Place de la République, à Dijon
Sans aucune démagogie,
garantir le droit à la sûreté !

Illustration (Paris, le 16 novembre 2019). Photo : © ISHTA
Le sujet, dont la gravité n’autorise aucune démagogie ni polémique outrancière, est chronique : la place de la République est le lieu nocturne de graves agressions et de violences à répétition, pour reprendre en substance la déclaration du nouveau préfet de Côte-d’Or, Franck Robine, le lundi 7 novembre, trois semaines seulement après sa prise de poste à Dijon.
Grâce à la presse, ce grave problème est connu aujourd’hui de tous, et il est pris au sérieux par la Ville. En témoigne l’intervention de Nathalie Koenders, première adjointe du maire assumant, entre autres, la délégation « tranquillité publique », au micro de France Bleu Bourgogne, le 20 septembre dernier : « La place de la République a toujours été très animée, avec des problèmes de tranquillité et de sécurité publique qui se sont accentués ces dernières années, notamment après le Covid, pour plusieurs raisons. On voit des phénomènes nouveaux apparaître avec des rixes, avec des bandes qui ont plutôt des comportements de prédateurs, et puis amplifiés aussi avec les réseaux sociaux… »
De même, le nouveau préfet de Côte-d’Or, ancien conseiller sécurité du Premier ministre Jean Castex, n’a pas tardé à s’exprimer de façon martiale sur le sujet (Le Bien public, 7 novembre 2022) : « Je le dis avec force : la rue n’appartient pas et n’appartiendra jamais aux voyous. (…) En constatant l’extrême gravité de certains faits commis récemment sur cette place, ainsi que leur répétition, j’ai demandé au nouveau directeur départemental de la sécurité publique, en accord complet avec François Rebsamen, maire de Dijon, et le procureur de la République, la mise en place d’un plan d’actions et de reconquête de la place de la République à Dijon. Je pèse mes mots. »
Dans le sillage de ce coup de menton, le maire de Dijon ajoutait : « Il faut revenir à une meilleure régulation de la vie nocturne à Dijon. Il n’est pas normal que l’on puisse manger des kebabs à 4 heures [du matin]. (…) Il faut faire cesser ces agissements liés à des comportements totalement inappropriés et très dangereux sur cette place (…). Tous les établissements qui s’apparentent à des restaurants – kebabs et autres – ne resteront pas ouverts après 1 ou 2 heures [du matin]. »
Ces deux derniers propos, dont certains termes ne sont pas décents (« reconquête », « kebabs ») ni responsables, masquent mal l’incurie, jusqu’ici, des autorités compétentes en matière de « sécurité publique » : l’État, donc la police nationale, en première instance. Car, du côté des collectivités locales (Ville et Métropole), les réels efforts budgétaires et juridiques ont manifestement atteint leur seuil de capacité : présence d’une police municipale augmentée jusqu’à 3 heures du matin, sur le terrain ; arrêtés municipaux pour interdire la vente d’alcool après 21 heures en épiceries ; gardiens privés sur les deux demi-lunes de jardins publics ; mais aussi réunions de concertation avec l’Union des commerçants du quartier République… En revanche, force est de constater que le département de Côte-d’Or a longtemps délaissé sa mission de prévention spécialisée, reprise depuis peu par Dijon Métropole.
Illustrations (Paris, janvier 2019 à juin 2020). Photos : © ISHTA
Le sujet si important de la sûreté ne peut donc se discuter qu’en profondeur et dans le respect soucieux des acteurs de bonne volonté.
Aussi, en prenant le recul nécessaire, il nous apparaît clairement que la dégradation progressive de la sûreté sur la place de la République, comme dans tout l’espace public français, où les crimes et délits sont en « nettes hausses », notamment les atteintes physiques portées à la personne, ou les coups et blessures volontaires hors cadre intrafamilial, a plusieurs causes sur lesquelles les collectivités locales n’ont aucune prise réelle et parmi lesquelles l’usage et le trafic de stupéfiants pèsent lourd.
En revanche, la responsabilité de l’État et donc des gouvernements successifs depuis le premier quinquennat de Nicolas Sarkozy (2007-2012), voire depuis 2003 (N. Sarkozy étant ministre de l’Intérieur) est flagrante. Liquidation de la police de proximité (la « polprox » théorisée au congrès socialiste de Villepinte, en 1997, et mise en œuvre sous les gouvernements de Lionel Jospin), démobilisation continue de la police judiciaire (laquelle touche le fond aujourd’hui !) et même déstabilisation du renseignement, sans parler de tous les services de contrôle et de répression de la criminalité financière…, une note récente de la Cour des comptes a dressé, sous le titre « La gestion des ressources humaines au cœur des difficultés de la police nationale » (novembre 2021), un bilan sans concession :
- « Après des réductions d’effectifs à partir de 2008, la police nationale a bénéficié de trois plans de renfort, lancés après les attentats de 2015. Néanmoins, les résultats qu’elle affiche, en termes de présence sur le terrain ou d’élucidation des faits de délinquance, ne montrent pas d’amélioration significative et tendent même à se détériorer sur la période. » De fait, entre 2010 et 2020, la masse salariale de la police a augmenté de 21 %, mais sa présence sur le terrain a diminué et le taux d’élucidation des affaires judiciaires stagne, voire se dégrade pour des faits graves.
- Les recrutements massifs de ces dernières années ont à peine compensé les nombreux départs en retraite, dont certains ont été anticipés par l’effet de l’accumulation d’heures supplémentaires converties en congés. En dix ans, les effectifs policiers n’ont donc progressé que de 1 %. Dans le détail, certaines missions de police ont même perdu des postes. C’est le cas des policiers affectés dans les services de « sécurité et paix publique » où les effectifs ont baissé de 10 % en dix ans (51 494 ETPT en 2010, 47 837 en 2015, 46 229 en 2020).
- La baisse des effectifs de voie publique est corroborée par un autre indicateur : le taux d’engagement des effectifs sur le terrain. Les magistrats financiers notent depuis 2011 « une baisse continue de la présence sur la voie publique », avec un taux d’environ 39 % cette année-là à un peu moins de 37 % en 2020.
- Sur le travail judiciaire des policiers, les observations des magistrats financiers sont tout aussi corrosives. « La police judiciaire, qui doit faire face à 3,9 millions de procédures par an, est également en difficulté, remarquent-ils. Elle n’attire plus les policiers confirmés et ses résultats sont marqués par un faible niveau d’élucidation des délits de bas et milieu de spectre, correspondant pour nos concitoyens à la délinquance du quotidien. »
- Concernant la délinquance économique et financière, les services spécialisés ne prennent en charge que 2 % des affaires, relève la Cour des comptes. Le reste revient aux commissariats. « Or le faible niveau de formation des enquêteurs de ces services sur cette thématique engendre des taux de réponse très faibles aux plusieurs centaines de milliers d’affaires enregistrées par les parquets. »
- Les magistrats financiers observent enfin que les taux d’élucidation des affaires, « même s’ils constituent un indicateur imparfait, sont révélateurs des difficultés de traitement des infractions par les services judiciaires de proximité ». Ce taux stagne par exemple autour de 10 % concernant les cambriolages et passe de 67 % à 62,6 % en dix ans concernant les homicides…
Au-delà de ce bilan catastrophique, dont certains aspects ne peuvent que nous interroger sur les fins poursuivies par les derniers gouvernements, il nous semble impératif d’affirmer que le rétablissement du droit à la sûreté est à la portée d’une politique saine et volontariste fondée sur une « justice efficace » et une « police républicaine », telles que formulées par L’Avenir en commun, le programme de l’Union populaire publié à l’occasion de l’élection présidentielle d’avril 2022, et son livret thématique, Sécurité et sûreté : refonder le service public de la police.
En voici quelques points essentiels, synthétisés par le « Programme partagé » de la Nouvelle Union populaire, écologique et sociale / NUPES (mai 2022), en réponse à la problématique particulière de la place de la République à Dijon autant qu’aux nécessités civiles nationales :
- Augmenter les moyens de la justice, recruter et former davantage de fonctionnaires : magistrats, greffiers, agents de la protection judiciaire de la jeunesse et de l’administration pénitentiaire ;
- renforcer l’indépendance de la justice, notamment du parquet, vis-à-vis de l’exécutif ;
- lutter contre la délinquance financière ;
- lutter contre l’impunité des agresseurs sexuels et la correctionnalisation des viols en les considérant systématiquement comme des crimes ;
- rétablir la police de proximité : refonder les missions de la police nationale pour assurer le lien avec les populations, (…) répartir les effectifs de façon à assurer l’égalité entre les territoires, en concertation avec les communes ;
- renforcer les moyens de la police judiciaire, doubler les effectifs de la police technique et scientifique ;
- augmenter les effectifs en charge de la délinquance financière, du trafic d’êtres humains et du démantèlement des réseaux mafieux ;
- construire de nouveaux centres d’activités de police assurant notamment la présence de la police de proximité ;
- renforcer les logiques de prévention, notamment les moyens humains de la prévention spécialisée ;
- améliorer les conditions de travail des policiers et des gendarmes, notamment les locaux et équipements, l’accompagnement psychologique et administratif, garantir leur droit effectif aux congés, mettre fin aux « primes exceptionnelles » à la place des augmentations de salaires…
A Dijon, place de la République comme dans tous les quartiers, de même que dans l’ensemble de notre pays, il n’y a aucune fatalité à subir agressions, violence, trafics et incivilités insupportables.
Clairement et nettement, nous réaffirmons que « la sûreté, droit naturel et imprescriptible inscrit à l’article 2 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, est le principe fondamental qui guide notre conception du service public que sont les différentes missions de police ».
Sans aucune naïveté, mais sans déviation sécuritaire, nous refonderons, lorsque nous accéderons au pouvoir, la politique de sécurité publique sur la base du triptyque « prévention, dissuasion, sanction », triptyque d’ailleurs invoqué par Nathalie Koenders, le 20 septembre dernier, au micro de France Bleu Bourgogne.
Nous renforcerons drastiquement la police judiciaire pour avoir une véritable filière d’investigation respectueuse des droits et libertés, sous le contrôle des magistrats et remontant jusqu’aux têtes des réseaux et trafics.
Nous pourrions ajouter à ces déclarations des dizaines d’autres, tout autant nécessaires à la paix civile et à la sûreté de chaque personne, qui ont fait l’objet d’un travail expert collectif considérable durant plusieurs mois et qui sont consultables dans les programmes articulés de la NUPES et de la France insoumise (L’Avenir en commun + livret thématique) déjà cités.
Antoine Peillon
Membre du Parlement national de la NUPES
Membre expert du groupe thématique « Sécurité et sureté » de LFI
Candidat LFI / NUPES dans la 1re circonscription de Côte-d’Or (législatives 2022)
PS : Lire aussi cette expertise d’Intérêt général : « Mettre la République en sûreté – épisode I, Penser la police au service du peuple », note #17, mai 2021. Et, de l’ami François Thuillier, « Le terrorisme nous a appris tant de choses ».