Par Nicolas Revermont
Publié aussi le 25 juin 2024 / Marianne
Nicolas Revermont, pseudonyme d’un haut fonctionnaire, analyse l’évolution autoritaire du macronisme et son effondrement politique.

Salle des Fêtes de l’Élysée, mai 2017. © DR
Depuis le 9 janvier, un vent de panique souffle sur les troupes du bloc central qui se demande où et à quoi se raccrocher. Il a cru jusqu’au dernier moment qu’il ferait main basse sur Place publique, d’où sa rage à l’égard de Raphaël Glucksmann, auquel les idéologues du « parti intérieur » (Orwell ) font désormais la leçon, quand ils ne l’insultent pas. À droite, la désertion de Ciotti a plongé les députés LR dans un abîme stratégique mais il ne les a pas rapprochés de l’extrême centre – d’où la violence de Philippe et Le Maire envers le président : le ralliement de LR est vital pour eux s’ils veulent ne serait-ce que survivre à l’après-Macron.
La diabolisation des « extrêmes » paraît donc être la seule option du bloc central. Attal s’y emploie avec une virulence loin de la modération chère au cercle de la raison. Mais cette stratégie risque d’être peu payante car usée après 7 ans de macronisme où, justement, ce qui s’est essoufflé, voire éteint, est cette légitimité du centre face à ses marges. Car le centre ne peut transformer ses « marges » en « extrêmes » que s’il est puissant, conquérant, hégémonique, et non pas lorsqu’il se rétracte et se raidit, se vide de ses composantes, et devient repoussoir.
Macron, à droite toute ?
Mais agiter la menace des « extrêmes » pour élargir le bloc central vers la droite et la gauche est-il vraiment efficace ? En 2022, Macron avait déclaré que le report de la gauche au second tour l’obligeait. Toutes les composantes de la gauche politique et syndicale ont vu de quoi il en retournait au moment de la loi sur les retraites et la réforme de l’assurance-chômage. Les caciques du PS peuvent bien blâmer le Nouveau Front populaire, le fait est qu’ils n’ont plus d’autre choix que d’y entrer ou de rejoindre Macron.
Que reste-t-il donc au bloc central, à l’extrême centre, à l’espace macronien pour espérer ne pas sombrer les 30 juin et 7 juillet ? La crédibilité économique ? Mais qui accorde encore du crédit à Bruno Le Maire tout à la fois le sauveur autoproclamé de l’économie et le fossoyeur des finances publiques ? La défense de la démocratie contre le totalitarisme ? La verticalité présidentielle qui gouverne avec la matraque et le 49-3 peut difficilement passer pour son rempart. Le centrisme de la raison contre la démagogie des opposants ? Pour un régime qui s’est à ce point droitisé sur un plan économique, social, sociétal, etc., la notion de centrisme ne paraît plus revêtir qu’un sens strictement spatial. La vérité politique du moment est que l’extrême centre n’a qu’une issue : à droite toute !
Il est en effet à peu près certain qu’aucune majorité absolue n’émergera du vote des 30 juin et 7 juillet et que les compromis tant recherchés depuis 2022, mais jamais réalisés, seront encore plus rares voire impossibles avec une augmentation des sièges de la gauche et du RN. On ne voit pas quel Premier ministre, ou quelle Première ministre, pourrait tenir plus de quelques semaines avec un Macron plus intrusif que jamais et une Assemblée disloquée par un surcroît d’antagonisme politique. La seule option pour le bloc central pour continuer à gouverner est de le faire avec le RN. Mais est-ce que ce n’est pas sa pente naturelle ? Macron théorise depuis 2017 une pratique du pouvoir comme enjambant la République, les Français ne s’étant selon lui jamais remis d’avoir coupé la tête de leur roi. Il a cité à maintes reprises Maurras et Pétain, affiché sa complaisance envers les médias d’extrême droite. Il n’a jamais assumé les idéaux républicains que sont l’égalité et la fraternité. Sa « République » n’a pas de contenu politique et social. La laïcité n’est invoquée que pour légitimer la croisade contre le « séparatisme ». Depuis 2022, l’heure est au discours autoritariste, notamment à l’école : l’uniforme, le SNU, la police du vêtement, etc.
Dédiabolisation du RN
Depuis 2022, Macron tente une synthèse de ses penchants libertariens en économie et autoritaires-conservateurs sur le plan sociétal. L’ordre et le marché, la matraque et le business. Dans les deux cas, la mise au pas de la contestation, de la manifestation. Mise au pas dans les lieux du débat (Assemblée), dans les médias (évanescence d’une parole réellement dissidente), dans les rues (répression et nasses). Macron se rêverait-il en Milei à la française avec une tronçonneuse dans les mains ?
Les conséquences des massacres du 7 octobre en Israël et la riposte hors de toute proportion du gouvernement de Netanyahu ont créé les conditions d’une dédiabolisation du RN, d’ailleurs commencée au lendemain des élections législatives de 2022 avec le soutien du parti du président de candidats RN à la vice-présidence de l’Assemblée nationale. L’absolution générale accordée à l’identité historique familiale du RN, particulièrement sur ce qui a toujours été son péché originel, son antisémitisme, est fascinante. Désormais, depuis le 7 octobre, l’antisémitisme est à gauche. Cette nouvelle stratégie de diabolisation permet à nouveau au bloc central de se poser en rempart contre l’extrémisme.
Les propos de Serge Klarsfeld à propos du RN (parti le mieux à même selon lui de protéger les juifs de France), l’aveu des Bellamy/Finkielkraut selon lesquels en cas de second tour nouveau front populaire/RN ils voteront RN, la propagande médiatique quotidienne qui fait de la France insoumise le nouveau parti antisémite, etc., tout converge non seulement pour achever la banalisation du RN, lui accorder toute sa place dans l’« arc républicain », mais aussi pour préparer une nouvelle alliance politique, un contrat de gouvernement. Le RN l’a bien compris, qui abjure depuis le 9 juin toutes ses mesures sociales (retraites, chômage, Smic).
Manager toxique
Cette convergence que le thème de l’antisémitisme autorise (transfert de diabolisation du RN vers le NFP) s’explique pour une seule raison : le NFP est une réelle menace pour la pérennité de l’extrême centre au pouvoir et du bloc bourgeois qui le sous-tend et le soutient sans faille depuis 2017. Le RN ne l’est pas du tout et peut même être vu comme l’amorce d’une nouvelle synthèse de l’ordre et du business, du populisme anti-élites et de l’expertocratie macronienne. La décision de Macron de dissoudre est donc parfaitement réfléchie. Il est d’ailleurs content de sa « grenade » ; il a « pris son risque » ! En manager toxique, il met sous tension son équipe qui joue sa survie. Si elle n’est pas assez performante, il changera alors d’appui pour poursuivre l’œuvre de liquidation. Pour cela, une seule tactique : délégitimer, au besoin en la criminalisant, la contestation civique et populaire. Et si cela ne marche pas, il restera l’article 16, fait-on savoir. L’article 16 ! Les pleins pouvoirs au président ! Le rêve secret de ce second quinquennat ?
Les élections des 30 juin et 7 juillet seront-elles le chant du cygne ou l’épiphanie du macronisme. Sa mort ou sa réalisation ? Tel est le pari du président, pari dicté par l’hybris de la transgression. Héraclite dit qu’« il faut éteindre la démesure plus encore que l’incendie ». Car la démesure se nourrit d’elle-même.
Déjà publié dans Le Jacquemart – Basculement dans l’absolutisme. Les tribunes de Nicolas Revermont
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