Par Marie-Thérèse Mutin

Que peut-on opposer à la finance et aux lobbys qui dominent la société ? Nos militants de L’Engrenage ont la réponse : inventer les moyens de maintenir les liens créés entre les personnes au cours de leur lutte.

« Le défi à venir est d’inventer les moyens de maintenir les liens créés entre les personnes tout au long de ces mois de résistance. » Telle est la conclusion des acteurs de cette lutte. Eh oui ! C’est le grand défi à relever.

En 1977, pour la campagne des municipales, le programme du Parti socialiste préconisait la constitution de commissions extra-municipales ouvertes aux personnes non élues, afin qu’elles puissent apporter leur contribution aux projets communaux. J’ai essayé d’impulser ce mouvement dans mon village, sans succès. Y avait-il moins de gens intéressés à la vie collective ? Je ne le pense pas, mais ils pouvaient militer dans les syndicats, les partis politiques, les nombreuses associations d’éducation populaire où il y avait un programme commun : lutter contre le capitalisme, et un but commun : changer la vie non par la violence mais par le mouvement collectif et par l’élection.

En 2016, à la fin de mon livre autobiographique Une lente agonie (2016), j’écrivais : « Il n’y a plus de contre-pouvoirs organisés pour lutter efficacement contre cette gouvernance au coup par coup. Les syndicats, comme les partis, vidés de leurs adhérents, affaiblis, n’arrivent plus à créer l’unité nécessaire pour résister au patronat, d’autant que le pouvoir de droite – comme de gauche hélas ! – se sert de leurs divisions. Les organes de presse influents sont aux mains du grand patronat. Ce sont eux qui ont tout pouvoir de faire ou défaire les hommes politiques… »

Ainsi, après avoir rendue inévitable la candidature de Ségolène Royale puis celle de Hollande, ils montent au pinacle le plus libéral de tous les ministres, celui qui servira le mieux leurs intérêts, Emmanuel Macron, à la une de tous les journaux, magazines, écrans, et écrasant tous ses concurrents dans les innombrables sondages. Emmanuel Macron, qui propose comme projet de vie : « Il faut des jeunes qui aient envie de devenir milliardaires. »

Après six ans de présidence Macron, les choses ont empiré. Les partis traditionnels, faute de renouvellement idéologique, sont devenus inexistants. Le pays est fracturé entre « les gens qui réussissent et ceux qui ne sont rien » ! Toute résistance à la politique ultra-libérale est réprimée dans une violence de plus en plus grande.

La nostalgie ne fait pas un programme mais on peut tirer des leçons de l’histoire : en 2016, « Nuit debout » rejette tous les militants politiques organisés et se trouve des porte-parole hors la « classe politique ». En 2018, les Gilets jaunes occupent pacifiquement les ronds-points, refusent eux aussi toute « récupération » par les organisations politiques. Ils se heurteront au pouvoir macroniste et à la répression policière de plus en plus violente. Dans les années 2010, les ZAD (Zones à défendre) se multiplient avec bien souvent le résultat de celle qui nous occupe dans ce récit.

Quel constat tirer de ces manifestations ? Aucune ne revendique la Révolution, toutes au contraire arrivent à la conclusion que seul le suffrage universel peut changer la donne. Dès lors, que peut-on opposer à la finance et aux lobbys qui dominent la société ? Nos militants de L’Engrenage ont la réponse : inventer les moyens de maintenir les liens créés entre les personnes au cours de leur lutte.

J’attends avec impatience ce qu’ils inventeront. Pour ma part, je ne vois la solution que dans un parti démocratiquement structuré en référence à l’article 4 de la Constitution : « Les partis et groupements politiques concourent à l’expression du suffrage. »

Au XXIe siècle, les priorités ont changé ; la survie de la planète exige un changement de manière de vivre et de consommer. Une lutte demeure : celle contre les puissances d’argent.

Marie-Thérèse Mutin
Première secrétaire fédérale du Parti socialiste (PS) de Côte-d’Or, de 1977 à 1990

Repères

Les Jardins de l’Engrenage : Depuis le 17 juin 2020, des Dijonnais occupaient et cultivaient un terrain en friche de près de 2 hectares, au nord de la ville, pour s’opposer à la construction de 307 logements sur le site (projet immobilier Garden State). Les parcelles en friche avaient fait l’objet d’une promesse de vente de la Ville de Dijon au promoteur local Ghitti Immobilier.

Tribune des occupants des Jardins de l’Engrenage (Reporterre, 23 juillet 2021) : « À Dijon, les Jardins de l’Engrenage détruits par les tractopelles »

Le livre

Une quinzaine de personnes, d’âges et profils variés – militants, sympathisants, voisins -, témoignent de l’évolution du lieu et de la lutte contre le projet immobilier Garden State.

« Je ne connaissais pas ce combat, mais j’étais militante politique et je m’intéresse à tous ces mouvements, alors quand on m’a sollicitée pour que l’essai soit publié, j’ai accepté », a expliqué Marie-Thérèse Mutin, au Bien public, le 30 mai dernier. L’éditrice de Cessey-sur-Tille (Les Éditions Mutine) a précisé alors que les deux auteurs principaux ont écrit sous pseudonyme, « par peur des représailles ». Avant de commenter : « C’est inquiétant. Cela signifie qu’on est entré dans une société où on ne peut plus militer à visage découvert, sans avoir peur d’être fiché S… »

Argument de l’éditrice : « Les Jardins de l’Engrenage, une ZAD au nord de Dijon, une zone à défendre contre un projet immobilier de la ville. Pourquoi des hommes et des femmes de toutes générations, d’origines sociales diverses, se lancent-ils dans un combat perdu d’avance contre le projet d’une collectivité qui dispose et, malheureusement, se sert des forces de police ? Graines d’engrenage est le récit, par les militants eux-mêmes, de cette aventure qui dura plus d’un an et se termina dans la violence, comme pour la plupart des ZAD qui se multiplient en France. Leur combat a-t-il été vain ? Ils sortent enrichis de cette expérience collective, conscients que la survie de la planète exige un changement de manière de vivre et de consommer. Et la conclusion est, malgré tout, optimiste : Il semblerait que des graines commencent à germer. »

Caroline Gaheu et Guy Barozai, Graines d’Engrenage, Les Éditions Mutine, mai 2023, 254 pages, 20 €