La carte postale de Jeannine Tisserandot
Sic itur ad astra
Nous irons ainsi jusqu’aux astres
Devise des frères Montgolfier
D’Etana soulevé par un aigle dans les airs, d’Icare et de ses ailes en plumes collées par de la cire, de Léonard de Vinci, son ornithoptère et son parachute, d’Abbas Ibn Firnas et ses ailes de bois et de plumes, de Francesco Lana de Terzi Bartolomeu avec son engin volant en forme de bateau, de Lourenço de Gusmão, « le planeur », de sa « gondole volante » et de ses petits ballons, de Lourenço de Gusmão, l’inventeur de la “Passarola”, l’oiseau femelle, du serrurier Jacob Besnier et de sa machine qui pouvait battre des ailes, et de bien d’autres encore, que reste-t-il ?
Peu de choses, sinon la certitude que la fascination de l’espace, le désir de s’élever dans les airs, d’être « libre comme l’air », de voler comme les dieux de l’antiquité et de la mythologie, et mieux encore, d’atteindre la lune, les étoiles… est le plus vieux rêve de l’homme…. De tous temps et dans tous les pays, des idéalistes, des utopiques, ont tout sacrifié, ont pris tous les risques afin de satisfaire leur soif d’aventure et de liberté.
Qui ne connaît, n’a entendu parler des frères Montgolfier, Joseph-Michel et Jacques-Étienne qui ont inventé la Montgolfière, ballon à air chaud grâce auquel a été réalisé, en 1783, le premier vol d’un être humain.
C’est à Versailles, qu’un ballon sphérique « Le Martial » fait de textiles et de papier, gonflé avec de l’air chaud produit par la combustion de paille, de 19 m de haut et pesant 400 kg, est d’abord essayé en vol captif, c’est à dire attaché au sol, puis présenté au roi Louis XVI le 19 septembre 1783, à Versailles.
Dans un panier en osier attaché par une corde sous le ballon, étaient enfermés un mouton, un canard et un coq. Le ballon, en vol libre, monta à une hauteur d’environ 500 mètres, et vola 8 minutes sur trois kilomètres cinq cents. À l’atterrissage, les animaux étaient vivants et n’avaient pas souffert. La preuve était faite qu’un ballon pouvait emporter une charge conséquente et que l’on pouvait survivre à un séjour en altitude.
Puis, tout s’accéléra… Dés 1784, on nota en France mais aussi en Italie, en Angleterre, un grand nombre d’essais d’envol de montgolfière dont de nombreux réussis. Les ballons pouvaient être gonflés grâce à l’air chaud, mais aussi au butane ou à l’hydrogène. Munis d’une hélice actionnée à la main et poussé par le vent ils ont franchi la Seine puis traversé la Manche !
L’histoire des premiers vols en montgolfière accélèrent bien sûr les recherches scientifiques car faire monter un ballon est une chose mais il faut comprendre pourquoi et être capable de le diriger.
Les montgolfières exploitent d’une part le principe d’Archimède et, d’autre part, la caractéristique des gaz selon laquelle sous l’action de la chaleur, l’air se dilate, et que donc, sa masse volumique diminue. A pression identique, l’air chaud étant plus léger que l’air froid, le ballon monte et il redescend lorsque l’air se refroidit.
Né rue Berbisey à Dijon en 1737, Guyton de Morveau, chimiste célèbre s’intéresse au plus léger que l’air. Il se rend vite compte que les ballons sont les jouets des vents. Sous sa présidence, au cours de sa séance du 4 décembre 1783, l’Académie des Sciences de Dijon aborde le problème de la direction des ballons.
Cette communication va permettre la construction d’un ballon sphérique en soie vernie imperméable, dirigé par deux rames accrochées à la nacelle, ainsi que deux grandes rames fixées à un cercle équatorial entourant complètement l’enveloppe. S’y ajoutaient un gouvernail à l’arrière et un taille vent à l’avant. Tous ces éléments se manœuvraient à l’aide de cordes et de poulies.
Ce ballon retenu captif, effectua une première ascension le 28 février 1784 puis d’autres, en ballon libre, la même année, mais les résultats ne sont guère concluants.
Le 2 mars 1784, la foule depuis le Champ de Mars à Paris assista à l’ascension d’un aérostat gonflé à l’hydrogène, muni d’une hélice actionnée à la main qui franchit la Seine et revient pour se poser rue de Sèvres. Et les vols continuèrent avec une courte pause après l’accident mortel survenu le 15 juin 1785 lors d’une tentative de traversée de la Manche contre les vents dominants.
Mais ils reprendront durant la révolution française avec la nomination d’un « Aérostatier des Fêtes Publiques ».

1903
Lorsqu’en 1900, Paris accueillit l’Exposition universelle, les ascensions en ballon captif furent proposées aux visiteurs. 1 094 ascensions eurent lieu transportant environ 10 000 personnes à 300 mètres de hauteur. Des épreuves de course en montgolfière furent également organisées à la plus grande joie du public : course de vitesse, d’altitude atteinte…
Le 7 avril 1793, notre dijonnais, Guyton de Morveau fut élu président du Comité de Salut public, créé la veille par la Convention. Toujours passionné par les aérostats, il comprendra vite que les ballons ne seront performants que s’ils sont de forme allongée plus aérodynamique, et propulsés par un moteur. Malheureusement, il ne put continuer ses essais en cette période troublée, où les moyens financiers étaient rares.
Les montgolfières et autres ballons ne sont manœuvrables que verticalement et naviguent au gré du vent, alors que les « dirigeables » plus légers que l’air eux aussi, sont pourvus de systèmes de propulsion et de direction qui les rendent entièrement manœuvrables.
Ce n’est qu’en 1852, que le premier « ballon dirigeable », gonflé au gaz d’éclairage et équipé d’un moteur, une machine à vapeur, d’une hélice et d’un gouvernail parcourut une distance de 27 km.
Le 15 janvier 1863, paraît Cinq semaines en ballon de Jules Verne, ouvrage qui a fait rêver les français et le monde et a provoqué l’enthousiasme de ses lecteurs.
Puis, en 1884, le dirigeable La France effectua un petit voyage de huit kilomètres entre Meudon et Villacoublay. Revenir à son point de départ, voilà un vrai progrès !

1907
Le 28 mai 1931, le professeur Auguste Piccard battit un record d’altitude : il monta à 16 000 mètres, et redescendit vivant, grâce à l’utilisation d’une cabine pressurisée sphérique en aluminium. L’objectif était d’atteindre la stratosphère pour permettre des expérimentations concernant l’étude scientifique du rayonnement cosmique dans l’espace.
Au cours des années 1930, apparut une nouvelle génération de Zeppelins géants destinés au transport des personnes et des marchandises. Le plus célèbre de ces dirigeables, long de 246 mètres, fit de nombreux voyages intercontinentaux avant de brûler entièrement dans un incendie catastrophique près de New York, le 6 mai 1937 provoquant la mort de 35 personnes.
C’est en 1999 que le petit-fils d’Auguste Piccard fit le tour du monde sans escale en ballon mixte parcourant 46 759 km en un peu plus de 19 jours.

1936
« L’épopée disparaît avec l’âge de l’héroïsme individuel ; il n’y a pas d’épopée avec l’artillerie. »
Ernest Renan
La science est un savoir, non une vision du monde… La liste est longue des scientifiques qui ont affirmé ne pas avoir voulu l’usage fait ensuite de leurs découvertes. Ils ont prétendu que les applications techniques controversées n’étaient dues qu’aux visions politiques qui les ont décidées.
Nous n’allons pas entrer ici dans le débat qui consiste à réfléchir à la neutralité de la science dans son rapport avec la société. A qui peut-on imputer le bon ou le mauvais usage de l’utilisation des découvertes qu’elle a faite ?
Nous ne reviendrons pas non plus sur la nature humaine, mais dans le cas présent, comme dans de nombreux autres, on constate que le beau rêve des précurseurs, leurs utopies, ont très vite été balayés par l’impérieuse nécessité du politique et des conflits entre nations.
En tout cas, dès 1793, nous retrouvons notre ingénieur dijonnais Guyton de Morveau, proposer aux membres du comité de Salut Public, de commander la construction d’un ballon « aisément utilisable en campagne et capable d’emporter deux observateurs » à des fins militaires.
Le 2 avril 1794 de la même année, la première compagnie « d’aérostiers » fut créée et partit appuyer l’armée de Sambre et Meuse qui se battait à Maubeuge. Le 2 juin eut lieu la première ascension d’observation puis les aérostiers rejoignirent Charleroi, dans leur ballon gonflé tiré sur 45 km afin de renseigner l’état-major français sur les mouvements des autrichiens. La présence de ce ballon espion affecta le moral des coalisés, désorientés et démoralisés de voir tous leurs mouvements décelés à l’avance par leurs adversaires.
D’autres ballons furent construits pour être utilisés aux mêmes fins. Deux d’entre eux embarqués pour la campagne d’Égypte coulèrent avec les deux navires qui les transportaient… Peu après, Bonaparte, partisan des guerres de mouvement, démantela les deux compagnies d’aérostiers devenues inutiles.
Par la suite, à partir de 1861, les ballons furent intensément utilisés par l’armée unioniste lors de la Guerre de Sécession, toujours en vol captif d’observation, reliés au sol par un câble télégraphique ou en vol libre de reconnaissance.
En 1870, lors du siège de Paris, le ballon Neptune, qui appartenait au photographe Nadar installé à Montmartre rendit, captif, de grands services pour observer les mouvements de l’ennemi, puis en vol libre pour transporter le courrier et des personnalités politiques en zone non occupée. Enfin il permit à Léon Gambetta de rejoindre Tours pour y organiser la résistance. En un peu moins de six mois, 66 ballons montés transportèrent 11 tonnes de courrier. Cinq seulement victimes des caprices du vent, furent pris par les Allemands.
À partir de 1902, la société Lebaudy Frères se lança dans la construction aérostatique. En juillet 1905, l’enveloppe du dirigeable se déchira contre un arbre. Reconstruit, il devient un semi-rigide en toile caoutchoutée propulsé par un moteur à essence. À Toul, il fit plusieurs ascensions, dont celle du 24 octobre 1905 avec le ministre de la Guerre à bord.


En 1911, il fut décidé d’abandonner l’emploi des ballons captifs au profit des dirigeables aptes au bombardement.
Pourtant, c’est durant la Première Guerre mondiale que le ballon d’observation fut le plus utilisé. Les Allemands avaient développé un nouveau type de ballon de forme oblongue, que les soldats ont baptisé « saucisses ».
La France, grâce à l’ingénieur Albert Caquot, les copia, les améliora et les stabilisa. Dans ces ballons « Caquot », captifs, reliés au sol par des câbles de communication, malgré le froid et les intempéries, les aérostiers se tenaient immobiles plusieurs heures dans leur petite nacelle. Ces ballons furent également utilisés par la marine britannique pour repérer les sous-marins, et plus tard, afin d’éviter les attaques aériennes, en ballons de barrage. Reliés au sol par des câbles d’acier, ils empêchaient les vols rasants des avions…
Les premiers modèles de dirigeable militaires furent développés au début du XXe siècle, principalement en France et en Allemagne : les forces armées de ces deux pays se livrèrent alors à une course aux armements, malgré de nombreux accidents mortels.
Grâce à l’invention du moteur à combustion interne, le comte Ferdinand von Zeppelin construisit avec succès des dirigeables à enveloppe rigide de 1899 jusqu’à la Première Guerre mondiale, où ils bombardèrent la ville de Londres à maintes reprises. Les zeppelins traversèrent l’Océan Atlantique, puis survolèrent le pôle Nord.
En août 1914, l’armée française disposait de 216 avions, pour sept dirigeables et autant de ballons captifs. Du côté de l’armée allemande, 238 avions, douze zeppelins, sept compagnies d’aérostats d’armée étaient mis en ligne auxquels se rajoutaient trois zeppelins civils, mobilisés et militarisés rapidement.
A partir de ce moment, la concurrence des avions militaires condamnèrent rapidement l’emploi des dirigeables. Leur emploi se poursuivit néanmoins, côté allemand pour le bombardement stratégique et la reconnaissance maritime, côté allié pour la lutte anti-sous-marine.
Après les premiers vols des frères Wright en 1903, les « aéroplanes » (renommés « avions » en 1911) se perfectionnèrent rapidement.


Le traité de paix signé à Versailles le 28 juin ordonna la livraison aux alliés « des ballons dirigeables en état de vol, en cours de fabrication, en réparation ou en montage ; les appareils pour la fabrication de l’hydrogène ; les hangars des ballons dirigeables… ». C’était la fin des zeppelins militaires en Allemagne.
Après l’accident, le 23 août 1921, d’un dirigeable militaire qui fit 44 morts, et celui d’un dirigeable civil en 1930 (48 morts), l’emploi des dirigeables au sein de la force aérienne de l’armée britannique fut abandonné.
En 1940, les Etats-Unis financèrent un programme de nouveaux dirigeables pour faire de la surveillance maritime et lutter contre les sous-marins. Un total de 154 dirigeables furent construits pour la marine américaine, avec comme armement principal quatre charges explosives et une mitrailleuse.
Deux escadrilles entières (chacune de six dirigeables) américaines furent envoyées au Brésil, une autre affectée au Maroc à partir de juin 1944 pour patrouiller au-dessus du détroit de Gibraltar. Un détachement de l’escadrille participa aux missions d’escorte et au déminage des ports provençaux. On peut noter les tentatives japonaise et britannique d’attaque du territoire de l’adversaire avec des ballons-bombes. L’emploi militaire des dirigeables disparaîtra presque complètement à partir du début de la guerre froide.
Le dernier dirigeable opérationnel américain fut définitivement retiré en 1959 et on eut pu croire que son utilisation serait complètement abandonnée…
C’était sans compter sur la prise de conscience planétaire, des peuples et de leurs dirigeants, des conséquences désastreuses de certaines activités humaines sur l’environnement. La question d’un éventuel réchauffement d’origine anthropique prenant de l’ampleur, des objectifs environnementaux censés réduire la pollution, les gaz à effet de serre et le réchauffement climatique furent définis.
Dans ces conditions, l’usage des « plus légers que l’air » retrouva tout son intérêt aussi bien militaire que civil.
Et les utilisations reprirent dès le début du XXIe siècle, sous forme de ballons captifs de surveillance en Irak et en Afghanistan.
Deux d’entre eux sont actuellement testés par les États-Unis pour servir de plateforme radar dans le cadre du bouclier antimissile, un projet de dirigeable haute altitude, automatisé et pourvu de panneaux solaires devra rester durant un mois dans la stratosphère à 18 km d’altitude…
En Europe, un dirigeable est expérimenté depuis 2013 comme plate-forme d’observation maritime au-dessus de la Méditerranée. Équipé d’une caméra et d’un radar, il participe au projet européen de « système global de surveillance d’espace maritime régional et de détection des contrevenants.
Était-ce un ballon espion chinois qui fut observé dans le ciel américain en février 2023, ou, comme le dit le gouvernement chinois un dirigeable civil utilisé pour la recherche météorologique qui aurait dévié de sa trajectoire ?
Des aérostats américains ont-ils violé l’espace aérien chinois « plus de dix fois » depuis le début de l’année 2022, comme l’affirme cette nation ?
« Flying Whales » – baleines volantes, en français – entreprise aux actionnaires publics et privés, (Canada, Chine, France…) créée à l’origine pour agrandir la zone d’exploitation d’ONF, et qui a son siège final d’assemblage en France, va lancer en 2026, « le développement d’un programme aéronautique, une solution de dirigeable pour charges lourdes afin de désenclaver des territoires, désengorger des infrastructures congestionnées, livrer au plus près du besoin des denrées, des matériaux de construction, du bois, de l’aide humanitaire ou même du matériel spatial sensible«
Par ailleurs, la fascination du public pour le plus léger que l’air n’a pas faibli. Chaque année encore, en juin, une fête de la montgolfière se déroule à Annonay, lieu de création, de mise au point et du premier décollage de l’appareil des frères Montgolfier,
« Nous avons volé dans les airs comme les oiseaux et nagé dans la mer comme des poissons, mais nous n’avons pas encore appris le simple fait de marcher sur la terre comme des frères. »
Martin Luther King
Nous sommes donc à nouveau dans une période propice au développement des ballons et dirigeables… Et si l’on rêvait ?
Peut-on espérer qu’un jour, comme il en est prévu pour les « baleines volantes« , ces dirigeables serviront à construire la paix et l’entraide entre les peuples, et apporteront aux individus le nécessaire moyen de déplacements sécurisés mais respectueux de l’environnement ?
Peut-on espérer que échangées et diffusées à travers le monde, ces connaissances construiront un patrimoine commun de l’humanité et non l’apanage de quelques militaires excités qui veulent imposer leurs visions du monde, leur prééminence, leur sectarisme ?
Peut-on espérer, comme Condorcet, voir se concrétiser un jour « nos espérances sur l’état à venir de l’espèce humaine », qui « peuvent se réduire à ces trois points importants : la destruction de l’inégalité entre les nations ; les progrès de l’égalité dans un même peuple ; enfin, le perfectionnement réel de l’homme. »
Il est urgent de se remettre à rêver et de se donner les moyens d’imposer la volonté des peuples et non de leurs dirigeants !
Toutes les images sont issues d’une collection personnelle.
Les articles de Jeannine Tisserandot dans Le Jacquemart
