
Stèle à la mémoire de fusillés pour l’exemple à Suippes (Marne)/ DR
Par Christine Renaudin-Jacques
Une fois de plus, nous étions présents ce dimanche 6 novembre, place de la République, à Dijon, au rassemblement pacifiste pour la réhabilitation collective des 639 « fusillés pour l’exemple » de la guerre 1914-1918
Cet évènement était initié par les organisations suivantes : Association départementale des Déportés Internés Résistants et Patriotes de Côte-d’Or (ADIRP 21), Association nationale des anciens combattants et ami(e)s de la Résistance (ANACR), Association nationale des cheminots anciens combattants de Côte-d’Or (ANCAC 21), Association républicaine des anciens combattants de Côte-d’Or (ARAC 21), Cercle Marcel Martinet de la Libre Pensée, Institut d’histoire sociale de la CGT Côte-d’Or (IHS-CGT 21), Fédération départementale de la Libre Pensée de Côte-d’Or, Libre Pensée de Dijon-Henri Barabant et Mouvement de la Paix Dijon et Côte-d’Or.
Grâce à leur mobilisation et à leur ténacité, ces associations ont réussi, au fil des années, à obtenir le soutien de certaines collectivités locales de Bourgogne-Franche-Comté, par le vote de vœux (communes, conseil général, conseil régional). En Côte d’or, ce fut le cas notamment des communes de Talant, Marsannay-La-Côte, Chenôve et Dijon…
Victimes d’une justice expéditive
En 2022, c’est une petite révolution qui s’est déroulée dans l’hémicycle de l’Assemblée nationale, dans la nuit du 13 au 14 janvier. Par 39 voix contre 26 (et 9 abstentions), les députés ont adopté une proposition de loi, en première lecture, en vue de réhabiliter les poilus de la Première Guerre mondiale « fusillés pour l’exemple ». Cela concerne 639 soldats passés par les armes entre août 1914 et l’armistice de 1918. Un grand pas fut franchi par le dépôt de cette proposition de loi (proposition de loi nº 4636 visant à réhabiliter les militaires « fusillés pour l’exemple » durant la Première Guerre mondiale enregistrée à la Présidence de l’Assemblée nationale le 3 novembre 2021 par Bastien Lachaud, député LFI de la 6ème circonscription de Seine-Saint-Denis).
« La Nation reconnaît que ces soldats ont été victimes d’une justice expéditive, instrument d’une politique répressive, qui ne respectait pas les droits de la défense et ne prenait pas en compte le contexte de brutalisation extrême auquel les soldats étaient soumis », précise le texte. Si le texte de loi adopté au Palais-Bourbon est validé par le Sénat, les noms des « fusillés pour l’exemple » français seront inscrits aux monuments aux morts et un monument national leur sera érigé.
Pour que l’injustice soit réparée, c’est donc au Sénat désormais de la voter dans les mêmes termes.
État d’obéissance
A la veille du 11 novembre, date de commémoration de la signature de l’armistice de 1918 et au moment même où les guerres continuent à gronder dans le monde entier, il est nécessaire de réaffirmer l’exigence de la réhabilitation des 639 « fusillés pour l’exemple » de 14-18.
« Un soldat fusillé pour l’exemple » désigne un militaire exécuté après décision d’une juridiction militaire intervenant non seulement dans un cadre légal pour un délit précis, mais aussi dans un souci d’exemplarité visant à maintenir les troupes en parfait état d’obéissance. Les motifs invoqués par l’armée sont divers : refus d’obéissance, mutilations volontaires, désertion, abandon de poste devant l’ennemi, délit de lâcheté ou mutinerie. La participation à des combats particulièrement sanglants et à la dureté de la vie quotidienne sur le front sont probablement les deux principaux facteurs qui peuvent expliquer que certains soldats se soient retrouvés devant le peloton d’exécution.
Et la réalité, c’est que certains soldats ont été victimes d’une justice implacable, inhumaine et il n’est pas impossible que les condamnations à mort aient visé parfois des soldats acquis aux idées pacifistes ou encore des hommes qui avaient perdu la tête ou qui étaient désorientés. Parce qu’en 1914, on considère que la guerre n’est pas à l’origine de la folie mais que la folie est héréditaire !
Sans état d’âme
La base de données des Fusillés de la Première Guerre mondiale comprend 835 soldats et 174 civils. 660 des 835 soldats sont nés en France métropolitaine, 100 sont nés dans des colonies françaises ou des territoires non métropolitains, et 75 sont originaires de pays étrangers (Allemagne, Russie, Suisse, etc.). Parmi les 174 civils, il y a 9 femmes (dont la célèbre Mata-Hari).[1]
Ces hommes étaient plutôt jeunes. Près des deux tiers d’entre eux avaient entre 21 et 30 ans en 1914. Près de 70 % d’entre eux ont été fusillés pour « abandon de poste » ou « désertion ».
Six soldats venaient de Côte d’Or, dont un seul a été réhabilité à ce jour.
Exécutés, déshonorés et jamais réhabilités, les « fusillés pour l’exemple » de la Grande guerre, sont de ceux qui se sont opposés à l’absurde ou ont tout simplement faibli devant l’horreur. Des maçons, des pâtissiers, des postiers, des soldats malgré eux qui ont dû affronter la boucherie de 14-18. Des hommes jugés par des cours martiales aux pouvoirs étendus, une justice expéditive qui ne laissait aucune chance aux condamnés de se défendre ou de faire appel. Ces hommes étaient souvent exécutés dès le lendemain de la sentence. Fusillés pour l’exemple, selon la volonté d’un commandement sans état d’âme face à la faiblesse humaine, face à l’absurdité de cette guerre ou parfois pour un « délit de sale gueule ».
Rendez-vous avec l’Histoire
J’avais espoir, nous avions espoir que les grandes commémorations du centenaire de l’Armistice, en 2018, porteraient une réhabilitation totale et collective de ces fusillés. Il n’en a rien été, rien !
Plus de cent ans après cette Armistice, les noms de ces hommes qui se sont battus dans les tranchées, parfois avec bravoure, et qui ont affronté l’ennemi, comme les autres, ne sont toujours pas gravés sur les monuments aux morts. Pire, ils sont encore couverts de honte et d’infamie.
La France a raté son rendez-vous avec l’Histoire, là ou d’autres pays ont su briser le tabou. Je pense notamment au gouvernement britannique qui, en 2006, a réhabilité, par voie législative, 306 soldats fusillés pour « lâcheté ou abandon de poste ». Un monument est érigé pour leur rendre hommage avec une statue représentant un soldat attaché, les yeux bandés et des piquets de bois portant le nom des victimes.
La France du XXIe siècle – je ne dis pas « notre France » – s’honorerait à reconnaître sa faute d’alors, plutôt qu’à se voiler la face sur les aspects sombres de son Histoire.
La conscience de sa réalité historique ne diminue pas un peuple ou un pays, elle le rend plus grand et plus fort pour faire face à son devenir.
Pour conclure, je ne trouve rien de mieux que de citer le « Tu n’en reviendras pas » d’Aragon :
Déjà la pierre pense où votre nom s’inscrit
Déjà vous n’êtes plus qu’un nom d’or sur nos places
Déjà le souvenir de vos amours s’efface
Déjà vous n’êtes plus que pour avoir péri
Christine Renaudin-Jacques
Dijon, le dimanche 6 novembre 2022
[1] Données recueillies dans la base de données des Fusillés de la Première Guerre mondiale du Ministère de la Défense, accessible sur le site Internet « Mémoire des hommes »