Par Aurore Lagneau, conseillère régionale Bourgogne-Franche-Comté
Génération Écologie, Groupe Écologistes & solidaires

C’est dans un procès inédit en France ! Lundi 4 novembre 2024, sept familles françaises, réunies sous le nom d’Algos Victima, ont franchi le seuil du tribunal de Créteil. Elles accusent TikTok d’être responsable de la dégradation de la santé mentale et physique de leurs enfants en raison de l’exposition à des contenus dangereux promouvant le suicide, l’automutilation, ou encore les troubles alimentaires. Ce procès sans précédent en France soulève de nombreuses questions sur la responsabilité des réseaux sociaux et leur impact sur la santé mentale des jeunes.

Derrière ce procès, des visages : Charlize et Marie, âgées de 15 ans, se sont suicidées ; quatre autres adolescents ont tenté de mettre fin à leurs jours, et une jeune fille a souffert de graves troubles d’anorexie.

Capture d’écran : Le Jacquemart

Mais pourquoi ces récits se répètent-ils ? Peut-être faut-il chercher du côté de cette entité invisible mais toute-puissante : l’algorithme. Conçu pour capter notre attention, cet outil ne distingue pas l’ombre ni la lumière. Il fonctionne comme une loupe, amplifiant ce qu’il croit détecter chez ses utilisateurs. Ainsi, une recherche anodine sur l’image de soi devient alors un puits sans fond de contenus dépressifs, de comparaisons cruelles, et d’incitations à l’autodestruction.

Les familles accusent TikTok de n’être qu’un démiurge irresponsable, guidé par l’obsession du temps passé à l’écran. Ce procès, s’il ouvre une brèche dans la régulation des réseaux sociaux, soulève aussi d’autres interrogations : peut-on responsabiliser une machine sans questionner ceux qui l’ont créée ? Et nous, usagers, quel place prenons-nous dans cette mécanique, fascinés par le reflet déformant des réseaux sociaux ?

Car les réseaux sociaux ne sont pas qu’une surface. Ils sont un prisme où se reflètent nos angoisses collectives. Une récente étude des CDC (Centers for Disease Control and Prevention / Centres pour le contrôle et la prévention) aux États-Unis révèle que 43% des jeunes utilisant fréquemment ces plateformes ressentent une tristesse persistante, un mal qui se nourrit de lui-même, amplifié par le cyberharcèlement, les comparaisons sociales et les insomnies. Un véritable mal de siècle qu’il est urgent de comprendre pour mieux le soigner.

Des travaux scientifiques, comme ceux de l’université Brigham Young, montrent aussi que les adolescentes sont particulièrement vulnérables. Plus sensibles aux jugements et aux regards, elles se retrouvent au cœur d’une exposition permanente où l’image corporelle devient une monnaie d’échange. Ce constat invite à une réflexion sur notre besoin, quasi compulsif, de mesurer notre valeur à travers des likes ou des vues éphémères.

Cependant, tout n’est pas noir. Certains avancent que les réseaux sociaux, bien utilisés, pourraient aussi être des lieux de soutien. Des espaces où s’échangent des mots réconfortants, où des campagnes contre le harcèlement scolaire trouvent un écho. La revue JAMA Network Open souligne cette dualité : les réseaux sociaux, s’ils blessent parfois, peuvent aussi panser certaines plaies. Mais qui doit tracer la frontière entre l’utile et le dangereux ? Les plateformes ? Les gouvernements ? Les parents ?

Aux États-Unis, quatorze États ont déjà engagé des actions similaires contre TikTok, dénonçant ses « fonctionnalités addictives ». En France, ce procès pourrait ouvrir la voie à une régulation plus stricte.

Les experts sont unanimes : il ne s’agit pas de diaboliser les réseaux sociaux, mais de leur imposer des limites. Modérer les contenus, éduquer les jeunes à un usage raisonné, développer des outils pour prévenir les dérives. Et peut-être, surtout, réapprendre à regarder au-delà des écrans. Redonner à nos enfants ce que le numérique leur vole : le temps, l’attention, et le droit de s’ennuyer, sans se noyer dans des algorithmes parfois toxiques.

Sources :

“Frequent Social Media Use Associated With Higher Risks for Teens” / U.S. News / High school students who use social media often report more persistent feelings of sadness and thoughts of suicide. By Steven Ross Johnson / Oct. 9, 2024

“Social media use linked to rising teen mental health issues, study reveals” / News Medical – Life Sciences / By Dr. Sanchari Sinha Dutta, Ph.D. / May 8 2024

LIRE AUSSI : « Santé mentale en Bourgogne-Franche-Comté : une urgence, et des réponses à inventer », par Aurore Lagneau, 30 octobre 2024, groupe Écologistes & Solidaires du Conseil régional Bourgogne Franche-Comté