Appel publié dans Marianne, le 27 novembre 2025 :
120e anniversaire de la loi de 1905
« Ferdinand Buisson voit à travers l’idéal républicain s’exprimer une foi laïque »

Promulguée le 9 décembre 1905, la loi de séparation des Églises et de l’État fêtera bientôt son anniversaire. En cette occasion, le Cercle Ferdinand Buisson, organise le 6 décembre prochain à Thieuloy-Saint-Antoine (60) un hommage à celui qui a été un grand artisan de la laïcité. Une initiative soutenue par de nombreuses associations et personnalités, comme Élisabeth Badinter, Guylain Chevrier, Médéric Chapitaux, Michaël Delafosse, Catherine Kintzler, Delphine Girard, Vincent Peillon ou encore Henri Peña-Ruiz…

Alors que faire société semble si difficile, avec une République laïque souvent attaquée, rien n’est plus urgent que d’en réinvestir l’histoire, l’enjeu. Le passage du « sujet » du roi au citoyen fut une mutation qui occupa le débat sur l’éducation de la fin du XIXᵉ siècle. Elle relève de la formation du citoyen, entre droits et devoirs, mais aussi de la déclinaison d’une identité républicaine commune. C’est ce qui a fondé l’audace de notre contrat social depuis un siècle et demi. Cette grande cause a eu ses héros, il en est un passé dans l’ombre auquel on doit beaucoup. Une tombe parmi les autres, avec un nom mis parfois au fronton d’une école, Ferdinand Buisson.

Il est l’un des principaux inspirateurs des lois scolaires de la IIIᵉ République, de la loi de séparation des Églises et de l’État. De cela, il n’a laissé discrètement de lui, qu’anonymement ce qui en a été versé à la propriété commune. Il est venu ainsi à l’esprit qu’on ne saurait laisser une telle œuvre dans l’oubli. C’est pourquoi le Cercle Ferdinand Buisson*, devant sa tombe dépérissant, a décidé de lui redonner toute sa valeur, en en faisant un monument dédié à la mémoire. Rien d’un regard nostalgique posé sur le passé, une simple clause de sauvegarde de nos consciences. On pourrait finir sinon par croire que l’histoire s’est faite toute seule, et tout perdre de vue, dont les acteurs de la conquête de nos libertés, le nom.

Ferdinand Buisson est pour toujours associé à l’origine de l’école publique, gratuite, obligatoire et laïque, pour le peuple, portant une nouvelle ambition pour l’homme à travers l’instruction qui émancipe. On peut dire que la tâche ne fut pas facile, face à la puissante orthodoxie cléricale d’alors. L’instruction religieuse y est remplacée par l’instruction morale et civique obligatoire, rompant avec l’idée que sans religion on n’a pas de morale, sans qu’il soit question pour autant d’une école athée, mais ne se référant qu’à des connaissances au caractère démontrable. Le temps scolaire est aménagé, pour permettre aux familles qui le souhaitent de donner à leur enfant le complément d’éducation de leur choix.

Né dans une famille protestante en 1841 à Paris, Ferdinand Buisson est un philosophe, pédagogue et homme politique aux convictions républicaines profondes. Il commence par refuser de prêter serment à l’Empire, et s’exile en Suisse, où il enseigne jusqu’à la proclamation de la Troisième République, qui le fait rentrer en France pour s’enrôler dans la garde nationale. Il participe au premier congrès international de la Ligue de la paix et de la liberté qui a lieu à Genève en 1867. Il s’implique activement dans les initiatives politiques et sociales de sa municipalité, créant l’orphelinat municipal du 17ᵉ arrondissement, premier orphelinat laïque, avec une instruction aux enfants sans séparation des sexes, dont il prend la direction. 

Après une vague de protestations dans les milieux catholiques et protestants orthodoxes, qui retarde la nomination de cet agrégé de philosophie à la tête de l’instruction publique, il en devient inspecteur général le 31 août 1878 avant de prendre la direction de l’Enseignement primaire le 10 février 1879, à la demande de Jules Ferry, ministre de l’Instruction publique. Il est l’auteur d’un monumental Dictionnaire de pédagogie et d’instruction primaire (1882). Docteur ès Lettres en 1891, il est nommé à la chaire de Science de l’éducation de la Sorbonne en 1896. C’est durant cette période qu’il réalise sa véritable œuvre. Il travaille aux côtés de Jules Ferry pour asseoir l’école publique sur ces principes qui aujourd’hui encore demeurent. Il voit loin ! En 1905, il participe à l’élaboration de la loi de séparation des Églises et de l’État portée par Aristide Briand, il préside la commission parlementaire chargée de la mettre en œuvre. Il entend placer l’école et l’État en dehors et au-dessus de toutes les confessions et opinions. Il voit à travers l’idéal républicain s’exprimer une foi laïque qui souffle sur l’histoire.

Il se range du côté du capitaine Dreyfus et participe à la création de la Ligue des droits de l’homme, puis en prend la présidence. Élu député radical-socialiste de Paris, il défend notamment le droit de vote des femmes. Il est à la tête de la Ligue de l’enseignement de 1902 à 1906. Partisan de la Société des Nations, il reçoit le prix Nobel de la paix en 1927 avec Ludwig Quidde, historien et homme politique allemand, pour son action en faveur du mouvement pacifiste.  Fait grand officier de la Légion d’honneur, il se retire finalement dans l’Oise après 1924, à Thieuloy-Saint-Antoine, où il s’éteint en l’année 1932 à l’âge de 91 ans, et mis en terre. On voit toute l’importance de replacer ce grand homme dans la lumière du temps présent.

Aussi, cette entreprise de rénovation a été ressentie comme une nécessité alors que nous fêtons le 120ᵉ anniversaire de la loi, si capitale, de séparation des Églises et de l’État. Une campagne de collecte a permis d’en rassembler les fonds. On y trouvera, sur la dalle, les symboles qui représentent ses buts humanistes : Le rappel de la loi : Fondateur de la loi de séparation des Églises et de l’État ; sa célèbre expression : « Le premier devoir de la République est de faire des républicains » ; le crayon en bois rouge de l’école publique qui symbolise l’école pour tous, qui écrit le mot « Laïcité » ; la colombe de la Paix posée sur la gomme du crayon et qui regarde Ferdinand Buisson ; le bas-relief de l’image stylisée de Ferdinand Buisson qui regarde la colombe… La cérémonie publique d’inauguration pour lui rendre cet hommage aura lieu le 6 décembre prochain en présence de nombreuses personnalités, de républicains. On ne peut éviter de penser que cet événement soit celui qui précède une candidature à panthéonisation.

Associations et mouvements signataires :
Actions pour les Collectivités Territoriales et Initiatives Sociales, Sportives, Culturelles et Educatives (ACTISCE)
Association de défense des laïques (AD3L) : Agir pour la laïcité et les valeurs républicaines
Association Européenne de la Pensée Libre (AEPL-EU)
Association EGALE ; Association des libres penseurs de France (ADLPF)
Cercle Ferdinand BUISSON
Comité de réflexion et d’action laïque – CREAL 76
Comité Laïcité République (CLR)
Comité 1905 Auvergne Rhône Alpes (ARA) : Femmes Contre les Intégrismes
Fédération nationale des DDEN (Délégués Départementaux de l’Éducation Nationale)
Fédération Française de l’Ordre Mixte du Droit Humain (Le DH)
Grande Loge Féminine de France (GLFF)
Grande Loge Mixte de France (GLMF)
Grande Loge Mixte Universelle (GLMU)
Grand Orient de France (GODF)
Grand Orient Latino-Américain
Le Sou des Écoles Laïques
Laïcité18
Laïcité 40
Laïcité et féminisme
Laïcité – Liberté
Ligue Internationale Contre le Racisme et l’Antisémitisme (LICRA)
La Ligue du Droit International des Femmes (LDIF)
LibreS Mariannes
Le Chevalier de la Barre
Le Conseil national des associations familiales laïques (CNAFAL)
Lumières laïques – Cercle Maurice Allard
L’Union des Familles Laïques (UFAL)
Observatoire de la laïcité des Alpes Maritimes (L’OLAM)
Observatoire de la laïcité de Provence (L’OLPA)
Observatoire de la Laïcité de Saint-Denis (OLSD)
Vigilance collèges-lycées (VCL)
Vigilance Travail Social (VTS)
Vigilance Université

Personnalités signataires :
Gilbert ABERGEL, Président national du Comité laïcité République
Élisabeth BADINTER, philosophe, féministe, militante laïque
Patrick BELGHIT, Président du Conseil national des associations familiales laïques
Kamel BENCHEIKH, écrivain
Corinne BERRON, autrice et productrice
Pierre BERTINOTTI, Grand Maître du Grand Orient de France
Alexandra BORCHIO FONTIMP, sénatrice
Belinda CANNONE, écrivain et MCF de littérature comparée
Médéric CHAPITAUX, membre du Conseil des Sages de la Laïcité
Martine CERF, Vice-présidente d’EGALE
Guylain CHEVRIER, Docteur en Histoire, formateur et chargé d’enseignement à l’université
Michaël DELAFOSSE, maire de Montpellier
Gérard DELFAU, Directeur de la collection Débats laïques
Philippe FOUSSIER, Vice-président d’Unité Laïque
Delphine GIRARD, cofondatrice de Vigilance Collèges Lycées (VCL), professeur de lettres classiques, présidente de la commission Education de la LICRA, membre du Conseil des sages de la laïcité
Fayçal JELIL, archiviste des vies décentes
Eddy KHALDI, Président de la Fédération nationale des DDEN
Catherine KINTZLER, ancienne professeur des universités
Françoise LABORDE, ancienne sénatrice
Guy LENGAGNE, ancien ministre
Marylène MANTÉ-DUNAT, enseignante à l’université de Lille, droit du travail
Thierry MESNY, libre penseur
Vincent PEILLON, ancien ministre de l’Education nationale
Henri PEÑA-RUIZ, philosophe
Nicolas PENIN, ancien Grand Maître du GODF
Nicole RAFFIN, féministe, militante laïque
Philippe ROBLIN, Président d’Agence Conseil
Alain SEKSIG, Secrétaire général du Conseil des Sages de la laïcité de l’Éducation nationale
Hélène SERRES, autrice et comédienne
Annie SUGIER, Présidente de la Ligue du droit international des femmes (LDIF)
Guillaume TRICHARD, ancien Grand Maître du GODF

* Le prix du Grand Orient de France 2025 a été attribué à Michel Dumont, président fondateur du Cercle Ferdinand Buisson, dans la perspective de cet hommage.

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Une bibliographie

Ferdinand Buisson (dir.), Dictionnaire de pédagogie et d’instruction primaire, Hachette, 1882-1887 ; nouvelle édition établie et présentée par Patrick Dubois et Philippe Mérieu, avec une préface de Pierre Nora, Robert Laffont, coll. « Bouquins », 2017

Ferdinand Buisson (dir.), Nouveau dictionnaire de pédagogie et d’instruction primaire, Hachette, 1911

Ferdinand Buisson, Éducation et République, choix et présentation de 111 textes par Pierre Hayat, Kimé, 2003

Ferdinand Buisson, La Foi laïque : extraits de discours et d’écrits, 1878-1911, avec une préface de Raymond Poincaré, Hachette & Cie, 1912 ; avec une présentation de Mireille Gueissaz, Le Bord de l’eau, 2007

Ferdinand Buisson, Laïcité, citadelle de la liberté, Anthologie établie et présentée par Christophe Cousinié, Paris, Van Dieren Éditeur, 2025

Patrick Cabanel, Ferdinand Buisson. Père de l’école laïque, Labor et Fides, 2016

Pierre Hayat, La Passion laïque de Ferdinand Buisson, Kimé, 1999

Laurence Loeffel, Ferdinand Buisson. Apôtre de l’école laïque, Hachette, 1999

Laurence Loeffel, La question du fondement de la morale laïque sous la IIIe République (1870-1914), PUF, 2000

Laurence Loeffel, Ferdinand Buisson, fondateur de la laïcité (Colloque), Amiens, SCÉRÉN-CRDP Académie d’Amiens, coll. « Documents, actes et rapports pour l’éducation », 2004

Laurence Loeffel, « Conversion laïque, présence religieuse et religiosité dans le Dictionnaire de pédagogie », dans Denis (D.), Kahn (P.) (Eds.), L’École de la Troisième République en questions. Débats et controverses dans le Dictionnaire de pédagogie de Ferdinand Buisson, Berne, Peter Lang, col. « Exploration », 2006, pp. 125-139

Laurence Loeffel, La morale à l’école selon Ferdinand Buisson, Tallandier, 2013

Vincent Peillon, Une religion pour la République : la foi laïque de Ferdinand Buisson, Le Seuil, 2010

Samuël Tomei, Ferdinand Buisson (1841-1932) : protestantisme libéral, foi lai͏̈que et radical-socialisme, Institut d’études politiques, Paris, thèse non publiée, 2004

Antoine Peillon

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Extrait de « Vive le combat laïque ! – 1 »

Aussi, il est aujourd’hui primordial de ressusciter le combat laïque des fondateurs de la République, au premier rang desquels il faut citer Ferdinand Buisson et Jean Jaurès. Fondateurs qui n’hésitaient pas à parler de « foi laïque », laquelle n’est certainement pas qu’une « neutralité » désenchantée de l’État, neutralité si sujette au mépris et même à la haine des fanatiques de toute sorte.

« La laïcité est un athéisme ! », n’ont jamais cessé de marteler les cléricalistes, fanatiques et autres fondamentalistes de tous poils… Ce en quoi ils démontrent que leur haine se nourrit de l’ignorance et de l’hypocrisie les plus absolues.

Car, dès sa première formulation complète, en 1882, par Ferdinand Buisson, dans le décisif Dictionnaire de pédagogie et d’instruction primaire, dès sa première institution par les lois dites « de Jules Ferry », du 28 mars 1882 et du 30 octobre 1886 qui instaurent une « instruction morale et civique » à la place de l’enseignement de la morale religieuse et, pour la seconde, la laïcité du personnel et des programmes, le principe laïque est transcendant autant qu’immanent à la République. Ainsi, l’excellent historien Claude Nicolet, affirmait, dans son livre fondateur L’Idée républicaine en France (1789-1924) publié en 1982 : « L’unité juridique et territoriale [de la France], horizontale, exige aussi une unité d’une autre sorte, [verticale], morale ou spirituelle : c’est la laïcité. »

Cette verticalité transcendante de la laïcité est sa philosophie même, telle que l’ont pensée et formulée ses fondateurs, les philosophes et députés républicains, radical-socialiste pour l’un et socialiste pour l’autre, Ferdinand Buisson et Jean Jaurès.

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