De la Charte des engagements réciproques au Contrat d’engagement républicain, ou de la co-construction à la déconstruction…

Tribune de Jean-Louis Cabrespines

Délégué général du Centre international de recherches et d’information sur l’économie publique, sociale et coopérative, en France (CIRIEC-France)

Un peu plus d’an après son entrée en vigueur, le Contrat d’engagement républicain a été utilisé par l’État et d’autres pouvoirs publics pour contrôler, voire entraver l’expression ou l’action d’associations, sans motif valable. Réunies par le Mouvement associatif, un grand nombre d’entre elles s’insurge contre ce rétrécissement de l’espace civique. Si les conséquences d’un tel dispositif ne sont pas encore complètement mesurables, tant en matière de restriction de la liberté associative que dans l’assujettissement des collectivités territoriales au pouvoir de l’État, voire aux dérives d’interprétation de collectivités territoriales, le risque de voir les pouvoirs publics restreindre ou même empêcher la capacité civique à œuvrer pour l’intérêt général est d’ores et déjà avéré.

Abdelsem Ghazi, secrétaire général de la fédération de Paris du Secours populaire, en avril 2020. Photo : © Ishta

Vous avez dit CER ?

CER : acronyme tant et tant utilisé que, selon son secteur d’intervention ou ses intérêts personnels, on peut lui donner des significations différentes : Centre éducatif fermé ; Compte d’emploi des ressources ; Centre d’économie rurale ; Centre d’éducation routière ; Centre for European Reform…

Mais les acronymes qui nous intéressent aujourd’hui sont ceux qui touchent à deux types de rapports entre les associations et les pouvoirs publics : la Charte des engagements réciproques (2014) et le Contrat d’engagement républicain (2022). Nous ne sommes pas là sur un quelconque ergotage linguistique, mais sur une conception différente des relations entre les pouvoirs publics et les associations pour concourir tous deux à un même objectif : répondre à l’intérêt général.

Dans un cas, nous sommes dans une relation de confiance, voire d’égalité (la Charte des engagements réciproques) ; dans l’autre cas (le Contrat d’engagement républicain), dans une suspicion qui peut être dommageable pour l’exercice démocratique des missions des associations.

Moussoukoura Diarra, directrice de la Friperie solidaire d’Emmaüs, à Maisons-Alfort (94), en mai 2020. Photo : © Ishta

Et pourtant, à l’origine de la construction de ce dernier, il y avait une volonté commune de lutter contre tout prosélytisme pouvant risquer de créer des discriminations ou des rejets des principes républicains, socles de l’action tant des pouvoirs publics que des associations.

Mais au bout du compte, dans un amalgame irréfléchi, le législateur a créé une loi englobante (la « loi Séparatisme », du 24 août 2021), destinée y compris aux associations. Nous y reviendrons, mais préalablement, rappelons l’importance de la Charte des engagements réciproques et ce que cela représente d’une véritable démarche commune dans l’intérêt de tous.

Une charte engageant les pouvoir publics et les associations

Signée entre le Premier ministre et la Conférence permanente des coordinations associatives (CPCA), devenue depuis Mouvement associatif, elle était un grand pas en avant sur les relations entre les associations et l’État, Lionel Jospin estimant alors qu’il s’agissait là d’un « acte politique majeur ». Cette charte indiquait : « Cet acte, sur la base d’engagements réciproques, reconnaît et renforce ainsi des relations partenariales fondées sur la confiance réciproque et le respect de l’indépendance des associations ; il clarifie les rôles respectifs de chaque partie par des engagements partagés. » (Charte d’engagements réciproques entre l’État et les associations regroupées au sein de la CPCA – 1er juillet 2001)

Elle constituait un premier pas qui a permis de clarifier, en partie, les relations à établir pour agir ensemble pour l’intérêt général. Mais l’absence des autres partenaires publics que l’État (les collectivités territoriales, notamment) des associations nécessitait qu’elle soit revue, ce qui fut fait en février 2014.

Cette révision a entrainé une implication des collectivités locales et a donné ainsi un véritable cadre pour la collaboration et la constitution de politiques partagées dans les territoires impliquant l’État, les collectivités territoriales qui le souhaitaient et les associations : « Article 1 : (…) Cet acte solennel, fondé sur les valeurs de liberté, d’égalité et de fraternité, renforce des relations tripartites (État, collectivités territoriales, associations), basées sur la confiance réciproque, le respect de l’indépendance des associations et la libre administration des collectivités territoriales. Il contribue à l’élaboration progressive d’une éthique partenariale, rendue nécessaire par l’évolution des politiques publiques, nationales et territoriales, et du cadre réglementaire français et européen… »

Alice Mayoud, référente bénévole au Secours catholique, lors d’une maraude hebdomadaire à la rencontre de mamans et d’enfants confinés dans les hôtels du Samu social, à Aubervilliers (93), en mai 2020. Photo : © Ishta

Suite à cette signature, de nombreuses déclinaisons régionales, départementales, voire locales ont été signées précisant les objectifs communs à poursuivre et les modalités des collaborations entre les pouvoirs publics et les associations. Nous étions alors dans une relation de confiance qui n’empêchait pas les nécessaires négociations et positionnements de chacun, mais, en tout cas, il n’y avait pas, a priori, de suspicion.

Tout aurait pu se poursuivre ainsi et donner à chaque partie la possibilité de continuer à œuvrer avec les autres pour le bien commun, dans son domaine de compétence, avec les moyens nécessaires et possibles à son action.

Des chartes adaptées sont signées et continuent à s’appliquer entre l’État, des collectivités et les associations, mais elles se retrouvent mises en cause par des obligations nouvelles qui risquent de restreindre voire empêcher la capacité à travailler ensemble pour l’intérêt général.

Car l’État, confronté à l’émergence et au développement de pratiques opposées à la laïcité a élaboré des réponses qui ne sont pas adaptées à la situation. Il a tenté de tuer une mouche avec un marteau pilon.

Notre alerte ne naît pas seulement du Contrat d’engagement républicain, mais aussi de l’arsenal de dispositions inadaptées, prises au fil du temps, pour combattre tout prosélytisme, toute ingérence pouvant porter atteinte au principe de laïcité.

Une Charte de la laïcité

En remontant à octobre 1989, à Creil (Oise), où le port du foulard islamique au collège fut un premier signe inquiétant, entrainant la mise en place de premières mesures, ou aux accords passés avec le Conseil représentatif des musulmans de France (CRMF), en vue d’une Charte du culte musulman en France, ou aux accords avec le Consistoire des Israélites de Paris sur « l’autorisation d’absence scolaire le samedi pour les élèves de confession israélite », en 1995, ou aux arrêts du Conseil d’État, en 1996, sur les 23 exclusions d’établissements scolaires pour « port du foulard islamique ou pour absentéisme »…, nous voyons bien que l’État s’est retrouvé obligé, de nombreuses fois, d’apporter des réponses ponctuelles et souvent dictées par l’urgence médiatique et électorale face aux atteintes à la laïcité.

Après la création de la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (MIVILUDES), en 2002, suite à la Mission interministérielle de lutte contre les sectes, créée en 1998, et compte tenu des expressions de plus en plus fortes, de la part de certains cultes, de remise en question du principe de laïcité, une loi est promulguée (LOI n° 2004-228 du 15 mars 2004 encadrant, en application du principe de laïcité, le port de signes ou de tenues manifestant une appartenance religieuse dans les écoles, collèges et lycées publics), rappelant que « dans les écoles, les collèges et les lycées publics, le port de signes ou tenues par lesquels les élèves manifestent ostensiblement une appartenance religieuse est interdit. Le règlement intérieur rappelle que la mise en œuvre d’une procédure disciplinaire est précédée d’un dialogue avec l’élève ».

Cela donne naissance à la Charte de la laïcité déclinée dans les services publics, à l’École, à la Caisse nationale des allocations familiales et au secrétariat d’État à l’Égalité entre les femmes et les hommes.

Maïmouna Kebe, volontaire permanente d’ATD-Quart Monde, organise des lectures au pied des immeubles de Noisy-le-Grand (93). Ici, en avril 2020, devant la fenêtre de Jean-Robert et de ses quatre enfants : Brady, 10 ans, Océane, 7 ans, Lionel, 6 ans, et Jean-Robert Junior, 4 ans. Photo : © Ishta

En 2020, sous l’influence de la nouvelle ministre de la Citoyenneté, Marlène Schiappa, la Charte de la laïcité est imposée à la signature de toutes les associations recevant des financements publics.

Son extension aux collectivités territoriales va en faire un outil redoutable dans la relation entre celles-ci et les associations. Et la confiance instaurée par la Charte des engagements réciproques va être partiellement remise en cause, puisque le fait même d’instituer la signature obligatoire de cette nouvelle charte pour bénéficier de financements va entraîner un état de dépendance et un moyen de coercition dont nous pourrions penser, naïvement, qu’ils n’étaient probablement pas envisagés par les rédacteurs de ce texte.

De plus, le texte proposé est de la seule initiative des pouvoirs publics, sans qu’il n’y ait de concertation avec les associations. Ce pouvoir énorme confié à certains, même s’ils sont les représentants sortis des urnes, peut laisser place à toutes les dérives. La notion de laïcité est-elle la même dans toutes les organisations politiques au pouvoir dans les collectivités ? Comment pourrait être utilisée cette charte avec des associations en butte avec les collectivités locales et territoriales, ou avec l’État ? Ces questions ne sont pas sans fondement et nous verrons que, concernant le Contrat d’engagement républicain, l’interprétation des textes permet toutes les dérives en fonction de ce que reconnaissent ou non les pouvoirs publics.

Cette Charte de la laïcité, comme le Contrat d’engagement républicain, laissent la place à des pratiques liées à l’idéologie de ceux qui les imposent.

Cette charte et les dérives possibles peuvent être considérées comme le premier signe d’un état de défiance de la part des pouvoirs publics en direction des associations : pour eux, elles ne sont pas, de fait, laïques, elles doivent prouver leur laïcité, et c’est aux pouvoirs publics de juger. De plus, dans ce texte, c’est celui qui établit cette charte qui peut juger de son respect ou non. Aucune médiation pouvant venir d’ailleurs n’est possible.

Bien entendu, nous ne nions pas qu’il y ait, de la part de certaines associations, des dérives, mais pourquoi englober l’ensemble des associations et estimer d’emblée qu’elles doivent apporter un certificat de bonne laïcité (au sens de celui qui rédige la Charte de la laïcité) ?

C’est le signe avant-coureur de ce que nous trouvons aujourd’hui dans le Contrat d’engagement républicain : une soumission non dite aux décisions des pouvoirs publics, chacun d’entre eux pouvant en avoir une interprétation.

Un Contrat d’engagement républicain

Dès l’été 2020, le gouvernement affichait sa volonté de mieux organiser le cadre légal de lutte contre le séparatisme.

Sur cette question, Marlène Schiappa, ministre déléguée chargée de la citoyenneté, a présenté le projet de loi contre le séparatisme avec un but annoncé : protéger la laïcité. Et en expliquant ce qu’est la notion de séparatisme : « Le séparatisme, celui contre lequel on lutte au gouvernement, c’est l’action de constituer un groupe qui a pour but de s’organiser en marge de la République et de manière hostile à la République et souvent de façon violente », ajoutant que cette notion regroupe principalement l’islam politique et les dérives sectaires puis : « Pas un euro de la République pour les ennemis de la République ».

Adrien de La Sayette, bénévole de l’Armée du salut, montre le contenu d’un repas halal type, aux Lilas (93), en avril 2020. Photo : © Ishta

Il s’agit, alors, de faire respecter les principes de liberté, d’égalité et de fraternité, la protection de la dignité humaine et la préservation des symboles de la République, et de ne pas remettre en cause le caractère laïque de la République en s’abstenant de toute action portant atteinte à l’ordre public.

Le monde associatif partage largement cette volonté, participe et participera, dans un cadre républicain, à cette lutte.

Sa traduction législative est présentée en Conseil des ministres le 9 décembre 2020, et aboutira au vote de la loi du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République, souvent appelée « loi Séparatisme », puis au décret du 31 décembre 2021 approuvant « le contrat d’engagement républicain des associations et fondations bénéficiant de subventions publiques ou d’un agrément de l’État ».

Un traitement particulier pour les associations

Ce contrat est unilatéral : il engage les associations et son non-respect pourra faire l’objet de sanctions, mais il n’engage en rien les pouvoirs publics.

Lors de la conférence de presse organisée par le Mouvement associatif, Alexandrina Najmowicz, secrétaire générale du Forum civique européen, qui veille sur les libertés en Europe, considérait que le Contrat d’engagement républicain est l’une des manifestations d’un « rétrécissement de l’espace civique ».

Le vote de la « loi Séparatisme » et le décret paru ensuite obligent, depuis le 2 janvier 2022, les associations qui veulent obtenir une subvention publique, un agrément ou une reconnaissance d’utilité publique, à signer ce contrat qui comprend sept engagements : le respect des lois de la République ; la liberté de conscience ; la liberté des membres de l’association ; l’égalité et la non-discrimination ; la fraternité et la prévention de la violence ; le respect de la dignité de la personne humaine ; le respect des symboles de la République.

Nous ne pouvons qu’adhérer, globalement, à ces engagements, mais il s’agit de voir comment ils sont interprétés, comment les manques de précisions sur ces engagements prêtent à interprétation de la part des pouvoirs publics pour mieux asservir les associations.

Lors de l’examen du projet de la « loi Séparatisme », la Défenseure des droits, Claire Hédon, a publié un avis (12 janvier 2021) pour dénoncer « le risque de dénaturer en partie le statut des associations, qui sont des tiers essentiels entre le citoyen et la puissance publique ». Elle évoque « les risques d’atteinte à la liberté d’association » et recommande a minima « de renoncer au terme de contrat ».

Les débats parlementaires ont permis de dire combien ce texte était dangereux. Les représentants du tissu associatif français font alors entendre leur opposition et le Haut conseil à la vie associative dénonce, dans un avis, des dispositions « superfétatoires, les pouvoirs publics disposant déjà de tous les leviers juridiques nécessaires au contrôle, à la sanction et à la dissolution ».

Claire Exertier et Maïmouna Kebe, volontaires permanentes d’ATD-Quart Monde, organisent des lectures dans les couloirs des immeubles de Noisy-le-Grand (93), en avril 2020. Photo : © Ishta

C’est l’interprétation des termes et de ce que recouvre ce contrat par les autorités compétentes qui est interrogé. Le Conseil constitutionnel, lors de l’examen de constitutionnalité, avait justement formulé des réserves d’interprétation et invité le pouvoir réglementaire à « veiller, en fixant les modalités spécifiques de mise en œuvre de ces obligations, à respecter les principes constitutionnels de la liberté d’association », tout en validant l’intégralité des dispositions du texte (Conseil constitutionnel, décision n° 2022-1004 QPC du 22 juillet 2022).

Des sanctions sont prévues en cas de non-respect lorsque l’objet que poursuit l’association ou la fondation, son activité ou les modalités selon lesquelles cette activité est conduite sont illicites ou incompatibles avec le Contrat d’engagement républicain souscrit. Une subvention, un agrément d’État, une reconnaissance d’utilité publique ou un agrément de service civique peuvent faire l’objet d’un retrait, sur décision motivée, dans les conditions de droit commun, ce qui entraîne une demande de restitution de la subvention ou des aides perçues au titre de la décision d’octroi retirée. L’association ou la fondation concernée peut aussi faire l’objet d’une dissolution administrative. Elle doit être motivée et l’association peut présenter ses observations écrites ou orales et être assistée d’un conseil.

Les craintes émises dès les premiers travaux, puis lors du débat et de la parution du texte, n’étaient pas vaines. Son application, depuis le mois de janvier 2022, montre combien ce texte peut prêter à interprétation et, dès lors, conduire à une tentative de soumission des associations aux pouvoirs publics.

Des exemples concrets

La toute première interprétation concerne la désobéissance civile :

  • La préfecture de la Haute-Vienne a ainsi ordonné à la municipalité de Poitiers et à la communauté de commune d’annuler l’octroi de subventions à un « Village des alternatives » organisé par Alternatiba, en septembre 2022. Motif : le programme comprenait une formation à la désobéissance civile. Les collectivités n’ont pas cédé à l’injonction de la préfecture qui a saisi le tribunal administratif. L’affaire est en cours et quatorze organisations soutiennent l’association mise en cause, considérant que la désobéissance civile, « principe qui s’inscrit dans une histoire longue des luttes œuvrant pour l’intérêt général », comme le rappelle le Mouvement associatif, se prête facilement à une lecture en termes de « troubles à l’ordre public ».

Comme le souligne le collectif constitué à partir de l’exemple d’Alternatiba, « le contrat prévoit notamment que les associations ’’ne doivent entreprendre ni inciter à aucune action manifestement contraire à la loi’’, alors que la désobéissance civile constitue un moyen historique et puissant d’expression et de manifestation dans les milieux associatifs », avant de préciser : « Ces actions indispensables sont désormais soumises à des risques juridiques particulièrement dissuasifs en raison du contrat d’engagement républicain. »

  • Dans la même ligne, en décembre 2022, la Maison régionale de l’environnement et des solidarités (MRES) de Lille, qui héberge près de 130 associations chaque année, est convoquée par la préfecture parce qu’elle a prêté une salle au collectif Non à l’agrandissement de l’aéroport de Lille-Lesquin, dont les actions reposent sur la désobéissance civile. Elle écope d’un rappel à l’ordre. La préfecture a considéré que c’est la MRES qui allait à l’encontre du contrat, rien qu’en prêtant une salle à ce collectif.

Dans ces deux exemples, l’État attaque des structures soutenues par les collectivités territoriales et intervient donc dans un périmètre qui n’est pas le sien. Ce droit d’ingérence dans des compétences décentralisées est un mauvais signe pour la démocratie.

A la « boutique solidaire éphémère » de Bagnolet (93), installée dans le Centre d’animation Paul-Coudert, en avril 2020, Nadine Duteriez, fonctionnaire municipale, prépare sa première tournée de distribution de masques aux personnes âgées du quartier de La Noue. Photo : © Ishta

Autres exemples, ceux qui concernent les atteintes à la laïcité et à l’égalité femmes-hommes, également proscrites par le texte :

  • Après avoir donné l’autorisation, en mars dernier,  au Planning familial d’installer un stand sur la place de l’hôtel de ville de Chalon-sur-Saône, le maire avait retiré cette autorisation, car six silhouettes de femmes figuraient sur l’affiche, dont l’une portant un voile. L’association a attaqué l’arrêté du maire devant le tribunal administratif de Dijon et a gagné, tout comme devant le Conseil d’État, auprès de qui le maire de Chalon-sur-Saône avait porté l’affaire en appel.
  • La Ligue de l’enseignement, en Ile-de-France, qui avait signé le CER, a vu son agrément suspendu du fait de propos critiques de certains lycéens lors d’un concours d’éloquence sur le thème de la laïcité, selon l’avis d’une conseillère régionale qui y assistait…

Mais d’autres risques pèsent, d’une manière générale, sur l’utilisation de ce texte. Ainsi, certaines collectivités créent leurs propres versions du Contrat d’engagement républicain, comme c’est le cas en région Auvergne-Rhône-Alpes, où est appliqué, depuis mars 2022, une version renforcée sur des aspects de « laïcité » et de « neutralité ». Contraindre les associations à appliquer un principe de neutralité dans leurs actions, « tel que cela s’impose aux services publics, est parfaitement contraire au principe d’indépendance des associations et au droit », rappelle le Mouvement associatif.

Et le comble est atteint par le sinistre ministre de l’Intérieur qui, le 5 avril dernier, en réponse à une intervention du sénateur LR François Bonhomme qui appelait à « cesser de financer des associations qui mettent en cause gravement l’État », a déclaré, à propos de la Ligue des droits de l’Homme : « Je ne connais pas la subvention donnée par l’État, mais ça mérite d’être regardé dans le cadre des actions qu’ils ont pu mener . » La « loi Séparatisme » le lui permet. Si cela était, nous serions réellement dans une atteinte à la liberté de s’associer.

Des risques de freiner toute initiative

Les conséquences d’un tel texte ne sont pas encore complètement mesurables, tant en matière de restriction de la liberté associative que dans l’assujettissement des collectivités territoriales au pouvoir de l’État, voire aux dérives d’interprétation de collectivités territoriales.

Mais nous pouvons déjà en souligner au moins deux :

  • Un retrait des collectivités territoriales qui pourraient, afin d’éviter tout risque de contentieux ou d’intervention de la part de l’État, cesser tout soutien à certaines associations. Divers témoignages établissent que certaines associations se voient a priori écartées, par les services de l’État, des demandes de subvention au Fonds pour le développement de la vie associative (FDVA), en raison d’activités jugées « non conformes » au CER. Celles touchées par ce type de représailles ne le font d’ailleurs peut-être pas savoir, de peur d’aggraver leur situation.
  • Les associations qui n’ont pas encore été obligées de signer et vont devoir se positionner s’interrogent : « Va-t-on nous refuser l’accès aux équipements sportifs si on ne signe pas ? », s’inquiétait un représentant de la Fédération sportive et gymnique du travail (FSGT), amenée à demander le renouvellement de son agrément, conditionné notamment au respect du CER. Signe des temps, en effet, l’agrément des associations de jeunesse et d’éducation populaire, qui avait valeur permanente depuis son instauration en 1944, est désormais soumis à un renouvellement d’ici l’été 2023, puis tous les cinq ans, relève la journaliste Elsa Sabado, dans Alternatives économiques, le 2 février 2023.

Nadia Saidi et Mariana Zarouba participent à l’aide alimentaire organisée par Alhassane Diallo (Recyclerie de La Noue, centre Toffoletti, association Temps libre) à Bagnolet (93), dans le quartier de La Noue, en mai 2020. Photo : © Ishta

Le Mouvement associatif, pour sa part, suite aux différents cas d’atteinte aux associations considérées comme ne respectant pas le Contrat d’engagement républicain, s’interroge et alerte, en particulier sur deux points :

  • Annoncé comme un outil de lutte contre le séparatisme, le Contrat d’engagement républicain est pour l’instant surtout utilisé pour limiter la liberté d’expression et d’interpellation des associations et leur capacité à faire vivre le débat.
  • Soumis à interprétations, ce texte crée une insécurité juridique et financière forte pour les associations et pour leurs partenaires, à commencer par les collectivités.

Et alors ?

Les associations sont conscientes de leurs responsabilités et de ce qu’elles représentent et apportent à la société.

Elles interviennent dans de nombreux champs, soit en réponse à des besoins locaux repérés, soit en accompagnement des politiques publiques. Elles sont primordiales pour le développement des activités dans nos villes et nos villages, parce qu’elles sont l’émanation de ce que veulent nos concitoyens.

La relation de confiance qui existait jusqu’alors permettait que des réponses nouvelles puissent s’établir. Elle est, aujourd’hui complètement remise en cause du fait de l’obligation de signer ce Contrat d’engagement républicain qui ne peut que freiner l’innovation, la capacité de créativité.

Certaines associations peuvent être amenées à s’autocensurer « pour éviter de déplaire à leurs financeurs par crainte de perdre des subventions, de mettre à mal leurs activités et/ou par manque de moyens juridiques », selon le Mouvement associatif.

La liberté associative est mise à mal par ce texte et peut conduire à une véritable mainmise du pouvoir sur cette liberté. Le Haut conseil à la vie associative (HCVA) l’explique très bien : « Le Contrat d’engagement républicain tend à confier à l’Administration un pouvoir d’interprétation et de sanction très large » et, cela, « sans information claire, préalable et obligatoire, sur les voies de recours susceptibles d’être exercées par les associations et les fondations mises en cause ».

Le pouvoir de sanction que donne le Contrat d’engagement républicain peut ouvrir la porte à de nombreux comportements sans transparence et d’atteinte à l’équité entre les associations par l’Administration car elle seule est juge de ce qui est dans le cadre ou hors de celui-ci. L’indépendance des décisions devrait passer par une médiation. Même si celle-ci est prévue après la décision prise par l’État, nous ne sommes pas devant un principe d’égalité puisque les mesures sont appliquées d’office par les pouvoirs publics.

Le tableau des bénévoles au libre-service solidaire du Secours populaire de Paris (10, rue Montcalm, 75010), en avril 2020. Photo : © Ishta

Les propos de Claire Thoury, présidente du Mouvement associatif et membre du CESE, dans une interview récente (La Vie, 17 janvier 2022), montrent combien il est important que ce Contrat d’engagement républicain soit revu dans l’intérêt de tous : « Au-delà du fait que les associations en tant que corps intermédiaire ont parfois un rôle de contre-pouvoir ou de lanceur d’alerte, elles sont aussi des espaces démocratiques en elles-mêmes. C’est pourquoi, si la vie associative est entravée par les pouvoirs publics, cela interroge quant à la conception que ces pouvoirs publics ont de la démocratie. L’action associative ne vise pas à porter atteinte à la République, même si elle trouble l’ordre public, elle vise à la faire évoluer. Elle est le reflet de ce que les citoyens ont envie de porter comme message. »

Il conviendrait donc, comme en d’autres domaines des décisions gouvernementales actuelles, de faire une pause ou de revoir le texte pour que se rétablisse cette relation de confiance et que les associations puissent continuer leur inlassable travail de lien social, de force de proposition, d’innovation. Cela veut dire leur donner de la liberté pour aller au bout de leur mission en collaboration avec les pouvoirs publics, sans contrainte et sans diktat, et être, ensemble, des acteurs de la lutte contre toutes les formes de prosélytisme, d’ingérence pouvant porter atteinte au principe de laïcité, cette laïcité qui est au cœur du monde associatif.

La Charte des engagements réciproques a été co-construite entre les pouvoirs publics et les associations pour œuvrer ensemble dans les territoires. Le Contrat d’engagement républicain a déconstruit, sans concertation, tout ce que nous avions patiemment élaboré. Il est temps de rappeler la complémentarité des pouvoirs publics et des associations pour mener à bien des réflexions et des actions pour l’intérêt général. Mais, pour cela, il faut une véritable volonté politique. Existe-t-elle ?

Jean-Louis Cabrespines

NB : Preuve, s’il en fallait une, de la non pertinence du Contrat d’engagement républicain (CER), un « Guide pratique » de 24 pages a été édité, le 13 mars dernier, par le Gouvernement, afin de tenter d’expliquer son bien-fondé !

Une version initiale de cet article est parue dans La lettre du CIRIEC-France d’avril 2023. Une autre paraîtra à la fin du mois dans le magazine de l’Institut ISBL (droit à l’information des institutions sans but lucratif).