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Vendredi 13

Extraits de : Antoine Peillon, Résistance !, Paris, Le Seuil, 2016

Vendredi 13

Que les mécréants ne pensent pas qu’ils Nous ont échappé. Non, ils ne pourront jamais Nous empêcher (de les rattraper à n’importe quel moment). Et préparez (pour lutter) contre eux tout ce que vous pouvez comme force et comme cavalerie équipée, afin d’effrayer l’ennemi d’Allah et le vôtre, et d’autres encore que vous ne connaissez pas en dehors de ceux-ci mais qu’Allah connaît.

Coran, sourate VIII, Al-Anfa (Le Butin), versets 59 et 60[1].

Vendredi 13 novembre 2015. Carnages en plein cœur de Paris. Vendredi noir. Vendredi de feu et de sang, de terreur et de folie.

Des attaques terroristes se déroulent dans la soirée, entre 21 h 20 et 22 heures, menées pratiquement au même moment. La première a lieu à Saint-Denis (Seine-Saint-Denis), aux abords du Stade de France, alors que s’y déroule un match de football France-Allemagne, en présence du président de la République, les autres dans au moins cinq lieux de l’est de Paris, en pleine rue ou à des terrasses de cafés et de restaurants. « Ce sont vraisemblablement trois équipes de terroristes coordonnées qui sont à l’origine de cette barbarie », indiquait le procureur de la République près le tribunal de grande instance de Paris, dès le 14 novembre, soit huit ou neuf hommes équipés de fusils d’assaut de type Kalachnikov et de ceintures d’explosifs identiques.

Une semaine plus tard, le bilan est effroyable : 130 personnes ont été tuées et 352 blessées, dont 99 sont alors dans un état d’« urgence absolue »[2]. Plusieurs autres centaines de personnes sont psychiquement atteintes[3]. C’est la première fois, en France, que des attentats sont le fait de terroristes kamikazes. Et ce sont aussi les plus meurtriers depuis la Libération.

La voix d’Omar

Le 14 novembre, l’État islamique revendiquait les attentats de la veille en expliquant avoir « pris pour cible la capitale des abominations et de la perversion, celle qui porte la bannière de la croix en Europe, Paris. […] Huit frères portant des ceintures d’explosifs et des fusils d’assaut ont pris pour cible des endroits choisis minutieusement à l’avance au cœur de la capitale française […]. La France et ceux qui suivent sa voie doivent savoir qu’ils restent les principales cibles de l’État islamique et qu’ils continueront à sentir l’odeur de la mort pour avoir pris la tête de la croisade. […] Cette attaque n’est que le début de la tempête et un avertissement pour ceux qui veulent méditer et tirer des leçons[4] ».

La voix du djihadiste français d’origine réunionnaise Fabien Clain est alors identifiée comme celle qui a revendiqué les attentats au nom de l’État islamique. Le nom de ce Toulousain, originaire de La Réunion, dit « Omar », apparaît dès 2001 dans des rapports des renseignements généraux (RG) de Toulouse. En contact avec Mohammed Merah[5], il avait été appréhendé alors qu’il organisait une filière de départs pour le djihad en Irak et il fut condamné, en 2009, à une peine de cinq ans de prison. « Omar » est un converti, radicalisé au début des années 2000. Considéré comme l’un des principaux animateurs d’un groupuscule salafiste, « la cellule d’Artigat », dirigé par « l’émir blanc » Olivier Corel, il est suspecté d’être l’un des commanditaires du projet d’attentats ratés entrepris par Sid Ahmed Ghlam contre deux églises de Villejuif (Val-de-Marne), en avril 2015.

Connu depuis près de quinze ans par les services de renseignement, Fabien Clain avait pris le chemin de la Syrie en 2014, en compagnie de plusieurs membres de la mouvance islamiste radicale toulousaine, dont son frère, afin de rejoindre les rangs de l’État islamique. Sur place, il était demeuré en contact étroit avec Abdelhamid Abaaoud, assassin et organisateur des attentats du 13 novembre 2015, tué à Saint-Denis, le mercredi 18 novembre, alors qu’on le croyait en Syrie.

Comment leur réseau était-il réellement organisé ? Combien de djihadistes comprenait-il au total ? Quels étaient leurs moyens de communications, leur équipement, mais surtout leur capacités financières pour vivre, se nourrir, se loger, louer des véhicules, acheter des armes et des munitions, des explosifs… ? Début janvier 2016, toutes ces questions fondamentales n’avaient toujours pas reçu de réponses satisfaisantes.

La Banque de France, comme les carabiniers[6]

Étant donné leur ampleur exceptionnelle, « les crimes du 13 novembre ont nécessité au moins plusieurs semaines de préparation, de nombreuses complicités et des moyens financiers considérables », m’affirmait, le 26 novembre 2015, un officier du renseignement intérieur[7]. Pourtant, il aura fallu attendre le… 20 novembre 2015 pour que Tracfin[8], la cellule anti-blanchiment du ministère des Finances, et l’autorité de tutelle des banques[9] publient une liste précise et renforcée des obligations s’imposant aux banques et autres établissements financiers en matière de lutte contre le financement du terrorisme et l’argent sale. François Villeroy de Galhau, nouveau gouverneur de la Banque de France et président de l’ACPR, ne craignait pas de déclarer alors : « Beaucoup de leçons peuvent être tirées des dramatiques attentats survenus vendredi dernier à Paris et en région parisienne, qui doivent nous conduire à une mobilisation totale. Face à ces actes barbares, je veux rappeler la détermination de la Banque de France – et du secteur financier – à participer à la lutte contre le terrorisme, en s’attaquant à son financement[10]. »

Il était temps, certainement, de tirer « beaucoup de leçons » des tueries du vendredi 13 novembre, en matière de renseignement sur le financement du terrorisme. Mais cette déclaration a plongé Aleph, ce vieux routier du renseignement intérieur qui fut l’une de mes principales sources dans mon enquête sur UBS[11], dans un état de rage dans lequel je ne l’avais encore jamais vu. Je reviendrai plus loin sur la raison de cette révolte, en faisant le point sur les causes réelles de l’aveuglement judiciaire de la France en matière de délinquance et de criminalité financières[12].

Chaos administratif

Ce n’est que le 23 novembre 2015, soit dix jours après les massacres de Paris, que le ministre des Finances, Michel Sapin, a autorisé Tracfin à exploiter le fichier des personnes recherchées (FPR) et le fichier du traitement d’antécédents judiciaires (TAJ). Ce service de renseignement financier, qui travaille d’abord à partir de déclarations de soupçon bancaires, aurait pourtant été en mesure de détecter tout mouvement de fonds susceptible de relever du financement d’actions terroristes… à condition bien sûr d’avoir la possibilité de cibler ses recherches grâce aux fiches « S »[13]… auxquelles il n’avait pas accès.

Aleph, comme beaucoup de ses collègues du renseignement ont été pris d’exaspération en apprenant que cette filière cruciale d’investigation antiterroriste avait fait l’objet d’une proposition clairement formulée au printemps 2015, mais qu’elle était demeurée en souffrance d’une décision de Michel Sapin et du ministre de l’Intérieur, Bernard Cazeneuve, depuis le printemps. Pourtant, très vite après les attentats de janvier 2015, ces deux ministres avaient commandé « un rapport sur les mesures à prendre pour que les services de renseignement de l’Intérieur et ceux des Finances communiquent mieux[14] ». Un rapport fut donc rédigé par l’inspecteur général Alexandre Jevakhoff[15] et remis rapidement, au printemps 2015, à ses deux commanditaires du gouvernement. Or, ce document classifié souligne précisément les défaillances de communication entre les services de renseignement rattachés au ministère de l’Intérieur[16] et ceux de Bercy[17]. Parmi les moyens de remédier à ces défaillances, Alexandre Jevakhoff recommandait, entre autres, l’accès rapide de Tracfin au fichier des personnes recherchées…

De même, il aura fallu attendre le 23 novembre 2015 encore, pour que Michel Sapin prenne la décision de mobiliser un agent de liaison de la DNRED auprès de la DGSI[18], alors que ce service douanier, dont l’efficacité est saluée – voire jalousée – par toute la communauté du renseignement, avait alerté son ministre de tutelle quant au manque de coordination avec le renseignement attaché au ministère de l’Intérieur, en janvier 2015…

Enfin, une fois de plus, le ministre de l’Intérieur, en l’occurrence Bernard Cazeneuve, avait été informé, après janvier 2015, de graves disfonctionnements au sein de la DGSI, comme déjà Manuel Valls, dès l’été 2012, alors qu’il prenait ses fonctions de ministre de l’Intérieur, fonctions qu’il assuma de mai 2012 à mars 2014 sans entreprendre la moindre réforme réelle du renseignement intérieur. Or les tiraillements entre la direction du renseignement et des opérations, la direction générale et les autres directions de la DGSI étaient connus depuis longtemps.

Le chaos bureaucratique qui caractérise le renseignement français est un des facteurs indéniablement aggravant du cataclysme terroriste qui a ensanglanté Paris le vendredi 13 novembre 2015.

Français, délinquants et djihadistes

À l’heure où j’écris ces lignes, deux des trois kamikazes du Stade de France n’ont pas été formellement identifiés, mais l’on sait que le troisième, Bilal Hadfi, était un Français, né en 1995, résidant en Belgique depuis son retour de Syrie. Il était parfaitement connu de l’Organe (belge) de coordination pour l’analyse de la menace. « Sur Facebook, il aurait lancé un appel en juillet [2015] pour mener des attaques contre l’Occident, et était ami avec Abou Isleym Belgiki, un Belge qui avait posé en juillet tout sourire à côté d’un corps décapité[19]. »

Le cas de Salah Abdeslam, né en septembre 1989 à Bruxelles, mais de nationalité française, est particulier. Toujours en fuite au moment où j’achève ce livre, il serait le loueur des voitures dont l’une a été utilisée par les terroristes pour parvenir jusqu’à la salle de spectacle du Bataclan (90 morts et plusieurs dizaines de blessés graves). Il aurait également loué deux chambres d’un « appart-hôtel » à Alfortville (Val-de-Marne), et y serait arrivé, avec ses complices, deux jours avant les attentats. C’est lui qui aurait déposé les trois kamikazes du Stade de France à Saint-Denis, avant de revenir à Paris où, muni d’une ceinture d’explosifs, il aurait finalement renoncé à poursuivre son action. Salah Abdeslam est ensuite retourné en Belgique durant la matinée du 14 novembre 2015, en compagnie de deux complices, Hamza Attou et Mohamed Amri, venus le chercher dans la nuit, depuis la Belgique, après qu’il les eut appelés. Contrôlés sur l’autoroute A2, près de Cambrai (Nord-Pas-de-Calais), par la gendarmerie, vers 9 h 10 du matin, et encore deux autres fois, ils purent repartir sans encombre. Les deux exfiltreurs ont ensuite été rapidement interpellés, en Belgique, et placés en détention provisoire pour attentat terroriste et participation aux activités d’un groupe terroriste. Mais Salah Abdelslam, lui, est resté introuvable.

Les trois tueurs fous du Bataclan ont été identifiés. Tous sont nés et ont vécu en France. Ils sont « enfants de l’immigration algérienne ou marocaine, […] purs produits des quartiers populaires français et belges[20] ». Le premier, Omar Ismaïl Mostefaï, né en novembre 1985 à Courcouronnes (Essonne), habitait à Chartres (Eure-et-Loir) jusqu’en 2012. Il avait été condamné à huit reprises, entre 2004 et 2010, pour conduite sans permis, vols, violences et outrages, par les tribunaux d’Évry (Essonne) et de Chartres, sans avoir jamais été incarcéré. Il faisait l’objet d’une fiche « S » depuis 2010, du fait de sa radicalisation, fiche qui avait été renouvelée en octobre 2015. Il avait également été identifié, fin 2013, lors d’un passage en Turquie à destination de la Syrie, où il aurait séjourné durant plusieurs mois. En avril 2014, on signalait à nouveau sa présence à Chartres, en compagnie de fidèles salafistes. Trois d’entre eux étaient alors placés sous surveillance du renseignement intérieur, entre avril 2014 et septembre 2015, ce qui n’était pas le cas d’Ismaël Omar Mostefaï. Pourtant, selon un responsable gouvernemental turc, la police de son pays avait informé la police française, et par deux fois, en décembre 2014 et juin 2015, du profil d’Omar Ismaïl Mostefaï, mais sans jamais recevoir de réaction en retour.

Le second terroriste, Samy Amimour, était né en octobre 1987 à Paris. En 2006, il avait commencé à fréquenter la mosquée salafiste Tawhid du Blanc-Mesnil (Seine-Saint-Denis). En septembre 2012, il fut interpellé par la DCRI. Un projet de départ vers le Yémen lui valut alors une mise en examen pour association de malfaiteurs et un placement sous contrôle judiciaire. Mais neuf mois plus tard, le fanatique était localisé en Syrie. Faisant alors l’objet d’un mandat d’arrêt international, il parvint à retourner en France. Le député-maire UDI de Drancy, Jean-Christophe Lagarde, qui connaît bien la famille de Samy Amimour, posait, dès le lundi 16 novembre, cette question : « Comment se fait-il que la mosquée du Blanc-Mesnil, lieu de recrutement et non pas de prières, n’ait pas été fermée ? Pourquoi les prédicateurs radicaux qui y sévissent sont-ils toujours dans la nature[21] ? »

Le troisième, Foued Mohamed-Aggad, était un Alsacien de 23 ans, qui avait grandi près de Strasbourg. Déçu de ne pas avoir réussi à intégrer l’armée, puis la police, il se serait radicalisé en 2013, via les réseaux sociaux, et aurait participé à des week-ends organisés à Lyon par l’un des principaux rabatteurs de djihadistes français, Mourad Fares, arrêté en septembre 2014. Foued Mohamed-Aggad avait rejoint la Syrie fin 2013 avec son frère aîné et huit autres amis, tous originaires des quartiers du Neuhof et de la Meinau, à Strasbourg. Deux d’entre eux sont morts au combat. Les sept autres, rentrés en France, ont été interpellés en mai 2014. Seul Foued Mohamed-Aggad était resté en Syrie.

Parmi les auteurs des fusillades du vendredi 13 novembre dans les rues et aux terrasses des cafés ou des restaurants de Paris, deux au moins étaient français (les frères Brahim et Salah Abdeslam), vivant en Belgique. Le troisième – tué le 18 novembre à Saint-Denis – n’a pas été identifié. Le quatrième, Abdelhamid Abaaoud, tué lui aussi le 18 novembre, était belge. C’est ce djihadiste d’origine marocaine, âgé de 28 ans, qui a organisé les attentats de Paris et des abords du Stade de France. Il a également participé au mitraillage des terrasses des Xe et XIe arrondissements de la capitale. Proche de Mehdi Nemmouche, le tueur du musée juif de Bruxelles[22], il fut également impliqué dans l’organisation d’autres attentats majeurs, dont la tuerie de Charlie Hebdo[23] et l’attaque du train Thalys[24].

Abaaoud, incognito en France

Enfin, près de dix personnes sont suspectées d’avoir apporté leur aide aux tueurs. Parmi celles-ci, Hasna Aït Boulahcen, 26 ans, fut la dernière logeuse d’Abdelhamid Abaaoud, dans l’appartement de Saint-Denis, où tous deux ont été tués le 18 novembre. Fait surprenant : selon une information de la chaîne M6, confirmée par France 3, une petite dizaine de personnes se serait invitée, le jour même, peu après 22 heures, au domicile de la mère d’Hasna Aït Boulahcen, à Aulnay-sous-Bois (Seine-Saint-Denis). Les intervenants seraient arrivés dans trois voitures immatriculées en Belgique et auraient effectué un nettoyage de l’appartement où séjournait régulièrement la jeune femme, tuée quelques heures plus tôt lors d’un assaut de la police. Ils n’ont pas été inquiétés, et encore moins arrêtés. « La question est de savoir si ces personnes ont emporté avec eux des éléments présents dans l’appartement qui pourraient directement intéresser l’enquête », précisait alors une source judiciaire au journaliste de M6, Adrien Cadorel. La perquisition du domicile de la mère d’Hasna Aït Boulahcen n’est intervenue que le jeudi 19 novembre dans l’après-midi.

Pis encore, jusqu’à la confirmation de sa « neutralisation », le 18 novembre, les enquêteurs français ne disposaient d’aucune certitude quant à l’hypothèse de la présence d’Abdelhamid Abaaoud en France avant, pendant et après les attentats de Paris. Le procureur de Paris a certes fait ensuite état d’un témoignage, reçu le lundi 16 novembre, qui le laissait penser, mais les services de renseignement « n’excluaient en réalité rien et imaginaient qu’Abaaoud puisse voyager facilement sous une fausse identité grâce à un vrai-faux passeport[25] ».

En fait, le 17 novembre 2015, vers 21 h 30, lorsque Hasna Aït Boulahcen avait récupéré Abdelhamid Abaaoud, son « cousin », à Aubervilliers, cela faisait déjà plusieurs heures qu’elle avait affrété un taxi clandestin, en partie grâce aux 750 euros qu’elle avait reçus de Bruxelles, via Western Union, quelques jours auparavant. Pour retrouver le terroriste en chef des attentats du vendredi 13 novembre, elle avait été guidée par un mercenaire de l’État islamique, basé en Belgique. Dans le taxi, Abaaoud s’était alors vanté d’être l’organisateur des attentats. Il affirmait même que quelque 90 autres « frères », disséminés dans toute l’Île-de-France, étaient prêts à s’attaquer aux transports en commun, aux écoles et aux quartiers juifs, pendant les fêtes de fin d’année[26]. Autant de comportements et de paroles étonnement imprudents, qui exprimaient aussi le sentiment d’être inatteignable.

Après les attentats du vendredi 13 novembre 2015 et ceux qui ont ensanglanté Paris au mois de janvier précédent, trois ans et demi après les assassinats commis par Mohamed Merah à Toulouse et Montauban, les services français de renseignement et de lutte contre le terrorisme[27] ont ainsi fait, une fois encore, la démonstration dramatique de leur impéritie.

« Détruire » les terroristes !

Faisant le point, lundi 16 novembre 2015, sur les perquisitions qui avaient eu lieu en France la nuit précédente, dans le cadre de l’état d’urgence, le ministre de l’Intérieur Bernard Cazeneuve promettait une « riposte implacable de la République contre ceux qui veulent la détruire ». « La riposte de la République sera d’ampleur, elle sera totale […], ajoutait-il. Les terroristes ne détruiront jamais la République car c’est la République qui les détruira. »

Le 14 novembre, déjà, le Premier ministre Manuel Valls s’était exprimé en des termes identiques : « Ensemble, nous anéantirons le terrorisme. » Le Premier ministre s’était alors rendu sur le plateau du journal du soir de TF1, après avoir rencontré des blessés à l’hôpital Saint-Antoine, pour adresser à la nation un message martial : « Oui nous sommes en guerre. […] Cette guerre se mène sur le sol national et à l’extérieur, en Syrie. […] Nous faisons face à un acte de guerre organisé par une armée terroriste djihadiste. […] Nous frapperons cet ennemi pour le détruire en France et en Europe. […] Nous répondrons au même niveau que cette attaque, avec la volonté de détruire. Et nous gagnerons cette guerre. »

Comment ne pas penser, en relisant ces mots, à ceux de Charles Pasqua, alors ministre de l’Intérieur, lorsqu’il affirmait, en 1986, sa volonté de « terroriser les terroristes[28] », en pleine vague d’attentats, d’enlèvements et d’assassinats terroristes[29].

Rien n’a donc vraiment changé ! Depuis plus de vingt ans, les mêmes causes produisent épisodiquement les mêmes effets : les déclarations martiales virulentes des plus hauts dirigeants politiques et les titres vengeurs d’une presse godillot refleurissent à l’identique après les meurtres de plus en plus massifs de civils.

Continuité du terrorisme islamique

Au milieu des années 1990, déjà, alors que j’enquêtais sur le terrorisme islamiste, je mis au jour en effet des réseaux, des trafics, mais aussi des soutiens internationaux et des influences sectaires quasiment identiques à ceux qui ont été révélés par les enquêtes sur les attentats perpétrés en France depuis 2012.

En août 1994, l’Armée islamique du salut[30], branche armée du Front islamique du salut algérien, avait mis en place des circuits routiers de passeurs venant d’Allemagne ou de Belgique. Déjà, le foyer germanique des réseaux islamistes s’étendait vers les mosquées des pays voisins, notamment en France, dans les régions du Nord et de l’Est, principalement dans l’agglomération lilloise, mais aussi en Belgique, à Bruxelles et dans ses environs. À l’époque, les enquêteurs antiterroristes découvraient que les islamistes algériens n’étaient pas isolés et qu’ils étaient presque toujours liés à des « compagnons » tunisiens et marocains, voire égyptiens. La coopération terroriste du Groupe islamique armé[31] avec des Frères musulmans tunisiens, notamment, inquiétait les spécialistes qui y voyaient le signe d’une articulation nouvelle des réseaux de financement avec ceux de l’armement[32].

Au milieu de l’été 1994, après un attentat perpétré à Alger qui avait coûté la vie à deux agents consulaires et trois gendarmes français, les policiers de la Direction de la surveillance du territoire, des RG, et de la police de l’air et des frontières découvrirent à Perpignan un arsenal comportant des revolvers, des fusils, des munitions, mais aussi des poignards, des cagoules et des treillis militaires. Cet équipement ne révélait en rien un classique trafic d’armes, mais témoignait du parfait équipement d’un commando terroriste. Aux yeux des enquêteurs, cette découverte révélait l’implantation de réseaux clandestins islamistes, à vocation terroriste, sur le territoire national, comme ailleurs en Europe[33].

Toujours en août 1994, l’arrestation d’un autre activiste permit de mettre au jour le nouveau profil, devenu aujourd’hui banal, du terroriste islamiste. Arrêté par la police judiciaire des Hauts-de-Seine, alors qu’il venait de récupérer une centaine de munitions, deux chargeurs de pistolet automatique et deux silencieux dans la consigne d’un supermarché de La Défense (Hauts-de-Seine), ce jeune Algérien de 24 ans fut d’emblée considéré comme un « gros poisson », par les policiers, des réseaux clandestins islamistes implantés en France. L’homme était alors étudiant en maîtrise de sciences à l’université de Rouen (Seine-Maritime), enseignant à Mantes-la-Jolie (Yvelines), mais il était également recherché pour un hold-up commis le 2 juillet 1994 dans un bureau de poste, près de Rouen. Le 4 juillet 1994, deux autres islamistes, père et fils, étaient mis en examen après la saisie de munitions pour fusils d’assaut à leur domicile[34].

Le 8 novembre 1994, pas moins de 95 activistes et dirigeants islamistes étaient interpellés par quelque 300 policiers en région parisienne. Ces arrestations et les perquisitions menées à cette occasion permirent de montrer que le GIA disposait d’une forte base arrière en France et aussi en Europe. Des pistolets automatiques, des carabines à lunettes, des fusils à pompe, mais aussi des Kalachnikovs, des explosifs, des détonateurs et des faux documents furent alors découverts à Villeneuve-Saint-Georges (Val-de-Marne). Ces arrestations et saisies avaient été réalisées grâce à des informations issues des RG du Val-de-Marne, selon lesquelles des islamistes se seraient installés dans deux écoles coraniques, l’une à Orly, l’autre à Choisy-le-Roi. Une association avait même été créée, l’Association éducative des musulmans de France, qui servait en fait de couverture à un trafic coordonné d’armes, de stupéfiants et de faux papiers.

Plusieurs autres enquêtes, menées depuis 1993, avaient conforté les soupçons des enquêteurs de la DST, des RG et de la PJ (police judiciaire) quant à l’organisation de plus en plus structurée des réseaux fondamentalistes de ce côté-ci de la Méditerranée. Le 6 mai 1994, l’arrestation d’un islamiste de 34 ans, à Beaumont (Meurthe-et-Moselle), avait permis la saisie de 130 pains de 100 g d’explosif chacun, d’une centaine de détonateurs, de trois pistolets automatiques, de quatre appareils de vision nocturne, de trois scanners radio et de milliers de munitions. Ces armements provenaient de Belgique, du Luxembourg et de l’ex-Yougoslavie. Ils tranchaient, par leur qualité militaire, avec les armes jusqu’alors saisies chez les militants islamistes.

Enfin, à la même époque, les enquêteurs découvrirent les liens tissés entre eux par les commanditaires de ces « soldats » du fondamentalisme islamique. C’est ainsi que des responsables tunisiens du parti Ennahdha[35] étaient en contact avec ceux de l’AIS et du GIA algériens, et aussi avec ceux de mouvements islamistes égyptiens, afghans et pakistanais. Les connexions discrètes entre ces différents groupes fondamentalistes révélaient une internationalisation inédite du terrorisme. Des documents sur la fabrication d’explosifs, en provenance du Hamas (islamistes palestiniens), avaient été trouvés, par exemple, au siège d’une association contrôlée par le GIA[36]

Une généalogie djihadiste

Voici donc que depuis les années 1990 et les vagues d’attentats du GIA, des générations de djihadistes se sont succédé en France, presque sans entraves. Les mêmes acteurs, inlassablement, réapparaissent, issus souvent de la délinquance. « Accrochés aux mêmes racines idéologiques, les combattants se recyclent d’un combat à l’autre », explique Samir Amghar, spécialiste du salafisme, chercheur à l’Université libre de Bruxelles[37]. Selon lui, la « continuité » du tissu djihadiste est assurée par les affiliations idéologiques et les rencontres dans le quartier ou dans les prisons : « Les plus jeunes se réfèrent aux figures des années 1990 ; les grands frères, impliqués dans les filières pakistano-afghanes des années 2000, se réinvestissent dans les groupes terroristes syriens ; et ils recrutent une nouvelle génération[38]… »

Preuve en est que c’est bien par l’intermédiaire de Djamel Beghal, judiciairement connu et suivi de près par le renseignement depuis 1994, plusieurs fois condamné à la prison pour sa participation internationale aux réseaux terroristes du GIA, puis d’Al-Qaïda, que Cherif Kouachi et Amedy Coulibaly, deux des assassins de janvier 2015, ont fait connaissance durant leur incarcération à Fleury-Mérogis (Essonne)[39].

En 2010, Amedy Coulibaly et Djamel Beghal avaient été arrêtés pour avoir projeté l’évasion de Smaïn Aït Ali Belkacem, auteur principal des attentats dans le RER parisien, en juillet et octobre 1995, qui firent 8 morts et près de 250 blessés. Amedy Coulibaly, Chérif Kouachi et Djamel Beghal ont été emprisonnés dans la même maison d’arrêt, pendant près de sept mois, en 2005 et 2006. Ils se sont beaucoup revus, après leurs libérations respectives, en 2009 et 2010, dans le Cantal, où Djamel Beghal vécut un temps en résidence surveillée.

Radicalisé par des anciens du GIA, dans son Algérie natale, celui-ci était arrivé en France à la fin des années 1980. Dès lors, il multiplia les contacts avec les communautés salafistes européennes, avant de rejoindre le Pakistan, puis l’Afghanistan, en novembre 2000. De retour en France en 2001, il fut condamné, entre autres, pour sa participation à un projet d’attentat contre l’ambassade des États-Unis à Paris. En prison, comme en résidence surveillée, il exerce une influence considérable sur une nouvelle génération de djihadistes, parmi lesquels se sont distingués les terroristes abominables de janvier 2015.

Au vu et au su des services de renseignement ?

***

La destruction du renseignement

Juste ce pressentiment insidieux, rampant. Juste l’assemblage de certains fragments de souvenirs qui se positionnent et se repositionnent comme un kaléidoscope jusqu’à former un motif, d’abord vague, puis, peu à peu, dérangeant.

John le Carré[40].

Le 18 novembre 2015, à 13 h 44, alors que je l’ai quitté quatre heures plus tôt, à Saint-Denis, où la police prenait d’assaut la planque de l’organisateur des attentats du vendredi 13, un officier du renseignement me transmettait ce message : « Confirmation : dans les décombres se trouvait le corps d’Abdelhamid Abaaoud. Les services de renseignement n’avaient pas détecté son retour de Syrie. […] » La veille au soir, le procureur de Paris, François Molins, révélait que les commandos kamikazes emmenés par Abaaoud étaient arrivés le 12 novembre, de Bruxelles, à bord de trois voitures roulant presque en convoi, à dix minutes d’intervalle, avec armes et explosifs.

Dès lors, la question s’est effectivement posée. « Comment le djihadiste francophone le plus connu, soupçonné d’avoir un rôle dans quatre des six attaques “déjouées” en France en 2015, a-t-il pu se rendre à Paris pour participer à l’attentat le plus meurtrier jamais commis sur le sol français[41] ? » Comment a-t-il pu circuler si librement entre la Syrie, où il part début 2013, la Belgique, où il revient fin 2013 en passant par la Grèce, avant de repartir en Syrie… En février 2015, Abdelhamid Abaaoud s’était même vanté, dans Dabiq, le magazine de propagande de l’État islamique, de ses allers-retours entre la Syrie et la Belgique, alors qu’il était soupçonné des pires menées terroristes.

« Failles »

En janvier 2015, j’avais déjà enquêté sur les ratés de l’action antiterroriste des services de police[42], car, dès la « neutralisation » des terroristes (Charlie, Hypercacher), le Premier ministre, Manuel Valls, avait clairement reconnu qu’il y avait eu « des failles » dans les dispositifs de sécurité[43]. Plusieurs experts du renseignement et du terrorisme m’avaient fait part de leurs analyses, plus ou moins sévères. Tous mettaient en cause un défaut du renseignement intérieur.

Puisque « failles » il y avait, la question se posait donc de savoir où notre système judiciaire, en général et le renseignement en particulier, avaient failli. Mathieu Guidère, professeur à l’université Toulouse-Jean Jaurès, islamologue, spécialiste de géopolitique arabe et du terrorisme, me répondit sévèrement qu’« au niveau de la justice, la déradicalisation dans le système pénitencier est un échec, puisque tous ces individus (les terroristes qui ont agi ces derniers jours) sont déjà passés par la case prison sans être traités efficacement », précisant qu’« il s’agit là d’un problème de décision politique ». Il ajoutait qu’une deuxième faille « se situe au niveau de la police » et que l’échec du « suivi et de la surveillance des individus radicalisés signe un nouvel échec patent de la lutte antiterroriste ». Il mettait en cause, à ce propos, la « bureaucratisation du renseignement » et le trop faible nombre d’agents « sur le terrain ».

François-Bernard Huygue, directeur de recherche à l’Institut des relations internationales et stratégiques (Iris), se voulait moins sévère. Il relevait, certes aussi, que les frères Kouachi et Amedy Coulibaly « ont été en prison », qu’« ils étaient connus depuis des années » et qu’« ils devaient avoir de gros dossiers à la DGSI ». Cependant, ce spécialiste des stratégies de propagande terroriste, estimait que « les services de renseignement ne peuvent être que submergés par la masse des petits réseaux souvent démantelés et des jeunes candidats au djihad ». Face à ce « problème quantitatif », les services de sécurité ne peuvent, selon lui, « multiplier à l’infini leurs effectifs, le nombre d’écoutes, de surveillances… ». D’ailleurs, l’accroissement important de ces moyens poserait de toute façon « des questions quant à la liberté individuelle, puisque nous sommes en démocratie », et ne pourrait se faire qu’« à la faveur d’une profonde réflexion éthique, juridique et politique ». Réflexion qui n’a jamais eu lieu.

Xavier Raufer, directeur des études du département de recherche sur les menaces criminelles contemporaines (MCC, université Paris II Panthéon-Assas), expert en matière de terrorisme, me disait alors son accord complet avec le propos du Premier ministre : « Oui, il y a eu des failles et elles sont graves. Tout d’abord en termes de diagnostic policier quant à la menace réelle sur notre pays, deuxièmement du point de vue de la décision politique. » Le criminologue qui connaît – et est connu – des dirigeants du renseignement, à l’étranger comme en France, mettait principalement en cause les gouvernements qui ne sont pas revenus, depuis 2012, sur la « décision catastrophique de fusion, en 2008, des RG et de la DST pour créer la DCRI, renforcée en DGSI le 12 mai 2014 ». Or, selon lui, « cette boutique [la DGSI] est très mal dirigée et ne marche pas, contrairement à la Direction du renseignement de la préfecture de Paris [DRPP][44] ou l’Unité de coordination de la lutte antiterroriste [Uclat] », dont il déplorait qu’elles ne soient pas mieux écoutées.

Un officier de la DGSI, une de mes meilleures sources sur ces sujets, lui donnait raison, m’affirmant lui aussi que les « failles » étaient programmées dans la disparition des RG, en 2012, « un service de policiers qui allaient au contact, sur le terrain, échangeait ouvertement ses informations avec les douaniers et d’autres services, comme la police de l’air et des frontières ». Le professionnel critiquait durement une DGSI qui, « dès sa création en DCRI [en juillet 2008] s’est trouvée survalorisée, donc isolée et tétanisée par le secret-défense[45] », mais qui « s’est aussi trop centrée sur le terrorisme international, lâchant la prise sur l’islam de France et son financement, pratiquant un renseignement technologique aux dépens du renseignement humain ». Il ajoutait que, « du fait de cet état d’esprit très DST, beaucoup de sources humaines ont été perdues ».

Ce policier de la DGSI lançait même, le 10 janvier 2015, une alerte prémonitoire[46] : « Si nous relevons les défaillances de notre système actuel de sécurité, il faut tout d’abord parler des éléments extérieurs d’évaluation du risque terroriste, notamment ceux qui sont recueillis en Irak et en Syrie. Or, aujourd’hui, les pouvoirs publics font comme si la puissance réelle du soi-disant État islamique [EI] n’était pas celle que les services de renseignement évaluent à sa juste mesure. L’EI se prépare constamment à déstabiliser notre pays, notamment en représailles contre notre soutien aux États-Unis. Le degré de dangerosité de cette capacité de déstabilisation justifie le terme de “guerre”. » Il précisait : « Notre analyse est que les événements de cette semaine peuvent n’être qu’une amorce d’un processus de déstabilisation de très grande ampleur. Ceux qui sont passés à l’acte cette semaine n’étaient pas indépendants. L’un de ces terroristes, Chérif Kouachi, s’est lui-même vanté d’avoir été financé par le cheikh Anwar al-Awlaki [Al-Qaïda au Yémen] qui a été tué en septembre 2011 par un drone américain. »

Manifestant froidement sa colère, l’officier poussait encore plus loin sa mise en cause de la gestion française du renseignement : « Quant aux aspects internes des failles ou défaillances de notre renseignement intérieur, je constate que les fonctionnaires de la DGSI travaillent de 9 heures à 18 heures, alors que les officiers de police judiciaire travaillent jour et nuit si nécessaire. Ces mêmes agents passent leur vie dans des bureaux, attendant les ordres d’une hiérarchie pesante, tandis que les officiers des RG étaient habitués à travailler librement, sur le terrain, au contact de sources humaines, encouragés par une hiérarchie pour qu’ils soient productifs. De proactifs nous sommes devenus passifs. De plus, depuis quelques années, nous avons trop négligé – c’est un euphémisme – le renseignement sur le financement du terrorisme, sans doute parce que notre accès aux bases de données de Tracfin nous donnait à connaître des faits troublants quant au financement politique, voire aux affaires de certaines personnalités. Or, les terroristes du type des frères Kouachi ou de Coulibaly ont vécu, voyagé et se sont équipés aux frais d’acteurs extérieurs à notre pays, par l’intermédiaire d’abondements clandestins massifs de la zakât[47], passés en liquide à travers nos frontières. »

Rétention d’informations

Dix mois plus tard, je refaisais la tournée de mes sources policières et des experts en renseignement. Tous m’ont confirmé que les défaillances du renseignement intérieur sont d’abord le fruit de la destruction, en 2008, du maillage territorial assuré par les RG, lorsque ceux-ci ont été absorbés en partie dans la DCRI. Plusieurs dizaines d’implantations locales des RG ont alors été fermées. La culture sécuritaire du contre-espionnage (DST), encouragée par un Nicolas Sarkozy qui redoutait les RG, s’est imposée dans l’ensemble du renseignement intérieur, au détriment du renseignement ouvert, implanté dans toutes les strates de la société et dans tous les départements, tel qu’il était pratiqué par les RG.

Certes, cette faille du renseignement territorial avait été compensée, début 2014, par la création du Service central de renseignement territorial (SCRT), mais celui-ci manque toujours cruellement de moyens et subit encore de nombreux obstacles administratifs, dont la non-coopération quasi systématique de la DGSI. Par exemple, les policiers du SCRT n’avaient pas, au moment de mon enquête de janvier 2015, accès au fichier des enquêtes administratives liées à la sécurité publique (EASP) et ne pouvaient consulter que partiellement celui du traitement des antécédents judiciaires.

Mais il y a pire. La DGSI, et même le renseignement extérieur, semblent sourds et aveugles à ce qui se trame au Moyen-Orient en général – et en Syrie en particulier. Et même impuissants à exploiter les informations transmises par d’autres centrales. Les services français avaient pourtant bénéficié, avant les attentats du vendredi 13 décembre 2015, d’« informations que plusieurs services de renseignement arabes ont transmises à leurs homologues occidentaux », et selon lesquelles « six capitales ont été ciblées en priorité par l’État islamique : Paris, Londres, Moscou, Le Caire, Riyad et Beyrouth[48] ». Selon ces renseignements, plusieurs « émirs » étaient chargés de superviser des opérations dans chaque zone visée et disposaient d’une large autonomie opérationnelle. Ils ne répondaient qu’à Abou Ali al-Anbari[49], le chef du Conseil de sécurité et de renseignement de l’État islamique.

Selon les mêmes informateurs, Abdelhamid Abaaoud était chargé d’organiser des attentats terroristes en France, en Espagne et en Italie. Un autre « émir » terroriste, d’origine pakistanaise, serait chargé de la Grande-Bretagne. Cette stratégie de la terreur aurait été décidée lors d’une réunion tenue autour d’Abou Bakr al-Baghdadi[50], fin juin 2015, à Mossoul. Dès lors, les opérations terroristes en Europe devaient être menées par des djihadistes aguerris en Irak ou en Syrie, placés directement sous les ordres de cadres du Conseil de sécurité et de renseignement de l’État islamique et non plus par des groupes spontanés ou autres « loups solitaires », comme jusqu’en janvier 2015.

De même, le lundi 16 novembre 2015, un responsable gouvernemental turc affirmait, on l’a dit, que la police de son pays avait alerté la police française par deux fois, en décembre 2014 et en juin 2015, à propos d’Ismaël Mostefaï, l’un des terroristes kamikazes du Bataclan, mais qu’elle n’avait reçu aucun retour. Pourtant, son cas était particulièrement inquiétant : « Les services secrets savaient dès 2009 qu’Ismaël Mostefaï, l’un des kamikazes du Bataclan, s’était radicalisé à Chartres, dans un groupe dirigé par un vétéran du djihad, cerveau d’un attentat au Maroc en 1994[51]. Au printemps 2014, la DGSI a perdu la trace de Mostefaï après l’avoir repéré à Chartres, quelques mois après son probable retour de Syrie. Il avait franchi la frontière turque le même jour qu’un autre kamikaze du Bataclan, Samy Amimour[52]. »

Les services français auraient également reçu des signalements du Département du renseignement et de la sécurité (DRS), le service algérien, à propos d’Ismaël Mostefaï. Le DRS aurait repéré le futur tueur du Bataclan et l’aurait surveillé fin 2014. Le service algérien avait e effet découvert qu’il était membre d’une cellule de recrutement de djihadistes pour la Syrie, au nom de laquelle il aurait été chargé de transporter des messages, de l’argent et des faux documents. Par ailleurs, le site d’information Mondafrique évoquait, en novembre 2015, un signalement du DRS à la DGSE, en octobre. Mais, une fois encore, ces informations n’auraient pas été sérieusement exploitées.

Enfin, la communication entre les différents services français de renseignement et de police semble avoir été catastrophique jusqu’au bout. À l’automne 2015, plusieurs responsables de la lutte antiterroriste se plaignaient ainsi de la rétention d’informations pratiquée par la DGSI, laquelle avait visiblement le plus grand mal à partager ses fiches « S » (atteinte à la sûreté de l’État). La DRPP, la sous-direction antiterroriste de la police judiciaire, mais aussi la DNRED et Tracfin s’en plaignaient clairement, surtout depuis les attentats de janvier 2015. Même la DGSE semblait souffrir de cette rétention d’informations, alors qu’une cellule de liaison entre ce service de renseignement extérieur et le renseignement intérieur était logée au siège de la DGSI, à Levallois-Perret (Hauts-de-Seine).

Et pourtant…

« J’ai acquis la conviction que les hommes de Daech ont l’ambition et les moyens de nous atteindre beaucoup plus durement en organisant des actions d’ampleur, incomparables à celles menées jusqu’ici. Je le dis en tant que technicien : les jours les plus sombres sont devant nous », prévenait le juge d’instruction Marc Trévidic, le 30 septembre 2015, dans Paris Match, alors qu’il quittait le pôle judiciaire antiterroriste, après dix ans d’enquêtes. Le vendredi 13 novembre 2015, son avertissement devint prédiction.

Et pourtant, surtout depuis les tueries de Mohamed Merah, en mars 2012, les gouvernements ont multiplié les réformes du dispositif judiciaire antiterroriste. Pas moins de quatre lois ont été votées en quatre ans, et les décrets d’application de la plus récente, la loi sur le renseignement promulguée le 24 juillet 2015, ont été publiés à peine plus d’un mois avant les attentats de novembre 2015. En réponse à la tentative de fusillade du 21 août 2015 dans le Thalys Amsterdam-Paris[53], l’Assemblée nationale devait même commencer, mardi 17 novembre 2015, l’examen d’un nouveau projet de loi élargissant les pouvoirs de fouille des agents SNCF, RATP et des policiers dans les transports. Vendredi 13 novembre, Bernard Cazeneuve, ministre de l’Intérieur, présentait un plan de lutte contre les filières d’armement du banditisme et du terrorisme, à la préfecture des Hauts-de-Seine.

Et pourtant, encore, la loi relative au renseignement promulguée le 24 juillet 2015 avait considérablement étendu les pouvoirs des services de renseignement, en légalisant des techniques de surveillance très intrusives, comme la sonorisation de locaux et de domiciles, les IMSI-catchers, ces valises qui imitent le fonctionnement d’une antenne-relais sur laquelle se connectent donc les téléphones mobiles proches et qui permettent l’interception de conversations…

Les moyens financiers et en effectifs des services du renseignement avaient également été renforcés. Transformée en DGSI, en juin 2014, et placée directement sous la tutelle du ministre de l’Intérieur, la DCRI s’était vu promettre 432 postes supplémentaires ainsi qu’un budget supplémentaire de fonctionnement de 12 millions d’euros par an. Le plan antiterroriste annoncé par le Premier ministre Manuel Valls, en janvier 2015, y ajoutait un renfort de 1 400 policiers et gendarmes supplémentaires sur trois ans, dont 1 100 pour le renseignement intérieur…

Et pourtant, enfin, en juillet, le ministre de l’Intérieur Bernard Cazeneuve avait créé et placé sous son contrôle direct un état-major opérationnel de prévention du terrorisme (EMOPT) censé coordonner les différents services et éviter que de nouveaux djihadistes ne passent entre les mailles du filet du renseignement. L’EMOPT « est chargé de piloter la totalité du dispositif de détection et de suivi des individus radicalisés susceptibles de commettre un acte terroriste », soulignait Bernard Cazeneuve, le 29 octobre 2015, à l’Assemblée nationale.

« Sponsors » de l’État islamique

Dans son entretien avec Frédéric Helbert[54], le juge d’instruction antiterroriste Marc Trévidic insistait : « La menace est à un niveau maximal, jamais atteint jusqu’alors. D’abord, nous sommes devenus pour l’État islamique l’ennemi numéro un. La France est la cible principale d’une armée de terroristes aux moyens illimités. » Or, la question des « moyens illimités » du terrorisme islamiste est le tabou par excellence de la communication politique. Un tabou que les vrais experts du renseignement n’ont parfois plus le cœur de respecter.

Alain Chouet[55] a été le chef du service de renseignement de sécurité de la DGSE, de 2000 à 2002, après avoir été en poste à Beyrouth, Damas, Rabat, etc. Au lendemain des attentats du 13 novembre 2015, il affirmait ne pas avoir été surpris par ceux-ci : « Cela fait au moins un an que les spécialistes du renseignement agitent le drapeau pour prévenir du risque imminent d’attentat. Il faut bien comprendre que l’État islamique ayant une vraie stratégie pour se développer sur le terrain en tant qu’État, et commençant à perdre pied quand ses ressources se tarissent, opère une transition vers le terrorisme international, comme Al-Qaïda à son époque. Il s’agit pour l’État islamique de garder sa crédibilité, ses sponsors et ses soutiens[56]. »

À propos de ces « sponsors » et « soutiens » du terrorisme projeté par l’État islamique, Alain Chouet ne mâchait pas ses mots : « Oui, il y a les sponsors idéologiques et financiers du terrorisme. Les pétromonarchies du Golfe, qui essayent par tous les moyens – et en particulier par la diffusion de l’idéologie salafiste – d’empêcher la constitution d’un axe chiite du Liban jusqu’à l’Iran, qui ont un problème de légitimité musulmane, et qui veulent empêcher toute dérive démocratique. L’Arabie saoudite, par exemple, s’emploie depuis trente ans à distiller le message salafiste et wahhabite en Europe, à travers des écoles et des fondations, et le résultat est là aujourd’hui. » Le propos est on ne peut plus clair et net. J’y reviendrai précisément un peu plus loin.

Comme pratiquement toutes mes autres sources au sein du renseignement, l’ex-chef du service de renseignement de sécurité de la DGSE dénonçait aussi vigoureusement la bureaucratisation du métier : « À la DGSE, aujourd’hui, il doit y avoir 4 500 à 5 000 personnes, dont 1 000 qui font de l’administratif. Le problème n’est pas tant les effectifs que la qualité et l’utilisation des effectifs, comme à la DGSI. J’ajoute qu’à la gendarmerie, il y a 80 000 personnes qui, à une époque, quadrillaient le territoire et parlaient à tout le monde. On les a reconvertis en percepteurs d’impôts et pères fouettards sur le bord des routes, au lieu de créer un corps spécifique, une police des routes. Du coup, le maillage territorial du renseignement et la défense opérationnelle du territoire ont été affaiblis[57]. »

Destruction du renseignement financier

Mais ce qui a sans doute été le plus affaibli, pour ne pas dire tout simplement brisé, c’est le renseignement financier. Le jeudi 26 novembre 2015, Aleph me le dit, une nouvelle fois, crûment : « Lorsque les RG travaillaient sur le financement du terrorisme, ses enquêteurs tombaient aussi souvent sur d’autres malversations : évasion fiscale, financement politique illégal, corruption… Je suis convaincu que le démembrement et l’absorption des RG par la DST, lors de la création de la DCRI, en 2008, ont été voulus par Nicolas Sarkozy et ses généreux amis qui avaient beaucoup à craindre du renseignement financier. » Résultat : les arcanes du financement d’un terrorisme toujours très coûteux sont plus obscurs et impénétrables que jamais pour le renseignement français.

Aleph confirme ainsi les analyses contenues dans un document confidentiel d’une rare sévérité, rédigé par un collectif d’officiers de la DCRI, ce « FBI à la française »[58]. Rédigé sur 14 pages, en style parfois télégraphique, ce véritable audit du service de renseignement, mais aussi de nombreuses autres directions de la police nationale compétentes en matière de délinquance financière, a été remis le 16 février 2013 aux parlementaires du groupe de travail sur les exilés fiscaux, constitué un mois et demi plus tôt. « Avant la réforme de 2008, les renseignements généraux disposaient d’un réseau territorial de remontées d’informations économiques et financières. Ses services centraux disposaient d’un accès aux déclarations Tracfin et apportaient des éléments de travail à Tracfin. Les RG avaient mis en place un maillage au sein des employés des établissements bancaires pour faire remonter de l’information financière en amont de Tracfin et recueillir des informations non filtrées. Lors de la réforme des services de renseignement survenue en 2008, la recherche du renseignement financier a été centralisée au sein de la sous-direction en charge de la protection du patrimoine économique et financier de la DCRI… » Et dès lors, les informations recueillies sont tombées dans les oubliettes du « secret défense ».

Aussi, la note très précise des officiers de police encourageait les élus à interroger, si possible dans le cadre d’une commission d’enquête parlementaire, les anciens et actuels patrons ou responsables de la DCRI (dont Bernard Squarcini, Gilles Gray, Éric Bellemin-Comte…), notamment celles et ceux qui étaient et sont encore chargés du renseignement économique et financier. Les auteurs du document suggéraient même aux parlementaires des questions lourdes de sens, révélant, d’une part, la surveillance étroite opérée par la DCRI sur l’organisation de la fraude fiscale internationale et dénonçant, d’autre part, la non-transmission à la justice des informations considérables recueillies lors de cette surveillance.

Bernard Squarcini, Gilles Gray, Éric Bellemin-Comte… Dans le cadre d’une esquisse d’enquête sur la destruction du renseignement français, quelques questions sur leurs itinéraires professionnels se posent tout naturellement.

Les hommes du président

Parmi les noms cités dans la note des policiers aux députés, celui d’Éric Bellemin-Comte retient à nouveau particulièrement l’attention d’Aleph, car ce haut fonctionnaire de police est toujours, et depuis juin 2011, « conseiller auprès du coordonnateur national du renseignement», un poste ultra-sensible créé par Nicolas Sarkozy en 2008. Un poste installé à l’Élysée. Depuis le 2 septembre 2015, le coordonnateur est Didier Le Bret, diplomate, ministre plénipotentiaire. Ses adjoints sont un préfet hors-cadre et un administrateur civil hors-cadre. Éric Bellemin-Comte, conseiller, est le n° 4 de ce service présidentiel[59]. Jusqu’en 2010, le policier était adjoint au sous-directeur de la protection économique (sous-direction K) de la DCRI, sous les ordres de Gilles Gray (sous-directeur) et de Bernard Squarcini (directeur), ce qui trace une carrière très particulière.

En effet, en mars 2012, je révélais le profil excessivement politique – sarkozyste – de la fameuse sous-direction K de la DCRI[60]. En 2009, en pleine découverte de l’évasion fiscale organisée à grande échelle par la banque suisse UBS en France, la sous-direction K est dirigée par Gilles Gray, un contrôleur général de la police qui ne tarde pas à se rapprocher de l’Élysée. En janvier 2010, Gilles Gray est nommé adjoint d’Olivier Buquen, délégué interministériel à l’intelligence économique (DIIE), un proche de Brice Hortefeux. Le DIIE est alors rattaché en réalité à l’Élysée, où Claude Guéant et même Nicolas Sarkozy se montrent très intéressés par ses travaux.

En novembre 2009, Gilles Gray est secondé, à la DCRI, par un très fidèle adjoint, le commissaire divisionnaire Éric Bellemin-Comte, lequel ne tarde pas non plus à être embauché à la présidence de la République, où il travaille ensuite dans l’équipe constituée par Joël Bouchité, alors conseiller pour la sécurité intérieure, en compagnie d’Ange Mancini, le coordonnateur national du renseignement (CNR)[61], lui-même connu pour appartenir aussi à la très sarkozyste « maison Guéant ». Gilles Gray et Éric Bellemin-Comte ont ainsi grimpé ensemble sur le sentier escarpé de « la K », le cœur de la DCRI, afin d’atteindre les sommets de l’Élysée, sous la présidence de Nicolas Sarkozy.

Mais il y a plus troublant encore.

Alors que je finissais d’enquêter sur UBS et l’évasion fiscale, j’appris que le vendredi 2 décembre 2011, « une furia de destruction de documents et de cédéroms avait saisi les fonctionnaires de la DCRI, depuis une bonne semaine » et que leurs ordinateurs tournaient alors en permanence en mode « maintenance », ce qui signifiait que tous les fichiers sensibles étaient effacés des disques durs ou des serveurs courants et qu’ils étaient éventuellement transférés vers un serveur invisible[62].

C’est un véritable vent de panique qui soufflait alors dans les bureaux et les couloirs des quatrième et cinquième étages du 84, de la rue de Villiers, à Levallois-Perret (Hauts-de-Seine), adresse du siège de la DCRI dirigée par Bernard Squarcini, depuis sa création en 2008, et employant quelque 3 000 fonctionnaires, dont plus de 160 commissaires de police, presque tous habilités « secret défense ».

Mais, pour quelle raison, cette furia et ce vent de panique s’étaient-ils emparés du saint des saints du renseignement intérieur ?

Une de mes meilleures sources dans l’enquête sur UBS m’expliquait, en ce début décembre 2011, que « la destruction de preuves » avait été « ordonnée par le “patron” » (Bernard Squarcini), car il y avait « le feu au lac ». Le 10 novembre 2011, une décision du Conseil constitutionnel[63] avait en effet fixé au 1er décembre suivant l’application d’une limitation importante du « secret défense », lequel couvrait extraordinairement, depuis une loi du 29 juillet 2009, les locaux de la présidence de la République, de grands ministères (Défense, Affaires étrangères, Intérieur) et… des services secrets. Les neuf Sages avaient ainsi ouvert les portes, entre autres, de la DCRI, aux juges d’instruction Roger Le Loire et Renaud Van Ruymbeke, qui étaient saisis du volet financier de l’attentat de Karachi[64].

Karachi, l’inavouable secret

En octobre 2013, le nom d’Éric Bellemin-Comte resurgissait, précisément dans le cadre de l’instruction judiciaire sur l’affaire Karachi. Ancien commissaire de la DST (1991-2008)[65], il aurait été très tôt destinataire de notes de renseignement expliquant l’attentat de Karachi par des désordres internationaux générés par le financement occulte de la campagne présidentielle d’Édouard Balladur[66].

Lundi 7 octobre 2013, le juge antiterroriste Marc Trévidic[67] avait procédé à une audition importante. Devant le magistrat, le journaliste Guillaume Dasquié[68] affirmait en effet qu’Éric Bellemin-Comte aurait été tenu au courant très tôt de l’hypothèse selon laquelle l’attentat du 8 mai 2002 serait lié à l’arrêt du versement, par la France, de commissions promises en marge des grands contrats d’armement signés avec le Pakistan (Agosta) et l’Arabie saoudite (Sawari II, contrat de 3 milliards d’euros). L’un des informateurs du commissaire de la DST, Gérard Willing, chef d’une entreprise de renseignement privé (Ciex), excellent connaisseur du Moyen-Orient, entretenait d’excellentes relations avec la famille royale saoudienne.

En fait, dès 1994, Gérard Willing alertait par écrit ses interlocuteurs de « l’arrivée inopinée » du réseau d’intermédiaires de Ziad Takieddine, dit « réseau K », dans les négociations des contrats Agosta et Sawari II, liée, affirmait-il, à un système de financement secret du Parti républicain et de la future campagne présidentielle d’Édouard Balladur par un jeu de rétro-commissions. Pis, au lendemain de l’attentat de Karachi, le même informateur expliquait dans une nouvelle note datée du 13 mai 2002 que l’attentat meurtrier pourrait avoir été organisé du fait de l’arrêt du versement de commissions à certains intermédiaires, arrêt décidé par Jacques Chirac peu après son accession à l’Élysée. Or, Gérard Willing aurait remis ces notes à la DST, où Éric Bellemin-Comte était responsable du suivi de l’informateur.

À partir de 2013, la question de savoir ce que sont devenues ces notes de renseignement a obsédé le juge Trévidic. Mais le « secret défense » systématiquement opposé au magistrat l’a toujours empêché d’avancer de façon décisive dans son instruction judiciaire. Pourtant, en novembre 2015, de nouveaux témoignages ont confirmé le rôle central joué par Éric Bellemin-Comte dans ce dossier stratégique. Apparaissant sous son seul pseudonyme, « Verger », un ancien agent de la DST a ainsi été entendu et son témoignage, consulté par Le Monde et France Inter[69], a été déclassifié par le ministre de l’Intérieur, Bernard Cazeneuve, le 23 octobre 2015. Cette déposition confirme les informations dissimulées si longtemps par les responsables du renseignement : la DST, chargée en 2002 de l’enquête sur l’attentat, avait travaillé dès les années 1990 sur un certain Ali ben Moussalem, aujourd’hui considéré comme un personnage clé de l’affaire, mais sur lequel la DGSI, affirme ne retrouver aucune trace dans ses archives…

En réalité, ce cheikh saoudien était à la tête d’un réseau d’intermédiaires – dont faisait partie Ziad Takieddine – mobilisé par le gouvernement Balladur à l’occasion de la réalisation de plusieurs marchés d’armement en 1994 : la vente des sous-marins français Agosta au Pakistan et des frégates Sawari II à l’Arabie saoudite. Il est la clé de voûte de l’hypothèse selon laquelle l’attentat de Karachi aurait été commis en rétorsion à l’interruption du paiement des commissions prévues par ces contrats. Un certain Ali ben Moussalem, décédé en 2004, en Suisse, dans des conditions qui demeurent obscures, avait été lésé de quelque 120 millions d’euros du fait de cette interruption du versement des commissions. Ses relations étroites avec les services secrets pakistanais et le terrorisme islamique laissent penser que c’est lui qui fut probablement le commanditaire de l’attentat de mai 2002. Ali ben Moussalem était, par ailleurs, un homme d’affaires fortuné, propriétaire de palaces à Londres et à Paris, mais également un représentant officiel du royaume saoudien, titulaire d’un passeport diplomatique. Homme clé des contrats d’armements au Moyen-Orient, il était considéré comme proche des réseaux djihadistes et d’Al-Qaïda, lié pour certaines affaires à l’un des frères d’Oussama ben Laden.

Quoi qu’il en soit, le témoignage de « Verger » confirme que le renseignement intérieur a surveillé les transactions entre Ben Moussalem et certains membres du gouvernement Balladur, dans les années 1990. Or, aucune trace de cette surveillance n’a été retrouvée dans les archives de la DGSI… Pourtant, un document versé au dossier judiciaire prétend détailler de multiples rencontres entre Ben Mussalem, Édouard Balladur lui-même et ses soutiens, entre 1993 et 1995. Gérard Willing, l’« honorable correspondant » de la DST, avait affirmé lui aussi, dans le bureau du juge Trévidic, le 28 janvier 2013, avoir enquêté sur Ben Moussalem dès 1994 et en avoir rendu compte à « Verger », son officier traitant. Il précisait même avoir transmis une note de renseignement évoquant la piste politico-financière, cinq jours seulement après l’attentat…

Jusqu’à aujourd’hui, Éric Bellemin-Comte continue d’affirmer que, « de mémoire », aucun travail n’a été effectué sur Ben Moussalem par son service…

Après le 11 septembre 2001, Ben Moussalem est visé par l’administration américaine, qui le soupçonne de financer des réseaux djihadistes et Al-Qaïda[70], en compagnie de l’homme d’affaires et financier égyptien Youssef Moustafa Nada, qui dirigeait la banque islamique Al-Taqwa de Lugano (canton du Tessin, Suisse) depuis sa création, en 1988, et qui était l’un des plus hauts responsables de la branche internationale des Frères musulmans[71].

Comme presque toujours, la clé de décryptage complet de ces « blocages » qui paralysent le renseignement, et surtout la justice, dans la lutte antiterroriste, se trouve donc probablement en Suisse et à Washington. Mais, à ce jour, elle est demeurée introuvable. Elle permettrait sans doute de comprendre comment le financement du terrorisme international passait (passe toujours ?) par les grands contrats d’armement, les commissions pharaoniques perçues par de douteux intermédiaires finissant, pour une grande part, en liquide, dans les poches de certains chefs djihadistes comme Oussama ben Laden. Mais aussi de comprendre comment le financement politique illégal passait (passe encore ?) par les grands contrats d’armement, les rétro-commissions reversées par les mêmes douteux intermédiaires finissant, en liquide toujours, dans les coffres de certains partis…

Devant le juge Trévidic, l’ex-honorable correspondant de la DST Gérard Willing a raconté avoir évoqué le « cas » Ben Mussalem à l’occasion d’un déjeuner, en 2004, à Paris, avec Éric Bellemin-Comte : « Nous avons abordé le cas Ben Mussalem. Je m’étais souvent posé la question de savoir comment il avait pu être commandeur de la Légion d’honneur. Je me souviens qu’au sujet d’Ali ben Moussalem, Éric Bellemin-Comte m’a dit : “Vous allez arrêter de nous emmerder avec vos bâtons merdeux !”[72]. »

Big business sécuritaire

Parmi les autres noms cités par la note des policiers aux députés, note dont j’avais révélé le contenu dans La Croix, celui de Bernard Squarcini[73] symbolise, pour Aleph, le mélange des genres, depuis 2008 surtout, entre la police de renseignement et l’affairisme, un mélange qui fut et reste particulièrement préjudiciable à la défense sans entrave de la sécurité publique. « Cette dérive a malheureusement entraîné beaucoup d’autres cadres de la police », regrette le spécialiste, qui relève que, au cours du premier semestre 2013, trois hauts fonctionnaires corses du renseignement et de la police, « choyés sous Nicolas Sarkozy », ont rejoint le secteur privé de la sécurité des groupes et patrons du CAC 40. Tous trois sont membres d’un même cercle corse qui se réunit chaque mois.

Ainsi, Ange Mancini, jusqu’alors coordinateur du renseignement à l’Élysée, a pris sa retraite en juin 2013, mais est aussitôt devenu conseiller pour les questions de sécurité de Vincent Bolloré, président du groupe qui porte son nom[74]. Avant lui, une vingtaine de hauts fonctionnaires de police d’origine corse étaient déjà passés des services de l’État à la sécurité privée. Ensemble ils constituaient un « club des Corses », qui se réunissait une fois par mois, pour dîner, tout au long de la présidence de Nicolas Sarkozy, et qui continue de se rassembler régulièrement. Parmi eux : Bernard Squarcini, bien sûr, mais aussi Jean-Louis Fiamenghi, qui a commandé le RAID (de 2004 à 2007), comme son créateur Ange Mancini (1985 à 1990), avant d’assurer, depuis octobre 2012, la direction de la sécurité de Veolia.

Pionnier de la conversion dans le privé et, lui aussi, pilier du « club des Corses », l’ex-commissaire divisionnaire Charles Pellegrini dirigea l’Office central pour la répression du banditisme (OCRB), en 1981 et 1982. Dès 1990, il fondait sa société de sécurité et d’intelligence économique, CP Conseils, laquelle s’est beaucoup développée dans la sécurité aérienne. En 2013, il devient le conseiller d’un autre fidèle des dîners corses, Pierre-Antoine Lorenzi, qui travaillait à la direction de la stratégie de la DGSE avant de fonder en 2007 sa propre société de sécurité, Amarante International[75], laquelle a connu un développement fulgurant[76].

Selon la lettre numérique confidentielle « Intelligence online » du 12 juin 2013, tous ces anciens hauts fonctionnaires d’origine corse « travaillent peu ou prou pour les mêmes clients ». Elle précise : « Ainsi, LVMH compte parmi ses consultants Charles Pellegrini et Bernard Squarcini, et fait protéger sa direction par Management & Private Protection, la société de Jean-François Rosso, neveu de Charles Pellegrini. » Ces affaires intelligemment partagées sont visiblement portées par une croissance mondiale exponentielle du secteur très peu contrôlé de la sécurité et du renseignement privés[77].

Ainsi, fin octobre 2015, l’ex-patron de la DCRI Bernard Squarcini créait une nouvelle société de conseil d’affaires, Trama Conseil, qui vient s’ajouter à Kyrnos Conseil, alors qu’il dirige également la branche européenne d’Arcanum Global, une tentaculaire et très conservatrice société internationale de renseignement stratégique et de sécurité[78], agence dont la puissance est telle que l’on s’étonne qu’elle n’ait pas su avertir à temps son associé parisien, à l’automne 2015, de la préparation d’attentats d’une ampleur inédite.

En 2007, dans La Stratégie du choc, une enquête phénoménale, la journaliste canadienne Naomi Klein affirmait que, depuis 2001, l’émergence spectaculaire de l’industrie de la sécurité intérieure était un effet des attentats du 11 Septembre, et même un effet « attendu » par le « capitalisme du désastre » : « Quand arrive le désastre tant attendu, ils savent que leur heure est enfin venue. Pendant trois décennies, [Milton] Friedman et ses disciples exploitèrent de façon méthodique les chocs subis par d’autres pays. À partir de la chute des tours jumelles, l’idéologie née dans certaines universités américaines et nourrie par les grandes institutions de Washington eut enfin l’occasion de rentrer au bercail. L’administration Bush profita de la peur suscitée par les attentats non seulement pour lancer sans délai la “guerre contre le terrorisme”, mais aussi pour faire de cette dernière une entreprise presque entièrement à but lucratif, une nouvelle industrie florissante qui insuffla un dynamisme renouvelé à une économie chancelante. C’est ce qu’il convient d’appeler le “complexe du capitalisme du désastre”, entité tentaculaire beaucoup plus vaste que le complexe militaro-industriel contre lequel Dwight Eisenhower avait mis les Américains en garde à la fin de sa présidence[79]… »

Barbouzeries actuelles

Est-ce la puissance de ses nouvelles bases arrière privées et internationales qui encouragèrent Bernard Squarcini à commenter les attentats du vendredi 13 novembre, dans le journal d’extrême droite Valeurs actuelles[80] ? « Conscients de ces erreurs politiques et diplomatiques [de François Hollande et de Manuel Valls], les islamistes de Daech ont commis un attentat remarquable » [sic], n’hésite-t-il pas à dire, après avoir affirmé que Manuel Valls, alors ministre de l’Intérieur, avait refusé de recevoir, par son intermédiaire, « la liste de Français combattant en Syrie » établie par les services de Bachar al-Assad.

Pour mémoire, le 3 février 2015, Yves de Kerdrel, directeur de Valeurs Actuelles, a été condamné à 2 000 € d’amendes pour provocation à la haine raciale, à la suite d’une plainte déposée par plusieurs associations en raison de la reproduction, en couverture du même numéro du 22 décembre 2013 de l’hebdomadaire, d’une Marianne voilée rehaussée du titre : « Naturalisés. L’invasion qu’on cache ». Et, le 5 mars 2015, le même directeur de Valeurs Actuelles a été condamné à 3 000 € d’amendes pour provocation à la discrimination, à la haine et à la violence envers les Roms et diffamation, à la suite de la publication, le 22 août 2013, d’un dossier intitulé « Roms : l’overdose ». Yves de Kerdrel et la société Valmonde, éditrice du magazine, ont également été condamnés à verser solidairement 2 000 euros de dommages et intérêts à la Licra et 1 000 euros à l’association La Voix des Roms. Ces condamnations ont été confirmées, sur le fond, en appel.

Enfin, le magazine a été impliqué dans une opération peu reluisante et parfaitement significative. En octobre 2014, il publiait un article qui détaillait les rendez-vous professionnels de deux journalistes du Monde, Gérard Davet et Fabrice Lhomme. La direction du quotidien annonçait aussitôt qu’elle allait demander l’ouverture d’une « enquête pour espionnage et déposer une plainte pour diffamation et injure », tandis que les rédactions de quatorze grands médias français publiaient un communiqué commun dénonçant une « atteinte grave au secret des sources ». L’auteur de l’article de Valeurs actuelles n’était autre que Louis de Raguenel, militant UMP, ancien responsable de la communication numérique de Claude Guéant au ministère de l’Intérieur en 2011 et 2012, ancien du groupe « nouvelles technologies et veille » au cabinet du directeur général de la police nationale de 2012 jusqu’à mars 2013. C’est également Louis de Raguenel qui fut l’intervieweur de Bernard Squarcini dans le fameux entretien publié par l’hebdomadaire à la suite des attentats du 13 novembre 2015[81].

***

L’hydre des Frères musulmans

Je crois que le musulman a le devoir de faire revivre l’Islam par la renaissance de ses différents peuples, par le retour de sa législation propre, et que la bannière de l’Islam doit couvrir le genre humain et que chaque musulman a pour mission d’éduquer le monde selon les principes de l’Islam. Et je promets de combattre pour accomplir cette mission tant que je vivrai et de sacrifier pour cela tout ce que je possède.

Hassan al-Banna[82].

Les arcanes du financement d’un terrorisme très coûteux sont plus obscurs et impénétrables que jamais pour le renseignement français, m’affirmait Aleph, fin novembre 2015. Et pourtant, en matière de terrorisme et plus largement de djihadisme, l’argent demeure le nerf de la guerre. Ce qui suit devrait le démontrer clairement et aviver la question de savoir pourquoi rien n’est réellement entrepris, depuis au moins vingt ans, pour tarir définitivement le financement de l’islamisme dans notre pays.

C’est un double document bien accablant que j’ai pu consulter, copier et analyser avec l’aide d’Aleph et d’autres officiers du renseignement. Et, bien entendu, ces cinq pages sont certainement aujourd’hui classées « secret défense », puisqu’elles sont (sans doute) archivées par la DGSI. Il s’agit d’un de ces fameux « blancs » des Renseignement généraux, daté du jeudi 13 septembre 2007, comportant à la fois une « fiche RG » très factuelle et une analyse synthétique de deux pages, le tout étant accompagné d’un tableau de transferts de fonds sur un compte de la banque suisse UBS. Le contenu de l’ensemble révèle l’investissement financier clandestin, illégal et néanmoins considérable de l’émirat du Koweït, du Qatar et de l’organisation internationale des Frères musulmans en vue du développement de l’Institut européen des sciences humaines (IESH)[83]. Il démontre aussi que l’État français ne pouvait ignorer l’existence de ce financement clandestin du principal établissement de formation des imams dans notre pays par un « commanditaire étranger ».

« Fruit d’une collecte dans un pays du Golfe »

Le principal protagoniste du double document de renseignement est un certain Mohamed Karmous, « ressortissant français installé au Locle (Suisse)[84], [qui] a été contrôlé par les Douanes et trouvé porteur de 50 000 euros ». Le résumé de la « fiche RG » précise : « L’intéressé est un militant islamiste, trésorier de l’Institut européen de sciences humaines de Saint-Léger-de-Fougeret (58). » Et voici maintenant le récit du contrôle douanier, qui avait intéressé au plus haut point les RG : « Le 30 avril 2007, le service des douanes françaises a procédé à un contrôle sur la ligne TGV Zurich-Paris. Cette opération a abouti à l’interpellation de M. Karmous Mohamed (connu au FRG, inconnu au STIC)[85], trouvé porteur de la somme de 50 000 euros en liquide. Interrogé au poste de Pontarlier (Doubs), M. Karmous a […] indiqué spontanément que la somme de 50 000 euros lui avait été remise par un dénommé Ahmed Alhmfi [sic] à Genève[86]. Ce dernier, professeur qatari, lui aurait remis cette somme, fruit d’une collecte dans un pays du Golfe, au profit de l’Institut européen des sciences humaines, association installée dans la Nièvre et dont M. Karmous est le trésorier depuis une dizaine d’années. » Voici pour les faits initiaux qui montrent aussi à quel point le « passeur » d’argent liquide, soupçonné d’« un éventuel blanchiment ou délit pénal », paraît assuré d’une impunité garantie par sa mention « spontanée » des noms d’Ahmad al-Hammadi et de Zuhaïr Mahmood (président de l’IESH), mais aussi, on le verra, de Tariq Ramadan.

La suite de la « fiche RG » ouvre des perspectives plus intéressantes quant aux motifs du financement clandestin en (petite) partie dévoilé. Tout d’abord, Mohamed Karmous déclare qu’il « entendait remettre cette somme à son président, M. Zuhaïr Mahmood »[87], lequel ne pouvait alors feindre d’ignorer la nature illicite de ce transfert. Or, Zuhaïr Mahmood est une personnalité remarquable. Il est très officiellement cofondateur de l’Union des organisations islamiques de France (UOIF)[88] et fondateur de l’IESH de Château-Chinon. De même, sa biographie (publique) signale qu’il a suivi « une formation scientifique nucléaire en Irak » et que Saddam Hussein l’a envoyé en France, dans les années 1980, en vertu d’un accord de coopération entre la France et l’Irak.

« Porteur d’une somme de 500 000 euros »

La lecture de l’analyse synthétique à laquelle ont procédé les RG, en date du 13 septembre 2007, porte un éclairage beaucoup plus précis sur l’importance des activités institutionnelles de Zuhaïr Mahmood. Le document, titré « Pourquoi ce regain d’intérêt du Qatar dans les affaires religieuses de la France ? », se penche sur « le week-end du 25 et 26 août 2007 [qui] restera mémorable pour l’IESH de Saint-Léger-du-Fougeret (58), [il] a commémoré la sortie de la dixième promotion d’étudiants ». En effet, à cette occasion, « de nombreuses personnalités religieuses étrangères se sont déplacées ». Cependant, « le grand âge du cheikh égyptien Youssouf Al Quardawi (81 ans) ne lui permet plus de voyager comme dans le passé ».

Malgré tout, « ce haut dignitaire des Frères musulmans (Youssouf Al Quardawi, ou Yûsuf Al-Qaradâwî, ou Youssef al-Qaradawi, ou Youssef al-Qardaoui), installé au Qatar, théologien qui gère d’importants capitaux monétaires issus de la zakât collectée dans divers pays du Moyen-Orient, s’est fait représenter par le docteur Ahmed Al Hammadi, ressortissant qatari, professeur en théologie et membre de l’organisation caritative Qatar Charity[89]. C’est à ce titre que, devant une assemblée de 400 personnes, il a invité les représentants religieux à persévérer dans leur engagement à poursuivre le développement d’un djihad religieux en Europe. Afin d’atteindre ces orientations, cet éminent émissaire était porteur d’une somme de 500 000 euros qu’il aurait remise à Zuhaïr Mahmood, directeur de l’IESH ». À noter aussi que « la venue en France de l’émissaire du cheikh Youssouf Al Quardawi ne s’est pas limitée à cet important événement [la visite bourguignonne], le docteur Ahmed Al Hammadi [ayant] effectué une tournée nationale pour se rendre dans différentes villes dont Amiens (80), Marseille (13), Nancy (54), Grenoble (38) et Besançon (25) »…

Qatar Charity & Co

Pour les officiers des RG, auteurs du « blanc » du 13 septembre 2007, le rôle d’Ahmad al-Hammadi comme pourvoyeur financier essentiel de l’IESH ne fait aucun doute. Le contrôle des douaniers, en date du 30 avril 2007, dans le TGV Zurich-Paris, et la saisie de 50 000 euros en liquide sur Mohamed Karmous « corrobore le fonctionnement de l’IESH avec des fonds en espèces, remis par le même commanditaire étranger ». Un « commanditaire étranger » dont les attaches islamistes, soulignées par sa proximité avec le haut dignitaire des Frères musulmans Youssef al-Qaradawi et par son appartenance à l’ONG Qatar Charity, peuvent faire craindre des visées djihadistes ou terroristes dissimulées.

Les chercheurs Daveed Gartenstein-Ross et Aaron Y. Zelin, membres du think tank américain « Washington Institute for Near East Policy », ont en effet cité, en février 2013, Qatar Charity parmi les organisations caritatives qui financent les mouvements islamistes sous couvert d’aide humanitaire[90]. Selon eux, Qatar Charity aurait apporté une aide financière aux groupes djihadistes du Sahel : le Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA), Ansar Dine, mais aussi Aqmi et le Mujao… Ils affirment aussi que le Front islamique syrien, un groupe réunissant six organisations djihadistes, a bénéficié de financements et de dons en matériels de la part de Qatar Charity. Selon le gouvernement américain, Qatar Charity aurait même été citée par Oussama ben Laden, en 1993, en tant qu’organe de financement des opérations d’Al-Qaïda au niveau international[91]. À l’occasion d’un témoignage déposé auprès de la justice américaine (février 2001), Jamal Ahmed al-Fadl, ancien membre d’Al-Qaïda et de la Qatar Charitable Society (qui est devenue Qatar Charity), a d’ailleurs révélé que le président de la Qatar Charitable Society, Abdullah Mohamed Yusef, était membre d’Al-Qaïda et du groupe islamiste soudanais National Islamic Front, lequel avait accueilli Oussama ben Laden dans les années 1990…

Un document issu du ministère de la Justice américaine explique, par ailleurs, que « les fonds destinés aux opérations d’Al-Qaïda étaient listés dans les comptes des organismes de bienfaisance comme des dépenses pour la construction de mosquées ou d’écoles, ou bien pour nourrir les personnes dans le besoin[92] ». En février 2015, Yahia Sadam, un responsable de l’aide humanitaire du mouvement de libération soudanais, Minni Minnawi, a accusé le Qatar d’avoir soutenu les troupes gouvernementales soudanaises dans leurs actions de répression de la population civile et de blanchir les fonds issus de l’industrie pétrolière soudanaise par l’intermédiaire de Qatar Charity[93]. En Israël, Qatar Charity figure sur la liste noire de 163 organismes de bienfaisance entretenant des liens avec le terrorisme[94].

En décembre 2015, j’ai pu à nouveau consulter, copier et analyser une nouvelle note de synthèse des RG, particulièrement documentée et explicite, sur le « financement de l’Institut européen des sciences humaines (IESH) par un mécène qatari lié à l’extrémisme musulman ». À la lecture des informations qui y sont portées à l’attention des autorités gouvernementales, il paraît aujourd’hui incompréhensible que l’IESH n’ait pas été tout simplement fermé, après déclenchement d’une enquête judiciaire en bonne et due forme. L’officier du renseignement, auteur de cette note de deux pages souligne que la « santé financière [de l’IESH] recouvrée [depuis 2007] » est redevable au « docteur Ahmad Al-Hammadi, un mécène affilié aux Frères musulmans, œuvrant également dans des structures liées à l’extrémisme musulman ».

Bien plus précis que les précédents « blancs » des RG, datés de 2007, la note de 2008 révèle que « plusieurs rencontres ont eu lieu à Genève (Suisse) entre ce membre de la Qatar Charity (Al-Hammadi), ONG islamique qatarie, et Mohammed Karmous, trésorier de l’IESH », et que « lors de ces entrevues, le docteur Al-Hammadi lui [Karmous] a remis des espèces pour une somme totale de 170 000 euros, avec pour mission de les acheminer en France ». Le document ajoute même : « En septembre de la même année [2007], c’est Al-Hammadi en personne qui, lors de la sortie de la dixième promotion de l’IESH, remettait directement à Zuhaïr Mahmood (président de l’IESH) 500 000 euros en espèces, soit 62% du budget annuel de l’Institut ».

Enfin, étant donné son rôle crucial dans le nouveau développement du principal établissement de formation des imams en France, les RG se sont alors penché sérieusement sur le pedigree d’Ahmad al-Hammadi. Le service de renseignement décrit le mécène de l’IESH comme étant « affilié aux Frères musulmans et œuvrant également dans des structures liées à l’extrémisme musulman ». Ils précisaient : « Outre ses activités de mécénat classique, son rôle dans le financement des structures liées à l’islam radical a été remarqué par les services spécialisés (DST et DGSE, entre autres). Ainsi, en 2000, il avait été signalé pour avoir organisé le recueil de fonds au profit de la cause tchétchène. […] Enfin, Ahmad Al-Hammadi est membre du conseil d’administration de l’ONG qatarie Dar Al-Bir, soupçonnée d’avoir participé par le passé au financement d’organisations islamistes dans les Balkans. […] Cette ONG apparaît comme un bailleur de fonds potentiel à destination de l’insurrection (djihadiste) irakienne[95]. »

Une « pluie » de pétrodollars

De fait, Ahmad al-Hammadi, représentant du mythique Youssef al-Qaradawi[96] à Saint-Léger-de-Fougeret et partout ailleurs en France, au printemps 2007, est un Qatari, membre de premier plan des Frères musulmans[97]. Professeur de sciences religieuses au Collège de la charia et des études islamiques de l’Université de Doha (Qatar), membre de l’Union internationale des savants musulmans (UISM) présidée par Youssef al-Qaradawi, Ahmad al-Hammadi est aussi le quatrième secrétaire général de l’ONG caritative Munazzamat al-Da’wa al-Islamiyyah (Organisation d’appel à l’islam), une organisation investie dans l’islamisation de l’Afrique, par le biais d’œuvres de charité, la construction de mosquées, l’ouverture d’écoles et la diffusion de l’idéologie islamiste au Soudan, au Congo, au Kenya, au Ghana, etc. Ahmad al-Hammadi est également l’un des dirigeants de Qatar Charity[98], puissante fondation, d’apparence caritative, soupçonnée, par l’administration américaine, d’être l’appui financier d’Al-Qaïda et, plus généralement, du terrorisme islamiste. L’engagement de cette ONG dans le financement des groupes djihadistes de Syrie est également dénoncé par de nombreux experts.

Au sein de Qatar Charity, Ahmad al-Hammadi assume, entre autres, la mission cruciale de lever des fonds afin de soutenir financièrement et en pétrodollars les projets d’islamisation des Frères musulmans en Europe, sous les enseignes de l’Union des organisations islamiques en Europe (UOIE) et de l’Union des organisations islamiques de France (UOIF)[99]. Durant l’été 2015, le « savant musulman » s’est illustré tout au long du Ramadan (du 18 juin au 16 juillet) en diffusant sur la chaîne satellitaire qatarie Al-Rayyan TV, chaque jour, une émission intitulée « Gaith » (« pluie » en arabe), par allusion à une parole attribuée au Prophète : « Le croyant est comme la pluie, partout où il passe, il est bénéfique. »

Les vingt-neuf émissions ont été produites par la société Four Frame Media Services, fondée en 2012 au Koweït, en grande partie grâce aux financements de Qatar Charity. À l’origine de cette chaîne de télévision, se trouvent des Frères musulmans : le prédicateur Mohammad al-Awadhi, mais aussi Nayef al-Ajmi, ministre de la Justice et des Affaires islamiques du Koweït, de janvier 2014 à avril 2014, qui démissionna quand il fut repéré en tant qu’acteur majeur du financement du djihad armé en Syrie.

Nayef al-Ajmi s’est distingué pour avoir signé, en juin 2013, l’appel au djihad armé en Syrie, quelques mois avant la création de l’État islamique, lancée par une coalition sunnite d’une soixantaine d’organisations presque toutes liées aux Frères musulmans – dont l’UISM de Youssef al-Qaradawi – et par des leaders du wahhabisme saoudien, en conclusion d’un congrès islamiste international organisé au Caire en soutien aux sunnites syriens.

« Compte tenu du statut diplomatique de la personnalité »

De même, la personnalité de Zuhaïr Mahmood, fondateur et directeur de l’IESH, cofondateur de l’UOIF, apparaît, d’après les informations rassemblées par les enquêteurs des RG, comme étant excessivement liée aux princes et aux plus hauts dirigeants du Qatar, lesquels exercent, selon de récentes et profondes enquêtes journalistiques, une « influence » dangereuse sur les élites françaises[100]. Ainsi, relèvent-ils : « Le mardi 11 septembre [2007], le directeur de l’IESH s’est déplacé au Bourget pour saluer le départ de ses invités de marque. Or, ce jour-là, seuls deux vols à destination du Qatar ont été recensés :

  • vol de 13 h 15 à destination de Doha d’un avion qatari immatriculé A7HJJ de [appartenant à] son excellence Ahmad Bin Jassem Al Thani[101] […] ;
  • vol de 15 h 00 à destination de Doha d’un appareil qatari immatriculé A7HHK de son altesse Abdullah Bin Khalifa Al-Thani[102]

Ces vols privés avaient pour spécificité de transporter des ressortissants de différents pays du Moyen-Orient qui n’ont pas pu être identifiés compte tenu de la personnalité et du statut diplomatique de la personnalité, garante de ses invités. »

Tout aussi impressionnantes sont les activités islamistes de Mohamed Karmous, premier acteur cité par les RG dans leur « blanc » de septembre 2007, en tant que « passeur », on s’en souvient, de 50 000 euros en liquide entre la Suisse et la France.

À son sujet, la « fiche RG » apporte quelques informations significatives. « M. Karmous indiquait [aux douaniers qui le contrôlèrent le 30 avril 2007] être membre de l’UOIF et connaître personnellement M. Tarek Ramadan, rencontré à plusieurs reprises à Genève (Suisse). » Né le 19 novembre 1957 à Menzel Jemil (Tunisie), de nationalité française (naturalisé) depuis 1990, « M. Karmous est considéré comme proche du mouvement des Frères musulmans et suspecté membre du mouvement tunisien Ennahdha ». Les policiers précisent que « dans des circonstances similaires [contrôle douanier], en 2001, l’intéressé avait été trouvé porteur d’une intéressante documentation : il apparaissait que M. Karmous était, en 2001, vice-président de la Fédération des organisations islamiques en Europe[103], avec autorisation de signature auprès de la banque suisse UBS (compte n° 242-744167) ».

Stakhanovisme islamique

Selon des informations récoltées en Suisse, Mohamed Karmous, le premier mis en cause par le rapport confidentiel de RG, est toujours soutenu par de généreux donateurs des pétromonarchies du Golfe. Ainsi, en juin 2015, il reçoit un chèque de 140 000 dollars (environ 132 000 euros) de l’ambassadeur du Koweït en Suisse, Bader al-Tunaib. Il faut dire qu’il n’a pas démérité depuis qu’il a créé, en 1997, à Neuchâtel, la Ligue des musulmans de Suisse (LMS), organisation qu’il a présidée durant une dizaine d’années. Aujourd’hui, Mohamed Karmous est le fondateur et principal animateur d’une dizaine d’organisations islamiques européennes. En 2002, la LMS se présente comme étant membre de l’UOIE, liée aux Frères musulmans. À la même époque, la Ligue se réfère au recueil de fatwas publié sous la conduite de Youssef al-Qaradawi. En 2007, la Ligue de Mohamed Karmous consacre son congrès à « l’intégration des musulmans », mais elle y invite le cheikh saoudien Salman Fahd al-Awda qui, lui, a défendu la « guerre sainte » en Irak et légitimé les attentats-suicides contre les « mécréants »[104]. Cependant, la Suisse refusera d’accorder un visa à ce prédicateur salafiste.

Par ailleurs, Mohamed Karmous crée, en 1999, l’Institut culturel musulman de Suisse (ICMS), fonde, en 2002, le Centre socioculturel des musulmans de Lausanne, qu’il préside, tandis qu’il est également vice-secrétaire de la Comunità Islamica nel Cantone Ticino (canton du Tessin, en Suisse) depuis 2004. En décembre 2009, il participe à la fondation de l’Organisation européenne de bienfaisance islamique, qui agit en Europe mais aussi en Afrique. Il est alors président du conseil de la fondation suisse Wakef, créée en 2009, dont le « but » est de « construire, acheter et assainir les lieux de culte musulmans en Suisse, offrir un cadre religieux adéquat pour les centres culturels musulmans, former les imams… ».

En 2010, Mohamed Karmous lance la Fondation euro-suisse Mithak, et crée, avec le Koweitien Abdullah Alkandari, l’Union islamique des enseignants, dont il est secrétaire général. Il participe aussi à la création de la Fondation d’œuvres à rayonnement socioculturelles [sic]. Mais surtout, il est le premier président de l’Union des instituts européen des sciences humaines et islamiques (UIESH), qui fédère les Instituts européens de sciences humaines (IESH) de Saint-Léger-de-Fougeret, de Saint-Denis, de Wales et de Birmingham.

En conclusion de leur analyse synthétique sur le « regain d’intérêt du Qatar dans les affaires religieuses de la France », les fonctionnaires du renseignement intérieur faisaient, en septembre 2007, ce bref « commentaire » : « Le développement des capacités d’accueil et d’enseignement du centre de formation théologique de Saint-Léger-du-Fougeret (IESH) est devenu une priorité pour l’organisation transnationale des Frères musulmans, qui amplifie ses financements étrangers pour faire de ce centre un vecteur du djihad moderne. » Il était difficile de dire plus clairement les choses. Et force est de constater que les Frères musulmans ont eu depuis tout loisir de développer en France, mais en Angleterre aussi, la puissance pédagogique de leur « vecteur du djihad moderne ».

L’idole des Frères musulmans

Le rapport des RG, daté du 13 septembre 2007, était sans ambiguïté : les 26 et 27 août de la même année, pour commémorer sa dixième promotion d’étudiants, l’IESH de Saint-Léger-du-Fougeret avait compté, on l’a dit, sur la présence du cheikh Youssef al-Qaradawi, celui-ci ayant été présent, en 1997, « lors de la cérémonie de diplômes de la première promotion ». Mais « le grand âge » de « la plus prestigieuse » des « autorités religieuses étrangères » attendues, en 2007, dans la Nièvre, ne lui aura pas permis de faire le voyage depuis le Qatar.

Youssef al-Qaradawi fait l’objet, dans le rapport de renseignement d’une dense notice biographique, qui souligne son importance historique : « Né en 1926 à Saft At-Turab (Égypte), son affiliation au mouvement des Frères musulmans lui valut d’être emprisonné en 1949, 1954, 1956 et 1962. Reçu major de sa promotion à la faculté des fondements de la religion à l’université Al-Azhar de Caire (Égypte)[105]. […] 1960 : thèse sur le thème de la zakât et son rôle dans la résolution des problèmes sociaux. En 1962, détaché par l’université Al-Azhar comme président de l’Institut secondaire des études religieuses au Qatar. En 1977 : président de la fondation de la faculté de droit musulman à l’université du Qatar. Conseiller religieux de la plupart des grandes banques islamiques, actionnaire de la banque Al-Taqwa, auteur de nombreux ouvrages religieux qui sont des références. Dirige le Conseil européen de la fatwa […]. Ouléma influent au sein de l’Union des organisations islamiques de France (UOIF). »

Youssef al-Qaradawi est le gourou et patron de Mohamed Karmous, d’Ahmad al-Hammadi et de tous les Frères musulmans responsables de l’UOIF, entre autres. Théologien, islamologue, conseiller spirituel des pétromonarques du Golfe et universitaire qatari, il est également président de l’Union internationale des savants musulmans. Il est également célèbre pour son émission Al-charia wa Al-Hayat (La voie vers dieu et la vie), diffusée sur Al Jazeera, et dont l’audience atteindrait les 60 millions de téléspectateurs dans le monde.

Youssef al-Qaradawi a publié plus de 120 livres, dont Le Licite et l’Illicite en Islam[106] et L’Islam, civilisation de demain[107], dont certains passages ont été jugés incompatibles avec les droits humains fondamentaux, au point que le livre fut interdit à la vente en France par arrêté ministériel du 24 avril 1995, avant d’être à nouveau autorisé. Depuis le vendredi 13 novembre 2015, il ne s’est pas manifesté avec trop d’évidence, le Qatar, qui l’abrite, faisant profil bas et ayant signifié à son protégé qu’il devait s’abstenir de jeter de l’huile sur le feu, lui qui avait pourtant appelé au « meurtre de tous les fonctionnaires syriens, de tous les soldats de l’armée régulière et en général tous ceux qui soutiennent le pouvoir syrien[108] ».

« Il ne s’agit pas d’attentats-suicides, mais d’opérations-martyrs », considérant que ces opérations « sont l’arme que Dieu a donnée aux pauvres pour combattre les forts ». Ces mots, prononcés en avril 2001 et reproduits dans le journal qatari Al-Raya, visaient à justifier les attentats-suicides palestiniens. Mais le prédicateur idolâtré des Frères musulmans a réitéré à plusieurs reprises ces vues djihadistes, notamment en 2004, dans une interview à la BBC, au cours de laquelle il affirmait que la prohibition coranique du suicide ne s’appliquait pas aux attaques kamikazes, puisque l’intention des assaillants n’était pas de se tuer mais de tuer des ennemis d’Allah : « Ce n’est pas du suicide, c’est du martyre au nom de Dieu. Les théologiens et les spécialistes en jurisprudence ont débattu ce point. Ils y voient une forme du djihad, d’une sorte qui compromet la vie du moudjahidin. Il lui est permis de mettre son âme en jeu, de croiser le chemin de l’ennemi et d’être tué[109]. »

Taqiya

La pratique sophistiquée du double discours est une constante chez les Frères musulmans. Le principe de taqiya (ou taqîya, taqiyya ou takia : dissimulation) est adopté par plusieurs mouvements sectaires islamistes sunnites, bien que ce furent des sectes chiites et kharidjites qui eurent, à l’origine, recours à cette méthode, dans le cadre du djihad. La promotion de la taqiya remonte même à l’époque où la minorité chiite était persécutée par des califes sunnites. Elle était alors une condition de survie.

Dans la loi islamique, la taqiya est fondée sur la sourate III, verset 28, du Coran : « Que les croyants ne prennent pas pour alliés des infidèles, au lieu de croyants. Celui qui agirait ainsi ne serait plus en rien lié à l’égard d’Allah, à moins que, de crainte, vous ne cherchiez seulement à vous protéger d’eux. » Une exégèse très diffusée explique, à propos du verset « à moins que, de crainte, vous ne cherchiez seulement à vous protéger d’eux » : « Al Imâm Abû Ja’far Ibn Jarîr At Tabarî (qu’Allah lui fasse miséricorde) a commenté cela en disant : “À moins que vous ne soyez sous leur domination et que vous ne craigniez pour vos vies. Dans un tel cas, vous pouvez verbalement montrer une certaine complaisance à leur égard tout en dissimulant votre hostilité et sans jamais les suivre dans leur mécréance ni les soutenir effectivement contre les Musulmans.” [Jâmi’ Ul Bayân Fî Tafsîr Il Qur°ân][110]. »

« La taqiya, comme on l’entend aujourd’hui, c’est en fait une version radicalisée de la dissimulation, dans le sens où certains religieux extrémistes ont trouvé dans le Coran des “dalils” (des “preuves”) qui justifieraient leurs actes », expliquait le juge antiterroriste Marc Trévidic, le 12 mars 2013, sur la chaîne de télévision France 24.

« Consacrer le pouvoir de Dieu sur terre »

Le principal objectif des Frères musulmans est l’instauration de régimes islamiques dans les pays à population majoritairement musulmane, tels que l’Égypte, la Libye, la Tunisie, l’Algérie, le Maroc ou la Syrie… Le célèbre mot d’ordre de l’organisation est : « Allah est notre objectif. Le prophète Mahomet est notre chef. Le Coran est notre loi. Le djihad [la guerre juste] est notre voie[111]. »

En 1973, les Frères musulmans participent à la fondation du Conseil islamique d’Europe. Dans les années 1980, ils s’avancent sur la scène musulmane occidentale avec les fondations simultanées de l’Union des organisations islamiques en Europe (UOIE) et de l’Union des organisations islamiques de France (UOIF). La majorité des cadres de l’UOIE sont d’ailleurs membres de l’UOIF. Bien que ces deux organisations nient, contre toute évidence, être des émanations institutionnelles des Frères musulmans, elles se réfèrent aux écrits et dits d’Hassan el-Banna[112], de Sayyid Qutb[113] et de Sayyid Abul Ala Maududi[114], ainsi que sur les fatwas de Youssef al-Qaradawi, tous promoteurs d’un puissant et patient projet visant à convertir et soumettre toute l’humanité au Coran et à la charia[115].

En 1997, le Conseil européen de la fatwa est créé à Dublin (Irlande). Dirigé par Youssef al-Qaradawi et l’Association musulmane de Grande-Bretagne, il est le premier organisme islamiste sur lequel s’appuient l’UOIE et l’UOIF. Sa mission première est d’émettre des fatwas destinées aux musulmans vivant en Europe, afin qu’ils demeurent gouvernés par la charia. Le second objectif est le développement de la présence des Frères musulmans face aux autres organisations islamiques britanniques puissantes, comme le British Muslim Council. Très vite, deux instituts de formation d’imams liés à l’UOIE et à l’UOIF sont créés : l’Institut européen des sciences humaines de Château-Chinon, en 1990, et l’European Institute for Humanitarian and Islamic Studies, au Royaume-Uni. Par ailleurs, Hani Ramadan[116], frère de Tariq Ramadan, fils de Saïd Ramadan[117], petit-fils d’Hassan el-Banna, exerce comme prédicateur et dirige le Centre islamique de Genève, depuis 1995.

Rappelons que Saïd Ramadan a fondé, en 1958, la Société islamiste d’Allemagne, puis la Ligue musulmane mondiale. Il a également été soupçonné d’être l’auteur du « Projet », un plan d’islamisation de l’Europe, daté de décembre 1982 et découvert, en novembre 2001, par les services de renseignement suisses dans une villa de l’homme d’affaires et financier égyptien Youssef Moustafa Nada[118], qui dirigeait la banque islamique Al-Taqwa de Lugano depuis sa création, en 1988, et qui était l’un des plus hauts responsables de la branche internationale des Frères musulmans.

« Le Projet », texte de quatorze pages, commence ainsi : « Ce rapport présente une vision globale d’une stratégie internationale pour la politique islamique. » Il préconise ensuite d’« entrer en contact avec tout nouveau mouvement engagé dans le djihad où qu’il soit sur la planète », afin de « coordonner le travail islamique dans une seule direction pour […] consacrer le pouvoir de Dieu sur terre ». Il suggère aux Frères musulmans d’agir ainsi en Occident : « Construire des institutions sociales, économiques, scientifiques et médicales, et pénétrer le domaine des services sociaux pour être en contact avec le peuple… » Le gourou des Frères musulmans d’Europe, Youssef al-Qaradawi, était l’un des principaux actionnaires de la banque Al-Taqwa de Lugano[119], établissement que dirigeait Youssef Moustafa Nada, le receleur du « Projet »…

Tamkin

Dans un entretien avec Tewfik Aclimandos, spécialiste de l’Égypte et chercheur associé en histoire contemporaine au Collège de France, réalisé par Flavien Bourrat[120], à propos de la prise du pouvoir par Mohamed Morsi en Égypte[121], l’expert expliquait : « Il est clair que le projet des Frères [musulmans] est une prise de contrôle de toutes les sphères de l’État et de la société. Dans ses documents internes – notamment ceux que la police avait saisis entre 1990 et 1992 –, la stratégie de la Confrérie repose sur le concept de Tamkin, à tendance profondément autoritaire. »

Dans la littérature contemporaine des Frères musulmans, le Tamkin, c’est le but ultime visé par toute action pour que l’islam – tel qu’il est compris par la confrérie – domine toutes les autres religions et pour que la charia soit en situation de gouverner l’humanité entière. Pour les Frères musulmans, le Tamkin est le triomphe, la domination, la suprématie, la victoire et la possession sans partage du pouvoir politique.

À propos de la stratégie des Frères musulmans en Europe et en France, Mohamed Louizi[122] affirme enfin que « l’UOIF s’inscrit activement dans la stratégie islamiste globale dite Tamkine (Tamkin) que mènent les Frères musulmans dans le monde entier », que cette fédération a pour objet « de faire de l’entrisme dans les différentes sphères de l’État pour faciliter l’influence et la domination rêvée, au nom d’Allah », et qu’elle « bénéficie de l’argent du contribuable français et de l’autre argent rapatrié du Golfe, particulièrement du Qatar (la Qatar Charity), pour avancer, étape par étape, dans sa stratégie globale ».

Djihad

Le jeudi 11 décembre 2014, l’Académie de géopolitique de Paris organisait un colloque intitulé « Géopolitique du terrorisme » à l’Assemblée nationale. L’intervention de Bassam Tahhan, professeur de géostratégie à l’École nationale supérieure de techniques avancées (Ensta), y fut particulièrement remarquée, notamment en raison de sa conclusion : « Je dirais au président de la République française : “Comme je l’ai montré par les textes, l’organisation des Frères Musulmans est une organisation terroriste. Il faut absolument la classer comme telle, et officiellement, au niveau juridique[123].” »

Avant de parvenir à cette conclusion, il avait développé l’argument qui suit : « Pour répondre à cette question, nous allons nous limiter à l’étude du concept de djihad, combat ou guerre sainte, dans les textes fondateurs [des Frères musulmans], à savoir les épîtres de Hassan el-Banna[124] et notamment l’épître qui porte ce titre et qui y est consacré. Pour bien comprendre la place qu’occupe le djihad dans l’idéologie ou le système de pensée du fondateur, brossons à grands traits cette compréhension de l’islam assez particulière et très simpliste. Le djihad est, pour les Frères musulmans, une obligation faite à tout musulman ; y manquer est un péché capital. L’islamisation globale est donc le but ultime de l’organisation des Frères musulmans. […] Au sein de l’organisation, il y a des combattants dont c’est le métier d’être djihadistes ; c’est à ceux-là que s’adresse l’épître intitulée “Le djihad” rédigée en 1936. »

Analysant ce texte fondateur, Bassam Tahhan expliquait : « L’épitre commence par une innovation religieuse en accolant au nom du Prophète, dans la formule de prière qui lui est consacrée, le titre de Seigneur des Moudjahidin, pour se clore en y incluant tous ceux qui se battent pour sa charia jusqu’au jugement dernier. […] Il passe ensuite au statut du djihad en jurisprudence musulmane, s’appuyant surtout sur les juristes tardifs, pour nous dire que la communauté musulmane a perdu les commandements de sa religion en n’appelant pas au djihad. […] Il en conclut que, vu que les musulmans aujourd’hui sont humiliés, comme vous le savez, gouvernés par des impies…, l’obligation est absolue, incontournable : tout musulman doit se préparer et cacher en lui l’intention de la guerre sainte, en attendant de saisir l’occasion, et ainsi la volonté de Dieu sera accomplie. »

Presque un an plus tard, au lendemain des massacres terroristes du vendredi 13 novembre 2015, l’écrivain Michaël Prazan, auteur d’un documentaire et d’un livre d’enquête sur les Frères musulmans[125], établissait lui aussi le lien profond entre les djihadistes kamikazes de l’État islamique et la confrérie d’origine égyptienne : « Les terroristes de l’État islamique ne comprennent ni n’admettent les termes de démocratie, de libertés, de féminisme, d’universalisme, de reconnaissance des minorités ou des homosexuels ; des droits humains au sens le plus large. […] Ce changement de paradigme, celui qui consiste à préférer la mort à la vie, le “martyre” à la civilisation, à considérer l’humanité comme forclose, réduite à la sphère de l’Oumma, la communauté des musulmans, hors de laquelle n’existent que des apostats ou des mécréants qui doivent être rejetés ou exterminés, Hassan al-Banna, le fondateur des Frères musulmans en Égypte, l’a théorisé dès la fin des années 1920[126]. »

Michaël Prazan ne se privait pas, alors, de pointer le double discours des responsables actuels des organisations islamiques issues de la confrérie : « Les Frères musulmans, via leur conglomérat associatif et religieux, dont l’Union des organisations islamiques de France (UOIF) est la version française, ont beau jeu d’affirmer, comme au lendemain de chaque attentat, que ces actes sont indignes, ignominieux, qu’ils ne sont pas l’Islam, qu’ils sont le fait de dégénérés et qu’ils n’ont, eux, rien à voir avec ça. C’est un peu court. C’est passer bien vite sur le fait qu’ils ont créé le discours conquérant et dominateur repris sans cesse par les groupes les plus radicaux et belliqueux de l’islam politique… »

Fatwa contre la France

Nos dirigeants politiques et responsables de nos services de sécurité sont-ils donc les seuls à ne pas connaître, ou reconnaître, la menace permanente, persévérante, que fait peser le « discours conquérant et dominateurs » des Frères musulmans sur la démocratie ? Sont-ils à ce point ignorants des modalités de financement massif du djihadisme, sous couverts de « charité », qui traversent illégalement et impunément les frontières européennes, depuis les pétromonarchies du Golfe ? À ce point indifférents aux preuves de l’unité du djihad, de l’action du « totalitarisme islamique à l’assaut des démocraties[127] » ?

Ont-ils seulement lu les livres des meilleurs connaisseurs de l’islamisme et du terrorisme, qui ont paru depuis plus de vingt ans, et dont les avertissements semblent avoir été bel et bien ignorés, pour ne pas dire méprisés ?

Car, dès 1991, Gilles Kepel expliquait, dans son livre sur Les banlieues de l’islam[128], comment l’augmentation vertigineuse des prix des hydrocarbures, après la guerre d’octobre 1973 au Moyen-Orient, avait produit une véritable manne pétrolière permettant à plusieurs États soucieux de la propagation de l’islam de développer un réseau de plus en plus dense d’associations et de mosquées sur le territoire français. À l’époque, Gilles Kepel comptait parmi eux la Libye du colonel Kadhafi, le Koweït et les Émirats arabes unis, mais surtout le royaume d’Arabie saoudite. Il relevait aussi très clairement que « le cartel des producteurs de pétrole [était] dominé par un pays dont les capacités d’extraction comme les réserves d’or noir semblent inépuisables : l’Arabie saoudite, qui se fait de l’islam et de sa propagation une idée précise et vigoureuse » et que ce royaume mettait « au service de cette idée les moyens financiers que lui donn[ait] la richesse de son sous-sol[129] »…

Le chercheur rappelait encore que la monarchie wahhabite de l’Arabie saoudite avait ouvert, en 1977, un bureau de la Ligue islamique mondiale à Paris. Cette organisation internationale, soi-disant non gouvernementale, avait pour objet de promouvoir l’islam, en accordant notamment des subventions aux associations islamiques qui créeraient ou entretiendraient les mosquées. Certes, si ce bureau constituait le principal vecteur officiel de l’influence saoudienne sur l’islam en France, les sommes qui transitaient par son intermédiaire demeuraient modestes comparées aux flux financiers qui circulaient, à titre privé, entre hommes d’affaires membres de la famille royale de la Péninsule et les associations islamiques en France…

Dans un autre registre, éminemment policier, Roland Jacquard révélait en 1998, dans un livre intitulé Fatwa contre l’Occident[130], à partir d’une documentation précise récoltée auprès des services de renseignement européen, les sources de financement de l’islamisme radical, ses bases de formation au djihad en Afghanistan, au Liban, en Algérie ou en Bosnie, ainsi que les réseaux de soutien ou d’actions terroristes en Europe, réseaux tissés grâce au « recrutement de jeunes des banlieues désespérées par le chômage et les difficultés d’intégration ». Dans un chapitre consacré aux « banquiers d’Allah », il relevait que le système des banques islamiques était né en 1969, lors de la première session de l’organisation de la Conférence islamique, à l’initiative du roi Fayçal d’Arabie saoudite. Quelques années plus tard, avec la naissance de la Banque islamique de solidarité au Soudan, la dimension militante et idéologique du système bancaire islamique l’emporta sur la logique purement financière. Ainsi la banque Al-Taqwa, créée en 1987, dont le contrôle religieux était directement exercé par les Frères musulmans.

Trois ans et demi avant les attentats du 11 septembre 2001, Roland Jacquard traçait aussi les liens financiers entre Oussama ben Laden et les auteurs des attentats du GIA, en 1995, à Paris. Il décrivait ensuite ce qu’il appelait la « toile d’araignée islamiste » en Europe, tissée de la Suède à l’Espagne, en passant par le Danemark, l’Autriche, la Grande-Bretagne, la Suisse, l’Italie, les Pays-Bas, l’Allemagne, la Belgique, et bien entendu la France, concluant que « les réseaux de vente d’armes qui associent les mafias et les terroristes ne se gênent pas pour tourner à leur avantage la disparition des frontières européennes ».

Dans Guerres contre l’Europe[131], Alexandre Del Valle décrivait dans le détail « une stratégie de conquête planétaire » et les « grands pôles mondiaux du prosélytisme islamiste ». Parmi les cinq grands pôles internationaux de « l’exacerbation islamiste », qui appuient l’action des réseaux islamistes implantés en Europe, le premier est l’Arabie saoudite et les institutions qu’elle contrôle, expliquait-il : Ligue islamique mondiale, organisation de la Conférence islamique, et autres associations caritatives et religieuses. « Le nerf de la guerre de la conquête politique ou religieuse étant l’argent, l’activité des milliardaires et banques islamiques saoudiens sont le secret du très efficace prosélytisme saoudo-wahhabite de par le monde », affirmait-il lui aussi.

En 2002, Alexandre Del Valle dressait à nouveau un état des lieux de la pénétration islamiste en Europe et aux États-Unis[132]. Dans des pages particulièrement documentées, ce professeur de géopolitique à l’Ecole de guerre économique montrait comment les structures des Frères musulmans et du pôle indo-pakistanais du Tabligh embrigadait et drainait les recrues européennes de la nébuleuse salafiste vers le Pakistan et l’Afghanistan, afin qu’elles s’y forment au djihad. Il relevait que « depuis une dizaine d’années, les militants islamistes recrutés dans les banlieues françaises, londoniennes ou belges sont fortement prisés par les syndicats de l’islamo-terrorisme international ».

En 2002 encore, Alain Bauer et Xavier Raufer avertissait que « la guerre ne fait que commencer[133] ». Les deux criminologues n’hésitaient pas à écrire : « À vue d’homme, la forme principale que prend la guerre est aujourd’hui celle d’un conflit terroriste, ou criminel. Ses champs de bataille sont les zones hors contrôle de la planète, la “jungle de béton”, les banlieues sauvages. Attentats-massacres, mutilations et enlèvements de masse sont le quotidien de ces “bandenkriege” [guerre de bandes]. Face à celles des pays développés, les armées ont disparu ; ce ne sont plus que réseaux, protoplasmes, entités irrationnelles violentes, sectes, noyaux acéphales, guérillas dégénérées et mafias. Et aussi : desperados, “loups solitaires” et “amoureux du martyr”[134]. »

Enfin, toujours en 2002, dans une nouvelle édition de leur Ben Laden. La vérité interdite[135], Jean-Charles Brisard et Guillaume Dasquié n’hésitaient pas à affirmer : « Trois clés permettent de comprendre le rôle de l’Arabie saoudite dans l’expansion d’une forme radicale de l’islamisme : la religion, fer de lance du prosélytisme entretenu par le royaume, le système bancaire, comme instrument des ambitions religieuses du royaume, et le pétrole, comme arme de dissuasion contre l’Occident. » Et ils précisaient que « la quasi-totalité des réseaux islamistes implantés au Proche-Orient, en Afrique et en Occident [sont] ainsi financés par l’État saoudien et par le biais d’institutions islamiques internationales qu’il contrôle ». Citant Xavier Raufer, ils expliquaient que si l’Arabie saoudite n’a plus de budget consacré au terrorisme, « les 4 000 princes qui dirigent le royaume financent au coup par coup les mouvements islamistes, comme autrefois on achetait des indulgences[136] ».

Battant alors en brèche le lieu commun d’un Oussama ben Laden « renégat de l’Arabie saoudite », ces deux spécialistes du renseignement s’interrogeaient : « Comment peut-on légitimement soutenir qu’il n’existe plus aucune relation entre la famille Bin Laden et Ossama, lorsque cette même famille entretient des relations économiques étroites et suivies depuis des années avec la famille de son beau-frère, Khalid Bin Mahfouz, accusé d’avoir injecté jusqu’à ces derniers mois des millions de dollars pour soutenir les activités terroristes d’Ossama Bin Laden ? […] Il existe au royaume du pétrole roi une denrée plus répandue encore. Il s’agit de l’hypocrisie dont l’Arabie saoudite abreuve l’Occident[137]. »

La formation saoudienne des « soldats de Dieu »

Manuel Valls, Premier ministre depuis avril 2014, et qui fut ministre de l’Intérieur de mai 2012 à mars 2014, ne peut être soupçonné d’être ignorant de ces avertissements massifs, experts et unanimes. Ni d’être un naïf… N’affirmait-il pas, d’ailleurs, le lundi 9 février 2015, sur les ondes d’Europe 1, qu’il fallait « combattre le discours des Frères musulmans », mettant ouvertement en cause l’Union des organisations islamiques de France (UOIF) ? « Il faut combattre le discours des Frères musulmans dans notre pays. Il faut combattre les groupes salafistes dans les quartiers », a-t-il martelé.

Interrogé sur les moyens de les combattre, Manuel Valls répondait alors : « Par la loi, par la police, par les services de renseignement. Beaucoup de choses sont faites. » Ces rodomontades furent proférées neuf mois avant les tueries terroristes du vendredi 13 novembre 2015.

Le mardi 17 novembre, sur les ondes de France Inter, le Premier ministre reprenait : « Nous avons aussi un ennemi intérieur et les Français nous demandent de combattre aussi cet islamisme radical, ce djihadisme qui est né dans les quartiers populaires. Nous devons lutter avec la dernière des énergies contre l’islamisme radial et le djihadisme qui séduit des milliers de jeunes Français. […] On doit lutter contre l’islamisme qui est une pathologie de l’islam et qui nécessite que l’islam se rebelle contre cette pathologie qui le salit. […] Notre ennemi, c’est le terrorisme et nous devons le combattre partout avec les armes de la République. »

Était-il vraiment plus crédible qu’en février 2015 ?

D’autant que, dans la foulée, le Premier ministre affirmait, au même micro : « Le pouvoir en Arabie saoudite comme au Qatar lutte contre Daech, c’est incontestable, et je n’ai pas de raison aujourd’hui de douter de l’engagement de ces deux gouvernements. Reste la question de l’ensemble des financements [de l’État islamique], mais au Moyen-Orient les choses sont très compliquées[138]. »

Si compliquées que ça ? Il y a de quoi douter de la pertinence, voire de la sincérité de ces derniers mots de Manuel Valls. Car, début décembre 2015, Aleph me donnait à lire et recopier une « note d’information » rédigée par un haut fonctionnaire du renseignement et de la coordination de la lutte antiterroriste, datée du 17 janvier 2007, et portant sur « l’université Al-Imam Muhammad Ibn Saoud de Riyad » (Arabie saoudite)[139]. Un document de quatre pages dont les conclusions menaçantes ne sauraient être ignorées d’un haut dirigeant politique de notre pays, surtout lorsqu’il a été ministre de l’Intérieur pendant presque deux ans. Car l’université islamique Al-Imam Muhammad Ibn Saoud, « vaste complexe implanté en périphérie de la ville de Riyad », y est décrite comme une véritable fabrique de terroristes.

Ses infrastructures ont manifestement impressionné les agents du renseignement extérieur qui l’ont infiltrée : « Extérieurement, ses clôtures, sa salle de contrôle et de surveillance ultramoderne installée au sommet du château d’eau, ses systèmes de sécurité et de protection modernes lui donnent plus une allure de camp militaire ou de prison que d’université. Impression renforcée par ses gardes privés, fortement armés, qui en assurent la surveillance. L’université dispose de sa propre centrale électrique et d’importantes réserves d’eau. Certains quartiers de l’université sont entourés de hauts grillages et leur accès est réservé aux seules personnes autorisées. » Il est manifeste que l’université islamique Al-Imam Muhammad Ibn Saoud et le clergé wahhabite saoudien qui y enseigne se sont donné les moyens de soutenir – victorieusement, on le verra par la suite – un rapport de force menaçant avec les autorités civiles du royaume. De fait, « ni l’armée ni les forces de police (civile) ne sont autorisées à pénétrer dans les universités islamiques », car « toute intrusion des forces de sécurité dans une université risquerait de causer des troubles que le gouvernement (saoudien) préfère éviter, d’autant que, dans la police comme dans l’armée ou la garde nationale, se trouvent des intégristes religieux qu’il convient de ménager pour qu’ils ne se retournent pas contre leurs employeurs ».

La note d’information du renseignement antiterroriste entre, ensuite, dans le vif du sujet : « L’université a trois fonctions : la formation des oulémas, la formation de la police religieuse et la formation des “soldats du djihad” au niveau de l’encadrement. En ce qui concerne cette dernière formation, il est important de préciser que la notion de terrorisme n’est pas la même en Arabie saoudite que dans les pays occidentaux. La participation de combattants au djihad y est considérée comme normale et encouragée comme étant le devoir sacré de tout musulman. » Ceci étant rappelé, le document classé continue : « L’université Al-Islam assure la formation des cadres des “soldats de Dieu”. Les jeunes musulmans, recruté dans les mosquées du monde entier et qui constitueront la piétaille, sont envoyés directement dans les camps situés à proximité des zones de combat, Irak, Afghanistan ou Tchétchénie, où ils recevront une formation courte, généralement entre trois et six mois. Par contre, ceux dont la foi et les capacités intellectuelles ont été remarquées, seront destinés à devenir les cadres de ces combattants et doivent donc recevoir, en trois ans, une formation paramilitaire et religieuse en conséquence. »

Et, à partir de ces indications encore générales, la « note d’information » précise : « À l’issue de leur formation religieuse, les étudiants auront pleinement intégré l’islam wahhabite. Leur formation paramilitaire comprend l’apprentissage des techniques de guérilla, le maniement d’armes et l’étude des explosifs. […] Des formations annexes sont aussi données dans les annexes implantées dans le désert et notamment à Burayda. […] À l’issue de leur scolarité, les étudiants sont renvoyés dans leurs pays d’origine ou en tout endroit où leur présence sera jugée utile pour la défense de l’islam. Le choix de leur vie ne leur appartient pas, il appartient à Dieu, c’est le premier enseignement de leur scolarité. […] Si sa contribution au djihad est maintenant principalement active en Irak, la sympathie des enseignants et des élèves de l’université Al-Imam pour les thèses les plus extrémistes du wahhabisme fait qu’elle demeure un danger pour l’avenir. »

Le contenu du document ici révélé est également particulièrement explicite quant au financement des fabriques de djihadistes en Arabie saoudite, et ce par « un flot d’argent constant qui alimente les fondations et universités qui se consacrent à la défense et à la propagation de l’islam le plus extrémiste ». Pour ceux qui soutiennent encore que « le pouvoir » n’est en rien partie prenante de l’ensemble, la « note d’information » du renseignement y apporte un démenti clair, net et précis : « Comme les autres universités, celle de Riyad est financée par des subventions en provenance de l’État et des fondations islamiques, ainsi que par des donations de riches musulmans, souvent saoudiens comme le cheikh …, mais aussi d’autres originaires des pays du Golfe, d’Égypte, de Brunei ou du Pakistan. […] Les princes saoudiens, qui auraient, selon la rumeur, beaucoup à se faire pardonner, donnent en conséquence. »

Enfin, la synthèse du renseignement antiterroriste sur l’université Al-Imam Muhammad Ibn Saoud montre à quel point le clergé wahhabite extrémiste impose sa loi à l’État saoudien, quitte à user de l’argument ultime, comme en témoigne « l’attentat commis le 21 avril 2004 contre le ministère de l’Intérieur saoudien », attentat qui « coïncidait avec la clôture d’une conférence sur la prévention du terrorisme organisée à la demande expresse du prince héritier et qui n’avait pas été du goût de la majorité des enseignants et élèves de cette structure ».

Malheureusement, les mises en garde contenues dans ce document et dans nombre d’autres notes du renseignement semblent être restées lettres mortes, la « diplomatie économique » l’emportant encore et toujours sur la sûreté des citoyens occidentaux et obligeant les gouvernements français successifs à fermer les yeux sur les agissements réels de l’Arabie saoudite, mais aussi du Qatar.

Il est vrai qu’en matière d’aveuglement et de dissimulation, la France n’a pas grand-chose à envier à son grand allié américain. À Washington, un document de vingt-huit pages, intitulé « Éléments, discussion et récit concernant certains sujets sensibles de sécurité nationale », est toujours tenu au secret dans une pièce hypersécurisée du Comité pour le renseignement de la Chambre des représentants. Il faut dire qu’un élu, qui avait lu ce document classifié, avait confié au New Yorker que « les preuves du soutien du gouvernement saoudien pour les événements du 11 septembre 2001 étaient très dérangeantes ». En avril 2014, Barack Obama s’était dit favorable à la déclassification de ces vingt-huit pages secrètes, mais les familles des victimes des attentats du 11 Septembre attendent toujours leur divulgation.

Il faut noter néanmoins qu’en janvier 2015, une « source proche du renseignement américain » affirmait qu’« un basculement stratégique était en cours à Washington concernant l’évaluation du rôle des Saoudiens dans la promotion du terrorisme djihadiste[140] ». Et à Paris ?

Le boom salafiste

Une note de la DGSI, datée de février 2015, estimait qu’une soixantaine de mosquées françaises seraient sous influence salafiste (wahhabite). Dans son livre paru au même moment, Bernard Godard, ancien responsable du bureau des Cultes au ministère de l’Intérieur, écrivait que les salafistes « contrôlent » une centaine  de mosquées et salles de prière en France[141]. Selon lui, le mouvement de conquête salafiste des mosquées françaises aurait commencé en région parisienne au milieu des années 1990, notamment à Stains (Seine-Saint-Denis), à Vitry-sur-Seine (Val-de-Marne), à Villeneuve-la-Garenne (Hauts-de-Seine), puis à Argenteuil et Pontoise (Val-d’Oise), à Corbeil-Essonnes et Longjumeau (Essonne).

En 2015, l’Île-de-France comptait environ vingt-cinq mosquées et oratoires sous contrôle salafiste, le Grand Lyon une vingtaine et Marseille une douzaine. Dans le Nord, principalement entre Lille et Roubaix, elles étaient une dizaine. D’autres communautés étaient aussi repérées à Vitrolles, Alès, Besançon, Brest, et même en milieu rural, comme à Artigat (Ariège), Châteauneuf (Cher), Marvejols (Lozère), Saint-Uze (Drôme)… Au total, tous ces lieux de culte rassemblaient entre 15 000 et 30 000 personnes, une population qui a doublée depuis 2010.

Si le Qatar finance traditionnellement les associations et les mosquées affiliées aux Frères musulmans et donc à l’UOIF, les communautés salafistes bénéficient du soutien financier de Saoudiens. La mosquée de Cannes a reçu un chèque de 2 millions d’euros, en 2014, de la part d’un mécène de Djeddah, la deuxième ville d’Arabie saoudite, nommé Saleh Abdullah Kamel, président du groupe bancaire islamique Al-Baraka[142]. De façon générale, les mosquées de France sollicitent de plus en plus les dons inépuisables de Riyad, par l’intermédiaire de nombreuses ONG saoudiennes, et un grand nombre des 350 mosquées en cours de construction bénéficieraient des pétrodollars de l’Arabie saoudite, comme ce fut déjà le cas pour les mosquées d’Evry (Essonne), de Lyon (Rhône) ou de Strasbourg (Bas-Rhin).

Quant aux prêches tenus dans certaines de ces mosquées, un officier du renseignement intérieur me rappelait, début décembre 2015, que plusieurs imams salafistes saoudiens ne s’embarrassaient plus des convenances du politiquement correct français, tel le cheikh saoudien Saad Nasser al-Shatry qui avait fait l’objet de l’un des premiers arrêtés d’expulsion, en 2012[143]. Un autre prédicateur wahhabite, Issa Assiri, justifiait ainsi les attentats de janvier 2015, dans un sermon prononcé à la mosquée Saeed bin Jubair, à Djeddah, en Arabie saoudite : « L’épée est plus véridique que le livre. Sa pointe tranchante sépare la sincérité de la facétie. […] C’est le langage que ces infidèles juifs et chrétiens comprennent. C’est le seul langage qu’ils comprennent. […] Quand quelqu’un maudit le prophète Mahomet ou se moque de lui, quelle doit être sa punition ? Maudire ou se moquer du Prophète est un acte d’apostasie ; tous les érudits en conviennent, que cette moquerie soit sérieuse ou légère. Quiconque la commet, musulman ou infidèle, doit être tué, même s’il se repent. »

Le 8 mai 2015, la mosquée Abou Bakr, dans le quartier du Pile, à Roubaix, avait accueilli, pour la troisième fois en deux ans, le cheikh saoudien salafiste Mohammed Ramzan al-Hajiri qui faisait pourtant l’objet d’une interdiction d’entrée sur le territoire français jusqu’en 2050, étant fiché « S » par la DGSI comme « individu susceptible de troubler l’ordre public en raison de ses prêches islamistes radicaux[144] ».

***

Le piège salafiste

Nous affirmons que des organismes de bienfaisance établis par le gouvernement du Royaume d’Arabie saoudite pour propager l’idéologie radicale wahhabite ont servi de sources majeures de financement et de soutien logistique à Al-Qaïda, pendant toute la décennie qui a mené au 11 Septembre.

Sean Carter[145].

Au lendemain des attentats, dès le 14 novembre 2015, l’ancien juge antiterroriste Marc Trévidic, qui s’y connaît en matière d’« Orient compliqué »[146], dénonçait à l’antenne de France 2 les relations ambiguës qu’entretiennent les pays occidentaux avec certains États du Golfe, et notamment avec l’Arabie saoudite. Les options géopolitiques et économiques des pays occidentaux sont, selon lui, en partie responsables de l’expansion du groupe État islamique, parce qu’elles obligent à la complaisance vis-à-vis de l’idéologie islamiste la plus agressive : « Le wahhabisme [dont l’Arabie saoudite est le berceau] a diffusé le salafisme sur la planète, depuis le conflit en Afghanistan, en somme depuis 1979 », soutient l’ex-juge antiterroriste. Avant de préciser sa pensée : « Est-ce qu’on est copains avec les Saoudiens pour des raisons économiques ? La politique américaine, c’est : “On adore les fondamentalismes religieux s’ils sont libéraux économiquement.” C’est comme ça depuis des années. C’est leur credo ! C’est super les Saoudiens, c’est super le Qatar, les Émirats arabes unis, parce qu’ils commercent… » Et de conclure : « Elles sont où, nos valeurs ? On peut serrer la main de quelqu’un qui voile intégralement sa femme sous prétexte qu’il nous vend des armes ou qu’on lui achète du pétrole… »

Quatre jours plus tard, il insistait, en des termes assez peu diplomatiques : » La France n’est pas crédible dans ses relations avec l’Arabie saoudite. Nous savons très bien que ce pays du Golfe a versé le poison dans le verre par la diffusion du wahhabisme. Les attentats de Paris en sont l’un des résultats. Proclamer qu’on lutte contre l’islam radical tout en serrant la main au roi d’Arabie saoudite revient à dire que nous luttons contre le nazisme tout en invitant Hitler à notre table[147]. »

« Au cœur du système »

Les rapports du renseignement intérieur sur le financement clandestin de l’IESH, dont j’ai révélé les contenus effarants dans le chapitre III de ce livre, comportent aussi l’extrait de relevé d’un compte bancaire de l’Institut de formation islamique. Sur quatre virements à son crédit, pour un montant total de 232 505,97 euros, la colonne « origine des fonds » est très significative. Un virement de 95 596 euros aurait, par exemple, été effectué par le Minister of Awqaf and Islamic Affairs Kuwait (ministère des Donations et des Affaires islamiques du Koweït), un autre, d’un montant de 72 968,69 euros référencé sur le document, par l’International Development Fund[148]. Enfin, deux virements ont pour émetteur l’Institut culturel musulman de Suisse (La Chaux-de-Fonds, canton de Neuchâtel), pour des montants successifs de 38 941,28 et 25 000 euros, à deux mois de distance presque jour pour jour. Par ailleurs, ce compte aurait également été alimenté de versements réguliers en espèces. Selon une fiche supplémentaire des RG, ceux-ci auraient totalisé 165 992 euros entre les 5 février et 11 septembre 2007, par exemple. Je rappelle que cet institut a été fondé (et qu’il est toujours présidé) par Mohamed Karmous[149], le passeur de 50 000 euros en liquide interpellé et contrôlé le 30 avril 2007 par les douaniers français dans le TGV Zurich-Paris. Et que cet institut est lui-même massivement financé par des États du Golfe[150]… Pour Aleph, haut fonctionnaire du renseignement intérieur, ces transferts financiers entre la Suisse et la France, que ce soit en liquide ou par virements bancaires, ont les caractéristiques classiques de la dernière phase d’un blanchiment qui masque l’identité réelle du premier et principal donateur.

Le jeudi 26 novembre 2015, analysant devant moi la documentation des RG sur le financement de l’IESH, Aleph s’exclame : « Là, nous sommes au cœur du système ! Nous voyons un bout de l’exportation de la violence islamiste dont l’idéologie est l’œuvre des Frères musulmans et dont le financement est celle des pétromonarchies du Golfe[151], de l’Arabie saoudite et du Qatar en premier lieu. » Il se souvient, ainsi, de ce « petit porteur » de deux valises bourrées de quelque 600 millions d’euros (en espèces, euros et dollars), contrôlé par les douaniers entre la Suisse et Paris, en 2006, et dont les bagages devaient être remis à un officier de sécurité de l’ambassade d’Arabie saoudite à Paris…

Blanchiments et noircissements princiers

D’ailleurs, si des sommes islamistes fabuleuses transitent ainsi, clandestinement, entre la Suisse et la France, un flux tout aussi considérable d’argent s’écoule dans le sens inverse. Blanchiment d’un côté, noircissement de l’autre, opacité totalement impunie au total… Ainsi, le 21 février 2004, l’auditeur interne de la banque suisse UBS en France organisait en urgence une réunion de la cellule antiblanchiment de son établissement, suite à la remise d’un chèque de 10 millions de dollars à destination de Genève[152]. Or, le bénéficiaire du chèque était le cheikh Khaled ben Ibrahim al-Ibrahim, l’un des dirigeants et actionnaires de la société The Arab Palestinian Investment Co Ltd, dirigée par Al-Walid ben Talal ben Abdelaziz Al Saoud. Le prince Al-Walid, né en 1955, propriétaire de la Kingdom Holding Company, est un membre de la famille Al Saoud qui règne alors (et toujours) sur l’Arabie saoudite. Sa fortune a été évaluée à 19,6 milliards de dollars (15,3 milliards d’euros) par Forbes en mars 2011, le plaçant au 26e rang des personnes les plus fortunées dans le monde. Le contrôleur de la banque transmet aussitôt ses informations aux services de Tracfin, car il existe, selon un rapport interne d’UBS en date du 1er octobre 2004, un « risque avéré sur le dossier qui devait être traité en urgence »…

Au sujet de ces mouvements financiers suspects, concernant de près ou de loin la famille princière saoudienne, Aleph m’explique que, de fait, les services occidentaux sont toujours particulièrement vigilants depuis les attentats du 11 septembre 2001, qui ont conduit les enquêteurs américains à mettre au jour les circuits de financement de Ben Laden[153]. Ils y soupçonnent a priori du « blanchiment à l’envers » – dit aussi « noircissement » – de capitaux légaux qui, par cascade de virements sur des comptes non déclarés, ouverts dans des paradis fiscaux et judiciaires, finissent par alimenter, au nom de la taqwa (piété), une multitude d’organisations islamistes ou d’agents de la diplomatie secrètes des Saoud, dont les activités peuvent être in fine criminelles, voire terroristes.

Un Golfe pas très clair

Dans les jours qui ont suivi les attentats du vendredi 13 novembre, le président de la République faisait passer le message à plusieurs émissaires du Golfe à Paris qu’il allait réviser ses relations avec leur pays d’origine. Non seulement l’opinion publique française semblait faire le lien, de façons diverses, entre les pétromonarchies et l’État islamique, mais François Hollande se disait très déçu de la faiblesse du nombre de contrats effectivement signés avec l’Arabie saoudite. Ainsi la visite du Premier ministre Manuel Valls à Riyad, à la mi-octobre, a généré moins d’un milliard d’euros de commandes ferme.

Pourtant, le 13 octobre 2015, le même Manuel Valls, arrivé la veille en Arabie saoudite en compagnie du ministre de la Défense Jean-Yves Le Drian, avait annoncé lui-même dans un tweet triomphal : « France-Arabie saoudite : 10 milliards € de contrats ! Le gouvernement mobilisé pour nos entreprises et l’emploi. MV » Les services du Premier ministre précisaient dans la foulée que ces contrats portaient sur différents secteurs industriels : infrastructures, santé, satellites, agro-alimentaire, activités maritimes, mais aussi armement – 30 patrouilleurs rapides devant faire l’objet d’une commande… à la fin de l’année.

Déjà, le 24 juin 2014, le ministre des Affaires étrangères Laurent Fabius et Mohamed ben Salman, ministre saoudien de la Défense, avaient annoncé l’achat par Riyad de 23 hélicoptères Airbus H 145, pour une valeur d’environ 500 millions d’euros. Et selon Laurent Fabius, une vingtaine d’autres projets, représentant « plusieurs dizaines de milliards d’euros », étaient alors en discussion entre les deux pays, qui se promettaient aussi d’étudier la faisabilité de la construction de deux réacteurs nucléaires pressurisés européens (EPR) en Arabie saoudite. « Nous allons également signer un accord sur la formation à la sûreté nucléaire et un autre sur le traitement des déchets nucléaires », ajoutait, le même jour, Laurent Fabius. Le chef de la diplomatie française annonçait enfin « un engagement » de l’Arabie saoudite sur l’achat de patrouilleurs rapides pour sa marine : « Cela représente à la fois beaucoup de créations d’emplois et plusieurs centaines de millions d’euros. » Côté saoudien, Mohamed ben Salman précisait qu’il discutait encore le prix des navires…

Un peu plus d’un mois plus tôt, le 5 mai 2015, François Hollande lui-même et Laurent Fabius encore rêvaient déjà tout haut de contrats mirifiques avec Riyad, lors d’un voyage de commerce en Arabie saoudite avec laquelle la France discutait de vingt projets économiques « représentant plusieurs dizaines de milliards d’euros ».

La veille, le président français avait assisté, à Doha (Qatar), à la signature officielle de deux contrats de vente de 24 avions de combat Rafale à l’émirat, pour un montant de 6,3 milliards d’euros. Un autre « contrat », confidentiel celui-ci, était parallèlement en négociation. Il s’agissait d’un accord intergouvernemental portant sur la formation de 36 pilotes, d’une centaine de mécaniciens, mais aussi d’officiers de renseignement. De fait, il y a de nombreuses années que les dirigeants français entretiennent des relations aussi intenses qu’intéressées avec le Qatar, pourtant soupçonné d’être excessivement laxiste quant au financement du terrorisme par ses nombreuses et richissimes fondations prétendument caritatives. Beaucoup d’hommes et de femmes politiques français de premier rang sont ou ont été des habitués des séjours à Doha[154]

L’or noir du terrorisme

Dans une tribune éclairée[155], Pascal Canfin, conseiller principal sur le climat au World Resources Institute (WRI), et ancien ministre délégué du Développement (de mai 2012 à mars 2014), précisait que « les mouvements terroristes comme certaines filiales d’Al-Qaïda, en Syrie notamment, sont en partie financés par des dons en provenance des pays du Golfe comme le Koweït, le Qatar ou l’Arabie saoudite ». Certes, si « ces dons ne sont pas des financements directs d’États (même si certains des alliés d’Al-Qaïda en bénéficient), ils transitent par des fondations privées initiées ou situées dans le Golfe et dont les autorités n’ignorent rien… sans pour autant agir ».

L’équation est très simple : « Directement ou indirectement les revenus du pétrole sont donc à la base de la puissance économique des groupes terroristes qui ont frappés la France. Or, ces financeurs des groupes terroristes tirent leur fortune de l’or noir… que nous consommons. » Sa conséquence politique l’est tout autant : « La façon dont la France traite – ou non – cette question du financement dans ces relations plus qu’amicales avec le Qatar et l’Arabie saoudite mérite un débat public qui n’a jusqu’à présent pas eu lieu. »

En juin 2014, déjà, le Premier ministre irakien, Nouri al-Maliki, affirmait : « Nous tenons l’Arabie saoudite pour responsable des aides financière et morale que les groupes djihadistes reçoivent. » Les services de renseignement de son pays avaient récupéré, peu auparavant, 160 clés USB dans la cache d’un chef de l’État islamique en Irak et au Levant, dans lesquelles étaient enregistrées des informations inédites sur la comptabilité de l’organisation terroriste[156].

La déclaration irakienne n’était pas de nature à surprendre Alain Chouet, ancien chef du service de renseignement de sécurité de la DGSE, l’un des meilleurs experts français de l’« Orient compliqué ». Dans une postface, datée de 2013, à son témoignage très dense, Au cœur des services spéciaux, recueilli par le journaliste Jean Guisnel[157], le maître espion dénonçait « l’implication grandissante et parfois déterminante de l’émirat du Qatar, en concurrence avec les Saoudiens et parfois à leurs dépens, dans le soutien aux forces politiques islamistes et aux rébellions armées salafistes ». Il ajoutait : « C’est ainsi qu’on voit maintenant la patte du Qatar sur tous les théâtres politiques et militaires de l’activisme islamiste, […] avec la complaisance naïve, intéressée ou hypocrite de décideurs occidentaux. » Et il se permettait même d’avertir : « Je pose depuis plusieurs mois cette même question avec insistance : “les investissements massifs du Qatar et de l’Arabie saoudite dans nos économies de crise valent-ils notre complaisance face à la montée d’une barbarie dont nous aurions tort de croire que nous sommes à l’abri ?” À chacun d’y répondre en son âme et conscience[158]. » Ou de ne pas y répondre…

Les enfants djihadistes des émirs

De fait, les dénonciations virulentes des relations « hypocrites » entre la France et les pétromonarchies du Golfe, Arabie saoudite et Qatar en tête, se sont multipliées après les attentats meurtriers du vendredi 13 novembre. Parmi elles, la tribune de l’écrivain algérien Kamel Daoud[159], publiée en anglais et en français (!), par le quotidien américain The New York Times[160],et largement diffusée sur les réseaux sociaux, a eu un retentissement considérable. Le texte, inspiré une colère froide, s’ouvrait sur cette leçon parfaitement raisonnée : « Daesh noir, Daesh blanc. Le premier égorge, tue, lapide, coupe les mains, détruit le patrimoine de l’humanité, et déteste l’archéologie, la femme et l’étranger non musulman. Le second est mieux habillé et plus propre, mais il fait la même chose. L’État islamique et l’Arabie saoudite. Dans sa lutte contre le terrorisme, l’Occident mène la guerre contre l’un, tout en serrant la main de l’autre. Mécanique du déni, et de son prix. On veut sauver la fameuse alliance stratégique avec l’Arabie saoudite tout en oubliant que ce royaume repose sur une autre alliance, avec un clergé religieux qui produit, rend légitime, répand, prêche et défend le wahhabisme, islamisme ultra-puritain dont se nourrit Daesh. »

D’autres grandes plumes ont dénoncé pareillement, au cours des mêmes jours d’angoisse, les relations « intéressées » avec l’Arabie saoudite et le Qatar. Dans une tribune publiée par Le Monde[161], le 17 novembre 2015, les historiens Sophie Bessis et Mohamed Harbi dénonçaient, eux aussi, la filiation idéologique entre l’État islamique et le royaume saoudien : « Le djihadisme est avant tout l’enfant des Saoud et autres émirs auxquels [la France] se félicite de vendre à tour de bras ses armements sophistiqués, faisant fi des “valeurs” qu’elle convoque un peu vite en d’autres occasions. Jamais les dirigeants français ne se sont posé la question de savoir ce qui différencie la barbarie de Daech de celle du royaume saoudien. On ne veut pas voir que la même idéologie les anime. Exigeons que la France mette un terme à ses relations privilégiées avec l’Arabie saoudite et le Qatar, les deux monarchies où l’islam wahhabite est la religion officielle, tant qu’elles n’auront pas coupé tout lien avec leurs épigones djihadistes, tant que leurs lois et leurs pratiques iront à l’encontre d’un minimum décent d’humanité. »

Moins de dix jours plus tard, Sophie Bessis donna la mesure de la vanité de ses exigences diplomatiques. Le 26 novembre, répondant en direct aux questions des internautes sur le site du quotidien Le Monde (lemonde.fr)[162], elle expliquait qu’« au total, l’Arabie saoudite a dépensé des dizaines de milliards de dollars dans l’ensemble du monde musulman pour construire des mosquées, former des imams, financer des écoles coraniques enseignant cette forme particulière d’islam », et qu’« avec cette force de frappe financière considérable, elle a pu faire progressivement de ce qui était une secte ultra-minoritaire dans le monde musulman la forme dominante de l’islam sunnite aujourd’hui ». Elle précisait : « Depuis 1979 au moins, l’Arabie saoudite est l’un des principaux bailleurs de fonds des mouvements extrémistes sunnites, armés ou non. » Mais, surtout, elle concluait que « de toute façon, la France n’a pour l’instant aucune intention de revoir les relations privilégiées qu’elle entretient avec l’Arabie saoudite et le Qatar, [puisque] ses diplomates et ses responsables s’évertuent à dégager la responsabilité de ces deux pays dans l’expansion du djihadisme, car la dépendance financière française vis-à-vis d’eux reste extrêmement importante ».

Le piège

« Dépendance financière française »… Comment expliquer autrement cette insistance du Premier ministre, Manuel Valls, à dédouaner de façon répétitive l’Arabie saoudite de toute responsabilité dans les attentats du vendredi 13 novembre 2015 ? Car il affirmait, au micro de France Inter, le 17 novembre : « Le pouvoir en Arabie saoudite comme au Qatar lutte contre Daech, c’est incontestable, et je n’ai pas de raison aujourd’hui de douter de l’engagement de ces deux gouvernements. » Puis, le 24 novembre, au Petit Journal de la chaîne de télévision Canal Plus : « L’Arabie saoudite, contrairement à ce que j’ai lu ici ou là, ne finance pas Daech, au contraire, elle le combat. » Sans sourciller…

Le Premier ministre ignore-t-il que la famille royale d’Arabie saoudite déverse chaque année des dizaines de milliards de pétrodollars sur les innombrables comptes bancaires des grands oulémas du clergé wahhabite de Riyad[163], dont beaucoup sont gérés à la City de Londres ? Que ces fortunes inépuisables sont investies dans le monde entier afin d’imposer le wahhabisme par le financement, pour une grande part clandestin, de mosquées, d’écoles coraniques et de formation d’imams, d’organisations islamistes légales et de groupes sunnites djihadistes de plus en plus massifs (Al-Qaïda, Jabhat al-Nosra, États islamique…) ?

Pour la plupart des spécialistes du Moyen-Orient, les arcanes du financement des groupes terroristes, en Syrie et en Irak, ne sont pourtant pas difficiles à déchiffrer[164]. Pour eux, il ne fait aucun doute que l’Arabie saoudite a soutenu dès le début et soutient toujours des groupes salafistes de l’opposition syrienne, et que le Qatar a fait de même, en concurrence des Saoudiens, en finançant Jabhat al-Nosra, organisation rattachée à Al-Qaïda, jusqu’en avril 2013, date à partir de laquelle ses financements se sont portés sur l’État islamique.

Pour finir cette évaluation de la nocivité des « relations privilégiées » de la France avec le Qatar et l’Arabie saoudite, il est très utile d’entendre l’analyse de Pierre-Jean Luizard, historien de l’islam contemporain[165]. Selon lui, les attentats du vendredi 13 novembre 2015 ont principalement visé à « tenter d’entraîner la société française, à l’instar de ce qui a été réussi en Irak, vers un morcellement communautaire entre des groupes confessionnels, voire ethniques, qui ont peur les uns des autres, qui se suspectent les uns les autres ».

Cette stratégie d’incitation à la guerre civile doit être prise au sérieux, selon lui, car « le bain salafiste légitime de plus en plus la constitution sur le mode sectaire d’une forme de contre-société qui irrigue aujourd’hui une partie des mosquées et séduit des jeunes musulmans qui “reviennent” à l’islam dans les banlieues ». Il est en effet désormais évident que « l’État islamique considère aujourd’hui qu’un certain nombre de jeunes de banlieue, notamment liés à la délinquance, constituent un terrain de chasse privilégié pour lui ». L’historien est donc inquiet et le dit clairement : « On pense à une réédition des émeutes de 2005, ce que j’espère on ne verra pas. Mais, si par malheur cela devait se reproduire, là, les choses seraient beaucoup plus graves, car elles risqueraient désormais d’être dans un cadre politique et religieux pouvant aboutir à des conflits communautaires en France. »


[1]. Traduction en français réalisée par Muhammad Hamidullah, révisée et éditée par le Comité permanent des recherches scientifiques et de la délivrance des fatwas (Dar Al-Ifta) du royaume d’Arabie saoudite, publiée en 1990 sous le titre Le Saint Coran et la traduction en langue française du sens de ses versets.

[2]. La personne gravement blessée doit être alors traitée ou même opérée immédiatement et sur place, ou dans des délais minimaux.

[3]. Carine Bobbera, « Soigner les blessures invisibles », Armées d’aujourd’hui, octobre 2012 : « Véritables blessures, ces atteintes psychiques peuvent être très invalidantes, dans la vie professionnelle, familiale ou sociale. “Ceux qui en souffrent n’en parlent pas spontanément ou très peu”, observe le professeur Jean-Philippe Rondier, psychiatre à l’hôpital d’instruction des armées Percy. »

[4]. Communiqué en plusieurs langues diffusé par le biais d’une vidéo, amplement relayée sur les réseaux sociaux. Dans un nouveau numéro de Dar al-Islam, la revue en français de l’État islamique, qui a été mis en ligne le 30 novembre 2015 et diffusé par Twitter, les enseignants de l’école laïque sont menacés de mort en ces termes : « Il devient clair que les fonctionnaires de l’Éducation nationale qui enseignent la laïcité tout comme ceux des services sociaux qui retirent les enfants musulmans à leurs parents sont en guerre ouverte contre la famille musulmane. […] Il est donc une obligation de combattre et de tuer, de toutes les manières légiférées, ces ennemis d’Allah » (Memri, 1er décembre 2015).

[5]. Terroriste qui assassina sept personnes, dont trois enfants juifs, et fait six blessés, en mars 2012, à Toulouse (Haute-Garonne) et Montauban (Tarn-et-Garonne).

[6]. Les brigands d’Offenbach chantaient : « Nous sommes les carabiniers/La sécurité des foyers/Mais par un malheureux hasard/Au secours des particuliers/Nous arrivons toujours trop tard » (Les Brigands, opéra-bouffe, 1869).

[7]. Xavier Raufer commente (Atlantico, 30 novembre 2015) : « Des semaines, voire des mois, vingt individus (repérés à ce jour) sillonnent l’Europe à leur aise, de la Grèce à Paris via les Pays-Bas et Bruxelles – Alerte, zéro. »

[8]. La compétence de Tracfin en matière de renseignement sur les circuits financiers clandestins et les opérations qui pourraient être destinées au financement du terrorisme et au blanchiment de fonds illicites est saluée par tous les professionnels. Ce service d’enquête administrative dépend du ministère de l’Économie et des Finances et fonctionne principalement à partir des déclarations de soupçon des organismes financiers assujettis à l’obligation de déclaration de soupçon.

[9]. La Banque de France et l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR).

[10]. Conférence de l’ACPR du 20 novembre 2015, « Le contrôle des pratiques commerciales », Discours introductif de François Villeroy de Galhau : acpr.banque-france.fr/fileadmin/user_upload/acp/Communication/Conferences/20151120-Discours-Francois-Villeroy-de-Galhau.pdf.

[11]. Ces 600 milliards qui manquent à la France, Seuil, 2012, nouv. éd. en coll. « Points », 2012, p. 23, 46 et 160, principalement.

[12]. Lire, au chapitre II, les pages consacrées à la « destruction du renseignement financier ».

[13]. Un décret de 2010 précise que peuvent être fichées « S » les personnes « faisant l’objet de recherches pour prévenir des menaces graves pour la sécurité publique ou la sûreté de l’État, dès lors que des informations ou des indices réels ont été recueillis à leur égard ».

[14]. Intelligence Online, 2 décembre 2015.

[15]. Inspecteur général des Finances, né en 1952, Alexandre Jevakhoff fut directeur adjoint du cabinet de Michèle Alliot-Marie aux ministères de la Défense, de l’Intérieur, de la Justice et des Affaires étrangères, de 2002 à 2011. Lors de son passage au cabinet de la ministre de l’Intérieur (2007-2009), il fut chargé, entre autres, des questions d’intelligence économique et de la politique de soutien aux technologies liées à la sécurité des nouveaux systèmes d’information.

[16]. Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) et Direction du renseignement de la préfecture de police de Paris (DRPP).

[17]. Direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières (DNRED) et Tracfin.

[18]. En mai 2014, la Direction générale de la sécurité intérieure a remplacé la Direction centrale du renseignement intérieur, laquelle avait été fondée en 2008 par la fusion aux effets catastrophiques de la Direction de la surveillance du territoire et de la Direction centrale des renseignements généraux. En janvier 2012, Yves Bertrand, ancien directeur des RG, estimait que l’« on ne fusionne pas un service dont la vocation est avant tout judiciaire et opérationnelle, comme la DST, avec un service d’information, comme les RG, qui n’a pas d’attribution judiciaire », sinon pour créer une « police politique », ce qui représentait, selon lui, une « atteinte aux libertés » (Fabrice Arfi et Karl Laske, « L’ancien patron des RG révèle l’existence d’un système d’écoutes sauvages », Mediapart, 20 janvier 2012).

[19]. « Terroriste du Stade de France – Bilal Hadfi, kamikaze de 20 ans », Paris Match, 16 novembre 2015.

[20]. Gilles Kepel, avec Antoine Jardin, Terreur dans l’Hexagone. Genèse du djihad français, Gallimard, 2015, p. II et III.

[21]. Alain Auffray, « Le parcours de Samy Amimour, kamikaze du Bataclan », Libération, 16 novembre 2015.

[22]. Quatre personnes assassinées le samedi 24 mai 2014.

[23]. Le 7 janvier 2015, vers 11 h 30, les frères Kouachi faisaient irruption dans les locaux du journal satirique à Paris. Ils y tuaient douze personnes et en blessaient onze autres, dont quatre grièvement, avec des fusils d’assaut Kalachnikov.

[24]. Le 21 août 2015, vers 17 h 50, Ayoub el-Khazzani, armé d’un fusil d’assaut Kalachnikov, de neuf chargeurs, d’un pistolet automatique Luger M80 et d’un cutter, monté en gare de Bruxelles-Midi, ouvrit le feu dans le train à grande vitesse Thalys n° 9364 reliant Amsterdam à Paris, peu après le passage du convoi en France, à Oignies (Pas-de-Calais). L’attentat ne fit aucun mort, grâce à l’intervention de plusieurs passagers.

[25]. « Abaaoud tué : le terroriste le plus recherché d’Europe était à Paris », Mediapart, 19 novembre 2015.

[26]. Aziz Zemouri, « Attentats de Paris : les confidences meurtrières d’Abaaoud », Le Point (lepoint.fr), 18 décembre 2015.

[27]. Le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale (juillet 2013), qui fixe la stratégie française, définit le terrorisme comme « un mode d’action auquel ont recours des adversaires qui s’affranchissent des règles de guerre conventionnelle, […] frappant sans discernement des civils, la violence qu’ils déploient visant d’abord à tirer parti des effets que son irruption brutale produit sur les opinions publiques pour contraindre les gouvernements ».

[28]. Titre d’un entretien entre Pasqua et Philippe Bouvard, paru dans Paris-Match, n° 1925, 18 avril 1986. Cité aussi par Le Figaro du 8 février 1986 et Le Monde du 16 mars 1989.

[29]. Dominique Lorentz, Une guerre, Les Arènes, 1997. Selon la journaliste, les événements terroristes des années 1985 et 1986 (otages au Liban, attentats à Paris en septembre 1986, assassinat de Georges Besse le 17 novembre 1986…) étaient orchestrés par l’Iran visant à faire pression sur la France, afin de récupérer ses droits d’actionnaire d’Eurodif, de recevoir la part d’uranium enrichi contractuellement promise et d’alimenter son programme nucléaire. Cette thèse n’a jamais été clairement démentie.

[30]. Groupe combattant qui s’est opposé au gouvernement algérien de 1993 au 13 janvier 2000. Il était issu du Front islamique du salut (FIS), dont il formait la branche armée. Plusieurs études ont souligné le rôle du financement extérieur du FIS par l’Arabie saoudite. Fondé le 18 février 1989 dans la mosquée Al-Sunna de Bab el-Oued à Alger, le FIS est principalement constitué du clan de la Djazaara, proche des Frères musulmans égyptiens, et du clan de la Salaafia, partisan d’une islamisation radicale de la société algérienne, et plutôt internationaliste.

[31]. Le Groupe islamique armé (GIA) a pour but de renverser le gouvernement algérien, pour le remplacer par un État islamique. L’organisation est considérée comme proche d’Al-Qaïda par l’ONU. Ses actions terroristes, particulièrement violentes, ont visé la France dans les années 1994, 1995 et 1996.

[32]. Antoine Peillon, « Les réseaux islamistes européens sous haute surveillance », InfoMatin, 11 août 1994.

[33]. Antoine Peillon, « Les commandos islamistes mobilisent toutes les polices », InfoMatin, 8 août 1994.

[34]. Antoine Peillon, « La police intensifie sa guerre secrète contre les réseaux islamistes », InfoMatin, 10 août 1994.

[35]. Ennahdha, le « Mouvement de la Renaissance » est un parti politique islamiste. Selon le politologue Vincent Geisser (cf. Céline Lussato, « Tunisie. D’où vient le parti islamique Ennahdha ? », Le Nouvel Observateur, 6 février 2013), ce parti « est, au départ, dans la mouvance des Frères musulmans ». Certes, « il n’a pas de lien organique avec les Frères musulmans égyptiens, mais il est dans l’idéologie des Frères musulmans ».

[36]. Antoine Peillon, « La base arrière du GIA en France est déstabilisée » et « L’islamisme à main armée », InfoMatin, 9 novembre 1994.

[37]. Flore Thomasset, « Trois générations de djihadistes français », La Croix (la-croix.com), 18 novembre 2015.

[38]. Ibid.

[39]. Cédric Mathiot, « Amedy Coulibaly et son mentor Djamel Beghal auraient été voisins de cellule en 2005 », Libération (liberation.fr), 16 janvier 2015, et Jacques Follorou, Simon Piel et Matthieu Suc, « Djamel Beghal, maître à penser du terrorisme », Le Monde (lemonde.fr), 29 janvier 2015. Dans un document du 26 juillet 2013, le parquet de Paris définit Amedy Coulibaly et Chérif Kouachi, les futurs auteurs des attentats de janvier 2015, comme « les “élèves” de Djamel Beghal ».

[40]. Une vérité si délicate, Seuil, 2014.

[41]. Simon Piel et Laurent Borredon, « Des djihadistes surveillés et fichés en vain », Le Monde (lemonde.fr), 23 novembre 2015.

[42]. Antoine Peillon, « Renseignement, justice, police : où sont les “failles” ? », La Croix (la-croix-com), 10 janvier 2015.

[43]. « Il y a une faille, bien évidemment ; quand il y a dix-sept morts, c’est qu’il y a eu des failles », a ainsi reconnu le Premier ministre, Manuel Valls, sur BFMTV, dès le vendredi soir 9 janvier. Il avait déjà affirmé, peu auparavant, sur TF1 : « Nous devons tirer des leçons, analyser de près ce qui s’est passé. Nous le devons, ce devoir de vérité, aux victimes, à leurs familles et à nos compatriotes. »

[44]. La DRPP ne dispose que d’un budget de 1,8 million d’euros (hors personnel) pour 900 agents.

[45]. La fusion entre les Renseignements généraux et la Direction de la surveillance du territoire, décidée par le nouveau président de la République Nicolas Sarkozy, est annoncée le 13 septembre 2007 par la ministre de l’Intérieur Michèle Alliot-Marie. Les textes fondateurs de la DCRI sont adoptés le 7 avril 2008, avec une date d’application effective au 1er juillet 2008. Bernard Squarcini, alors directeur de la DST, est nommé à la tête de la nouvelle DCRI.

[46]. « Les inquiétudes d’un officier du renseignement », propos recueillis par Antoine Peillon, La Croix (la-croix.com), 10 janvier 2015.

[47]. La zakât ou zakat, l’« aumône légale », est le troisième des piliers de l’islam.

[48]. Intelligence Online, 18 novembre 2015.

[49]. Son véritable nom est Kazem Rachid al-Jbouri. C’est un ancien officier des services de sécurité extérieure de Saddam Hussein.

[50]. Successeur, en 2010, d’Hamid Daoud Muhammad Khalil al-Zawi, alias Abou Omar al-Baghdadi, à la tête de l’État islamique d’Irak. Le 29 juin 2014, il s’est autoproclamé calife de l’État islamique, sous le nom d’Ibrahim, se présentant ainsi comme le commandeur universel des musulmans.

[51]. Il s’agit d’Abdelilah Ziyad, islamiste marocain, condamné à huit ans de prison pour avoir organisé l’attentat contre l’hôtel Atlas Asni de Marrakech (2 morts), en août 1994. « Le djihad commande de répondre à la violence par la violence », affirmait-il en 1996, lors de son procès à Paris.

[52]. Yann Philippin, Marine Turchi et Fabrice Arfi, « Comment la DGSI a raté Ismaël Mostefaï, l’un des kamikazes du Bataclan », Mediapart, 22 novembre 2015.

[53]. L’attaque projetée par Ayoub el-Khazzani, un islamiste marocain, fut, on le sait, déjouée par des passagers du train. Le 26 août 2015, l’agresseur de 26 ans, qui aurait séjourné en Syrie, vécu pendant une année en Espagne, en 2014, et déménagé en Belgique en 2015, fut mis en examen pour tentatives d’assassinats, association de malfaiteurs et détention d’armes, le tout en relation avec une entreprise terroriste.

[54]. Paris Match, 30 septembre 2015.

[55]. Antoine Peillon, « L’espion qui venait du chaud », La Croix, 7 octobre 2011, p. 24.

[56]. Michel Deléan, « Un ex-directeur de la DGSE : “On a baissé la garde sur le renseignement humain” », Mediapart, 20 novembre 2015.

[57]. Ibid.

[58]. Publié en exclusivité par La Croix, le 5 avril 2013. Antoine Peillon, « Un rapport accuse le renseignement intérieur d’entraver la justice ».

[59]. Le 3 juin 2013, Éric Bellemin-Comte, jusqu’alors commissaire divisionnaire, mis à disposition des services du Premier ministre pour exercer les fonctions de conseiller auprès du coordonnateur national du renseignement à Paris, fut promu contrôleur général des services actifs de la police nationale, par décret du président de la République.

[60]. Ces 600 milliards qui manquent à la France, op. cit., p. 48-58.

[61]. Il restera à l’Élysée, au même poste ultra-sensible, sous la présidence de François Hollande, jusqu’en juin 2013.

[62]. Ces 600 milliards qui manquent à la France, op. cit., p. 45-48.

[63]. Décision n° 2011-192 QPC du 10 novembre 2011. Le Conseil constitutionnel avait été saisi le 6 septembre précédent par la Cour de cassation au nom des familles des victimes de l’attentat de Karachi.

[64]. Le 8 mai 2002, un attentat-suicide tua 14 personnes, dont 11 employés français de la Direction des constructions navales (DCN), à Karachi. Jusqu’en juin 2009, l’attentat fut attribué à Al-Qaïda, notamment par l’ex-juge Bruguière chargé de l’enquête de 2002 à 2007. Depuis, les juges du pôle antiterroriste du tribunal de grande instance de Paris, Marc Trévidic et Yves Jannier, privilégient l’hypothèse de représailles à l’encontre de la France, pour des motifs financiers.

[65]. Entré à la DST en octobre 1991, il y avait pris la tête de la division B3, chargée notamment de surveiller les sociétés d’intelligence économique, en septembre 2001.

[66]. Élisabeth Fleury, « Karachi : un conseiller à l’Élysée au cœur des interrogations », Le Parisien, 13 octobre 2013.

[67]. Le juge Marc Trévidic fut chargé de l’enquête, depuis 2007, jusqu’à son départ contraint du pôle antiterroriste en août 2015. Deux proches de Nicolas Sarkozy, Nicolas Bazire (ex-directeur de campagne électorale d’Édouard Balladur en 1995) et Thierry Gaubert, ont été mis en examen dans ce volet politico-financier de l’affaire Karachi, ainsi que l’ancien ministre UMP Renaud Donnedieu de Vabres et Ziad Takieddine, intermédiaire dans les ventes d’armes, proche de Jean-François Copé et de Brice Hortefeux.

[68]. Journaliste d’investigation hors pair, auteur, entre autres, de Secrètes Affaires, Flammarion, 1999, de Ben Laden. La vérité interdite, Denoël, 2001 (nouv. éd. en coll. « Folio documents », 2002), et de Al-Qaïda vaincra, Flammarion/Privé, 2005.

[69]. Soren Seelow, « Attentat de Karachi : le témoignage qui révèle les mensonges de la DST », Le Monde (lemonde.fr), 13 novembre 2015, et Benoît Collombat, « Ali ben Moussalem : le fantôme de l’affaire Karachi », France Inter, 14 novembre 2014.

[70]. Mémoire du Trésor américain, daté du 4 janvier 2002, signé George B. Wolfe.

[71]. Voir le chapitre 4 de ce livre.

[72]. Révélations de Benoît Collombat, dans « Ali ben Moussalem : le fantôme de l’affaire Karachi », art. cit.

[73]. Haut fonctionnaire de police, ancien commissaire et préfet, il est directeur de la DST, puis directeur central de la DCRI, le renseignement intérieur, du 2 juillet 2008 au 30 mai 2012. En février 2013, il crée sa société de renseignement privé, Kyrnos Conseil (du nom grec de la Corse) et intègre, en juin 2013, le cabinet d’intelligence économique américain Arcanum, leader mondial de l’espionnage industriel, qui a des bureaux à Washington, Londres, Tel-Aviv, Dubaï, Zurich, New York et Hong Kong. Le 17 octobre 2011, alors qu’il est toujours patron de la DCRI, Bernard Squarcini est mis en examen par la juge Sylvia Zimmermann pour « atteinte au secret des correspondances », « collecte illicite de données » et « recel du secret professionnel » (surveillance électronique de journalistes du quotidien Le Monde). En juin 2013, il est renvoyé en correctionnelle. Le 8 avril 2014, il est condamné à 8 000 euros d’amende pour « collecte de données à caractère personnel par un moyen frauduleux, déloyal ou illicite » et ne fait pas appel du jugement. Le commissaire Paul-Antoine Tomi, demi-frère de Michel Tomi (le « parrain des parrains », selon Le Monde du 28 mars 2014), a été recruté et employé à la toute-puissante DCRI par son directeur, Bernard Squarcini (2008-2012). Cf. Olivia Recasens, Didier Hassoux, Christophe Labbé, L’Espion du président. Au cœur de la police politique de Sarkozy, Robert Laffont, 2012, p. 239 et 240.

[74]. En 2013, le groupe Bolloré réalisait 10,8 milliards d’euros de chiffre d’affaires et employait 55 000 personnes dans le monde. Il opère dans le transport, la logistique, la distribution d’énergie, le papier, l’automobile, la communication et la publicité, les médias et les télécommunications.

[75]. Pierre-Antoine Lorenzi est réputé proche d’Arnaud Montebourg, de Manuel Valls et de Cédric Lewandowski, directeur de cabinet du ministre de la Défense Jean-Yves Le Drian. Ainsi que de Bernard Squarcini.

[76]. Lire Vincent Lamigeon, « Pourquoi ce Français est la bête noire de la DGSE », Challenges, 4 février 2014. En octobre 2015, les parts de Pierre-Antoine Lorenzi dans Amarante (44% du capital) ont été cédées au groupe SERIS qui se définit dès lors comme « leader français sur le marché mondial de la sécurité ».

[77]. Cf. Marina Robin, Bénédicte Mordier, division Services, INSEE : « La sécurité, un secteur en pleine expansion » (INSEE Première, n° 1432, janvier 2013). On y lit : « Depuis la fin des années 1990, le secteur des enquêtes et de la sécurité est en forte croissance, du fait notamment du dynamisme de grands groupes. De 1998 à 2010, le chiffre d’affaires du secteur progresse fortement : + 5,5 % par an en volume, contre + 3,4 % pour l’ensemble des services marchands, et atteint près de 8 milliards d’euros en 2010. Même la crise de 2009 a peu ralenti l’activité. » L’instauration, en décembre 2011, du Conseil national des activités privées de sécurité (Cnaps), entré en vigueur le 1er janvier 2012, illustre la place significative acquise par le secteur : cette instance, placée sous la tutelle du ministère de l’Intérieur, est présidée par Alain Bauer. À noter encore qu’avec près de 64 milliards de dollars de chiffre d’affaires annuel, le marché de la sécurité privée américain est l’un des plus importants au monde. Avec une croissance de près de 5% par an dans les prochaines années, ce marché devrait approcher les 64 milliards de dollars de chiffre d’affaires en 2016.

[78]. Son siège social est à Zurich. Cette multinationale de l’espionnage privé est une filiale du groupe d’investissement américain RJI Capital Holding, fondé par Ron Wahib, un Américain originaire du Bangladesh. Elle emploie, entre autres, l’ancien chef du Mossad Meir Dagan et l’ancien général américain Joseph B. DiBartolomeo, spécialiste de très haut niveau des « opérations spéciales » qu’Arcanum présente ainsi : « Vice-président des opérations spéciales et de la guerre irrégulière à Arcanum. Dans ce rôle, il conseille les clients d’Arcanum sur les questions stratégiques, y compris sur les questions liées à la lutte contre le terrorisme et contre les insurrections, à la sécurité militaire, à la planification et au développement militaire, au développement de la doctrine militaire, à la formation aux opérations spéciales, à la sécurité des frontières. La richesse des connaissances et de l’expérience qu’il apporte à ce poste provient de sa carrière distinguée dans l’armée. Avant de se joindre à Arcanum, il a servi comme commandant en chef adjoint des forces spéciales de l’armée américaine. »

[79]. Naomi Klein, La Stratégie du choc. La montée d’un capitalisme du désastre, Actes Sud, 2008 (titre original : The Shock Doctrine. The Rise of Disaster Capitalism), p. 23.

[80]. Valeurs actuelles, n° 4121, 19-25 novembre 2015, p. 43 et 44.

[81] Bernard Squarcini : « Nous sommes entrés dans la terreur de masse », Valeurs actuelles, n° 4121, 19-25 novembre 2015, p. 43 et 44.

[82]. « Credo des Frères musulmans », entre 1930 et 1932, entériné par le IIIe Congrès des Frères musulmans, en mars 1935. Cf.Olivier Carré et Michel Seurat, Les Frères musulmans (1928-1982), L’Harmattan, 2002, p. 26.

[83]. L’IESH est un établissement d’enseignement supérieur privé de théologie musulmane et de langue arabe. Il forme des imams dans deux établissements, en France : l’IESH Château-Chinon, installé depuis 1990 dans la commune de Saint-Léger-de-Fougeret (Nièvre), qui ambitionne d’accueillir quelque 450 étudiants venus de toute l’Europe (France, Allemagne et Belgique pour l’essentiel) ; l’IESH Paris, fondé en 1999 et localisé à Saint-Denis, qui forme quelque 1 700 étudiants chaque année. En 2010, ces établissements et deux de leurs homologues britanniques se sont fédérés dans l’Union des instituts européens des sciences humaines et islamiques, laquelle serait présidée par Mohamed Karmous, dont le nom n’est pourtant pas mentionné dans l’annonce de création de l’association publiée dans Le Journal officiel du 10 juillet 2010.

[84]. Plus précisément dans le canton de Neuchâtel, en bordure de la frontière avec la France (Doubs).

[85]. FRG : Fichier des renseignements généraux (280 000 fiches en 2006). STIC : Système de traitement des infractions constatées, à propos duquel la France a été condamnée par la Cour européenne des droits de l’homme, le 18 septembre 2014.

[86]. Il s’agit sans doute de Ahmad al-Hammadi, dont le « blanc » des RG précise qu’il est « né le 01.01.1956, de nationalité qatarienne, ayant le statut diplomatique de directeur des affaires légales auprès de l’ambassade du Qatar […] à Paris ». Lire les pages suivantes, où il est à nouveau question de sa participation à un financement autrement plus important de l’IESH.

[87]. La « note RG » précise : « Né le 01.07.1952 à Mossoul (Irak), demeure […] à Nevers (58) et par ailleurs membre du Conseil régional du culte musulman (CRCM) de Bourgogne. »

[88]. Membre du Conseil français du culte musulman (CFCM), depuis les élections de 2003, l’UOIF détient une vice-présidence et la présidence de onze des vingt-cinq conseils régionaux du culte musulman (CRCM). Si l’on en croit Ahmed Jaballah lui-même, cofondateur de l’UOIF, qui siège toujours dans l’appareil directeur : « L’UOIF est une fusée à deux étages. Le premier étage est démocratique, le second mettra en orbite une société islamique. » (« La face cachée de l’UOIF », L’Express, 2 mai 2005). Comme toutes les structures liées aux Frères musulmans, elle est inscrite en novembre 2014 sur la liste des groupes terroristes publiée par les Émirats arabes unis avec 81 autres organisations dans le monde entier, dont plusieurs sont (légalement) actives au sein de l’Union européenne. Lire Fiammetta Venner, OPA sur l’islam de France. Les ambitions de l’UOIF, Calmann-Lévy, 2005.

[89]. Qatar Charity est souvent accusée de soutenir le terrorisme. On y reviendra.

[90]. http://www.washingtoninstitute.org/policy-analysis/view/uncharitable-organizations.

[91]. United States District Court/Northern District of Illinois/Eastern Division – Government’s Evidentiary Proffer Supporting the Admissibility of Co-Conspirator Statements, p. 25 (www.investigativeproject.org/documents/case_docs/2517.pdf).

[92]. United States of America v. Usama bin Laden/6 February 2001.

[93]. « Darfur rebels accuse Qatar of supporting government military campaign », Sudan Tribune, 11 février 2015.

[94]. Chaim Levinson, « Israel Blacklists 163 Foreign Charities Suspected of Supporting Terrorism », Haaretz, 12 janvier 2011.

[95]. Parmi les « câbles » de la diplomatie américaine révélés par WikiLeaks, on lit ceci à propos de Dar Al-Bir (ou Dar Al Birr, ou Dar al Ber Society) : « […] organisations soupçonnées d’être des soutiens au terrorisme (Hamas, Al-Qaïda…) comme l’IHH (Turkish Humanitarian Relief), l’AHF (l’ONG saoudienne Al-Haramain Foundation), les ONG pakistanaises Al-Rashid Trust et Al-Akhtar Trust (interdites par l’ONU), Dar Al-Birr une ONG des Émirats arabes unis »…

[96]. On trouvera, plus loin, son « portrait ».

[97]. Les informations qui suivent recoupent celles de Mohamed Louizi, auteur de Pourquoi j’ai quitté les Frères musulmans, Michalon, 2016 (ouvrage non encore paru lorsque je terminais ce livre), et animateur du blog « Ecrire sans censures ! » (mlouizi.unblog.fr).

[98]. On lit, dans la biographie officielle d’Ahmad al-Hammadi qui figure sur le site de Qatar Charity (page « Qatar Charity Launches “Ghaith” (Rain) Initiative for Islamic Projects Worldwide ») : « Prédicateur islamique du Qatar et érudit qui a fait du bénévolat dans la charité et l’humanitaire, [il] travaille depuis vingt ans avec le Qatar Charity, l’Organisation islamique Dawa, ainsi qu’avec d’autres organisations. Dr Al-Hammadi est membre de l’assemblée générale de Qatar Charity et superviseur général de centres, écoles et universités islamiques d’“Initiative Ghaith” dans le monde entier. Il est diplômé du Collège de la charia de l’Université du Qatar, et est titulaire d’un doctorat de l’université islamique Imam Muhammed Ibn Saud, à Riyad (royaume d’Arabie saoudite). Il a ensuite travaillé en tant que professeur associé en interprétation du Coran au Collège de la charia de l’Université du Qatar. »

[99]. Membre du Conseil français du culte musulman, depuis les élections de 2003, l’UOIF, on l’a dit, détient une vice-présidence et la présidence de onze des vingt-cinq conseils régionaux du culte musulman (CRCM).

[100]. Nicolas Beau et Jacques-Marie Bourget, Le Vilain Petit Qatar. Cet ami qui nous veut du mal, Fayard, 2013, et Vanessa Ratignier, avec Pierre Péan, Une France sous influence. Quand le Qatar fait de notre pays son terrain de jeu, Fayard, 2014.

[101]. Homme d’affaires (pétrole et gaz) et politicien qatari, membre de la famille royale Al-Thani, directeur général de la chaîne Al Jazeera de septembre 2011 à juin 2013, ministre de l’Économie et du Commerce depuis juin 2013. Arabian Business l’avait désigné comme étant l’homme d’affaires le plus puissant du Qatar, en 2012.

[102]. Né en 1959, prince et homme d’État qatari, issu de la famille royale régnante Al-Thani, Premier ministre du Qatar d’octobre 1996 à avril 2007, actuellement ministre d’État chargé des Affaires intérieures, propriétaire, depuis 2007, de l’hôtel Lambert, sur l’île Saint-Louis, à Paris.

[103]. Cette fédération, ou Union des organisations islamiques en Europe, relaie le Conseil européen pour la fatwa et la recherche, dirigé par le Qatari d’origine égyptienne Youssef al-Qardaoui. Le Conseil considère que la charia doit être la norme absolue pour tous les musulmans. L’UOIE est le promoteur du développement de l’Union des organisations islamiques de France, de ses nombreuses associations satellites, ainsi que de la création de l’Institut européen des sciences humaines, lequel aurait déjà formé, entre 1990 et 2004, plus de trois cents imams.

[104]. « Le statut des opérations-martyrs en islam » (Fatwah de cheikh Salman ibn Fahd al-Awdah Hafizahullah, traduite par Al-Mourabitoune), publié le 30 novembre 2002, et à nouveau le 9 mai 2006 sur le blog « al-islam-wal-andalous ».

[105]. En 2014 et en janvier 2015, l’université et la mosquée (c’est tout un) Al-Azhar, considérée comme la principale autorité mondiale de l’islam sunnite, est accusée d’être infiltrée par les Frères musulmans, certains imams du ministère des Waqfs (legs pieux) affirmant que le cheikh d’Al-Azhar, Ahmad al-Tayeb, maintenait en poste des conseillers membres des Frères musulmans au sein de son institution. Selon Sameh Eid, membre dissident des Frères musulmans, il existe quelque 220 professeurs et 4 000 assistants dépendant de la confrérie islamiste au sein de l’université d’Al-Azhar. Il ajoute : « La plupart des imams et des prédicateurs dépendant des Frères musulmans sont diplômés des facultés d’Al-Azhar. La confrérie a depuis longtemps demandé à ses membres d’envoyer leurs enfants aux écoles d’Al-Azhar et à ses facultés. Ainsi, l’emprise de la confrérie s’est renforcée sur Al-Azhar. C’est une situation qui va perdurer. » Durant son discours du jeudi 1er janvier 2015, prononcé à l’occasion de la célébration de l’anniversaire du prophète Mahomet, le président égyptien Abdel Fattah al-Sissi s’était adressé en ces termes au grand imam d’Al-Azhar : « Toi et les prédicateurs, vous êtes responsables devant Allah de la rectification de l’image de l’islam. » (Al-Ahram Hebdo, 7 janvier 2015).

[106]. Écrit vers 1960, à la demande de l’Institut général de la culture islamique de l’université Al-Azhar (trad. française publiée aux éditions Al-Qalam, en 2000).

[107]. Trad. française publiée par la Fondation Al-Falah, en 2000.

[108]. MondAfrique, 19 novembre 2015.

[109]. « It’s not suicide, it is martyrdom in the name of God, Islamic theologians and jurisprudents have debated this issue. Referring to it as a form of jihad, under the title of jeopardising the life of the mujahideen. It is allowed to jeopardise your soul and cross the path of the enemy and be killed. » BBC News, 8 juillet 2004 (news.bbc.co.uk/2/hi/programmes/newsnight/3875119.stm).

[110]. Site http://www.at-tawhid.net, Éxégèse coranique (At Tafsîr).

[111]. « An Explanatory Memorandum on the General Strategic Goal for the Group in North America 5/22/1991 », original en arabe, suivi d’une traduction en anglais (www.investigativeproject.org/documents/misc/20.pdf).

[112]. Instituteur égyptien (1906-1949), fondateur des Frères musulmans, grand-père de Tariq Ramadan et Hani Ramadan. El-Banna s’oppose à la conception spiritualiste de l’islam. Pour lui, au-delà de sa dimension religieuse, la Oumma (communauté des musulmans) est également doté d’une dimension politique. Il projette de restaurer le califat, territoire soumis à l’autorité d’un calife, successeur de Mahomet, dans l’exercice politique du pouvoir.

[113]. Égyptien (1906-1966), poète, journaliste, essayiste et critique littéraire, militant des Frères musulmans dont il a profondément influencé la doctrine, dans un sens antimoderniste, antioccidental et antisémite. Au sujet de son influence considérable sur le djihadisme apocalyptique, lire, dans Michel Terestchenko, L’Ère des ténèbres (op. cit.), le chapitre essentiel qu’il lui consacre, p. 71-90 : « Sayyid Qutb, doctrinaire de l’islamisme radical ».

[114]. Théologien pakistanais fondamentaliste (1903-1979), fondateur du parti pakistanais Jamaat-e-Islami. Il espérait la création d’un État islamique unifié, fondé sur l’application rigoureuse de la charia, qui s’étendrait progressivement à tout le sous-continent indien. Il est le premier islamiste du xxe siècle à prôner le retour au djihad, dont l’objectif doit être, dit-il, d’abolir les lois non islamiques et d’établir un État islamique mondial : « L’Islam souhaite détruire tous les États et gouvernements, partout sur la face de la terre, qui sont opposés au programme de l’Islam, sans regarder le pays ou la nation qui instaure ces lois. […] L’Islam revendique toute la terre, non une petite partie, parce que l’humanité entière doit bénéficier du programme de bien-être de l’Islam » (Jihad in Islam, The Holy Koran Publishing House, 1980).

[115]. Normes doctrinales, sociales, culturelles et relationnelles édictées par la Révélation (Coran). Le terme signifie « chemin pour respecter la loi [de Dieu] ». La charia codifie tout à la fois la vie publique et privée de la vie du musulman, ainsi que les interactions sociétales. Les musulmans considèrent cet ensemble de normes comme l’émanation de la volonté de Dieu (Shar’).

[116]. Le 10 septembre 2002, Hani Ramadan fait référence à la lapidation, dans un article publié par Le Monde, en la présentant comme une action légitime « parce qu’il s’agit d’une injonction divine », ajoutant que « la rigueur de cette loi est éprouvante pour les musulmans eux-mêmes », mais qu’elle « constitue une punition » et « aussi une forme de purification ». Cinq jours après les attentats du 13 novembre 2015, il explique sur son blog que « l’islam n’a rien à voir avec tout cela » et suggère de commencer par « surveiller le Mossad ».

[117]. Héritier spirituel et gendre du fondateur des Frères musulmans, Hassan el-Banna, lui-même fondateur de la branche palestinienne de la confrérie. Il aurait été soutenu politiquement, voire financé, par les services secrets suisses, anglais et surtout américains (CIA), dès les années 1950, selon le journaliste américain Ian Johnson, auteur de Une mosquée à Munich. Les nazis, la CIA et la montée des Frères musulmans en Occident, Jean-Claude Lattès, 2011.

[118]. Sylvain Besson, La Conquête de l’Occident. Le projet secret des islamistes, Seuil, 2005.

[119]. Sylvain Besson, « L’islamisme à la conquête du monde », Le Temps, 6 octobre 2005.

[120]. Lettre de l’IRSEM, n° 9, 2012.

[121]. Président du parti Liberté et Justice, formation politique issue des Frères musulmans, Mohamed Morsi représente ce parti islamiste à l’élection présidentielle qui suit la Révolution de janvier 2011. L’emportant, au second tour, avec 51,73 % des voix, il devient le premier président élu démocratiquement en Égypte, investi le 30 juin 2012. Il est renversé par un coup d’État militaire, le 3 juillet 2013, à la suite d’un mouvement populaire protestataire massif : le 30 juin, près de vingt millions d’Égyptiens avaient manifesté pour demander sa démission. Le 13 juillet 2013, le parquet annonce qu’une enquête pénale est ouverte contre Mohamed Morsi pour espionnage, incitation à la violence et destruction de l’économie. Début septembre, le parquet décide de son inculpation pour « avoir commis des actes de violence et avoir incité au meurtre et au pillage », de même que quatorze autres responsables des Frères musulmans égyptiens. Le 21 avril 2015, il est condamné à une peine incompressible de vingt ans de prison. Le 16 mai 2015, il est condamné à mort pour des évasions de prison et des violences durant la révolution de 2011. Une centaine d’autres accusés, dont des dirigeants éminents des Frères musulmans, sont également condamnés à la peine capitale.

[122]. Pourquoi j’ai quitté les Frères musulmans (ouvrage cité, non encore paru).

[123]. « Le djihâd selon le fondateur des Frères musulmans », par Bassam Tahhan, professeur de géostratégie à l’Ensta, le jeudi 11 décembre 2014.

[124]. Grand-père de Tariq et Hani Ramadan, Hassan el-Benna (ou Hassan al-Bannâ), né le 14 octobre 1906, assassiné le 12 février 1949, instituteur égyptien, fondateur des Frères musulmans (1928), comme déjà évoqué plus haut.

[125]. Documentaire La Confrérie. Enquête sur les Frères musulmans, France 3, mai 2013, et Frères musulmans. Enquête sur la dernière idéologie totalitaire, Grasset, 2014.

[126]. « Les Frères musulmans et l’UOIF doivent réformer leur théologie », Le Monde (lemonde.fr), 23 novembre 2015.

[127]. Alexandre Del Valle, Le Totalitarisme islamiste à l’assaut des démocraties, Éditions des Syrtes, 2002.

[128]. Gilles Kepel, Les Banlieues de l’islam. Naissance d’une religion en France, Seuil, 1991, p. 211.

[129]. Ibid., p. 312.

[130]. Roland Jacquard, Fatwa contre l’Occident, Albin Michel, 1998.

[131]. Alexandre Del Valle, Guerre contre l’Europe, Éditions des Syrtes, 2000.

[132]. Alexandre Del Valle, Le Totalitarisme islamiste à l’assaut des démocraties, op. cit.

[133]. Alain Bauer et Xavier Raufer, La Guerre ne fait que commencer. Réseaux, financements, armements, attentats… Les scénarios de demain, Jean-Claude Lattès, 2002 ; nouv. éd. Gallimard, coll. « Folio documents », 2003.

[134]. Ibid., p. 301.

[135]. Jean-Charles Brisard et Guillaume Dasquié, Ben Laden. La vérité interdite, Denoël, 2002.

[136]. Ibid., p. 109-131.

[137]. Ibid., p. 175. Autres lectures indispensables, auxquelles je ne peux malheureusement consacrer d’autres lignes (par ordre chronologique des parutions) : Bruno Étienne, L’Islamisme radical, Hachette, 1987 (et surtout sa conclusion : « Du messianisme révolutionnaire à l’Apocalypse ») ; Gilles Kepel, La Revanche de Dieu, Seuil, 1991 et 2003 ; Nicolas Beau, Paris, capitale arabe, Seuil, 1995 ; Samuel P. Huntington, The Clash of Civilizations and the Remaking of World Order, op. cit. ; Benjamin R. Barber, Djihad versus McWorld. Mondialisation et intégrisme contre la démocratie, Desclée de Brouwer, 1996, en coll. « Pluriel », 2001 ; Gilles Kepel, Djihad, Gallimard, 2000 ; Jeanne-Hélène Kaltenbach et Michèle Tribalat, La République et l’Islam. Entre crainte et aveuglement, Gallimard, 2002, notamment p. 307-326 sur « Un djihad à deux faces» ; Chahdortt Djavann, Que pense Allah de l’Europe ?, Gallimard, 2004, qui démasque, entre autres, « le caractère duplice du discours islamiste » (p. 28) ; le hors-série de la revue Cités (PUF), mars 2003, L’Islam en France, sous la direction de Yves-Charles Zarka, Sylvie Taussig et Cynthia Fleury (une somme !), nouv. éd. en coll. « Quadrige », PUF, 2008 ; Christian Delacampagne, Islam et Occident. Les raisons d’un conflit, PUF, 2003 ; Malek Chebel, Manifeste pour un islam des Lumières, Hachette, 2004 (en coll. « Pluriel », 2011) ; Boualem Sansal, Gouverner au nom d’Allah. Islamisation et soif de pouvoir dans le monde arabe, Gallimard, 2013 ; Abdennour Bidar, Lettre ouverte au monde musulman, Les Liens qui libèrent, 2015 ; Boualem Sansal, 2084. La fin du monde, Gallimard, 2015 ; Gilles Kepel, avec Antoine Jardin, Terreur dans l’Hexagone. Genèse du djihad français, op. cit.

[138]. Le Premier ministre prétendait-il faire écho à cette formule du général de Gaulle (Mémoires de guerre, t. 1, Plon, 1954) : « Vers l’Orient compliqué, je volais avec des idées simples », écrite en souvenir d’un séjour au Liban et en Syrie, alors sous mandat français, dans l’entre-deux-guerres.

[139]. Adresse : Airport Road, Imam Muhammad Ibn Saud Islamic University, Riyadh 13318, Arabie saoudite.

[140]. Laure Mandeville, « Washington tenté de revoir son alliance stratégique avec Riyad », Le Figaro, 23 janvier 2015.

[141]. Bernard Godard, La Question musulmane en France, Fayard, 2015.

[142]. Al Baraka Banking Group, dont le siège est à Bahreïn, possède le plus large réseau mondial de banques islamiques, avec des filiales dans de nombreux pays musulmans, notamment en Algérie et en Tunisie.

[143]. Il est issu de l’université Al-Imam Muhammad Ibn Saoud, de Riyad. Voir les pages précédentes sur « La formation saoudienne des “soldats de Dieu” ».

[144]. Une fiche « TE » signale une « opposition à l’entrée en France ».

[145]. Déclaration de Sean Carter, avocat de familles de victimes des attentats du 11 septembre 2001 à Lawrence Wright, auteur de l’article “The Twenty-Eight Pages”, The New Yorker, 9 septembre 2014 : « “We assert that purported ‘charities’, established by the government of the Kingdom to propagate radical Wahhabi ideology throughout the world, served as the primary sources of funding and logistical support for Al Qaeda for more than a decade leading up to the 9/11 attacks”, Sean Carter, one of the lead attorneys in the lawsuit, told me. »

[146]. Voir le chapitre II de ce livre.

[147]. Propos recueillis par Kevin Poireault, Les Échos, 18 novembre 2015.

[148]. Une synthèse des RG, réalisée en 2008, précise qu’il s’agit d’une « organisation caritative islamique saoudienne créée en 1998 à Londres, […] contrôlée par les Bin Mahfouz, une puissante famille de financiers d’Arabie saoudite ». Ce fond serait géré par l’Islamic Relief Worldwide (IRW) dont l’Islamic Relief Suisse n’est qu’une antenne. L’IRW est profondément liée aux Frères musulmans [Global Muslim Brotherhood Daily Watch (GMBDW)] et serait impliqué dans plusieurs affaires de financement du terrorisme. En 2006, Iyaz Ali, coordinateur de projet de l’organisation centrale de l’IRW, a ainsi été arrêté en Israël. Son activité consistait, en partie, à financer et à apporter assistance à des institutions du Hamas. La police a retrouvé dans son ordinateur des documents prouvant les liens entre l’IRW et le Hamas, en particulier avec des fonds appartenant à ce groupe terroriste au Royaume-Uni et en Arabie saoudite. L’ordinateur contenait, en outre, des photos de croix gammées, de responsables nazis, d’Oussama ben Laden, d’Abou Moussab al-Zarqaoui (ancien dirigent d’Al-Qaïda en Irak, mort en 2006) et de nombreuses photos d’activités militaires du Hamas [Israel Ministry of Foreign Affairs, « British national arrested for assisting Hamas », 29 May 2006 (Communicated by the Prime Minister’s Office)].

[149]. L’Institut culturel musulman de Suisse est également dirigé par l’épouse de Mohamed Karmous, qui est elle-même présidente de l’Association culturelle des femmes musulmanes de Suisse (ACFMS).

[150]. En juin 2014, Mohamed Karmous a reçu un chèque de 140 000 dollars (environ 132 000 euros) de l’ambassadeur du Koweït en Suisse et au Lichtenstein, Bader Saleh al-Tunaib, basé à Berne. En 2014 toujours, l’ambassadeur du Koweït au Canada a offert à Samer Majzoub, un leader de la Confrérie des Frères musulmans au Québec, président du Forum des musulmans canadiens, 76 000 dollars (environ 72 000 euros) pour financer l’école musulmane qu’il a fondée à Pierrefonds, un quartier de Montréal. L’implantation des Frères musulmans au Koweït commence à la fin des années 1940 par des activités d’ordre social. En 1976, Youssef al-Hajji, président de l’association de la réforme sociale (Al-Islah), est nommé ministre des Awqaf (donations) jusqu’en 1981. Le courant de pensée néo-islamiste a été importé au Koweït par des Frères musulmans égyptiens qui fuyaient les persécutions nassériennes. Les Frères musulmans créent une branche locale au Koweït en 1952, ils fondent des établissements d’enseignement, d’où sortent leurs militants, et des coopératives où ils fabriquent et vendent des produits bon marché au bénéfice des classes défavorisées, contrôlant peu à peu 80% du marché alimentaire. Ils sont officiellement dès lors reconnus par les pouvoirs publics et opèrent en toute légalité. Ils s’investissent en politique à partir de 1981 : les deux premiers députés islamistes sont élus; ils seront quatre en 1985. La plateforme politique des Frères musulmans koweïtiens, le Mouvement constitutionnel islamique (Hadas), voit le jour en 1991. Protégés par leur alliance avec les autres courants islamistes (salafistes) et les mouvements conservateurs tribaux, les Frères musulmans possèdent un réseau d’influence extrêmement solide au Koweït, dans les domaines de l’éducation (syndicats, université) et des associations de bienfaisance, particulièrement au sein de l’organisation gouvernementale Bayt al-Zakat, qui récolte l’« impôt islamique ».

[151]. Le Conseil de coopération des États arabes du golfe Arabique regroupe six pétromonarchies arabes et musulmanes (sunnites) : Arabie saoudite, Oman, Koweït, Bahreïn, Émirats arabes unis et Qatar. Ce Conseil a été créé sous l’impulsion de l’Arabie saoudite, et sous la pression des États-Unis, le 25 mai 1981.

[152]. Antoine Peillon, Ces 600 milliards qui manquent à la France, op. cit., p. 103-105.

[153]. Al-Taqwa Bank, banque officieuse des Frères musulmans, basée aux Bahamas, en Suisse et au Lichtenstein, ainsi que sa filiale domiciliée à Lugano (Suisse), la Nada Management Organisation, ont été considérées comme les principales « noircisseuses » des fonds issus des fortunes sans limites des princes d’Arabie saoudite. Mais d’autres établissements saoudiens sont cités par les spécialistes de l’antiterrorisme comme étant particulièrement surveillés : outre la Saudi-Sudanese Bank, le très puissant Dar al-Maal al-Islami Trust (Maison de l’argent de l’Islam) et le conglomérat Dallah al-Baraka (La Bénédiction), tous deux fondés et contrôlés par la famille royale.

[154]. Éric Leser, « Comment le Qatar a acheté la France (et s’est payé sa classe politique) », Slate, 5 juin 2011 et 24 septembre 2012.

[155]. Pascal Canfin, « Climat, le nerf de la paix », Altereco+ (alterecoplus.fr), 16 novembre 2015.

[156]. Martin Chulov, « How an arrest in Iraq revealed Isis’s $2bn jihadist network », The Guardian, 15 juin 2014.

[157]. Alain Chouet (entretiens avec Jean Guisnel), Au cœur des services spéciaux. La menace islamiste : fausses pistes et vrais dangers, La Découverte, 2013.

[158] Ibid., p. 322-324.

[159]. Journaliste au Quotidien d’Oran, prix Goncourt du premier roman 2015 pour Meursault, contre-enquête, Barzakh, 2013, et Actes Sud, 2014.

[160]. « L’Arabie saoudite, un Daesh qui a réussi », New York Times, 20 novembre 2015.

[161]. « Nous payons les inconséquences de la politique française au Moyen-Orient », Le Monde, 17 novembre 2015. Sophie Bessis est l’auteur de La Double Impasse. L’Universel à l’épreuve des fondamentalismes religieux et marchand, La Découverte, 2014 ; Mohamed Harbi est ancien membre et historien du Front de libération nationale algérien.

[162]. « La France n’a aucune intention de revoir ses relations avec l’Arabie saoudite et le Qatar », Le Monde, lemonde.fr, 26 novembre 2015, propos recueillis par Enora Ollivier et Manon Rescan.

[163] « Le clergé [saoudien] contrôle les milliers de mosquées du pays, le secteur de l’éducation, ainsi que le pouvoir judiciaire. Il assure l’endoctrinement quotidien de la population. Il dispose, par surcroît, de sa propre force de police chargée de sanctionner tout manquement aux injonctions de la charia, spécialement en matière de mœurs. Il est incarné par le Conseil des grands oulémas qui regroupe une vingtaine de clercs chapeautés par un grand mufti, c’est-à-dire une autorité ayant la capacité d’émettre des fatwas et des édits religieux obligatoires », Loulouwa al-Rachid, « L’inconnue saoudienne », entretien avec Madawi al-Rasheed, anthropologue, professeur invité à la London School of Economics (LSE), Politique internationale, n° 148, été 2015.

[164]. Lire, entre autres, l’entretien avec Fabrice Balanche, maître de conférences à l’Université Lyon 2 et directeur du Groupe de recherches et d’études sur la Méditerranée et le Moyen-Orient à la Maison de l’Orient et de la Méditerranée (CNRS, Lyon), publié par Challenges, le 15 janvier 2015.

[165]. Pierre-Jean Luizard est directeur de recherches au CNRS). Il a séjourné plusieurs années dans la plupart des pays arabes du Moyen-Orient, particulièrement en Syrie, au Liban, en Irak, dans le Golfe et en Égypte. Il est l’auteur de Le Piège Daech. L’État islamique ou le retour de l’Histoire, La Découverte, 2015. Voir également Lydia ben Ytzhak, « Comprendre “le piège Daech” », Le Journal du CNRS, 3 décembre 2015.