Par Thérèse Foucheyrand
Une vie humaine est un tout, une ligne droite ponctuée d’alternance jour/nuit, comme pour tous les êtres vivants.
L’être humain n’étant pas un animal, il a créé la civilisation et les rythmes y afférant. Mais le temps n’a de frontières que celles que nous fixons. Nous avons donc inventé deux tranches bien distinctes : le temps de la vie personnelle, de l’intimité, et le temps de la vie professionnelle, du travail.
Les salarié(e)s ressemblent à l’âne de Buridan : celui-ci, ne se résolvant pas à choisir entre l’eau et l’avoine, est mort de faim et de soif devant un repas bien appétissant.

« L’âne de Buridan entre deux opinions », par Cham, dans Le Charivari, 1859.
Si, face à cette alternative, travail ou vie personnelle, nous ne mourrons pas, nous sommes toujours gangrenés par un lourd sentiment de culpabilité. Depuis peu, des salarié(e)s ont tenté de s’en affranchir, non en refusant le travail, mais en discutant ses conditions. Et il semble que ce nouvel état d’esprit a influencé grandement les taux d’embauche.
Le patronat, surpris, a décidé de recourir à ce qu’il sait le mieux faire : du marketing. Des propositions d’embauche présentées et emballées comme des produits « tête de gondole » : à la clé, horaires aménagés, semaine raccourcie, télétravail, cours de relaxation… Le tout agrémenté de commentaires humanistes…
Ces propositions sont, avant tout, l’expression d’une craquelure dans la vision du monde que nous ont enseigné nos grands-parents et nos parents.
Il ne s’agit pas de se tromper ou de se laisser tromper.
Le patronat ne propose pas de réduire le temps de travail et son exigence du maintien de la production à tout prix demeure. Les salarié(e)s ne souhaitent pas, de leur côté, la fin du travail.
La recherche porte sur une cohérence de la vie humaine qui répond à plusieurs aspirations : pouvoir nourrir les liens affectifs dans le couple, la famille, par des temps de partage, et pouvoir travailler utilement pour soi et la société.
À ces questions, il ne sera pas répondu par des semaines de travail raccourcies ou des ventes de produits bio à la cantine…
Le temps de travail, s’il paraît fixé d’office par les dirigeants de l’entreprise, est en réalité dépendant de critères et d’institutions au-delà des murs de celle-ci.
Ainsi, les horaires d’une école conditionnent toute la vie d’un quartier : ceux des commerces, des flots de circulation, des loisirs… Et tous, parents, célibataires, avec ou sans enfants, y sont astreints.
Certaines administrations ont fermé l’accueil des publics les mercredis, à cause de l’absence des parents bénéficiant d’un temps partiel.
Lorsqu’un gouvernement a proposé d’examiner les rythmes scolaires imposés aux enfants, et proposé ensuite de les réformer, bien des parents et enseignants sont montés au créneau pour dénoncer une absurdité. En fait, si les rythmes scolaires changeaient, les parents devaient négocier leurs horaires de travail, celui de la nounou, celui du professeur de musique… Cela a paru, à l’époque, aussi difficile que le déplacement des montagnes.
On voit bien là qu’il ne s’agit pas de s’en tenir à des négociations sur le temps de travail hebdomadaire, mais bien de créer une vision globale des temps de la vie, imbriqués les uns dans les autres.
Cet épisode de la réforme des rythmes scolaires a permis d’ouvrir des recherches concernant le rythme d’apprentissage des enfants. Nous savons maintenant que les enfants apprennent un peu chaque jour et qu’il faut donc répartir les apprentissages sur le temps long plutôt que charger les journées de classe.
À partir de cet exemple, on doit examiner les limites des la capacités mentale et physique d’un être humain à accomplir des tâches imposées. L’épidémie de burn-out, la recrudescence des accidents du travail, l’explosion des arrêts de travail disent bien que c’en est assez.
Raccourcir la semaine de travail pour charger plus chaque journée n’est pas la solution. Proposons donc l’inverse : le temps hebdomadaire de travail réparti sur plus de jours. Ainsi, la semaine de travail se déroulerait sur plus de cinq jours, la journée s’en trouvant raccourcie. Nous obtiendrions donc des journées d’environ 5h30, voire 5h. Le temps de vie et le temps du travail connaîtraient moins de ruptures.
Est-ce une utopie ? Certes, mais c’est surtout l’amorce d’une manière de considérer autrement les rapports du travail avec la vie personnelle.

Comme cela fait du bien un peu d’utopie dans ce monde déshumanisé ! Merci Thérèse pour ce travail de recherche qui devrait être celui des syndicalistes si Macron n’avait pas enlevé des heures de délégation et donc des moyens importants aux syndicats ouvriers.
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