de 30 ans. Pour le militant que j’ai interrogé, « cet engouement reflète l’”éco-anxiété” ressentie par les jeunes puisque le changement climatique ne prête plus à polémiques et que les décisions politiques, ou plutôt leur absence, échouent à inverser la tendance ». L’urgence est là et elle réclame l’action.

C’est précisément vers l’action qu’est tournée l’organisation. Elle est la base, l’alpha et l’oméga de ce qui réunit ses jeunes militants. « Se concentrer sur l’action évite, selon mon interlocuteur, beaucoup d’écueils : celui des égos exorbitants, des discussions à n’en plus finir, des infinies nuances de jugements qui finissent par déliter un mouvement. » Qu’importe, ici, qu’on adhère exactement à la même théorie politique ou sociale, le groupe est soudé autour de la prise de conscience écologique, la lutte contre la déforestation, la sauvegarde des écosystèmes… Les cibles communes sont le développement industriel, la consommation de masse, l’agriculture intensive… Tout ce qui menace notre planète au profit de certains… La seule solution est la décroissance ; les XR ne croient pas à la croissance verte, ni au développement durable, nouvelles ruses du marché.

Un autre principe qui structure l’organisation est l’absence absolue de hiérarchie : pas de chef, pas de domination, toutes les décisions sont prises au consensus et dès qu’on perçoit un égo trop envahissant, on le fait doucement redescendre, sans agressivité ni sanction parce que l’on sait que cela arrive, c’est la nature humaine, et le groupe ne juge pas.

Esprit de bienveillance

Lorsqu’une action est suggérée puis adoptée, on se met en ordre de marche. Les actions prennent entre 1 semaine et 3 mois de préparation. Tout doit être anticipé pour éviter les débordements et protéger les militants. Rien n’est laissé au hasard, de la logistique aux relations avec les médias, en passant par les aspects juridiques ou les relations avec la police.

Pour notre militant, « l’un des principes qui explique la réussite de nos actions et la solidité de notre groupe est la “bulle régénérative” ». Il s’agit de toujours veiller à l’état, physique et mental, de ses camarades. Pendant l’action, une équipe de militants va être chargée de s’occuper des autres : vérifier qu’ils ne manquent de rien, qu’ils n’ont pas besoin de faire une pause, qu’ils n’ont pas froid, faim, soif, peur… Cet esprit de bienveillance prévaut aussi en dehors de l’action : si l’on sent qu’un militant en fait trop, qu’il frôle le burn-out, on l’aide à prendre du repos et du recul. On est responsable les uns des autres. Cette solidarité tournée vers l’action est la clé du succès d’Extinction Rebellion.

« Écoterroristes » ? Certes, XR assume de s’en prendre au matériel et aux infrastructures qui mettent en danger les ressources naturelles. C’est effectivement un de ses moyens d’action. Un collectif de 1000 scientifiques n a-t-il pas appelé à la rébellion et à la désobéissance civile dans une tribune parue dans Le Monde du 20 février 2020 ? En revanche, s’en prendre aux personnes, physiquement ou verbalement, quel que soit leur statut, est strictement prohibé. Aucun affrontement n’est recherché avec la police ou les représentants des lieux occupés. Au contraire, en cas de tensions, certains militants vont être chargés de calmer le jeu, de chercher la discussion et l’apaisement. XR est donc bien une organisation non-violente, contrairement à ce que veulent faire croire certains médias et le gouvernement.

Enjeux liés à l’agriculture

Le mouvement revendique par ailleurs une inclusivité parfaite, « sans distinction ethnique, de classe, de sexe, d’handicap, d’identité sexuelle, d’âge, de revenus, quelles que soient ses compétences, ses origines, ses croyances, ou ses expériences du militantisme… » Là encore, on se concentre sur l’essentiel : l’urgence écologique. Les personnes portant des signes religieux distinctifs (voiles ou autres) sont les bienvenues, au même titre que le reste de la population pour rejoindre la lutte.

Un des points faibles de l’organisation réside, cependant, dans l’homogénéité de ses membres, pour la plupart étudiants ou diplômés vivant en milieu urbain. Pour prétendre à la massification de la prise de conscience écologique, il lui faudra s’implanter dans les campagnes et dans les banlieues. Sa présence en milieu rural est d’autant plus importante que la campagne est en train de devenir le terrain de jeu privilégié de multinationales avides de profiter des subventions allouées aux énergies renouvelables. Les enjeux liés à l’agriculture y sont également essentiels puisque le réchauffement climatique peut pousser certains agriculteurs à s’accaparer les ressources naturelles pour protéger leurs rendements, comme c’est le cas avec les méga-bassines.

Porteurs d’espoir

La relation des XR à la politique ? S’ils ne sont affiliés à aucun parti, ils dénoncent le fascisme et l’ultralibéralisme, et se revendiquent du côté des progressistes. Le militant interrogé confie que, pour lui, « le programme de l’Avenir en commun est le seul qui tienne la route écologiquement ». Les militants d’Extinction Rebellion demandent que les préconisations de la Convention citoyenne en matière d’écologie soient contraignantes, alors que le gouvernement n’en a retenu qu’une portion congrue.

Oui, des groupes comme Extinction Rebellion ou les Soulèvements de la terre sont porteurs de l’espoir de voir émerger des convergences constructives faisant fi de ce qui sépare pour se concentrer sur une vision commune, celle d’une planète où il fait bon vivre, où l’eau est buvable, l’air respirable, où l’on peut manger et boire sans risquer de s’empoisonner. Une planète où l’on peut se promener, fouler la terre, humer l’humus, cueillir des champignons, ramasser des baies, regarder les arbres, apercevoir des animaux sauvages… Par leur jeunesse, ils contredisent l’image souvent caricaturale d’une génération individualiste, narcissique et manipulée par les réseaux sociaux.

Valérie Jacq

[Note de la rédaction : L’enthousiasme manifeste de l’autrice de cet article pour Extinction Rebellion n’est pas forcément partagé par les autres membres du comité de rédaction du Jacquemart, lesquels sont néanmoins attachés au pluralisme interne de la publication.]