La carte postale de Jeannine Tisserandot

Événements oubliés, dont on ne parle plus guère… Dans notre pays, les expositions universelles, conçues pour être les instruments de divulgation des avancées de la science, ont fasciné des millions de citoyens, mais ont été aussi un formidable accélérateur des progrès techniques destinés à améliorer la vie quotidienne du plus grand nombre. Organisées tous les 5 ans, pour une durée de 6 mois, vitrines destinées à révéler les plus récents progrès techniques, scientifiques, industriels ou culturels, elles étaient aussi l’occasion de faire évoluer l’architecture de la capitale organisatrice et d’insérer l’art dans les lieux publics.

Si la France a lancé l’idée d’exposition universelle, c’est à Londres, en 1851, sur le thème « Industries de toutes les Nations », qu’eut lieu la première. En effet, le XIXe siècle, marqué par la révolution industrielle – qui a surtout son origine en Grande-Bretagne -, grâce à la houille abondante et à l’invention de la machine à vapeur, a vu la mise au point du chemin de fer, de nombreuses machines pour l’industrie et même d’objets de la vie quotidienne en acier comme la plume à écrire.

Mais la France a organisé la suivante, à Paris, en 1855, sur le thème « Agriculture, Industrie et Arts ». Puis, en 1867, sur celui de « Agriculture, Industrie et Beaux-Arts » ; en 1878, sur celui de « Technologies nouvelles » ; en 1889, avec la construction de la Tour Eiffel, pour célébrer le centenaire de la Révolution française.

Dans une Europe où les nationalismes s’affirmaient, l’architecture était le reflet de l’histoire, de la tradition, de l’identité du pays. De ce fait, dès 1878, une place très importante fut laissée aux pavillons nationaux des pays participants qui étaient chargés de les concevoir eux-mêmes.

Mes grands-parents, quant à eux, ont pu visiter l’exposition universelle de 1900, « Le bilan d’un siècle », et celle de juste avant-guerre, en 1937, « Les arts et les techniques dans la vie moderne ».

« C’était au temps où
Grand-mère dansait
C’était au temps du cinéma muet… »

En 1900, le prix de l’entrée était d’un franc dans la journée et de deux francs dans la soirée, moment où le pavillon de l’électricité (clou de l’exposition) brillait de tous ses feux. Régal pour les yeux, les gouttelettes d’eau de sa cascade étincelaient comme des milliers de pierres précieuses.

Cinquante millions de visiteurs se sont pressés pour contempler les multiples nouveautés, dues à la « fée électricité », qui allaient transformer la vie des français.

Quel émerveillement, quel plaisir d’admirer les fontaines lumineuses, de parcourir l’exposition sur un tapis roulant (« la rue de l’avenir ») qui faisait le tour du site en passant sur des passerelles de bois, d’assister à la projection de films des frères Lumière sur un écran géant, des premiers films parlants et du cinéorama qui projetait des images à 360°, de s’initier à l’astrologie, grâce à la lunette astronomique (120 mètres de long, une lentille de 1,25 m de diamètre, la plus grande construite au monde). À l’étonnement général, elle permettait de voir la Lune comme si l’on était éloigné d’elle de seulement 67 km. On en fit même des chansons populaires !

Le globe terrestre, sphère bleue et or de 45 mètres de diamètre, reposait sur un socle en béton d’une hauteur de 18 mètres, sur laquelle étaient peintes les constellations et les signes du zodiaque. À l’intérieur de la sphère, les spectateurs, assis dans un fauteuil, regardaient défiler des panoramas du système solaire. Rudolf  Diesel exposait également son premier moteur Diesel, fonctionnant à l’huile d’arachide. Et l’on ne peut tout citer…

Tout était fait pour faciliter le transport des visiteurs : les gares PLM (et en particulier la gare de Lyon) rénovées, restructurées ; la première ligne de métro inaugurée avec la création de deux gares (Orsay et Invalides) ; la nouvelle avenue Nicolas-II (avenue Winston-Churchill, depuis 1966) tracée en vue de l’exposition et le pont Alexandre III, ainsi que la passerelle Debilly, édifiée à cette occasion.

Le Petit Palais et Grand Palais furent bâtis, le pavillon des Arts Décoratifs également érigé, ainsi qu’une Grande Roue d’un diamètre de 100 mètres qui ne sera démontée qu’en 1937.

Et il ne fallait pas oublier de visiter les pavillons des nations présentes, ainsi que ceux de l’armée, de l’agriculture, des beaux-arts, du textile, des chemins de fer…

Malgré deux accidents mortels [l’écroulement de la passerelle qui reliait le Globe céleste à l’exposition (huit morts et dix blessés) et celui – à cause d’un mouvement de foule – de la passerelle en bois dite des Invalides (4 morts et une trentaine de blessés)], cet évènement demeura dans toutes les mémoires et fut l’objet de toutes les conversations. L’électricité devint ainsi, comme le souhaitait l’État d’alors, le symbole du progrès et de la modernité.

« C’était au temps où
Il y avait mon grand-père
Il y avait ma grand-mère
Il attendait la guerre… »

L’exposition universelle de 1937, dont le thème était « Des arts et techniques appliquées à la vie moderne », avait pour objet de démontrer que « le beau et l’utile doivent être indissolublement liés ». La couleur bleue y était dominante, afin de promouvoir la paix, en ces années de tensions politiques internationales.

Suite aux nombreuses grèves et manifestations de 1934 et 1935, c’est l’arrivée au pouvoir du Front populaire, composé de l’union des gauches, dont l’objectif était en particulier de combattre le chômage et de relancer l’économie, qui a permis de terminer à temps les travaux retardés par les tensions sociales.

La plupart des bâtiments et aménagements étaient temporaires, sauf le palais de Chaillot qui a remplacé l’ancien palais du Trocadéro, détruit en 1935. La tour Eiffel fut modernisée, le palais de Tokyo qui reçut le musée d’Art moderne de Paris et le musée national d’Art moderne, le palais d’Iéna, fut construit pour abriter le musée national des Travaux publics qui accueille actuellement le Conseil économique et social. La largeur du pont d’Iéna fut doublée par une construction en dur.

Quelques réalisations françaises comme le Palais de l’air et le Palais des chemins de fer, ainsi que le Pavillon de la lumière pour lequel Raoul Dufy réalise « La Fée Électricité », considéré jusque dans les années 1970 comme le plus grand tableau du monde, ont attiré l’attention. Un disjoncteur de 500 000 volts (record mondial de la puissance) avait été installé devant la fresque.

On remarquait surtout le Pavillon de la lumière, mur incurvé de six cents mètres carrés, dont la surface était recouverte de perles, qui permettait, le soir, de projeter des films en cinémascope.  Il ne faut pas oublier de citer le premier planétarium français installé sur le cours Albert-Ier qui pouvait accueillir 355 personnes.

La télévision est présente à l’exposition universelle. Ce n’est pas une nouveauté, mais l’aboutissement de cinquante ans de recherche. Aussi, on la présente aux visiteurs comme la promesse d’un nouveau média de masse.

Cette exposition universelle a aussi revêtu un aspect culturel, avec la participation, telle que l’avait voulu Léon Blum, de nombreux artistes « d’avant-garde ».

Les 55 États souverains présents disposaient chacun d’un pavillon. Les plus remarqués, très massifs et angoissants, qui se faisaient face symboliquement de part et d’autre de la tour Eiffel, étaient ceux de l’Allemagne du Troisième Reich et celui de l’URSS. Un pavillon du « Comité de la Terre d’Israël », intitulé « Pavillon d’Israël en Palestine », et un restaurant roumain étaient également présents.

« Cette rencontre est le dernier espoir pour la paix en Europe.» (Gilles Neret, L’Art des années 30 : peinture, sculpture, architecture, design, décor, graphisme, photographie, cinéma, Éditions du Seuil, 1987)

Dans ce climat très lourd, angoissant d’avant-guerre, cette exposition n’a accueilli que 31 millions de visiteurs et ne provoqua pas l’engouement de celle de 1900, celle de la « belle époque ».

C’était également le dernier événement de ce genre à avoir lieu à Paris et en France.

« C’était au temps où… »

Même si, sur le plan purement financier, ces expositions n’ont pas toujours été une réussite, puisque, par exemple, en 1900, beaucoup de Parisiens qui avaient investi de l’argent dans des actions vendues pour obtenir des fonds ont perdu leur investissement, même si, au fur et à mesure des expositions, l’État a diminué sa participation, majoritaire au début, les retombées économiques sont l’une des motivations des pays qui accueillent les expositions universelles.

La candidature de la France pour l’exposition de 2025, aujourd’hui abandonnée puisque Édouard Philippe a retiré cette candidature par crainte, a-t-il dit, d’un trop grand déficit, projetait une progression de 0,5% du PIB national et la création de 150 000 emplois pour une durée d’au moins deux ans.

Sous son apparence de grande fête populaire, « l’exposition universelle, c’est la vitrine du progrès humain. À cette occasion, différentes nations peuvent se rencontrer, s’exposer les unes aux autres, apprendre à mieux se connaître pour s’inspirer les unes les autres », selon Thibaut de Saint-Maurice (Paris-Saclay 2025). Nous l’avons déjà dit, elle sert également de levier pour le développement de quartiers, de villes toutes entières et de la nation organisatrice, que ce soit du point de vue du partage de nouvelles techniques, mais aussi de l’aménagement du territoire. C’est l’exposition de 1900 qui a donné à Paris son nom de « ville lumière ».

Par contre, les Jeux olympiques 2024 auront lieu en France, alors que le risque de déficit budgétaire est tout aussi grand !

En lieu et place « du pain et des jeux » que l’on nous propose, pourquoi ne pas avoir imaginé, promu, une exposition universelle qui aurait pu porter sur les évolutions à prévoir, les avancées techniques et technologiques susceptibles de répondre au problème du réchauffement climatique ?

L’urbanisme, l’agriculture, les déplacements, l’aménagement des territoires, les énergies, le partage de l’eau sont des sujets pour lesquels il aurait été fort utile de mettre en exergue l’imagination, les propositions techniques de tous les pays et de promouvoir ainsi un rapprochement entre les peuples et les citoyens, afin de redonner de l’espoir et des objectifs à chacun d’entre nous.

Car, malgré les grandiloquentes déclarations, malgré les promesses renouvelées sur ce sujet comme sur tant d’autres, où sont les propositions, les avancées, les réalisations concrètes ?

Jeannine Tisserandot

Toutes les images sont issues d’une collection personnelle.