Le Père Noël est brûlé sur le parvis de la cathédrale de Dijon

Par Christine Renaudin-Jacques

Il y a 71 ans, le 23 décembre 1951, une effigie du Père Noël, considéré comme « un usurpateur » par le clergé conservateur, est brûlée en place publique à Dijon, sous les yeux médusés de centaines d’enfants.

L’effigie du Père Noël brûlé devant grilles de la cathédrale Saint-Bénigne, par les patronages catholiques. DR

« Pour nous, chrétiens, la fête de Noël doit rester la fête anniversaire de la naissance du Sauveur. » C‘est par ces mots que le clergé dijonnais justifie dans un communiqué d’avoir « brûlé le Père Noël » sur le parvis de la cathédrale Saint-Bénigne de Dijon. Y ajoutant cette explication : « Le Père Noël a été sacrifié en holocauste. À la vérité, le mensonge ne peut éveiller le sentiment religieux chez l’enfant. »

Beaucoup plus tard, le prêtre à l’origine de l’autodafé, Jacques Nourissat, racontera avoir eu cette idée après avoir vu défiler des Pères Noël faisant la publicité d’un grand magasin dijonnais.  « Pour nous qui étions sur la paille, c’était de la provocation »,a-t-il confié au magazine L’Obs, en 2009, peu avant sa mort en 2014. « Notre paroisse était la plus pauvre. Des femmes se prostituaient pour survivre, des hommes sortaient de prison. Pour eux, le Père Noël signifiait de l’amour gratuit, un don, alors forcément, celui qui faisait de la réclame pour le commerce, ça ne passait pas », déclarait alors le prêtre, surnommé le « curé des clochards » du fait de l’aide qu’il avait coutume d’apporter aux pauvres.

Le Père Noël : un païen à bannir !

L’initiative est locale, mais elle obtient néanmoins le soutien du clergé national. « Le porte-parole de l’épiscopat français a appuyé cette action symbolique sans ambiguïté », rappelle ainsi Philippe Poirrier, professeur d’histoire contemporaine à l’université de Bourgogne-Franche-Comté, à Dijon.

L’effigie du Père Noël brûlé devant grilles de la cathédrale Saint-Bénigne, par les patronages catholiques. DR

« Le Père Noël et le sapin se sont introduits dans les écoles publiques, alors qu’ils sont la réminiscence de cérémonies païennes qui n’ont rien de chrétiennes, tandis que, au nom d’une laïcité outrancière, la crèche est scrupuleusement bannie des mêmes écoles », déclarait, effectivement, le porte-parole de l’épiscopat dans le quotidien France-Soir du 24 décembre 1951.  Dans la plupart des Semaines religieuses, les bulletins diocésains, les évêques mettent alors leurs fidèles en garde contre une « laïcisation » de la fête de Noël. « Ne parlez pas du Père Noël, déclare le cardinal Saliège, archevêque de Toulouse, toujours en 1951, pour la bonne raison qu’il n’existe pas et qu’il n’a jamais existé. Ne parlez pas du Père Noël, car le Père Noël est une invention dont se servent les habiles pour enlever tout caractère religieux à la fête de Noël. »

Le chanoine Félix Kir (photo non datée), (1876-1968), député-maire de Dijon. DR

Mais le Père Noël a également ses défenseurs, le maire de Dijon en tête, qui n’est autre que le chanoine Kir : le prêtre-député, partisan d’un catholicisme social, « s’est désolidarisé du clergé local et a mis en œuvre une contre-manifestation », résume Philippe Poirrier. Dès le lendemain du bûcher, le 24 décembre 1951, le chanoine Kir ressuscite symboliquement le Père Noël en faisant apparaître un Saint-Nicolas sur les toits de l’Hôtel de Ville ! Depuis, la traditionnelle descente du Père Noël en rappel depuis la tour Philippe-le-Bon est née, pour l’émerveillement des petits Dijonnais.

Accusé Père Noël, levez-vous !

A Dijon et au niveau national, l’affaire fait grand bruit. La réprobation envers le clergé dijonnais est générale et les anticléricaux prennent la défense du Père Noël. Le 26 décembre, Carrefour, un hebdomadaire démocrate-chrétien, titre à sa Une : « Accusé Père Noël, levez-vous ! », opposant deux écrivains : le très catholique Gilbert Cesbron, pour qui « la crèche passe avant la cheminée », et le très anticlérical René Barjavel qui veut « laisser à l’enfance émerveillée son vieux magicien barbu ».

Mais la dispute dépasse aussi les frontières : l’agence américaine Associated Press y consacre une substantielle dépêche publiée dans le New York Times du 25 décembre 1951, sous le titre « Une ville française secouée par un conflit à propos du Père Noël ».

L’effigie du Père Noël brûlé devant grilles de la cathédrale Saint-Bénigne, par les patronages catholiques. DR

L’affaire inspire aussi largement le célèbre anthropologue Claude Lévi-Strauss, qui lui consacre un essai intitulé « Le Père Noël supplicié ».  « Ce n’est pas tous les jours, écrit-il dans Les Temps modernes, que l’ethnologue trouve ainsi l’occasion d’observer, dans sa propre société, la croissance subite d’un rite, et même d’un culte ».  Sapins illuminés dans les villes, hommes vêtus de costumes rouges…, « tous ces usages qui paraissaient puérils et baroques au Français visitant les États-Unis (…) se sont implantés et acclimatés en France avec une aisance et une généralité qui sont une leçon à méditer pour l’historien des civilisations », écrit-il donc en 1952.

Reste qu’au final, c’est le regard bienveillant de Françoise Dolto qui l’emporte, elle qui a été nommée première secrétaire du Père Noël quand son frère, le ministre des PTT Jacques Marette, a créé le secrétariat chargé de répondre aux lettres des enfants. Aux esprits chagrins qui l’avaient accusée d’encourager le mensonge, la psychanalyste avait répondu que l’important était ailleurs, le Père Noël étant d’abord un mythe empreint d’une poésie dont l’enfant se nourrit.

Les fêtes civiles de la Libre pensée

Les associations de libres penseurs, qui furent le fer de lance du mouvement laïque au XIXe siècle et au début du XXe, rassemblaient encore, à cette époque, quelque trente mille adhérents, dont d’éminentes personnalités, telles que Victor Hugo, Marcellin Berthelot ou Anatole France. Parallèlement à leur combat politique, elles eurent une importante activité culturelle. Elles établirent, notamment, un véritable programme de promotion des « Fêtes civiles », largement inspiré par celui des grandes fêtes de la Révolution et qui avait pour objet de laïciser les fêtes saisonnières autrefois christianisées.

Le député socialiste Marcel Sembat et le polytechnicien Jean Cotereau furent très actifs en la matière. Il s’agissait, pour eux, de procéder à une véritable réappropriation de ces manifestations, considérées d’abord comme d’ordre culturel. Leur effort principal a porté sur Noël. Leur argumentaire était simple, vif et radical : « Noël » était originairement une fête païenne[i], elle a été « volée » par les Chrétiens, il faut donc la laïciser.

Aujourd’hui, le Père Noël est bien ressuscité, qui tel le Phénix…

Je vous souhaite, au nom du Jacquemart, de joyeuses fêtes de fin d’année !

Christine Renaudin-Jacques


[i] Noël est, historiquement parlant, calé sur la célébration du solstice d’hiver, qui marque le point de départ de la « renaissance du soleil », le 21 décembre, jour le plus court de l’année dans l’hémisphère nord.