Par Jean-Louis Cabrespines *

Les vacances de fin d’année sont passées et disons-le, même si ce devait être un moment de fête et de retrouvailles, le climat général était comme le temps : pas au beau fixe, voire très maussade !

Au Creusot (Saône-et-Loire), l’épicerie solidaire L’Hirondelle permet aux plus pauvres de se sentir « clients » plutôt qu’« assistés ». Photo de l’équipe bénévole : © ISHTA

Cette période marquait la fin d’une année 2023 en demi-teinte pour les plus optimistes (très optimistes !) et catastrophiques pour les plus pessimistes (peu pessimistes !) tant les situations nationale et internationale ont été marquées par des évènements où le simple bon sens était oublié, où les frontières du respect de l’Homme étaient franchies, où l’Humanité avait perdu son humanité.

De conflits guerriers aux confins de l’Europe à ceux d’autres parties du monde comme le Proche-Orient ou dans un certain nombre de pays d’Afrique ou d’Asie, nous voyons une planète mise à feu et à sang tandis que nous tentons de faire valoir la défense de l’équilibre écologique, la lutte contre le dérèglement climatique. Nous voyons s’accroitre le rejet et la misère, nous voyons émerger de plus en plus (et inscrire dans l’inconscient collectif) des idées qui, en d’autres temps, ont amenées nos ancêtres à lutter contre.

Dans toutes les sphères de la société, les barrières tombent et les comportements changent avec une perte des repères porteurs d’une cohésion sociétale, avec une recherche hédoniste et individualiste de sa vie au détriment d’une compréhension et d’un investissement collectif.

Dans ce contexte de tensions extrêmes, les discours ambiants ne sont pas pour nous rassurer, empreints qu’ils sont d’une influence néfaste due à la montée d’idées où l’universalisme est de plus en plus absent.

De découragement en recherche de solution, les citoyens engagés sont souvent déboussolés. La perte de leur boussole tient à la fois à la remise en cause de leurs convictions du fait du contexte, mais aussi à l’émergence d’actes, de décisions, d’actions dans lesquels la solidarité est de plus en plus absente, ne permettant plus de lutter efficacement contre la pauvreté et l’exclusion.

Nombre des structures qui interviennent auprès de plus pauvres, des plus déshérités, des plus en marge soulignent la montée de situations inacceptables et pour lesquelles, malgré des interventions diverses, les réponses ne suffisent plus à répondre aux besoins.

Que devons-nous faire, baisser les bras, laisser à ceux qui le veulent (et qui sont souvent responsables de la situation) la responsabilité de nous faire croire qu’ils peuvent apporter des réponses plus justes permettant d’éradiquer les inégalités ?

Non, nous devons agir, collectivement, sur la base de nouvelles conceptions de la vie en société, du partage, de la considération des uns à l’égard des autres.

Construire une nouvelle société, c’est sortir des habitudes, des certitudes, c’est tenter de trouver de nouveaux chemins, de définir de nouvelles options dans tous les domaines.

Ainsi en est-il pour les acteurs d’une économie différente de celle qui depuis des années ne fait que conforter les plus riches et enfoncer les plus pauvres. Cette économie pour laquelle ce qui compte et l’intérêt général plutôt que l’intérêt particulier. Le mariage de l’économie publique et de l’économie sociale est l’une de ces composantes.

Et dans le climat déplorable de 2023, de petites lueurs d’espoir se sont faites jour, à la fois par l’intervention opiniâtre et continue de nombreux entrepreneurs et décideurs, tant au plan national qu’international.

La prise en compte de l’économie sociale et solidaire (ESS) comme force économique à part entière et comme porteuse d’idées et de concepts favorables au développement des territoires a permis, durant cette année, de faire avancer une vision commune débouchant sur des actions, grâce aux travaux communs de nombreux représentants de différents pays tout au long de l’année.

Ainsi, et sans que cette liste soit exhaustive, nous pouvons noter des moments d’échanges, de communications, de partage de connaissances et d’expériences, de recherche, à la fois nationalement et internationalement : Forum mondial de l’économie sociale (GSEF) à Dakar, Symposium du CIRIEC International à Thessalonique, les rencontres du Réseau inter-universitaire de l’économie sociale et solidaire (RIUESS) à Avignon et Arles, la rencontre de l’UN Task Force à Montréal, la conférence internationale « ESS et communs » à Lisbonne, la conférence européenne de l’économie sociale à San Sebastian, le mois de l’ESS en France, les journées de l’Économie autrement à Dijon, la conférence internationale de recherche en économie sociale à Séoul, les rencontres avec l’OIT et de l’OCDE…

Si cette capacité à travailler ensemble donne du baume au cœur et encourage à poursuivre, elle n’occulte pas une analyse objective d’une situation humaine, économique, sociale, écologique de plus en plus dramatique.

Il revient, dès lors, de retrouver les racines d’une économie sociale plus ancrée dans un véritable projet politique. Le RIUESS ne s’est pas trompé en inscrivant pour thème des XXIIIe Rencontres du RIUESS (Metz, du 22 au 24 mai 2024) : « L’économie sociale et solidaire hors la loi : quels projets politiques pour l’économie sociale et solidaire ? ».

Ce thème n’est pas sans interroger tous les acteurs impliqués dans l’ESS car celle-ci est-elle vraiment hors la loi ou n’est-elle pas en avance par rapport à l’économie capitaliste en cela qu’elle privilégie une autre manière de prendre en compte l’homme et son environnement ?

Et, de fait, n’est-elle pas en train de poursuivre son chemin en apportant des réponses à nombre de ces dérives qui conduisent à la montée des populismes, au rejet des autres parce que différents, à la course à l’accroissement du capital plutôt que de l’utiliser au développement du bien commun ?

C’est sans doute à nous tous de continuer de faire pousser cette petit graine et d’affirmer l’importance de concevoir l’économie autrement.

Les discussions autour de la réforme (ou non) de la loi du 31 juillet 2014 sont bien de cet ordre. Il n’est pas question de préserver une quelconque orthodoxie des entreprises de l’ESS contre des sociétés commerciales qui font de l’entrisme pour mieux bénéficier de l’image positive (et pas seulement) de l’ESS, il s’agit de continuer à défendre un projet politique de l’ESS porteur d’une autre manière de concevoir et mieux partager notre vie commune.

La route est encore longue et pavée d’embuches, mais augurons que 2024 nous permettra de poursuivre le développement de l’ESS et de continuer à faire œuvre commune pour le bien commun, l’utilité sociale et l’intérêt général.

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* Éducateur spécialisé, psychologue clinicien et ingénieur de la formation des adultes, Jean-Louis Cabrespines a travaillé dans le secteur de la protection de l’enfance et de l’insertion des jeunes, dans le secteur public et celui de l’économie sociale et solidaire (ESS). Il est impliqué dans les structures de l’ESS et a occupé, à ce titre, des responsabilités importantes : président du Conseil national des chambres régionales de l’économie sociale et solidaire (CNCRESS), président du Conseil des entreprises, employeurs et groupements de l’économie sociale (CEGES), secrétaire général de la Chambre française de l’économie sociale et solidaire (ESS France), président de la Chambre régional de l’économie sociale et solidaire Bourgogne-Franche-Comté, membre du Conseil économique, social et environnemental régional (CESER) Bourgogne-Franche-Comté…
En tant que membre du Conseil économique, social et environnemental (CESE), il a écrit des rapports sur les politiques publiques et sur l’animation des territoires. Il est engagé dans le secteur associatif local, national et international : président de Traces de vies, délégué général du Centre international de recherches et d’information sur l’économie publique, sociale et coopérative (CIRIEC-France), membre du Conseil d’orientation du LABO de l’ESS… Il a rédigé un certain nombre d’ouvrages ou d’articles sur la jeunesse, l’insertion, la solidarité internationale, l’économie sociale et solidaire. Il coordonne actuellement une recherche au sein du CIRIEC-France portant sur l’« économie collective et territoires ».