Le 21 février 2024, jour du 80e anniversaire de l’exécution de vingt-deux résistants dont il était le responsable, Missak Manouchian va entrer au Panthéon avec Mélinée, son épouse et sa camarade de combat. La Nation célèbre ainsi l’engagement des étrangers dans la Résistance.

Photo : Ishta

Accueillir les Manouchian au Panthéon, « c’est la reconnaissance de cette composante si importante de la Résistance française », soulignait l’historien Denis Peschanski, en juin 2023, estimant que seraient enfin honorés « tous les étrangers qui ont combattu en France ».

L’initiative « Missak Manouchian au Panthéon » a été lancée par l’Unité laïque à l’automne 2021. Cosignataire de la tribune initiale (13 janvier 2°22), Denis Peschanski a rejoint le comité exécutif en tant que conseiller historique jusqu’à l’annonce présidentielle du 18 juin 2023. La cérémonie de panthéonisation aura sa place dans l’ensemble des commémorations de 2024-2025 dont l’Élysée a souhaité donner une dimension particulière en créant un Groupement d’Intérêt Public (GIP), présidé par l’ancien ambassadeur Philippe Etienne. La présidence du conseil scientifique en a été confiée, le 2 octobre 2023, à Denis Peschanski.
Source : https://recherche.pantheonsorbonne.fr/actualite/denis-peschanski-manouchian-ce-sont-tous-resistants-etrangers-qui-entrent-pantheon
Le « Comité exécutif du projet « Missak Manouchian au Panthéon » » (6 personnes, dont denis Peschanski) et le « Comité de parrainage de l’initiative « Missak Manouchian au Panthéon », signataires de la tribune initiale » (14 personnes) : https://manouchian-au-pantheon.org/index.php/category/parrainage-et-soutiens-work/

Réalisation : Antoine Peillon

Feuilletages de Manouchian. Missak et Mélinée Manouchian, deux orphelins du génocide des Arméniens engagés dans la Résistance française, un livre majeur de Astrig Atamian, Claire Mouradian et Denis Peschanski, paru aux éditions Textuel (2023) et de Résistants, hors-série du journal Le Monde (février 2024). Galerie : www.ishta.fr/Manouchian

« L’Affiche rouge », Louis Aragon + Léo Ferré, interprétée par Feu! Chatterton.

Une cérémonie est organisée par la Ville de Dijon en hommage à Missak et Mélinée Manouchian, le 21 février, à partir de 10h (ouverture des portes à 9h15), salle des États, à l’Hôtel de Ville.

Le remarquable documentaire Manouchian : une vie de combats, des élèves de 3e du collège Jean-Philippe Rameau (Fontaine d’Ouche / Dijon) sera projeté à cette occasion. La chorale Rameau interprétera la chanson « L’Affiche rouge » (texte d’Aragon chanté par Léo Ferré et, aujourd’hui, par Feu! Chatterton).

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Regarder Manouchian et ceux de l’Affiche rouge, mardi 20 février, à 21h10, sur France 2.

Denis Peschanski : « Avec Manouchian, ce sont tous les résistants étrangers qui entrent au Panthéon. »
Rencontre avec l’historien Denis Peschanski, qui répond à nos questions après l’annonce, le 18 juin dernier, de l’entrée au Panthéon de Missak et Mélinée Manouchian le 21 février 2024, 80 ans après la condamnation à mort de 23 membres des Francs-Tireurs et Partisans de la Main d’œuvre immigrée (FTP-MOI) de la région parisienne.
Université Panthéon-Sorbonne, le 13 octobre 2023

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L’entrée au Panthéon de Missak et Mélinée Manouchian illustre la part prise par des étrangers dans la défense des valeurs universelles de notre République. Elle est aussi lourde de sens à notre époque de retour en force de la xénophobie, rappelle, dans sa chronique, Philippe Bernard, éditorialiste au journal Le Monde.

En ouverture de Résistants, le hors-série du journal Le Monde (février 2024). Photo : Ishta

Célébrer les étrangers ou les montrer du doigt ? Deux mois après avoir fait le forcing pour faire voter une loi confortant l’idée que l’immigration est un défi majeur pour la France sans y apporter de réponse réelle, et privant des étrangers en situation régulière de certains droits sociaux – disposition finalement annulée par le Conseil constitutionnel –, Emmanuel Macron présidera, le 21 février, la cérémonie marquant l’entrée au Panthéon de Missak Manouchian et de sa compagne Mélinée, deux immigrés, héros de la Résistance.

Quatre-vingts ans précisément après son exécution au Mont-Valérien par les nazis, le chef des Francs-tireurs et partisans de la main-d’œuvre immigrée (FTP-MOI) en 1943, organisation de résistance communiste regroupant des étrangers et des apatrides, dont la figure est entrée dans la mémoire collective à travers le poème d’Aragon Strophes pour se souvenir (1955) mis en musique sous le titre L’Affiche rouge par Léo Ferré (1961), est célébré comme un « grand homme » ayant marqué l’histoire de France.

La « panthéonisation » de Missak Manouchian, le rappel de son martyre et de celui de ses vingt-deux compagnons d’armes exécutés s’inscrivent explicitement dans le contexte d’un pays fragmenté et travaillé par la question identitaire sous la pression de l’extrême droite. « Le rôle que je me suis assigné, c’est de tenir l’unité du pays, a déclaré en décembre 2023 au Monde Emmanuel Macron à propos de la future cérémonie. Dans le combat que nous menons contre les obscurantismes, il faut tenir, éduquer et promouvoir des symboles, comme Manouchian. »

a contradiction entre l’orientation donnée au débat sur l’immigration et l’hommage à des résistants immigrés ne peut qu’interpeller. Comme Pierre Ouzoulias, sénateur (PCF) et petit-fils d’un dirigeant de la Résistance parisienne, on peut à la fois voir dans cette séquence la limite du « en même temps » macronien, et reconnaître dans la célébration des militants de l’Affiche rouge un geste d’une immense portée symbolique. « On peut mourir pour la France quand on n’est pas français », résume l’élu communiste.

Un amour de la France

Cet hommage à la part prise par des étrangers dans la défense des valeurs universelles d’une République qui n’est pas nécessairement accueillante envers eux est lourd de sens à notre époque de retour en force de la xénophobie. Missak Manouchian, survivant du génocide arménien et apatride, arrivé en France en 1924, a demandé en vain à deux reprises la nationalité française, en 1933 puis en janvier 1940, alors qu’il était engagé volontaire dans l’armée. Sur le millier de résistants fusillés par l’occupant au Mont-Valérien, 185 étaient étrangers, une proportion très supérieure à leur place dans la population.

Mais le principal enseignement apporté aujourd’hui par le chef des FTP-MOI et de ses camarades réside dans le caractère extraordinairement composite de leur identité. Arménien, ouvrier, poète, apatride, communiste, internationaliste et aussi de culture chrétienne – il a communié avant son exécution, indique l’historien Denis Peschanski, l’un des maîtres d’œuvre de la panthéonisation –, Missak Manouchian avait développé un amour de la France dès son enfance dans l’orphelinat du Liban, sous mandat français, où il avait été placé. Ses compagnons de Résistance, juifs communistes ayant fui les persécutions en Europe centrale, antifascistes italiens et espagnols, étaient réunis par les mêmes valeurs.

« Leurs facettes multiples n’empêchent pas au contraire une “convergence identitaire” autour des valeurs héritées de la Révolution française », insiste Denis Peschanski qui souhaite « inscrire la commémoration dans une perspective résolument universaliste ». Il pense que la cérémonie peut nous aider à « trouver des passerelles entre les identités » à une époque où « l’on tend à perdre ce commun partagé » construit sur l’héritage des Lumières et les droits de l’homme. Le PCF avait organisé les immigrés de façon séparée et, dans la Résistance, les avait regroupés dans quatre « détachements » selon leurs origines et leurs langues. Mais leur attachement à leurs racines n’était nullement incompatible avec le choix de la France.

Incompréhensions et extrémisme

Missak Manouchian, pas plus que les autres héros de l’Affiche rouge, n’est réductible à une seule de ses identités. Assumée, cette « polyvalence identitaire », selon une autre expression employée par l’historienne Renée Poznanski, qui concilie extranéité et amour de la France, résonne terriblement à l’heure où l’assaillant de l’attentat d’Arras affirme de façon glaçante, comme l’a révélé Le Parisien, avoir ciblé, le 13 octobre 2023, le professeur de lettres Dominique Bernard précisément parce qu’il personnifiait à ses yeux la transmission de « l’amour (…) de la République, de la démocratie, des droits de l’homme ».

Essentiel face à tous les intégrismes, le droit fondamental de chaque être humain à se revendiquer à sa guise d’identités multiples doit aussi être défendu à notre époque où les « identités » et les « communautés » inconciliables sont présentées par certains comme des instruments d’émancipation. L’internationalisme, l’universalisme des résistants FTP-MOI constituent de retentissants rappels, alors que les sociétés occidentales font face au « piège de l’identité », dénoncé par le politologue américain Yascha Mounk dans son essai (L’Observatoire, 2023) : l’idée que « le monde ne peut être compris qu’au travers du prisme des catégories identitaires telles que la race, le genre et l’orientation sexuelle » et que les uns sont incapables de concevoir ce que vivent les autres.

Une tyrannie identitaire qui justifie le cloisonnement social, entretient les incompréhensions, les haines et l’extrémisme, au moment même où la priorité devrait être à la reconstruction du vivre-ensemble. Par le dialogue entre nos identités multiples, par la transmission des valeurs de notre histoire et la référence à des héros partagés, y compris étrangers.

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La une de Libération, mardi 20 février 2024.

Lectures

Philippe Ganier-Raymond, L’Affiche rouge, Fayard, 1975

Stéphane Courtois, Denis Peschanski et Adam Rayski, Le Sang de l’étranger : les immigrés de la MOI dans la Résistance, Fayard, 1989 (nouvelle édition corrigée, 1994)

Denis Peschanski, Des étrangers dans la Résistance, L’Atelier, 2013 (avec un DVD)

Didier Daeninckx, Missak, Perrin, 2009 (nouvelle édition augmentée d’une préface inédite, Gallimard, coll. « Folio », 2018)

Mélinée Manouchian (préf. Katia Guiragossian), Manouchian. Témoignage suivi de poèmes, lettres et documents inédits, Parenthèses, coll. « Diasporales », 2023

Missak Manouchian, Ivre d’un grand rêve de liberté, Le Seuil, coll. « Points Poésies », 2024

Astrig Atamian, Claire Mouradian et Denis Peschanski, Manouchian : Missak et Mélinée Manouchian, deux orphelins du génocide des Arméniens engagés dans la Résistance française, Textuel, 2023

Annette Wieviorka, Anatomie de l’Affiche rouge, Seuil, coll. « Libelle », 2024

Dimitri Manessis et Jean Vigreux, Rino Della Negra. Footballeur et partisan, Libertalia, 2022
Vie, mort et mémoire d’un jeune footballeur du « groupe Manouchian ».

Dimitri Manessis et Jean Vigreux, Avec tous tes frères étrangers : De la MOE aux FTP-MOI, Libertalia, 2024

Didier Daeninckx, Mako et Dominique Osuch, bande-dessinée, Missak Manouchian. Une vie héroïque, 2024, avec un dossier réalisé par Denis Peschanski sur le rôle décisif des étrangers dans la Résistance

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La cérémonie nationale

Enterré au cimetière parisien d’Ivry, le cercueil de Missak Manouchian remontera, à la nuit tombante, la rue Soufflot, couvert d’un drapeau français. Il sera alors 18h30 et un parcours de lumière, aux tonalités bleu, blanc et rouge, pavera le chemin du résistant pour scander les trois grandes périodes de sa vie : le génocide arménien, l’arrivée en France et la Résistance. Au pied du Panthéon, sur lequel est prévu un spectacle son et lumières de plus de sept minutes, la garde républicaine prendra le relais pour monter les quelques marches jusque sous la coupole.

Lorsque les portes du monument s’ouvriront, la musique du compositeur français Pascal Dusapin retentira. A l’intérieur de l’édifice républicain, juste devant l’autel de la Convention nationale, le chef de l’État prononcera l’oraison funèbre de Missak Manouchian, devant le cercueil, placé au centre, ainsi que 1.200 invités. Plus de 150 journalistes et 600 élèves qui ont travaillé sur la figure du résistant sont attendus. Tout comme de nombreuses personnalités, notamment issues de la communauté arménienne en France, comme Robert Guédiguian, réalisateur de L’Armée du crime.

Lors de la cérémonie, Arthur Téboul, chanteur du groupe Feu! Chatterton, interprétera Strophes pour se souvenir, le poème d’Aragon mis en musique et chanté par Léo Ferré dans L’affiche rouge.

Vers 20 heures, les restes du couple Manouchian rejoindront le caveau numéro XIII de la crypte du Panthéon, où le tombeau de l’écrivain Maurice Genevoix et le cénotaphe de l’actrice et résistante franco-américaine Joséphine Baker se trouvent déjà. A l’entrée, une plaque sera installée en l’honneur de leurs camarades FTP-MOI ainsi que de leur chef Joseph Epstein. Trois vers d’Aragon et un morceau de la dernière lettre de Missak à Mélinée y seront également gravés.

Le Jacquemart