La carte postale de Jeannine Tisserandot
« On va à six heures à la fontaine : tout le monde s’y trouve, on boit, et l’on fait une fort vilaine mine ; car imaginez-vous qu’elles sont bouillantes, et d’un goût de salpêtre fort désagréable. » (Marie de Rabutin-Chantal, marquise de Sévigné, le 20 mai 1676, à Vichy)
« Bonjour, je me présente, Alexandre R, ancien chef de gare de la principauté de Monaco où j’ai eu l’occasion de rencontrer son Altesse Royale le prince de Monaco. Maintenant je suis Commissaire Spécial à la Société des Bains de Mer de cette principauté.
Né en 1854, je suis issu d’une famille de l’Yonne. Mes parents, mes ancêtres étaient paysans ou domestiques. Je remercie le ciel d’avoir eu la chance et la volonté de m’élever jusqu’au poste que j’occupe actuellement. Je n’ai pas rompu avec ma famille, ma mère, ma sœur deux fois veuve qui élève ses trois enfants… Je suis le Chef de famille qui conseille, décide en cas de problème, le recours sur qui ils peuvent s’appuyer et ils me reconnaissent comme tel.
Mon épouse Marie, me seconde dans ce rôle et occupe à la perfection les responsabilités, les devoirs de compagne d’un homme de mon rang. Elle sait tenir sa place avec autorité et compétence. Dommage qu’elle soit d’une petite santé et n’ait jamais pu avoir d’enfants. De ce fait, chaque année, je l’accompagne à Vichy, où elle suit sa cure, et j’en profite pour me promener, aller au théâtre, au casino, pendant qu’elle se repose.
Et puis, Vichy, c’est un mythe, c’est là que se retrouvent tous mes homologues, quelle que soit leur affectation actuelle. On peut échanger, partager, prévoir, se montrer parmi ses pairs…, ce qui est indispensable pour quelqu’un de ma position et de mon ambition. »
L’eau de Vichy… 10 000 ans sont passés depuis que sous forme d’eau de pluie, tombée sur la chaîne des Puys, elle s’est infiltrée dans les roches volcaniques souterraines, qu’elle a parcouru à 3,4 km de profondeur en s’enrichissant en sels minéraux, en gaz carbonique et en température. Par l’effet de ce réchauffement et du gaz, source artésienne, elle est remontée naturellement jusqu’au bassin de Vichy, l’endroit où elle jaillit. Plus elle remonte des profondeurs et plus elle est chaude, sa température variant de 22° aux Célestins à 74° à la source Antoine.
Je vais vous conter son histoire, sa riche histoire…
Les Romains, friands d’eaux médicinales, ont utilisé trois de ses sources « naturelles » : Chomel (43°), Lucas (27°) et Hôpital (34°). Sa réputation était encore grande au Moyen-Âge où elle fut citée dans la Table de Peutinger, en 1508, sous le nom de « Aquis Calidis ».
Catherine de Médicis s’intéressa également à la station de Vichy. Elle chargea son géographe et diplomate d’une étude sur les eaux de Vichy parue en 1567.
Henri IV, le 26 mai 1605, a créé une « Surintendance des bains et fontaines minérales de notre royaume » pour le Bourbonnais, l’Auvergne et le Forez, et vers 1630, le premier établissement thermal de Vichy, la Maison du Roy, disposa de quelques baignoires. On buvait alors l’eau à l’extérieur…
La même année, Jean Blanc publia La Mémoire renouvelée des merveilles des eaux naturelles, qui assiéra la réputation des cures thermales de Vichy.
Puis, au cours des siècles, la maison fut agrandie, et c’est là que, en 1676, que Madame de Sévigné fut reçue, pour soigner ses rhumatismes aux mains qui la gênaient pour écrire à sa fille, Madame de Grignan. Elle est restée près de 5 semaines durant lesquelles elle a écrit douze lettres, très instructives sur les bienfaits des cures de l’époque.

Elle est revenue, l’année suivante, et a créé, à la Cour, la notoriété de Vichy, en écrivant que « personne ne s’est si bien trouvée de Vichy que moi ».
Un terrible tremblement de terre secoua Lisbonne en 1755, faisant 60 000 morts, et ses secousses ont ébranlé si bien l’Auvergne que, le lendemain, l’eau jaillit à Vichy, créant une nouvelle source nommée « source de Lisbonne ».
Les princesses Adélaïde et Victoire, filles de Louis XV, vinrent séjourner deux fois à Vichy, en 1761 et 1762, au couvent des Capucins. L’établissement de bains leur a paru fort rustique avec ses abords boueux et ses logements insuffisants en qualité comme en quantité. Elles ont donc demandé à leur neveu de faire édifier des thermes plus spacieux et plus agréables, si bien qu’un grand bâtiment (76 x 57 m) à arcades avec un étage, la galerie Randan, fut aménagé. Les buvettes, réunies dans une galerie, permettaient de « prendre les eaux » sur place. Mais vous ne la verrez pas, elle a été démolie en 1902, pour installer le Grand établissement thermal (actuel Centre des Dômes).

Et Louis XV fera une cure à Versailles grâce à des bouteilles emplies directement aux sources.
En 1799, Letizia Bonaparte, mère du futur Napoléon 1er, fut enchantée par ses deux mois de cure et par l’efficacité des soins reçus… Napoléon Ier signa donc le décret prévoyant la création et l’aménagement de l’actuel Parc des Sources. Ce parc sera ensuite appelé « Grand parc », puis « Vieux parc » ou « Ancien parc ». Après Waterloo, un détachement de l’armée allemande occupa (déjà) Vichy durant trois mois.
En 1815, le docteur Mattey, médecin inspecteur, catalogua les maladies soignées par les eaux et codifia leur utilisation en boisson, bains, douches et bientôt bains de vapeur. Il prouva scientifiquement leur effet sur les maladies de peau.
Construite en 1820, la source d’eau des Célestins fera ensuite partie d’un ensemble bien plus vaste, celui du Pavillon des Célestins, aujourd’hui classé monument historique. On y trouve au sous-sol des kilomètres de galerie, ainsi que la Caverne de la lanterne, endroit où se rejoint l’eau des cinq forages à l’origine du mélange des Célestins que l’on consomme.

Mais c’est à partir de 1825 que tout s’est accéléré. Grâce à l’invention de la pastille de Vichy, vendue en pharmacie à Paris, on commença à parler des bienfaits de ces eaux.

En 1830, la duchesse d’Angoulême, sœur de Louis-Philippe 1er, s’installa dans le château de Randan. Un nouvel établissement thermal, dit « de la duchesse d’Angoulême », vit le jour en 1833.
Les propriétaires de parcs ont foré jusqu’à plus de 110 mètres sous terre, chacun voulant tirer un bénéfice de cette manne. Pour la même raison, un embouteillage et une pastillerie furent créés.

Une énorme publicité commença à attirer noblesse et bourgeoisie, enfin toute la classe sociale soucieuse de son bien-être, d’être et de paraître dans cet endroit à la mode, d’autant qu’en 1843, un décret autorisa les médecins ordinaires à prescrire des cures, privilège réservé jusque-là aux seuls médecins inspecteurs des eaux.
En 1846, on inaugura la Rotonde qui devint le temple des bals et des concerts, jusqu’à l’ouverture du Casino de Napoléon III en 1865.
Les représentations théâtrales et lyriques furent données par le chef d’orchestre Isaac Strauss qui s’était installé en 1858 dans la ville et avait fait construire « la villa Strauss » où logera Napoléon III lors de ses deux premières cures.
Car ce sont quatre séjours de Napoléon III, entre 1861 et 1866, qui vont entraîner une profonde transformation de la ville, puisque Vichy deviendra alors « la station à la mode ». Le décret impérial du 27 juillet 1861 ordonne à Vichy la construction de huit routes thermales, d’une digue sur l’Allier, avec un nouveau parc, d’une église et d’une mairie.


Aussitôt dit, aussitôt fait !
La rivière Allier est endiguée, des ponts construits. Un pont suspendu sera également construit à Creuzier-le-Vieux pour faciliter l’accès à Vichy.

Avant l’arrivée de Napoléon III, Vichy était à l’écart du chemin de fer, car la ligne de Paris à Clermont-Ferrand passait par Bourges et Nevers. À la suite de la première visite impériale, les travaux furent accélérés et la ligne Paris-Vichy fut ouverte le 15 mai 1862. L’empereur effectua sa deuxième cure le jour même de l’inauguration de la gare de Vichy. Ses trois séjours suivants ont pu être effectués en train, Paris et Vichy étant alors reliées en huit heures.

Des parcs à l’anglaise de treize hectares remplacèrent les anciens marécages. Le long des axes urbains nouvellement tracés, des chalets et des pavillons furent édifiés pour loger l’empereur et la suite impériale. Des boutiques, des restaurants virent le jour.
Un grand pavillon d’accueil à la Source des Célestins sera aménagé et remplacé en 1908 par l’actuel pavillon, ainsi qu’un kiosque-buvette, puis, en 1860, un établissement de soins.

Afin de toucher un public plus nombreux, en 1867, des ateliers d’emballage furent construits, près de la gare de chemin de fer, afin de faciliter l’expédition (on disait alors « l’exportation ») des bouteilles en verre. En 1908, ce site, appelé « Gare d’emballage », sera agrandi en atelier d’embouteillage des eaux (embouteillage sur place des eaux apportées par des canalisations depuis leurs sources).
La Belle Époque marqua la seconde grande campagne de construction de la ville. L’opéra de style Art nouveau, le hall des sources et un grand établissement thermal de style oriental furent inaugurés en 1903.


Le parc des Sources fut ceinturé d’une galerie couverte métallique qui, enserrant le parc, desservait l’immense hall des sources, placé près des thermes, et le casino situé à l’autre extrémité. Cette galerie, longue de 700 m, était ornée d’une frise de chardons, ferronneries réalisées par Émile Robert pour l’exposition universelle de Paris en 1889.

Des hôtels particuliers et palaces aux références architecturales les plus variées virent le jour.
A Vichy, on venait soigner ses rhumatismes, mais aussi toutes les affections liées aux troubles de la digestion. Pour ce faire, il fallait consommer des légumes non calorifiques. Le chef d’un restaurant de la station thermale aurait alors mis au point la recette des « carottes Vichy » dont la seule spécificité est la cuisson dans de l’eau de Vichy…
« La simplicité est la sophistication suprême » Léonard de Vinci.
En 1864, Albéric Second, journaliste, romancier et auteur dramatique français,décrit le programme très chargé ! de sa cure :
« Quelle que soit l’heure à laquelle on prend son bain, on est très matinal à Vichy. Dès six heures du matin, les buveurs se dirigent vers la source qui leur est ordonnée. A neuf heures, distribution des lettres et des journaux. A dix heures, on déjeune et l’on mange des carottes, légume obligatoire dans l’alimentation des malades. De onze heures à deux heures, on joue au Whist et aux dominos ; les dames brodent et les demoiselles s’escriment sur le piano. A deux heures, toilette générale. A trois heures, nouvelle excursion aux sources. De trois heures et demie à quatre heures et demie, musique dans le parc. Aussitôt après la dernière polka, troisième excursion aux sources. Soudain toutes les cloches des hôtels se mettent en branle, invitant au dîner, servi à cinq heures précises, avec accompagnement de carottes, cela va de soi. De six à sept heures, on abat des quilles, on cherche à loger une pièce de dix centimes dans un sabot, on gagne ou l’on ne gagne pas ; on fait l’aumône à des nuées de petits Savoyards qui montrent « la marmotte en vie », et surtout, assis sur les bancs de bois peints en vert placés devant la porte des hôtels, on médit du voisin. De sept à huit heures, musique militaire. De huit heures à dix, réunions dans les salons de l’établissement thermal, bal, concert, ou spectacle, et tout Vichy dort à onze heures. »

En 1790, Vichy n’était qu’une bourgade de 1 075 habitants, mais la population a progressivement augmenté : 6 000 habitants en 1870, 19 507 en 1926, 25 074 en 1936… Et, bien entendu, le nombre annuel de curistes n’a cessé de croître. La saison qui durait du 1er juin au 30 septembre, accueillait jusqu’à dix fois celui de la population habituelle.

Si les curistes, avant l’ouverture de la voie ferrée, étaient essentiellement des aristocrates ou des représentants de la haute bourgeoisie, des rentiers, cette société s’est ensuite diversifiée et Vichy a accueilli une population moins aisée, plus cosmopolite aussi, puisque l’eau de Vichy était censée guérir également du paludisme et d’autres maladies tropicales.
Pour recevoir ces catégories sociales, des établissements de bains de 2e et 1ère catégorie ont été créés, mais tout ce monde se retrouvait lors des promenades, au casino, autour du kiosque à musique et, plus tard, lorsque la gymnastique devint à la mode, sur les cours de tennis ou au golf. L’essentiel était de se montrer, de paraître, de faire des connaissances intéressantes…
La promenade permettait les rencontres entre étrangers et autochtones, la propagation des nouvelles et, à l’occasion, les jeux de séduction. Flaubert, arrivé à Vichy le 10 août 1862, n’apprécia pas cette ambiance : « Vichy est peuplé de Rouennais et d’une quantité de bourgeois ignobles, ce qui fait que je me prive de lieux publics. »

Le Parc des Sources constituait le « cœur urbain » de la station. Il était le centre mondain de la ville, où la foule se pressait durant l’après-midi.
Ce n’était pas l’exercice que le baigneur recherchait à tout prix, mais bien des distractions, de la fantaisie et des occasions répétées de se livrer aux regards. Il fallait être au courant des dernières nouvelles, voir les diverses attractions, se fondre ou s’exhiber devant la société présente dans le parc. La médisance et l’hypocrisie faisait d’ailleurs partie de ce jeu. On aimait critiquer, se moquer de la physionomie ou des habitudes des curistes que l’on croisait.
Bien évidemment, la profusion de luxe était une des règles élémentaires pour les promenades mondaines de l’après-midi. Au risque d’enfreindre les règles de savoir vivre, on se retournait discrètement pour dévisager, jauger les promeneurs, juger leurs tenues, leur comportement.

La population locale aimait aussi venir observer le ballet incessant des étrangers. Parcourant les allées ou assis sur un banc soigneusement choisi pour son emplacement stratégique, les habitants de Vichy et des environs assistaient à ce spectacle mondain, ou venaient s’inspirer des dernières modes.
La clientèle fortunée, non contente de s’imposer par son luxe, cherchait à attirer les regards. Cette mise en scène contribuait à instaurer la distance sociale. Entre curistes et locaux, les différences existaient, tout comme elles s’affirmaient entre curistes de classes sociales distinctes.


Naturellement, pour contenter et servir tout ce monde, les représentants de nombre de professions habitaient à Vichy même, dans les « quartiers ouvriers », ou venaient pour la saison, afin de compléter leurs faibles revenus.
Le classement par rue confirmait la répartition des catégories sociales
Au nord de la ville, vers le nouveau champ de foire,le Champ Capelet, on trouvait le quartier le plus populeux de Vichy. Rue d’Alsace, se succédaient menuisiers, charpentiers, voitures, charrons, plâtriers… Rues de Marseille, de Provence ou de Chateaudun, résidaient terrassiers, forgerons, tailleurs de pierres, cimentiers ou manœuvres…
La « Ville aux juifs », était située sur la route de Cusset, proche des ateliers d’emballage et la gare d’expédition des Eaux de l’Etat, ainsi que de l’usine à gaz de Vichy et de Cusset.
En revanche, à l’ouest de la voie ferrée, mais au sud de la ville, s’installaient les catégories socioprofessionnelles plus aisées, artistes employés au Grand casino, décorateurs, comédiens, chefs d’orchestre…
Merci Alexandre, mais n’oublions pas…
Si l’on fait un catalogue à la Prévert des métiers exercés par la catégorie travailleuse, indispensable à l’accueil et au confort des curistes, on peut citer tout un petit monde plus ou moins humble, effacé.
Tout d’abord, les pisteurs (surtout des femmes) qui harcelaient en gare les nouveaux arrivés afin de leur proposer des hôtels, restaurants, cafés, logements garnis, hôtels… Souvent rémunérés à la commission, ils exerçaient leurs talents à l’arrivée du train, mais aussi dans le train lui-même, qu’ils empruntaient à Lapalisse.
A la gare, les curistes étaient bientôt rejoints par les porteurs et les chauffeurs des voitures d’hôtels.
L’activité hôtelière a toujours été pourvoyeuse de nombreux emplois : chasseurs, grooms, garçons, maîtres d’hôtel, femmes de chambre, cuisiniers, frotteurs de parquet… Il ne faut pas oublier les villas meublées dans lesquelles les propriétaires louaient le moindre espace, occupant eux-mêmes le sous-sol durant la saison. Également liée à cette activité hôtelière, la blanchisserie occupait nombre de femmes qui transportaient leurs panières au milieu de la foule, jusqu’à l’Allier.
Autour des sources et de l’établissement de bains, en plus des médecins, des pharmaciens, on trouvait les « thermaux », donneuses d’eau chargées de dispenser la juste quantité d’eau au curiste. Elles plaçaient le verre dans un récipient métallique à long manche, et le plongeaient avec dextérité au centre de la vasque, puis le déposaient devant le client sur la tablette de marbre du pourtour. Elles étaient engagées par la responsable de la source, qui recrutait plusieurs jeunes femmes à qui elle donnait un petit fixe complété par les pourboires, et qui devaient porter un uniforme, une robe de toile de Vichy à larges raies roses.

Si les curistes ne désiraient pas se rendre aux sources, ils pouvaient se faire apporter leur verre par les chasseurs de l’hôtel.
Le nombreux personnel de l’établissement thermal était aussi bien féminin que masculin et travaillait dans la partie des thermes qui correspondait aux curistes de leur sexe. À leur côté, 1 900 « sécheurs » étaient chargés de mettre à disposition peignoirs et serviettes secs.
Dans l’usine d’embouteillage, le personnel était masculin. Mais bientôt, le succès de la commercialisation des bouteilles poussa à l’industrialisation de cette opération qui déménagea alors à proximité de la voie ferrée. Si les hommes ont toujours eu en charge la fabrication des pastilles de Vichy, c’est aux femmes que revenait le soin de l’emballage.
Les animations commerçantes fleurissaient dans le parc. Le promeneur pouvait faire des emplettes grâce à la construction de petits bâtiments circulaires, les rotondes de vente. Un arrêté préfectoral du 30 juillet 1861 autorisait ces édifices provisoires, tenus par les autochtones pendant la saison d’été. Babioles, souvenirs, sucreries étaient proposés aux promeneurs, patients, touristes d’un jour, population locale, curieux, commerçants ambulants qui se côtoyaient alors.
« Sous les promenades couvertes, des artisans vendent les jouets qu’ils ont fabriqués l’hiver, des petits marchands vous proposent leur tourniquet pour faire des oublies, cette pâtisserie très mince dont les enfants raffolent. Devant l’établissement de bains, à certaines heures, vient un chevrier qui conduit son troupeau en jouant de la flûte, il sert des tasses de lait ; le lait de chèvre, c’est la panacée du moment. » (Jean Blochet, « Vichy vécu », dans Cahier de l’Académie du Vernet, 1981)
Le parc était le terrain favori des marchands de journaux, de cartes postales, de fleurs, mais aussi des photographes, portraitistes et autres chaisiers chargés de faire payer la location des sièges dans le parc. La musique était toujours présente dans les rues de Vichy. Les ânes et les chevaux, propriétés de cultivateurs locaux, furent aussi, pendant longtemps, le principal moyen de locomotion pour les promenades, que ce soit pour les enfants dans les parcs ou pour les adultes dans les environs
Aux abords des parcs, se trouvaient également stationnées des voitures à bras destinées aux malades « à mobilité réduite » selon l’expression actuelle. « Quant aux baigneurs qui se font voiturer dans ces élégants petits chars à roulette, ce ne sont le plus souvent que des indolents profitant, à bon marché, de ce moyen de promenade ouvrant la libre circulation dans toutes les parties du parc, les plus agréablement garnies d’un public d’élite. » (Splendid-Guide, 1880)
A côté des musiciens officiels de l’orchestre du Grand casino, qui se produisaient aussi sous les kiosques à musique, de nombreux musiciens étaient engagés dans les différentes salles de spectacles de la ville, dans les hôtels et certains restaurants. Mais beaucoup exerçaient dans le parc ou dans les rues, jouant de l’orgue de barbarie du Second Empire ou de l’accordéon des années 1930.
A l’entrée du Grand casino, cinq valets de pied étaient chargés de contrôler les entrées et d’annoncer aux ouvreuses le numéro des loges, le soir, tandis que le matin, ils nettoyaient les locaux. Ils étaient aussi chargés de frotter les parquets dans certaines loges d’artistes ou d’avant-scènes.

Au chapitre des distractions, on comptait, outre les comédiens du Grand casino, les marionnettistes, acrobates, toreros, jockeys qui animaient des spectacles de toutes sortes dans les établissements de moindre importance, à l’entrée desquels des valets de pieds s’assuraient de la bonne tenue des clients et, le cas échéant, leur fournissaient cravate ou nœud papillon. Et n’oublions pas, dans les cafés-concerts, les « gommeuses », à la coiffure en accroche-cœurs, portant bas rouges ou noirs, qui attiraient la clientèle masculine populaire… Dans les années 1930, il y eut même à Vichy une très officielle maison close.
Autre métier souvent exercé par les jeunes Vichyssois durant la saison : le caddie, au golf. Une bonne trentaine de caddies se trouvaient sous la responsabilité d’un caddie-master, chargé de choisir le caddie adéquat en fonction de la personnalité du golfeur. Le salaire des caddies se composait d’un fixe, mais surtout de pourboires. Tous étaient tenus au devoir de réserve, d’autant plus qu’ils assistaient parfois, au fils des parcours, à des conversations diplomatiques ou à de délicates négociations d’affaires.
Le jeu, lui aussi employait beaucoup de monde. Outre les croupiers, des « Grecs », personnages peu recommandables, laissaient gagner le joueur débutant, l’incitait à miser des sommes de plus en plus fortes, pour finalement perdre des fortunes. Un physionomiste, qui devait être doué d’un bon sens de l’observation et d’une excellente mémoire, était chargé de veiller à ne pas laisser entrer au casino les interdits de jeux.

Bien d’autres petits métiers étaient exercés dans la rue. Ainsi, plusieurs cireurs s’installaient aux carrefours les plus fréquentés de la station thermale. Des marchands de glaces et des petits marchands ambulants installaient leurs étals (des chars à bras) sur les passages obligés des promeneurs se rendant à leur cure.
D’autres commerces et services faisaient transporter également leur marchandise sur des carrioles, en triporteur ou en vélo, vendant au fil des rues, ou livrant les hôtels. Parmi les cyclistes, outre les facteurs, fort nombreux pendant la saison, les « marchands de peaux de lapin » achetaient les dépouilles aux particuliers, ainsi que la laine et les papiers. Ils les accrochaient aux guidons de leurs vélos et braillaient « peaux de lapin ! » pour annoncer leur passage. La livraison des pains de glace ou de charbon était souvent effectuée à dos d’homme.
La « réclame », sous forme de grandes affiches, était présente dans des carrioles garées près des carrefours. Mais la plus marquante des attractions était la célèbre Bourbonnaise qui sillonnait les rues de Vichy sur une petite voiture tractée par un âne. Les boites de bonbons avaient alors remplacé les bidons de lait de l’authentique Bourbonnaise qui auparavant livrait les hôtels.
Beaucoup d’autres petits métiers, petites activités, liés au thermalisme pourraient compléter cet inventaire…

Bien souvent, les Vichyssois et les saisonniers venus pour l’été, cumulaient plusieurs emplois. Chacun pouvait trouver du travail, mais un travail mal rémunéré, souvent non qualifiant. Leur permettait-il de vivre jusqu’au retour de la saison suivante ? Ce n’était pas le cas pour tous ceux qui n’avaient pas, à côté, une ferme ou une occupation plus pérenne. En saison, le plein emploi était là, mais était-ce des emplois qui permettaient de s’épanouir et qui assuraient un niveau de vie décent ?
Et surtout, que pouvait bien penser ces travailleurs de l’ombre, méprisés, dédaignés, traités avec condescendance, avec morgue, ou que l’on ignorait lorsqu’on les côtoyait, à la vue des débauches de luxe, d’argent, à la vue de la dissipation, de l’hypocrisie, des agissements trop souvent scandaleux des classes sociales dites supérieures ?
L’amertume, parfois la rancœur devant certains abus, devaient emplir leur cœur face à ces privilégiés qui étalaient leur pouvoir et celui de l’argent, leur arrogance, leur mentalité de dominants, leur légèreté avec tant de désinvolture.
Malgré tout, la multitude des petits métiers, le caractère indépendant de beaucoup d’entre eux, la saisonnalité de l’activité, ont toujours préservé Vichy de conflits sociaux.
Et, au cours des années, la vie thermale prospéra, s’adapta et se transforma pour offrir aux curistes, non seulement les meilleures conditions de soins, mais également celles d’un séjour réussi.
Jusqu’ au 17 juin 1940, date à laquelle, la France vaincue par l’Allemagne nazie est contrainte de signer un armistice. Le gouvernement de la France doit quitter la capitale.
Vichy, proche de la ligne de démarcation, connue pour être très bien desservie par liaisons routières et ferroviaires en direction de Paris, pour son réseau téléphonique très performant, pour sa très bonne et confortable infrastructure hôtelière, est choisie par les députés qui ont refusé Moulins, puis Clermont-Ferrand, jugée inconfortable et trop ouvrière. Et puis, Pierre Laval, à quelques kilomètres de là, possédait le château de Châteldon…
C’est ainsi que le 10 juillet 1940, au sein du Grand casino désormais Assemblée nationale, une révision de la Constitution donna les pleins pouvoirs au maréchal Pétain. C’était la fin de la IIIe République et le début du régime de Vichy, qui prendra officiellement fin en septembre 1944.
Une période de honte commençait pour Vichy.
Mais ceci est une autre histoire…
Toutes les images sont issues d’une collection personnelle.
