La carte postale de Jeannine Tisserandot

 « Dis-moi ce que tu manges : je te dirai ce que tu es », disait l’avocat, conseiller à la cour de cassation et homme politique français Jean Anthelme Brillat-Savarin, 1755-1826, qui ayant fait ses études de droit à Dijon, célibataire, amateur de repas fins, est  bien connu comme auteur de la célèbre Physiologie du Goût, ou Méditations de Gastronomie Transcendante ; ouvrage théorique, historique et à l’ordre du jour, dédié aux Gastronomes parisiens, par un Professeur, membre de plusieurs sociétés littéraires et savantes….

Les restaurants tels que nous les connaissons sont nés en 1765 (sous le règne de Louis XV), à l’initiative de Roze de Chantoizeau, qui créé rue de la poule à Paris, le premier établissement du monde où l’on mange à son heure en choisissant ses plats sur une carte (à la différence des gargotes et auberges traditionnelles). Il brave ainsi les interdits de l’Ancien Régime empêchant tout particulier, traiteur ou tavernier de nourrir ses semblables dans un lieu fermé pourvu de tables individuelles.

En 1795, au restaurant de la Maison Égalité, à Paris (on est alors à la fin de la Révolution), le Clos Vougeot, le Champagne et le Bordeaux sont proposés au même prix : 30 francs, alors que la blanquette de veau aux champignons n’est qu’à 10 francs… Les convives peuvent finir avec un café et un digestif (porto…).

Un siècle plus tard à Dijon, vers 1895, le restaurant populaire Aux trois faisans, connu alors sous le nom de restaurant Roussotte, puis de restaurant Robert, propose pour 5 francs un repas complet avec sole frites, filet aux pommes, pain et gâteau.

Mais en 1914, Henry Racouchot, élève du célèbre chef Escoffier, devient propriétaire de ce restaurant et le tiendra jusqu’en 1950. Et c’est la gloire !

Une gloire méritée… Bien avant l’intervention du chanoine Kir, durant les années 1930, Racouchot servait du chablis-cassis à l’apéritif, et avait personnalisé la recette des poires melba en les transformant en poires à la dijonnaise ou au cassis si vous préférez !

Et les recettes du « lapin Racouchot », des « quenelles de brochet Racouchot » ou encore de son fameux pâté de bécasse resteront dans les mémoires…

Un roman, Une mariée à Dijon, de Mary Frances Kennedy Fisher, relate la rencontre, en 1929, dans le restaurant des Trois faisans, à Dijon, d’un serveur avec une jeune mariée américaine. Ce texte, repris en souper-spectacle fut donné de nombreuses fois à Paris et en province…

De célèbres fantômes hantaient la salle à manger… On pouvait reconnaître, entre autres, Curnonsky, le prince des Gastronomes, le chanoine Kir, Gaston Gérard…

Il faut dire que cet établissement, sis 6, place d’Armes, à Dijon, était bien placé, juste en face de l’Hôtel de Ville, l’ancien palais des ducs de Bourgogne…

Rien n’est simple à Dijon. Et, c’est bien connu, le nom des places évolue avec le temps…

Cette place est l’œuvre de l’architecte Jules Hardouin-Mansart, architecte du roi Louis XIV et de Versailles. D’une surface de 4 680 m², en forme d’hémicycle, elle est située devant la cour d’honneur du palais des ducs de Bourgogne.

Créée en 1689, à l’emplacement de Divio, la ville gallo-romaine enserrée dans le castrum du IIIe siècle, elle remplaça l’antique petite place Saint-Christophe et des bâtiments vétustes qui dépendaient du palais des ducs.

Puisqu’elle devait accueillir la statue équestre de Louis XIV, réalisée par Étienne Le Hongre, sculpteur ordinaire des bâtiments du Roi, elle fut baptisée place Royale.

Pesant 26 tonnes, cette statue ne fut inaugurée que le 15 avril 1725…, en raison des problèmes rencontrés par son transport. La décoration de son socle d’environ 8 mètres de haut, en marbre gris et blanc, ne fut achevée qu’en 1742.  Mais après l’abolition de la royauté en 1792 un décret de l’Assemblée législative prescrivit « l’enlèvement et le renversement des statues élevées à la tyrannie » et signa donc l’heure de sa destruction. Elle finit aux fonderies de canons du Creusot et à la Monnaie de Paris.

Rebaptisée place Impériale sous l’Empire, en 1804, elle reprit son nom de place Royale à la Restauration, en 1814, avant d’être baptisée place d’Armes en 1831, sous la Monarchie de Juillet.

En 1941, la municipalité de Dijon lui donna le nom du Maréchal Pétain et ce dernier y prononça un discours le 27 mai 1944. Puis, le 23 octobre 1944, ce fut le tour du général de Gaulle d’y prononcer le discours de la Libération, ce qui lui valut d’être renommée place de la Libération, en septembre 1944, après un débat animé entre gaullistes et communistes qui voulait l’appeler « place De Gaulle ».

Période sanglante !

Le 26 janvier 1944, sous l’occupation allemande, le chanoine Kir, qui demeurait au n° 4 (à côté du restaurant des Trois faisans) est victime, dans son appartement, d’une tentative d’assassinat. Deux individus masqués, commando qui travaillait pour les Allemands, l’agressèrent avec des revolvers. Félix Kir fut touché par trois balles, dont deux « dans la région des hanches » et la troisième, tirée vers le cœur, « a dévié sur le portefeuille de l’abbé, ne lui causant qu’une blessure sans gravité au côté ». L’un des agresseurs, Henri Perrot, sera jugé après guerre. Le chanoine Kir, devenu maire, lui refusa la grâce et ne lui accorda pas son pardon. Henri Perrot sera condamné à mort, puis exécuté le 30 octobre 1946.

Le 15 février 1945, la foule lyncha le collaborateur, ancien commissaire de police Jacques Marsac, alors en attente de jugement. Sorti de sa cellule de la prison de Dijon, battu à mort par les Dijonnais, pendu à un panneau, puis à un arbre, son cadavre fut amené place de la Libération, suspendu aux grilles du palais, avant d’être traîné derrière une voiture dans les rues de la ville…

Centre historique de Dijon, proche des commerces, du Théâtre, des lieux de pouvoir, mairie, justice…, entourée de nombreux restaurants et bars, la place est très fréquentée. De ce fait, le premier tramway de Dijon (1895-1961) l’emprunta. Mais dans les années 1960, elle devint un immense parking et perdit tout son charme.

Ce n’est qu’en 2006 qu’elle fut réhabilitée, transformée par l’architecte Jean-Michel Wilmotte, rendue aux piétons, son sol recouvert de pierre de Comblanchien et agrémenté de gerbes d’eau qui jaillissent en été et font la joie des enfants.

Elle met en valeur le palais des ducs de Bourgogne à l’architecture classique.

En 1809, un décret impérial avait affecté la partie du palais des ducs de Bourgogne, occupée alors par la sixième cohorte, à la ville de Dijon qui acquit le reste des bâtiments en 1831 pour y installer la mairie, mais aussi le musée des Beaux-Arts, qui date de 1787. Sa somptueuse et remarquable collection permet de présenter des pièces fascinantes, des œuvres de l’antiquité égyptienne à celles du XXIe siècle.

Ce musée, s’il est considéré actuellement comme l’un des plus importants de France, était classé par un guide de 1934, comme « le premier musée de Province après les musées de Paris ».  

Le même guide précisait : « Il occupe tous les étages du palais des ducs, enclavant la cour de Bar où se voit la tour ancienne où fut emprisonné le duc René de Bar après la bataille de Bulgnéville en 1435 jusqu’au traité d’Arras en 1435. Deux escaliers extérieurs donnaient accès de la cour à ses deux extrémités. L’un d’eux subsiste encore, accolé à la tour de Bar. »

A partir de 1365, le palais des ducs et des états de Bourgogne avait été entièrement reconstruit par Philippe le Hardi et par ses trois successeurs, Jean sans Peur, Philippe le Bon et Charles le Téméraire.

La tour de la terrasse, nommée maintenant tour Philippe le Bon, élevée vers1450, devait à l’origine servir de tour de guet.

Comportant six étages, haute de 46 mètres, elle domine le palais et offre une vue splendide sur la ville et ses environs. « La ville aux cent clochers », comme l’appelait François Ier… On y accédait par un escalier en vis de 316 marches, qui desservait également le logis ducal dans lequel se trouve maintenant le musée, dont la salle des gardes et les tombeaux des ducs de Bourgogne.

C’est également Philippe le Bon qui fit construire les cuisines ducales, en 1433.

« Le temps qui va
Le temps qui sommeille
Le temps sans joie
Le temps des merveilles
Le temps d’un jour
Temps d’une seconde
Le temps qui court
Et celui qui gronde »

Charles Aznavour

La place d’Armes… Lieu de vie et d’histoire… Entendez-vous sur cette place le bruissement des années passées, de la vie, des amours, des regrets, des cris de joie ou de haine et de mort ?

Vous souvenez-vous ?

Du père Noël qui descendait, tous les ans, le 24 décembre au soir, de la tour Philippe le Bon, pour donner des bonbons aux enfants.

Du bal des enfants des écoles maternelles et primaires, donné chaque année, salle de Flore, pour la mi-carême, des défilés, alors gratuits, des « fêtes de la vigne ».

Des fêtes carnavalesques et festives de la « Mère folle » durant lesquelles les Dijonnais pouvaient se défouler et critiquer le pouvoir en place, et qui prospéra durant au moins 250 ans.

Des vendeuses de muguet du 1er-Mai.

Des multiples visites rendues au « musée », seul, avec des amis ou en famille.

Des badauds, des fiacres et des autos, des vélos, des tramways ou autres bus qui l’ont longtemps desservie, des mariés radieux et des longues robes blanches, des chapeaux haut-de-forme ou melons, des hommes de pouvoir traversant la cour d’honneur en se redressant et en arborant un air sérieux, compassé.

Des explosions de joie des victoires, en 1918 et 1945.

Des évènements sanglants évoqués plus haut, des lumières, du petit marché de Noël, des concerts de rentrée, des pas de danse, des illuminations, des lumières…

Vous souvenez-vous aussi, devant la grille de l’Hôtel de Ville, des manifestations de soutien ou de rejets, de revendications, avec leurs cortèges de chants, de cris, d’espoir, de colère, parfois de désespérance.

Et de tant d’autres événements personnels, publics ou collectifs…

« Objets inanimés avez-vous donc une âme
qui s’attache à mon âme et la force d’aimer ? »

Lamartine

Toutes les images sont issues d’une collection personnelle.