Par Antoine Peillon
Laurent Mauduit et Denis Sieffert ont publié une somme historique et politique inédite sur le mouvement trotskiste léniniste fondé par un certain Pierre Boussel, alias « Lambert », dont influence continue de s’exercer plus ou moins clandestinement, notamment au sein de la France insoumise (LFI). L’axe majeur de leur remarquable essai est de conditionner « la refondation de la gauche » à « la question démocratique ». Un condition vitale qui suppose d’en finir enfin avec le lambertisme…
« Avec Denis Sieffert, je publie un livre qui retrace l’histoire de l’OCI, la branche la plus secrète du trotskisme français, mais aussi la plus influente. Cette plongée dans le passé permet de comprendre certaines des origines de la crise actuelle de la gauche et notamment de la France Insoumise, dirigée par l’ex-lambertiste Jean-Luc Mélenchon. » C’est ainsi que Laurent Mauduit présente lui-même son dernier livre, sur son blog hébergé par Mediapart.
Et voici l’argument de son éditeur :
« L’histoire qui est contée ici est celle de l’Organisation communiste internationaliste (OCI), la branche la plus secrète du trotskisme français. Une histoire en partie de l’intérieur, puisque dans leur jeunesse les auteurs ont eux-mêmes été « lambertistes » (du nom du leader de l’organisation, Pierre Boussel, dit Lambert [1920-2008]). Ils livrent une enquête politico-historique sur ce mouvement peu connu en dépit de son influence sur la vie publique des dernières décennies. Il suffit, pour le comprendre, de citer les personnages qui, à visage découvert ou caché, en ont été membres, de Lionel Jospin à Jean-Christophe Cambadélis en passant par Jean-Luc Mélenchon, sans parler de nombreux syndicalistes comme Marc Blondel ou Jean-Claude Mailly.
Cette plongée dans le passé donne des clés pour comprendre la crise que traverse la gauche aujourd’hui. Elle permet de connaître le rôle d’un clan qui, rassemblé autour de Cambadélis, a pris d’assaut la Mutuelle nationale des étudiants de France (Mnef), avant, plus tard, de prendre le contrôle du Parti socialiste et de contribuer à son déclin historique. Elle permet enfin d’identifier certaines des origines de la crise qui déstabilise La France insoumise. Car s’il y a une personne qui a préempté le legs du lambertisme, c’est bien Mélenchon, qui reproduit culturellement les traits les plus caractéristiques de ce courant du trotskisme : un rapport problématique avec la démocratie, une hostilité envers les médias, un imaginaire géopolitique de guerre froide. »
Avec son co-auteur, Denis Sieffert, ancien directeur et toujours éditorialiste de Politis, Laurent Mauduit, cofondateur de Mediapart, affirment que leur « ambition principale (est d’)inviter au débat, dans la perspective de cette indispensable refondation démocratique de la gauche ». Avant de préciser : « La raison principale pour laquelle nous avons tenu à écrire ce livre plus de 40 ans après avoir quitté l’Organisation communiste internationaliste (OCI), la branche la plus secrète du trotskisme français, c’est que nous avons eu la conviction qu’en fouillant ce passé lointain, on pouvait découvrir certaines des causes de la crise actuelle que traverse la gauche – aussi bien le Parti socialiste que La France Insoumise. »
Laurent Mauduit présente Trotskisme, histoires secrètes : de Lambert à Mélenchon. Entretien avec Jean Petaux, pour la librairie Mollat (Bordeaux). Pour aller à l’essentiel, visionner l’entretien à partir de la 34e minute.
Poursuivant leurs explications dans un substantiel entretien publié par Politis, Laurent Mauduit et Denis Sieffert défendent qu’aucune fin, aussi louable soit-elle, ne peut justifier « de mettre la démocratie entre parenthèses ». Or, constatent-ils, à la France insoumise (LFI), « des jeunes mais aussi des cadres, ou des parlementaires, peuvent comprendre qu’il n’y ait pas de démocratie dans ce parti, que la direction soit autodésignée, qu’il y ait une conception verticale du pouvoir ». Car, de fait, l’emprise du Parti ouvrier indépendant (POI), principale continuation de l’OCI, sur LFI est indéniable. Laurent Mauduit décrypte ainsi ce renoncement perpétué à la démocratie : « Signe que Jean-Luc Mélenchon se situe dans cette généalogie lambertiste est qu’il est dans une extrême proximité avec le POI, qui lui sert de garde prétorienne. Dès qu’un cadre ou un militant de LFI fait la moindre critique contre Mélenchon, le plus souvent la riposte vient du POI, souvent de son journal Informations ouvrières. » Les deux auteurs racontent même : « Quand nous avons rencontrés les responsables du POI, pour ce livre, l’un des dirigeants nous a fait cette déclaration : « La démocratie, on s’en fout ! ». Et quand nous lui demandons si nous pouvons l’écrire, il a acquiescé sans hésitation. »
Pour être tout à fait clair, Denis Sieffert développe la mis en cause du lambertisme incrusté au cœur et à la tête de LFI : « La question de la démocratie est le fil rouge du livre : il s’agit bien du lien entre les pratiques internes à l’OCI à l’époque et celles de La France insoumise aujourd’hui (même si les formes peuvent sembler très différentes en apparence). Mais, sur le fond, il s’agit bien d’un énorme déni de démocratie. Et cela va même jusqu’à se traduire sur des questions géopolitiques, avec certaines complaisances pour des dictatures, où l’on a vu Jean-Luc Mélenchon proche de la Russie de Poutine, de Maduro au Venezuela, etc. »
Or les enjeux politiques sont aujourd’hui dramatiques et Laurent Mauduit en fait l’exposé le plus synthétique : « On est dans un contexte politique, français, européen et mondial, terriblement préoccupant. En France, avec le danger de l’extrême droite, dans une sorte de course de vitesse : pour que la gauche se refonde et qu’elle parvienne à casser le plafond de verre que n’a pas réussi à perforer Mélenchon lors des dernières élections présidentielles. Or, dans cette course de vitesse, la question n’est pas tant économique et sociale – puisque la Nupes a sur ces points un programme qui est cohérent, même si tout peut évidemment être amélioré –, mais la question majeure demeure la question démocratique. »
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- « Trotskisme : histoires secrètes » : Mélenchon et l’héritage lambertiste
Les deux anciens lambertistes Laurent Mauduit et Denis Sieffert offrent une plongée saisissante dans le mouvement « léniniste » fondé par Pierre Boussel, alias Lambert, et l’influence qu’il continue d’exercer aujourd’hui encore, notamment au sein de La France insoumise.
Par Sandrine Cassini / Le Monde / 23 janvier 2024 - A La France insoumise, verrouillage à tous les étages
Au sommet, Jean-Luc Mélenchon invite certains cadres à partir. A la base, des militants s’en vont, dégoûtés par l’affaire Quatennens. Sur le terrain, les lambertistes du Parti ouvrier indépendant (POI) s’implantent et alimentent les soupçons de surveillance.
Par Julie Carriat et Sandrine Cassini / Le Monde / 15 juin 2023 - Après l’affaire Quatennens, des Insoumis critiques découvrent qu’ils ont été « fichés »
Études, positions politiques, profil… : des militants de La France insoumise ont collecté des informations sur certains de leurs « camarades » signataires d’une tribune critique de la gestion de l’affaire Quatennens. La Cnil et le comité de respect des principes de LFI ont été saisis.
Par Mathieu Dejean / Mediapart / 5 mai 2023
[D’après l’enquête de Mediapart, les responsables de cette opération de fichage politique seraient à chercher du côté du Parti ouvrier indépendant (POI). Quant au comité de respect des principes de LFI, les fichés attendent toujours un signe de vie de sa part…] - Avec la Nupes, les liens se resserrent entre les trotskistes lambertistes et Jean-Luc Mélenchon
Le Parti ouvrier indépendant, héritier de la formation trotskiste lambertiste OCI, a investi des candidats aux législatives pour la Nupes et héberge des réunions du « Parlement populaire » dans ses locaux historiques parisiens. Un moyen pour Jean-Luc Mélenchon de renouer avec sa jeunesse militante.
Par Abel Mestre et Julie Carriat / Le Monde / 27 mai 2022 - Le lambertisme, une histoire clandestine de la gauche française
École de pensée majeure de la gauche, à la vie interne tumultueuse, le trotskisme « lambertiste » a fourni plusieurs hommes politiques de premier plan. Lionel Jospin (premier ministre), Jean-Christophe Cambadélis (premier secrétaire du PS) ou encore Jean-Luc Mélenchon (candidat à plusieurs présidentielles) sont issus de ses rangs.
Par Abel Mestre / Le Monde / 14 août 2021 - L’entrisme des « militants trotsko-lambertistes du POI » dans la Fédération nationale de la Libre Pensée (FNLP)
« Dans les années 1980 à 1990, le Parti des Travailleurs (P.T., ex-O.C.I., ex-O.T., ex-M.P.P.T.) aujourd’hui dénommé POI, s’intéresse à la Libre Pensée et décide de l’investir… »
Par Denis Pelletier / Association des Libres penseurs de France / 30 avril 2014 - Du trotskisme et en particulier du “lambertisme”
« Le coup d’État de Boumediene de 1965, transformant l’Algérie en « république islamique » aurait dû mettre définitivement fin aux illusions que certains ont pu entretenir concernant le FLN. On s’étonnera en revanche de voir que les « lambertistes » algériens derrière Louisa Hannoune entretenaient de bons rapports avec Bouteflika… (…) Car sur quelques questions cruciales, les lambertistes se sont trahis eux-mêmes. J’ai signalé plus haut les cas douteux de l’Algérie et du Zimbabwe. Mais en France même, après avoir conquis la direction de la Libre Pensée, vénérable association républicaine, ils l’ont transformée en organe de lutte contre l’islamophobie… au moins indirectement. La LP continue de dire pis que pendre des curés et des pasteurs, mais la volonté conquérante des islamistes ne la choque pas du tout. Contre toute attente et après avoir combattu pendant des années le concept de « laïcité ouverte » comme trahison de la laïcité, la LP apporte son soutien aux principaux défenseurs de cette trahison, Bianco et Baubérot. C’est là incontestablement un point de rapprochement avec Mélenchon ! »
Par Denis Collin / La Sociale / 6 juin 2021 - Henri Lecoutre, né le 15 septembre 1919 à Châtelblanc (Doubs), mort le 9 mars 1996 à Dijon (Côte-d’Or) ; instituteur, puis directeur d’école primaire à Dijon ; secrétaire fédéral de la Libre Pensée de la Côte-d’Or, secrétaire général de la Fédération nationale (1972-1978) de la Libre Pensée, directeur de la revue L’Idée libre (1978-1996) et responsable de la rubrique littéraire du mensuel La Raison (1979 à 1996), dénonciateur du « noyautage » et de la « mainmise des lambertistes » sur la Libre Pensée…
Le Maitron ; Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier / notice mise en ligne le 27 avril 2016, dernière modification le 15 mai 2021 - Un groupe de militants radié de la France insoumise pour avoir organisé une réunion sur le communautarisme
« Très engagé dans la défense de la laïcité, le groupe d’appui parisien de la France insoumise « JR Hébert » a disparu sans explication de la plateforme numérique du mouvement de Jean-Luc Mélenchon. En cause, l’organisation d’un débat sur « l’entrisme islamiste »… »
Par Hadrien Mathoux / Marianne / 28 novembre 2018 - « Politis » et la direction de la Libre Pensée se déchaînent contre Respublica« , par Jérôme Manouchian, Respublica, n° 515, 27 février 2007
« Pour les résistants conséquents au turbocapitalisme, il est donc important de lier le combat laïque et le combat social. Mais pour les pseudos-résistants ou les opportunistes (où nous pouvons placer aujourd’hui aussi bien les gauchistes culturels de Politis et les trotskistes lambertistes du PT et de la FNLP), résister de manière conséquente au turbocapitalisme remettrait en cause leurs habitudes et leurs fonds de commerce.
D’ailleurs, ils ont plusieurs points communs : d’abord celui d’être hostiles à la loi contre les signes religieux à l’école du 15 mars 2004, loi reprenant l’esprit des circulaires Jean Zay du Front populaire.
Les premiers, qui ont multiplié ces dernières années les interviews complaisantes de Tariq Ramadan, montrent une connivence coupable avec l’intégrisme islamiste et tous les communautarismes. Les seconds, dans un pas de tango avec la Ligue de l’enseignement, chantre de la » laïcité ouverte » et fossoyeur des lois laïques depuis la Libération, ont condamné, récemment cette loi dans un communiqué commun indigne de vrais laïques.
Les premiers, justifiant leur soutien de l’adage » les ennemis de mes ennemis sont forcément mes amis » sont pour l’unité de tous les communautarismes et les intégrismes dans un front anti-impérialiste, du Hamas au Hezbolloah au PCF et à la LCR. Les seconds, cachant à leurs ouailles françaises que le PT algérien de Louisa Hanoun (alter ego du PT français) est le principal soutien des islamistes algériens, malgré le fait que ces derniers ont tué plusieurs dizaines de milliers de laïques et de féministes dans la guerre civile algérienne des années 1990. D’où leur agressivité contre les laïques qui, comme l’Ufal, qualifient d’extrême droite islamiste les égorgeurs du FIS, en Algérie.
Les premiers estimant que le combat laïque est anti-social, alors que les seconds toujours prompts à fustiger l’intégrisme chrétien, sont complaisants avec l’islamisme. » - « Hitléro-trotskisme »* : un petit rappel historique.

La Vérité, organe central des Comités pour la IVe Internationale (trotskistes). On y lit, en pleine bataille pour la Libération (juin 1944) : « Parlons amicalement aux soldats allemands » considérés comme étant « Nos alliés ! », ou encore « Ils se valent ! », à propos de Hitler, Churchill et Roosevelt…
En 1944, Pierre Lambert rejoint le Parti ouvrier internationaliste (POI — issu des Comités français de la IVe Internationale) qui fusionna lui-même en 1944 dans le Parti communiste internationaliste (PCI), lequel réunit alors l’essentiel des trotskistes français. Le journal La Vérité en devient l’organe central au sein duquel ils défendent une position de « défaitisme révolutionnaire ». Dans son numéro 63 (mai 1944), il est ainsi asséné : « La IVe Internationale vous appelle à fraterniser avec vos frères allemands. Tous unis, vous renverserez les sanglants Hitler, Pétain, de Gaulle, vous ferez cesser la guerre, ses misères, ses déportations. »
* « Hitléro-trotskisme », épithète utilisée notamment par les résistants du Parti communiste français pendant et après la Seconde Guerre mondiale, pour désigner les militants issus de la mouvance trotskiste qui, par une collaboration active ou objective avec l’envahisseur et ses alliés français, se sont opposés à l’action de la Résistance en France.
Tous les numéros de La Vérité d’août 1940 à janvier 1943 : http://www.association-radar.org/spip.php?rubrique114#pagination_Articles
Tous les numéros de La Vérité d’avril 1944 à janvier 1945 : http://www.association-radar.org/spip.php?rubrique47

