Le Jacquemart, dont l’espoir d’une paix juste et durable au Proche-Orient (cf. notre éditorial « Paix ! Sans cesse, encore et toujours… ») se nourrit des informations les plus rigoureuses et des analyses les moins complaisantes vis-à-vis de tous fauteurs de guerre (cf. notre analyse « « Au nom de Dieu ! » La guerre apocalyptique du Hamas et de Netanyahou »), propose, aujourd’hui, la lecture des tribunes de Yigal Palmor et Élie Barnavie, diplomates, entre autres qualités, qui sont deux des plus importantes personnalités de la gauche israélienne et qui nous éclairent sur les voies possibles et souhaitables de la fin de la guerre de Gaza.

I / Pour un avenir de compromis et de coopération entre tous les enfants d’Abraham
Par Yigal Palmor / directeur des relations internationales et conseiller en politique étrangère auprès de la présidence de l’Agence juive [tribune publiée le 6 janvier 2024 dans The Jerusalem Post / traduction Le Jacquemart]
L’avenir de Gaza après la guerre : beaucoup de questions, peu de réponses – opinion Israël ne sera pas en mesure de gérer Gaza seul, et il ne le devrait pas non plus. Alors que va-t-il se passer ?
Cela ne se fera peut-être pas en un jour, ni lors d’une cérémonie solennelle, mais cette guerre prendra fin à un moment donné. Peut-être brusquement, grâce à un accord de cessez-le-feu négocié avec acharnement. Ou peut-être que cela s’arrêtera lentement dans une série espacée de raids et d’incursions.
Mais cela prendra fin et, même si cela fait partie de notre passé, la vie continuera demain et demain et demain.
Où sera désormais Israël sur la scène internationale, dans le grand jeu des nations ?
Il faut espérer que le Hamas aura perdu sa puissance militaire et ses outils terroristes. Espérons que les ruines fumantes de bunkers et de tunnels seront l’héritage de leur stratégie perverse. Mais si le Hamas perd ses armes, il ne perdra pas son armure. Équipé et financé par l’Iran, parrainé et financé par le Qatar, légitimé et adulé par la Turquie, le Hamas bénéficiera toujours d’un large soutien international pour couvrir tous ses crimes, et plus encore.
Israël ne sera pas en mesure de gérer Gaza seul, et il ne le devrait pas non plus. Gouverner Gaza et gérer la vie quotidienne de ses habitants n’est pas une mission qu’Israël devrait entreprendre ni un fardeau que les Gazaouis voudront supporter. Gaza, sous le Hamas, est devenue une plaque tournante d’intrigues et d’intérêts internationaux, ce qui aurait pu la rendre fascinante si elle n’avait pas été aussi brutalement violente. L’Autorité palestinienne, dirigée par un président sur le point de prendre sa retraite par la force de la nature et au bord d’un conflit de succession inéluctable, n’y parviendra tout simplement pas. Seule une coalition multiforme pourra conduire la bande de Gaza vers une situation politique et économique stable qui pourrait redonner un peu d’espoir à ses habitants et à leurs voisins.
Mais qui participera à cette coalition des volontaires ?
À qui Israël peut-il faire confiance pour gérer Gaza lorsque la guerre avec le Hamas sera terminée ?
La scène internationale, déjà polarisée par les tensions croissantes entre la plupart des principaux acteurs [les « grandes puissances »], est devenue incontrôlable depuis l’invasion de l’Ukraine par la Russie. La Chine a choisi de se tenir aux côtés de son vieil ennemi russe, pleinement soutenu par l’Iran, tandis que l’UE a pris des mesures résolues pour se distancier de Moscou et soutenir l’Ukraine, la Turquie jouant par intermittence les deux cartes…
Qui pourrait être enclin à s’engager dans une coopération inter-alliances ? Et à qui Israël peut-il faire confiance ?
Il semble inévitable que les Gazaouis rejetteront toute intervention d’acteurs jugés non-légitimes. En fin de compte, ils ne pourraient conférer une légitimité qu’à leurs compatriotes arabes, ce qui, après tout, est logique. De toute évidence, l’implication de régimes modérés tels que l’Égypte, la Jordanie, les Émirats arabes unis, le Maroc, Bahreïn et l’Arabie saoudite sera nécessaire, quelle que soit la forme que prendra leur contribution. Mais dire qu’ils sont actuellement désireux de s’impliquer serait tout à fait illusoire.
L’UE avait officiellement déclaré son soutien à la démilitarisation de Gaza en 2014, lors de l’opération « Bordure protectrice ». Et ses dirigeants revendiquaient, à plusieurs reprises, qu’ils « voulaient être un acteur, pas seulement un payeur ». Mais présumer qu’elle assumerait volontiers, aujourd’hui, la responsabilité de l’administration de Gaza revient à sous-estimer le triste héritage de l’infortunée mission d’assistance au poste frontière de Rafah (EU-BAM), sans parler des dissensions et désaccords internes endémiques concernant le conflit israélo-palestinien, parmi tant d’autres questions.
Quelle que soit la composition de l’engagement international, une chose est vitale : il faudra à cet engagement non seulement obtenir la légitimité auprès des Palestiniens, mais aussi fournir des garanties de sécurité à Israël. Ignorer ou minimiser cet aspect condamnerait toute initiative à un échec immédiat. Après les atrocités du 7 octobre, Israël ne peut plus prendre aucun risque dans ses futurs arrangements.
Il ne s’agit pas de prévoir une nouvelle série d’échanges de coups mortels, comme nous en avons connu dans le passé. Ceux-ci étaient déjà assez graves et totalement incompris par la plupart des observateurs occidentaux qui n’ont pas pleinement compris, non plus, la véritable intention du Hamas d’anéantir Israël par tous les moyens possibles, y compris par son propre « martyre ».
L’assaut monstrueux du 7 octobre a changé toutes les règles. S’il doit y avoir une perspective pour Gaza autre que la violence, elle doit s’appuyer sur des garanties internationales fermes et crédibles pour Israël. C’est la condition sine qua non de tout arrangement durable que nous devrions rechercher si nous voulons voir un avenir de compromis et de coopération entre tous les enfants d’Abraham.
II / Sur la guerre de Gaza, et ses suites
Par Élie Barnavi / historien, ancien ambassadeur d’Israël en France [tribune publiée par AOC, le 12 janvier 2024]
Alors que tout semble bloqué tant que Benjamin Netanyahou reste en place, et celui-ci ne formulant aucune stratégie pour le « jour d’après », quels sont les scénarios pragmatiques pour stopper la guerre et la catastrophe actuelle ? Un dispositif intérimaire – sécurisation par une force multinationale à dominante arabe, administration provisoire par l’Autorité palestinienne, reconstruction avec l’aide internationale – pour aboutir à un État palestinien souverain.
Au moment où je rédige ces lignes [7 janvier – ndlr], la guerre d’Israël contre le Hamas fait rage depuis trois mois et ne donne pas de signes d’essoufflement. Quel que soit l’angle de vue envisagé, militaire, politique ou diplomatique, toute analyse de la situation ne peut être que provisoire, aussi incertaine que la réalité mouvante dans laquelle nous nous trouvons. De bilan, il ne saurait être question.
Pour ce que cela vaut, je laisse de côté l’éventualité d’un embrasement régional qui nous projetterait dans une autre dimension. Disons simplement que le Hamas a perdu son pari stratégique, à savoir entraîner ses alliés, voire l’ensemble du monde musulman, dans le « déluge » final contre « l’entité sioniste » (« Déluge d’al-Aksa », telle est l’appellation, d’inspiration messianique, dont il a affublé l’assaut meurtrier du 7 octobre). Pour l’heure, et malgré l’affrontement à intensité croissante sur la frontière libanaise entre Israël et le Hezbollah, cette éventualité reste faible. En effet, contrairement au Hamas, qui n’est comptable que de lui-même, le Hezbollah, acteur majeur de la politique libanaise en même temps que féal de l’Iran, est pris dans un tissu de considérations et d’intérêts complexes qui réduit sa marge de manœuvre. Certes, des Houthis yéménites au Hezbollah en passant par les milices pro-iraniennes de Syrie et les cellules armées de Cisjordanie, Israël fait face à une multiplication inédite de fronts ; mais la guerre, la vraie, est circonscrite à la bande de Gaza.
Elle est, à plus d’un titre, inédite, à la fois par sa férocité et par le caractère exceptionnel du champ de bataille, ceci rendant compte de cela. Au fil des ans, le Hamas, en prévision de la guerre totale qu’il anticipait, a transformé le territoire en un vaste camp retranché, en surface et au sous-sol, avec un réseau de plusieurs centaines de kilomètres de tunnels – entre cinq cent et mille, nul ne le sait au juste – et cela sur un territoire équivalent à moins du tiers de la superficie de l’Ile-de-France et où s’entassent plus de 2 millions d’habitants.
Où nous en sommes
Sur le plan militaire, une phase aérienne déclenchée dès après l’attaque du 7 octobre a été suivie un mois plus tard d’une incursion terrestre interarmes de grande ampleur. Cette deuxième phase a peu ou prou achevé ses objectifs dans le nord et le centre de la bande de Gaza, où le Hamas a perdu le contrôle du territoire. Elle se poursuit dans le sud de la bande, à Khan Younès et ses environs, où se concentrent désormais l’essentiel des forces et de la direction du mouvement terroriste, et sans doute aussi les 136 otages israéliens, dont une quarantaine de morts. D’ores et déjà, une troisième et dernière étape se dessine : une phase de moindre intensité, avec des forces au niveau de brigades plutôt que de divisions, ainsi que des unités de commandos, et dont les objectifs prioritaires sont la destruction du réseau des tunnels, très dense dans ce secteur, la localisation des otages et l’élimination des principaux chefs du mouvement. Cette phase sera aussi la plus longue de la guerre.
La destruction du Hamas, définie d’emblée comme le but de guerre de Tsahal, est-elle un objectif réalisable ? Cela dépend de ce qu’on entend par là. Les chefs politiques et militaires d’Israël en ont offert, et offrent toujours, une vision jusqu’au-boutiste : l’éradication totale de l’organisation jusqu’au dernier terroriste, voire la « déradicalisation » du territoire, autrement dit l’extirpation de l’idéologie du Hamas. Cela n’est pas possible. Comme le montre l’exemple des secteurs dont Tsahal s’est déjà assuré le contrôle, il reste toujours des cellules capables de surgir des tunnels et des caves pour faire le coup de feu avant de se terrer derechef. De même, la rééducation d’une population est un travail de très longue haleine, qui dépend de l’évolution de ses conditions d’existence. Sept décennies après l’écrasement de l’Allemagne hitlérienne, le cadavre du nazisme bouge encore. Ce que l’on peut estimer réaliste, en revanche, est le démantèlement des capacités militaires et politiques du Hamas. Militairement, c’est déjà le cas dans la moitié septentrionale du territoire, et politiquement, dans l’ensemble de la bande. À bref terme, on peut donc envisager une bande de Gaza effectivement débarrassée du Hamas. La question est de savoir par quoi le remplacer.
Pour répondre à cette question, il faut prendre d’abord la mesure du séisme provoqué par le cataclysme du 7 octobre et du vide conceptuel et politique qu’il a laissé derrière lui en Israël.
Les mythes qui ont fait le lit du 7 octobre…
Il est facile d’énumérer les présupposés, les certitudes et les illusions que cette journée funeste a fait voler en éclats. Que tout le monde en Israël ne les partageât pas, loin s’en faut, est une maigre consolation ; ils constituaient le fonds de commerce du pouvoir en place et, à cause de cela, ils façonnaient, consciemment ou non, l’esprit public. En voici la liste (non exhaustive) :
Israël est protégé par sa supériorité militaire.
Il dispose de l’armée la plus puissante de la région et des services de renseignements parmi les meilleurs au monde, et s’est doté sur sa frontière avec la bande de Gaza d’une formidable barrière protectrice munie de senseurs ultrasensibles. Tout cela est vrai. Mais c’est oublier qu’une armée n’est efficace que si elle est sur ses gardes, que les renseignements ne valent que s’ils sont correctement interprétés, et que l’histoire, y compris la nôtre, fourmille de barrages infranchissables qui ont pourtant été franchis. C’est oublier surtout la grande leçon de Thomas Hobbes dans son Léviathan (1651): dans l’état de nature, qui est le nôtre, hélas, nul n’est assez faible pour n’être point capable de tuer le plus fort.
Israël est seul responsable de sa sécurité.
Assuré de sa supériorité militaire, Israël n’a besoin de personne, fût-ce son grand allié américain, pour assurer sa sécurité. Tellement ancrée est cette conviction, que les chefs militaires ont toujours été réticents à intégrer une alliance internationale de peur que cela entrave leur liberté d’action. Rien de plus faux. En 1956, déjà, la campagne de Suez a été remportée grâce au matériel français, et, lors de la guerre du Kippour d’octobre 1973, seul le train aérien américain a permis à Tsahal de renverser à son avantage la situation sur le terrain. C’est aussi vrai aujourd’hui à Gaza. La valeur des hommes et le talent tactique des généraux ne peuvent rien sans munitions et pièces de rechange. C’est ramener à sa plus simple expression une dépendance qui va bien au-delà de l’aspect militaire.
Israël est une « villa dans la jungle » (Ehud Barak, ancien chef d’État-major et ancien premier ministre).
Ce n’est pas faux non plus : un État démocratique, puissant et prospère, entouré d’autocraties plus ou moins faillies. Sauf que cet État, sous la férule d’un délinquant narcissique entouré de laquais et de fous de Dieu, a laissé la jungle s’installer chez lui : la Cisjordanie occupée livrée aux colons, des pogroms quasi quotidiens, des provocations répétées sur le Mont du Temple/Haram el-Sharif ; une tentative de coup d’État judiciaire visant à mettre la démocratie israélienne à l’heure de Budapest ou d’Ankara ; dix mois de guerre civile latente qui ont déchiré le tissu social et mis à mal les corps constitués, armée et services de sécurité compris, le tout sous l’œil gourmand de tout ce que la région compte d’ennemis rabiques de l’État juif…
Les Palestiniens ont disparu des radars du monde en général et du monde arabo-musulman en particulier.
La preuve ? Les Accords d’Abraham hier, la normalisation avec l’Arabie saoudite demain. Ceux parmi nous qui rappelaient que le peuple palestinien était toujours là, que le feu couvait sous la cendre et qu’un jour il allait s’embraser, s’attiraient les regards apitoyés des gens sérieux.
Le Hamas est plutôt un atout pour Israël.
C’était le cœur de la stratégie palestinienne de Benjamin Netanyahou : s’assurer que l’organisation terroriste était assez faible pour ne pas mettre Israël en danger, et assez forte pour se maintenir au pouvoir. Pour quoi ? Pour que les deux entités palestiniennes, la Cisjordanie et la bande de Gaza, restent séparées et conjurer ainsi le spectre de l’État palestinien. En vertu de quoi, le gouvernement israélien a encouragé le Qatar à renflouer les caisses du Hamas et délivré des milliers de permis de travail aux Gazaouis. Des travailleurs dont certains ont soigneusement photographié et cartographié les communautés où les tueurs du Hamas allaient opérer.
… et leur persistance
Que l’effondrement de cet échafaudage conceptuel n’ait pas de traduction politique immédiate est dû à la composition de la coalition au pouvoir à Jérusalem. Au terme d’un processus en tout point conforme à l’évolution du Parti républicain américain, la pièce centrale du dispositif, le Likoud de Benjamin Netanyahou, est devenue depuis longtemps une secte extrémiste dévouée à la personne du chef. Purgée des éléments libéraux et politiquement responsables, ses principaux ténors rivalisent en déclarations incendiaires et en théories complotistes. À sa droite, ou plutôt à ses côtés, deux formations religieuses à tendance messianique –le Sionisme religieux de Bezalel Smotrich et Puissance juive d’Itamar Ben-Gvir – cultivent un nationalisme suprémaciste, prônent le nettoyage ethnique et l’annexion des Territoires occupés et poussent au rétablissement des implantations juives dans la bande de Gaza, démantelées lors du « désengagement » de 2005.
Pour donner une idée du chemin parcouru par la droite israélienne, il faut se rappeler que ces deux personnages ont eu maille à partir avec le Shin Beth, que Ben-Gvir a été en son temps condamné pour incitation à la haine raciale, et son parti d’origine dissous pour la même raison. Dans la coalition actuelle, l’un est ministre des Finances et ministre au sein du ministère de la Défense chargé des implantations, et l’autre, ministre de la Sécurité nationale et responsable à ce titre des forces de police. Le premier ministre, lui, est un juif séculier parfaitement étranger aux rêveries messianiques de ses partenaires ; mais il est leur prisonnier. Sans eux, pas de majorité à la Knesset. Coincé entre les fous de Dieu et l’administration Biden, il louvoie comme il peut, en essayant de donner des gages à celle-ci sans perdre le soutien de ceux-là. Il ne peut ni ne veut formuler une stratégie de sortie, sinon qu’il n’y aura à Gaza « ni Hamastan ni Fatahstan », autrement dit l’Autorité palestinienne.
Quels seraient donc les scénarios envisageables ?
Le jour d’après
Laisser derrière soi une espèce de Somalie miséreuse, anarchique et haineuse, est impensable. Livré aux mafias et aux bandes armées, le territoire produirait une myriade de petits Hamas.
Écartons aussi d’emblée le scénario avancé par les ministres d’extrême droite et leur mouvance : la réoccupation, on l’a vu, de la bande de Gaza par Israël, le transfert « volontaire » de ses habitants et la reconstitution des colonies juives démantelées voici bientôt dix-huit ans. Netanyahou a admis publiquement qu’il n’en était pas question. Les seuls effets tangibles de cette utopie mortifère : polluer le débat public, alimenter la campagne anti-israélienne internationale et fournir des arguments aux juges de la Cour de Justice de La Haye.
L’extrême droite ne sera d’ailleurs plus au pouvoir au moment où se mettra en place une solution intérimaire, quelle qu’elle soit. Elle tombera en même temps que Netanyahou lui-même, dont plus des trois-quarts des Israéliens ne veulent plus. Ce qui ne veut pas dire qu’elle ne conservera pas un pouvoir d’influence – et de nuisance – après. Dès la fin de la campagne militaire, nous retrouverons l’affrontement entre les camps opposés que nous avons connu tout au long de l’année qui a précédé le massacre du 7 octobre, sans doute démultiplié. Comment cela tournera-t-il ? Je crains que, lorsque le moment de vérité surviendra et qu’il faudra bien en arriver aux décisions douloureuses, Israël n’échappera pas à une forme quelconque de guerre civile.
Le ministre de la Défense Yoav Gallant, dont les relations avec le premier ministre sont exécrables, a présenté récemment un plan fondé sur un double principe : « Le Hamas ne dirigera plus Gaza, et Israël ne dirigera pas Gaza sur le plan civil. » Des comités locaux composés de Gazaouis dont la désignation devra être approuvée par Israël, « non hostiles à Israël et dans l’incapacité d’agir contre lui », seraient affectés à la gestion des affaires civiles. Dans un second temps, une force internationale composée de pays arabes modérés ainsi que des États-Unis et de l’Europe assumera la responsabilité de la reconstruction et de la réhabilitation économique du territoire. Israël conservera de son côté la capacité d’opérer militairement dans la bande de Gaza, sans restriction d’aucune sorte.
Les chances du plan Gallant sont nulles, et pas seulement parce que son adoption par le gouvernement en signifierait la fin. En fait, ce qu’il propose est une resucée de ce que l’on a en Cisjordanie, avec le succès que l’on sait : une sorte d’autonomie civile à l’ombre des baïonnettes israéliennes. Outre que l’on voit mal qui accepterait de siéger dans ces « comités locaux » au péril de sa vie, il n’est pas clair comment une coalition internationale comme celle qu’il envisage se mettrait en place dans ces conditions.
Les Américains, eux, ont fermement défini, publiquement, trois conditions négatives : pas de présence israélienne permanente, pas de déplacement de la population palestinienne, pas de diminution du territoire. Ce dernier point fait référence à l’idée avancée par l’establishment sécuritaire d’une « bande de sécurité » en territoire palestinien. Idée étrange si l’on veut bien se souvenir du sort de cette formule, dans la foulée de la première guerre israélienne au Liban, en 1982, laquelle nous a légué le Hezbollah et dix-huit ans de présence catastrophique au sud-Liban.
Ces trois « non » posés, on aperçoit les contours d’un plan de sortie de guerre, tels que les dessinent les travaux des think tanks de Washington, les déclarations publiques des responsables américains et ce qui transpire de leurs entretiens avec le gouvernement israélien. En toute urgence, puisqu’il importe d’occuper aussitôt le vide créé par l’élimination du gouvernement islamiste, il s’agit de mettre en place un dispositif intérimaire qui prenne en charge, simultanément, trois tâches dont l’urgence est absolue : la sécurisation du territoire, assurée par une force multinationale à dominante arabe et de préférence sous mandat du Conseil de sécurité des Nations unies ; la mise en place d’une administration palestinienne provisoire sous l’égide de l’Autorité de Ramallah, seule entité palestinienne reconnue par le monde entier, Israël compris, et qui paie toujours les fonctionnaires de Gaza pour ne rien faire ; et le début de la reconstruction, avec l’aide des pays arabes voisins et ceux du Golfe, ainsi que celle de l’Europe, des États-Unis et des organismes financiers internationaux. En même temps, il faut offrir aux Palestiniens un horizon diplomatique, autrement dit remettre sur les rails un processus significatif, autrement dit imposé aux parties, de règlement du conflit israélo-palestinien.
Pour aboutir à quoi ? Eh bien, à un État palestinien souverain aux côtés de l’État d’Israël. Il est presque comique que, sauf aux deux bouts du spectre idéologique, tout le monde se rallie derechef à cette solution qui avait fini par provoquer chez diplomates et experts de tout poil un haussement d’épaules désabusé. C’est qu’il n’y en a tout bonnement pas d’autre. C’est une idée presque centenaire, proposée pour la première fois par les Britanniques en 1937, validée par la communauté des nations dix ans plus tard, lors du vote à l’ONU sur le partage de la Palestine, négociée dans les moindres détails dans la foulée des accords d’Oslo de 1993. Il est grand temps qu’on la mette enfin en œuvre. Qu’il ait fallu la tragédie du 7 octobre pour en redécouvrir l’évidence, voilà un exemple de plus d’une triste vérité de l’histoire : les nations ne se résolvent aux solutions raisonnables qu’après avoir épuisé toutes les autres.
