Par François Ernenwein
Le désengagement de l’État dans une partie significative du territoire est une évidence. Mais des initiatives pour combattre cet abandon et le ressentiment qu’il suscite se multiplient.

Paris désert, le 24 avril 2020 (confinement / COVID 19). Photo : Ishta
Qui n’ a pas constaté dans les campagnes française, le recul accéléré des services publics (hôpitaux, impôts, écoles, transports…), le maillage très insuffisant des opérateurs de télécommunication (nombreuses zones blanches pour Internet et la téléphonie mobile) sur fond de non-respect des délégations dont ils bénéficient, l’effacement des commerces de proximité par des logiques commerciales qui favorisent l’implantation de grandes surfaces standardisées à la périphérie des villes moyennes, souvent éloignées des communes rurales ? Cet abandon relatif s’amplifie quand le prix des carburants explose. En creusant les inégalités territoriales, le mouvement de concentration des richesses dans les grandes villes a accentué les fractures sociales.
Cet état des lieux ne peut être contesté, malgré des progrès comme ces maisons « France services » qui compensent souvent efficacement, à travers plus de 2000 guichets, le recul des services publics. Mais elles n’arrivent pas à consoler un sentiment de vide. Sur le terrain de la santé, par exemple, Denis Thuriot, le maire de Nevers (Nièvre), et à ce titre président du centre hospitalier de la ville, en est venu récemment à proposer de faire venir des médecins en avion depuis Dijon (Côte-d’Or). Situé à 2h30 minimum de Dijon en voiture, l’hôpital de Nevers, pourtant performant, n’arrive plus à attirer les médecins et les soignants dont il a besoin.
Un fort ressentiment
La métropolisation de la France est, sur ce plan, un échec et un aveuglement. Son coût, sur le plan environnemental et social, est explosif. Elle ne profite qu’aux élites politiques et culturelles, elle fait système et creuse encore les inégalités. Les villes (plus de 80% de la population française[1]) sont de plus en plus coupées du reste du territoire. Cette situation n’est que faiblement corrigée par l’État. Ce qui engendre une colère sourde (Gilets jaunes, entre autres), une prise de distance politique (abstentions records aux élections locales et nationales). Cette donne, devenue structurelle, aggrave les difficultés liées à la crise sanitaire. La montée de l’inflation provoque une amplification des colères, nourries par un fort ressentiment. « Pour l’exécutif, les hauts fonctionnaires, les barons régionaux, une partie de la France est dans l’ombre », remarque Pierre Vermeren[2].

Cette face sombre, incontestable et très documentée est pourtant en partie corrigée par des formes de résilience assez remarquables. Elles touchent presque tous les aspects de la vie sociale.
C’est sur cette force qu’il faudrait mettre l’accent – sans cacher les difficultés, ni les pesanteurs – pour tenter de sortir des impasses actuelles. Elle n’est bien sûr qu’une partie de la solution, qu’un petit correctif aux creusement des inégalités territoriales. Mais constitue une ressource appréciable en ces temps de manque dans les campagnes.
Malgré l’apparente stabilité de des territoires ruraux, cette résilience commence à être le vecteur de changements considérables, face au désengagement des pouvoirs publics. Les initiatives concernent tous les champs d’activité : agriculture, commerce, culture, tourisme, habitat, assainissement, environnement, soin et dépendance du grand âge. Face au sentiment d‘abandon, le monde rural commence à s’organiser. Mais le ressort principal (proximité, solidarité affinitaire, logique de l’entre soi…) ne suffit pas à élargir systématiquement la portée des changements qui se heurtent souvent à la résistance d’élus locaux ou nationaux qui ne voient pas toujours d’un bon œil la multiplication d’initiatives dont la plus-part échappe à leur contrôle…
Encourager les liens de confiance
La pandémie de Covid a pourtant ébranlé les certitudes d’une métropolisation à bout de souffle. Elle a aussi encouragé des interrogations sur le modèle économique dominant chez un nombre croissant d’actifs, frappés par un fort sentiment de déclassement.
Faute d’une prise en compte de cette nouvelle donne et à cause d’un refus de valoriser les formes de créativité politique et sociale qui n’entrent pas dans les poncifs libéraux dominants, rien ne change vraiment. Le néo-libéralisme, urbain par nature, encourage la conservation des hiérarchies territoriales existantes et la privatisation des espaces communs. Il encourage aussi la résignation – très présente dans les campagnes -, une modestie injustifiée ou des complexes démesurés.

Sur ce socle, il faut encourager les liens de confiance entre élus et entrepreneurs locaux, entre nouveaux arrivants et résidents plus anciens, le maintien des investissements de l’État – au prix, parfois, de redéploiements -, le développement des connexions Internet, le refus déterminé de l’hyperspécialisation agricole et le soutien à la transformation des productions sur place. La liste n’est pas exhaustive, mais elle sert de socle à de belles réussites.
Il faut casser le plafond de verre !
Pierre Vermeren cite un propos entendu en Creuse : « On a un truc génial ici, on a un retard d’avance. » Partout, les élus devraient mieux s’en rendre compte.
Lire aussi :
- Vincent Grimault (journaliste à Alternatives économiques), La Renaissance des campagnes. Enquête dans une France qui se réinvente, Seuil, 2020
- Jean-Pierre Rioux , Nos villages. Au cœur de l’histoire des Français, Tallandier, 2019
François Ernenwein
Une première version de cet article est parue dans l’hebdomadaire Réforme, le 1er décembre, sous le titre « Les impasses de la métropolisation ».
Pascale Fautrier signale : Pascal Diebie, Le Village métamorphosé. Révolution dans la France profonde, Plon, collection « Terre humaine », 2006
[1] https://www.insee.fr/fr/statistiques/4806684
[2] Pierre Vermeren, L’impasse de la métropolisation, Gallimard / Le Débat, 2021