Compte-rendu des AMFIS (pour amphis + FI, université d’été de LFI), à Châteauneuf-sur-Isère (Drôme), du 25 au 28 août 2022, et d’autres universités d’été (PS, EELV).

« Ils ont oublié que l’histoire est tragique. » Raymond Aron

I / Grandes lignes

Parmi plus de 5000 personnes participant à ce grand rendez-vous d’avant-rentrée (un record !), dont pratiquement tous les parlementaires LFI (AN et Parlement européen), des dizaines d’élus LFI et la plupart des candidates et candidats NUPES – LFI aux dernières élections législatives, Jean-Luc Mélenchon fut omniprésent (« en retrait, pas à la retraite », au grand dam d’une presse de propagande), analysant en profondeur l’effondrement en cours et à venir, traçant les larges et puissantes perspectives politiques qui s’imposent, en conséquence, à toute la Gauche écologiste représentée, en France, par la NUPES depuis sa fondation (Convention du 7 mai 2022).

En résumé, voici quelques pistes essentielles tracées par l’ex-candidat à l’élection présidentielle d’avril 2022 :

* Dès le 24 août, il est revenu (BFMTV) sur la réalité sociale du pays, soit « 9 millions de pauvres et des centaines de milliers de gens confrontés à l’inflation et à la précarité », soulignant, charitable, « qu’Emmanuel Macron ne se rend pas compte du caractère blessant de ses propos » (notamment l’usage culpabilisant des termes « abondance » et « insouciance », le 24 août) : « Il ne se rend pas compte parce que pour ses amis, les riches, l’abondance ça continue. Il ne veut pas qu’on taxe les profiteurs de crise, les gens qui ont accumulé des millions et des millions et des millions… sur le dos de la crise Covid, de l’inflation… » ;

* il est revenu sur la question centrale du changement climatique, alertant notamment sur le manque d’eau et ses conséquences (incendies, sécheresse, chute des productions agricoles, aggravation de l’incapacité nucléaire…), puis dénonçant, entre autres, le manque d’anticipation et d’action du gouvernement, « les grandes sociétés multinationales qui pompent les nappes phréatiques et qui sont en train de les vider », rappelant enfin qu’il avait commencé sa campagne présidentielle de 2022 sur cette thématique.

La France en feu… Source : EFFIS
La France assoiffée…

* Le 27 août (TF1 et conférence « Retour de l’inflation, retour de la lutte des classes ? » aux AMFIS), Jean-Luc Mélenchon a rappelé que « la cause fondamentale de l’inflation (actuelle) tient en un mot : la spéculation » des « profiteurs de crise ». Le capital augmente le prix auquel il vendait une marchandise, sans qu’il y ait eu au point de départ une augmentation du coût des matériaux de cette marchandise ;

* face à la révolte inévitable de nombreux secteurs de la société, frappés de façon insoutenable par l’inflation, il a prévenu que « le pouvoir macroniste allait devenir de plus en plus violent puisque le néolibéralisme était fondamentalement antidémocratique » ;

* dès la veille, il avertissait : « La rentrée ? Ça va être la bataille générale, il n’y a pas d’arrangement possible avec nous, ni arrangement ni concession ! » ;

* il a donc appelé tous les Insoumis et tous les citoyens à participer, dès la rentrée, « en première ligne, à toutes les formes de luttes qui vont immanquablement se mettre en place pour défendre le droit à la dignité », rendant hommage aux syndicalistes, associatifs, à toutes les militantes et tous les militants qui luttent déjà.

* Le 28 août, lors du meeting de clôture des AMFIS, en bonne compagnie [Léon Deffontaines (PCF), Léa Balage El Mariky (EELV), Sophie Taillé-Polian (Génération.s) et Pierre Jouvet (PS)], Jean-Luc Mélenchon a qualifié le moment écologique dans lequel nous entrons de « nouvelle ère de la civilisation humaine » ;

* il a appelé à « refuser l’effondrement de l’État constaté dans de nombreux services publics », revenant particulièrement sur l’état catastrophique de l’école publique, de l’hôpital et de la sécurité civile (sapeurs-pompiers…) et proposant, en conséquence, d’augmenter les salaires et de titulariser les 800 000 contractuels de la fonction publique pour éviter les pénuries de fonctionnaires que l’on connaît actuellement ;

* il a déploré qu’Emmanuel Macron ait choisi l’affrontement avec le peuple français en refusant d’augmenter les salaires ou de bloquer les prix, soulignant que la première solution à l’ensemble des grands problèmes auxquels nous faisons face se trouve dans le partage des richesses ;

* en conséquence de quoi, il a demandé la mise en place d’une taxe sur les profiteurs de crise, soutenant la pétition « Taxons les superprofits » et la proposition du premier secrétaire du Parti socialiste, Olivier Faure, d’organiser un référendum d’initiative partagée sur ce sujet ;

* enfin, il a appelé à l’organisation d’une grande marche nationale, à Paris, mi-octobre, réunissant les partis de la NUPES, les syndicats, les associations, « contre la vie chère », soulignant la crise politique dans laquelle était entré le pouvoir macroniste et appelant chacune et chacun à l’action : « Tous ensemble nous allons préfigurer ce nouveau Front populaire dont nous avons besoin pour renverser la table ! »

II / L’écosocialisme, encore et toujours plus…

Brefs rappels historiques :

  • L’écosocialisme est né au début des années 1970 (cf., entre autres, le discours d’Indira Gandhi, en juin 1972, à Stockholm, le premier Sommet de la Terre – ONU, dans lequel elle met en cause les méfaits écologiques du système capitaliste), puis se répand dans la gauche écologiste radicale à partir des années 1980, selon Michael Löwy (« Qu’est-ce que l’écosocialisme ? », 2004 ; Écosocialisme, Paris, Mille et une nuits, 2011), admirateur de Walter Benjamin et d’André Gorz.
  • Il est, pour résumer au maximum, la synthèse théorique et stratégique entre le socialisme et l’écologie politique, synthèse incarnée, en France, d’abord par les héritiers de l’ex-LCR, qui a introduit la notion d’écosocialisme en France (NPA, Ensemble), puis par les organisations successives de Jean-Luc Mélenchon (Parti de Gauche, LFI…).
  • Le Parti de gauche organise en décembre 2012, à Paris, des « Assises pour l’écosocialisme », à l’issue desquelles il publie un manifeste intitulé 18 thèses pour l’écosocialisme et l’intègre dans sa plateforme politique lors de son congrès national de Bordeaux (mars 2013).
  • En novembre 2016, la France insoumise adopte officiellement le programme L’Avenir en commun (perfectionné en 2021-2022) dans lequel les idées écosocialistes jouent un rôle essentiel, même si le terme n’y figure pas. Il s’agit de « la règle verte » : ne pas prélever sur la nature davantage que ce qu’elle peut reconstituer, ni produire plus qu’elle ne peut supporter.

AMFIS 2022 :

Bifurcation, planification écologique, « harmonie des êtres humains entre eux et avec la planète » : à Châteauneuf-sur-Isère, Jean-Luc Mélenchon a lié les mots d’ordre de son mouvement avec l’été de tous les désastres écologiques que nous venons de traverser, selon Mediapart.

« Il faut prévenir, réparer, et ne pas accepter l’idée que la nature aurait un prix, et qu’on pourrait payer le prix de la réparation. Il faut entrer en empathie », a-t-il affirmé ainsi, ajoutant qu’« au moment où nous venons de vivre la plus grande sécheresse depuis 500 ans, nous avons vu que ce n’est pas la forêt qui brûle, c’est nous qui brûlons avec ».

Pour lui, les défis climatiques sont toujours inconciliables avec le système capitaliste, car « les profits se font contre l’intérêt général humain », taclant Emmanuel Macron, au passage : « À quoi bon faire le petit Mélenchon de contrebande en parlant de planification écologique quand il ne fait rien du tout ? »

Revenant sur l’affirmation du président de la prétendue République que nous avions atteint « la fin de l’abondance », Jean-Luc Mélenchon a asséné : « Qui a eu de l’abondance dans ce pays ? Ça fait trente ans que vous nous rabâchez que c’est la crise. Les ressources de la planète ont toujours été limitées. Ce qu’il y a eu, c’est de l’irresponsabilité, du pillage, du saccage. »

III / L’Union, plus que jamais !

Aux AMFIS, la fraternité entre Insoumis, écologistes et socialistes fut palpable. Ainsi, quand Pierre Jouvet, porte-parole du Parti socialiste (PS), ex-candidat aux législatives dans la Drôme, est intervenu au forum de clôture de l’université d’été insoumise, après Léon Deffontaines (Parti communiste) et Léa Balage El Mariky (Europe Écologie-Les Verts), une grande joie s’est exprimée parmi les quelque 5000 personnes présentes. « Quel accueil pour un socialiste, mes amis ! […] Pendant des années, le PS était plutôt habitué à conclure les universités d’été du Medef. La rupture, elle est là ! », a alors exulté le bras droit d’Olivier Faure.

Accueilli par les traditionnels slogans « Résistance ! » et « Union populaire ! », raconte Mediapart, Jean-Luc Mélenchon a parfaitement intégré la force de l’Union (NUPES), cette nouvelle donne politique dont il est le premier artisan, rendant des hommages chaleureux au maire écologiste de Lyon, Grégory Doucet, et au premier secrétaire du PS, Olivier Faure. Le site d’information, pour une fois bien inspiré envers LFI, a compris que « l’objectif, en filigrane (est de) consolider l’union, en vue d’un possible retour aux urnes en cas de dissolution de l’Assemblée nationale ».

Lors de l’université d’été du PS, « le Campus », qui se déroulait à Blois (Loir-et-Cher) durant le week-end des 26, 27 et 28 août, Olivier Faure a réaffirmé haut et fort sa stratégie d’union avec LFI, EELV, le PC, Génération.s… Il semble que l’écrasante majorité des socialistes présents lui ont donné raison. Ainsi, Centre Presse a relevé « une longue salve d’applaudissements nourris pour saluer les propos de Jérôme Guedj, député PS de l’Essonne et chargé des relations avec la NUPES, qui venait de vanter avec force tous les bienfaits de la Nouvelle Union populaire écologique et sociale », avant de commenter : « S’il y avait des réfractaires à cette coalition, ils ont fait profil bas et nul ne les a entendus s’exprimer durant le campus d’été du Parti socialiste organisé à Blois ce week-end. François Hollande comme Stéphane Le Foll, hostiles à cette alliance, sont restés loin du Loir-et-Cher… »

Plus stratégiquement, Olivier Faure, qui n’imagine pas qu’il n’y ait pas de sanctions prononcées par la commission nationale envers les dissidents, a enfoncé le clou : « L’avenir du PS est dans la NUPES. Et nulle part ailleurs. C’est le seul cadre qui ramènera la gauche au pouvoir. Pour avoir un meilleur accord, il aurait fallu obtenir de meilleurs résultats. La question n’est pas de savoir comment on sort de cet accord mais comment on va pouvoir le rendre plus fort. Pour cela, un élargissement est nécessaire en allant chercher tous ceux qui se sentent orphelins de la gauche et qui ont besoin de retrouver de l’espérance. Nous devons nous renforcer dans l’union. »

Très symboliquement, le premier secrétaire du PS avait « débarqué, samedi 27 août, sur le parvis de la Halle aux grains (de Blois) accompagné de ses nouveaux camarades, les députés insoumis Clémentine Autain et Alexis Corbière, l’ancien candidat des Verts à la présidentielle Yannick Jadot et le communiste Frédéric Boccara », selon Mediapart, en l’occurrence fielleux.

À Grenoble, où les écologistes (EELV) se retrouvaient dès le jeudi 25 août pour leur propre université d’été, Sandrine Rousseau, consciente du contexte de grave crise sociale et environnementale, a soutenu que « l’heure est à la conquête des gens, cet été d’incendies et de canicule n’est que le début », et qu’« il faut aller dans les quartiers, s’implanter dans les territoires ». Elle s’est prononcée pour l’approfondissement de la NUPES qui a suscité un « espoir » parce que La France insoumise, le PS, le PCF et EELV sont « complémentaires ». « La NUPES ne peut pas juste être ponctuelle », a-t-elle insisté.

De son côté, Julien Bayou, secrétaire national d’EELV, a aussi rendu hommage à la NUPES: « C’est pas rien ce qu’on a fait, dépasser les divergences, les acter. C’était plus qu’un accord, c’était une convergence. On a doublé le nombre de députés de gauche (à 150, dont 23 pour EELV, NDLR), c’est une véritable réussite, il faut poursuivre évidemment. »

Anecdote rapportée par Libération: « Le jeudi soir, à l’orée d’une discussion sur la NUPES, et alors que la salle suffoque, Yannick Jadot se lève soudainement pour assouvir la soif de ses camarades. Tournée générale. L’ex-candidat à la présidentielle sert notamment les insoumis Manon Aubry et Adrien Quatennens, le secrétaire général de la CGT, Philippe Martinez, et la socialiste Dieynaba Diop. »

Tout vient à point à qui sait attendre…

IV / Une « rencontre » stratégique

Un peu plus tôt, ce jeudi 25 août, entre 15h30 et 17h00, à l’occasion des AMFIS (retour à Châteauneuf-sur-Isère !), une rencontre entre Jean-Luc Mélenchon, des parlementaires et autres élu-e-s LFI[1] avec les candidat-e-s NUPES – LFI aux élections législatives 2022 a permis de placer le mouvement en ordre de bataille pour les temps qui viennent.

Photo : © Ishta

En respectant la confidentialité de certains points abordés, il est tout de même possible de présenter quelques décisions essentielles prises par la « direction » du mouvement, après une analyse approfondie de la situation écologique, économique, sociale et politique de notre pays (lire, ci-dessus, le premier point, Grandes lignes ») :

  • La mobilisation militante de la NUPES (LFI de toute façon) doit se structurer autour d’assemblées populaires / citoyennes de circonscription (JLM et Manuel Bompart), étant donné la probabilité d’une dissolution avant la fin de la législature (2027) ;
  • ces assemblées de circonscription doivent être organisées « tous azimuts » et animées par les député-e-s et candidat-e-s (titulaires ET suppléant-e-s) aux législatives 2022 ;
  • l’objectif de ces assemblées de circonscription est de « rassembler le plus largement possible tout le monde : syndicalistes, bénévoles et responsables d’associations, militants politiques de gauche et écologistes, commerçants et habitants de quartier, afin de renforcer la ‘‘fédération populaire’’ » (Adrien Quatennens) ;
  • les groupes d’actions doivent se mobiliser pour le soutien, l’organisation et la réalisation des assemblées de circonscription et de leurs actions (Adrien Quatennens bis) ;
  • les animatrices et animateurs des assemblées de circonscription doivent articuler étroitement leur action à celle du groupe parlementaire LFI – NUPES ;
  • à cette fin, un « canal de communication » entre le groupe parlementaire et les animatrices / animateurs des assemblées de circonscription sera institué dans les prochains jours (Mathilde Panot) ;
  • à titre d’exemple important, l’animation d’ateliers des lois est recommandée, ainsi que les tournées des écoles, des urgences hospitalières, des services publics ou secteurs sociaux en souffrance…, en relation participative avec les syndicats, associations, personnalités représentatives… ;
  • diffuser et promouvoir la pétition « Taxons les superprofits », en vue de la discussion budgétaire de début octobre (Manuel Bompart), préparer la marche nationale contre la vie chère d’octobre (Manuel Bompart bis), qui « doit être une énorme démonstration de force » (JLM)…, et surtout être « l’expression politique de la saine colère du peuple » (JLM bis)… : la NUPES doit attiser l’invincible espoir du peuple français, dans chaque circonscription.

En conclusion d’un long entretien publié par L’Insoumission hebdo du 26 août, Mathilde Panot sonnait de même la mobilisation de rentrée : « Nous allons nous mettre en ordre de bataille contre les mauvais coups du gouvernement. (…) Le 4e tour est commencé. Les jours de la Macronie sont comptés. Nous aspirons toujours à gouverner. Et nous y sommes prêts. »

V / Une intrigante épidémie « de gauche »

(commencement ; la suite dijonnaise bientôt)

À droite, ils ont senti, bien sûr, que le vent tourne.

Sans parler du « petit Mélenchon de contrebande » (Macron), regardons Élisabeth Borne, première ministre, qui « ne ferme pas la porte » à la taxation des superprofits. Mais qui mais préfère cependant des « initiatives » du patronat, précisant qu’elle sera « attentive » à l’attitude des entreprises concernées, qui « doivent rendre du pouvoir d’achat aux Français » (Le Parisien, 27 août), prenant les Français pour des…

Le vent se lève, il tourne, et les girouettes ont complètement perdu le Nord.

Antoine Peillon


[1] Sont intervenus : Jean-Luc Mélenchon, Adrien Quatennens, Manon Aubry, Mathilde Panot, Manuel Bompard, Clémence Guetté…

PS : DANS L’AIR DU TEMPS [L’ART DE RAMPER]

« De tous les arts, le plus difficile est celui de ramper. Cet art sublime est peut-être la plus merveilleuse conquête de l’esprit humain. L’homme de Cour est sans contredit la production la plus curieuse que montre l’espèce humaine. C’est un animal amphibie dans lequel tous les contrastes se trouvent communément rassemblés. Il faut avouer qu’un animal si étrange est difficile à définir : loin d’être connu des autres, il peut à peine se connaître lui-même ; cependant, il paraît que tout bien considéré, on peut le ranger dans la classe des hommes avec cette différence néanmoins que les hommes ordinaires n’ont qu’une âme, au lieu que l’homme de Cour paraît sensiblement en avoir plusieurs. »

Facétie philosophique du baron d’Holbach

#Macronie #courtisans