Hier, lors d’une audience du Conseil d’État, son rapporteur public a préconisé de réviser ou même de supprimer certaines dispositions – certes indéfendables juridiquement – du Contrat d’engagement républicain (CER). Au même moment, une « tribune républicaine » dénonçant les « dérives démocratiques » du CER est proposée à la signature de tous les élus locaux (régionaux, départementaux, municipaux…) de France. De quoi espérer une correction, voire une abrogation, de la loi « séparatisme » et de ses déclinaisons réglementaires ?

Marianne l’Incorruptible, et l’écosocialiste… Photo : A. P.

Dans une tribune approfondie publiée par Le Jacquemart le 16 avril dernier, Jean-Louis Cabrespines affirmait : « Un peu plus d’an après son entrée en vigueur, le Contrat d’engagement républicain (CER) a été utilisé par l’État et d’autres pouvoirs publics pour contrôler, voire entraver l’expression ou l’action d’associations, sans motif valable. »

Hier, lundi 19 juin, comme précisément relaté par Mediapart, le rapporteur public du Conseil d’État lui a partiellement donné raison. Trop partiellement.

Au même moment, une « tribune républicaine » et « transpartisane » proposée par des élues et élus de la majorité du Conseil régional de Bourgogne-Franche-Comté, s’insurge contre « les dérives démocratiques du contrat d’engagement républicain observées sur les territoires » et demande « la révision de la loi ’’séparatisme’’ ».

Ce texte argumente clairement ses revendications : « Ce contrat [le CER] entrave la liberté d’actions et d’expression des associations, mais aussi la liberté administrative des élu.es des collectivités territoriales. Il est aussi une menace pour notre démocratie. Dans quelques jours, nous allons fêter l’anniversaire de loi du 1er juillet 1901 relative au contrat d’association. Cette loi emblématique dans l’évolution de la société française, arrachée de haute lutte après trente ans de propositions est une loi non pas d’interdiction mais de liberté et d’émancipation, constitutionnalisée en 1971 et consacrée par la Cour européenne des droits de l’Homme. Grâce à elle, 1,5 millions d’associations contribuent, quotidiennement, à une société française plus émancipée et plurielle… »

La tribune des élues et élus du Conseil régional de Bourgogne-Franche-Comté rejoint ainsi les vives critiques portées par plusieurs dizaines d’associations et de syndicats ayant saisi le Conseil d’État en mars 2023. Lesquelles n’ont été qu’en partie entendues par le rapporteur public de l’institution, Laurent Domingo, qui ne met en question que deux des sept engagements inscrits au CER.

La première révision proposée par le rapporteur public vise le premier engagement du CER, c’est-à-dire le « respect des règles de la République », qui stipule « l’interdiction d’entreprendre ou d’inciter à toute action manifestement contraire à la loi, violente ou susceptible d’entraîner des troubles graves à l’ordre public ». De fait, « l’expression “action violente” est assez précise, de même que celle des “troubles graves à l’ordre public” », a-t-il expliqué en audience. En revanche, pour « les actions manifestement contraires à la loi », « il est là beaucoup plus difficile d’en saisir la portée » et surtout d’évaluer « le degré de violence » qui constituerait une violation du CER.

La seconde révision proposée par le rapporteur public du Conseil d’État touche le cinquième engagement du CER sur « la fraternité et la prévention de la violence ». Le magistrat plaide ici pour la suppression de la première phrase de celui-ci, qui stipule que « l’association ou la fondation s’engage à agir dans un esprit de fraternité et de civisme ». Pour Laurent Domingo, si « on ne peut être que d’accord avec l’idée », il n’en reste pas moins que « l’engagement se réfère à un “esprit” » alors que le contenu de ces notions n’est pas évident ». Le rapporteur demande donc la suppression de cette exigence. Cependant, les associations devront toujours s’engager « à ne pas provoquer à la haine ou à la violence envers quiconque et à ne pas cautionner de tels agissements » ainsi qu’à « rejeter toutes formes de racisme et d’antisémitisme ».

Hier, comme rapporté encore substantiellement par Mediapart, les avocats des associations et fédérations ont de nouveau exprimé leur insatisfaction (lire ci-dessous).

À noter que le Conseil d’État est libre de suivre, ou non, les conclusions de son rapporteur public. Mais, de toute façon, rien n’éteindra l’invincible espoir.[1]

À suivre.

Antoine Peillon

Plaidoiries

Si le CER a bien été institué par l’article 12 de la loi « séparatisme » du 24 août 2021, celle-ci renvoyait à un décret la responsabilité d’en écrire le contenu. Celui-ci, publié le 31 décembre 2021, est allé beaucoup plus loin que les intentions initiales du législateur, estiment les associations.

Clément Capdebos, avocat d’une vingt-cinq associations de défense de l’environnement, dont Greenpeace, France Nature Environnement, Les Amis de la Terre ou encore Notre affaire à tous, a relevé que le décret « interdit, plus largement, aux associations et fondations de mener toute “action manifestement contraire à la loi”, sans considération de l’existence ou non d’une atteinte portée à l’ordre public, laquelle n’est envisagée que de façon alternative – ainsi qu’en témoigne l’emploi de la conjonction “ou” ». Ajoutant : « Compte tenu de leur imprécision et de leur caractère particulièrement englobant, ces obligations, non prévues par la loi mais imposées aux associations par le pouvoir réglementaire, tendent à conférer un large pouvoir d’appréciation à l’administration et sont, à ce titre, susceptibles d’entraver l’exercice de la liberté d’association. »

Représentant les associations Gisti, Droit au Logement et Utopia 56, les syndicats Solidaires et FSU, le Syndicat des avocats de France et le Syndicat de la magistrature, les avocats Anne Sevaux et Paul Mathonnet ont dénoncé les risques d’autocensure qu’entraîne ce flou du décret du 31 décembre 2021, alertant sur le risque de voir « des associations renoncer, par exemple, à installer des campements sur le domaine public pour protéger des personnes sans abri ». Précisant : « Ne pourraient donc plus bénéficier de financements publics les associations telles que Act Up, Les enfants de Don Quichotte, Les Amis de la Terre, qui ont recouru à des actions de désobéissance civile pour la promotion du droit à la santé, de l’environnement, du droit au logement, ou du droit des immigrés. »

Lors de l’audience du lundi 19 juin, Maître Patrice Spinosi, représentant plusieurs associations dont la LDH, le Mrap ou encore le Planning familial, a enfin dénoncé « un risque considérable pour la démocratie » et une « mise au pas déjà à l’œuvre ». « On voit bien le mécanisme : tarir la source des subventions des associations qui seraient contre la ligne politique du gouvernement », a-t-il plaidé.


[1] Dans son dernier et indispensable essai, L’Appel à la vigilance, Edwy Plenel rappelle (page 97) que l’extraordinaire éditeur et essayiste Maurice Olender, dont il honore la mémoire par ce livre, écrivait, dans l’une de ses dernières publications : « Je recommande le désespoir comme point de départ. Il est dans la nature même de l’action, de l’action juste, de le faire reculer pour le remplacer par autre chose : l’impossible espoir, par exemple. » Ô combien « l’impossible espoir » de ce grand esprit fait écho à « l’invincible espoir » de Jaurès et de Blum !

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