La carte postale de Jeannine Tisserandot

« Et tout d’un coup, le souvenir m’est apparu… »

Marcel Proust

Envie d’un petit air de printemps, du bruissement de l’eau, des jeux de lumière sur les perles scintillantes qui éclaboussent, de l’odeur discrète et fraîche du muguet du 1er mai ? Les pas portent place Wilson.

Tout à coup, sur cette place des promenades d’enfance, les nuisances automobiles d’aujourd’hui s’effacent ; c’est « le temps retrouvé »…

Collection particulière.

Cette place, aménagée sur le lieu d’un bastion en forme de fer à cheval, était à l’origine, un élément de la fortification au sud de Dijon. Détruit vers 1820, celui-ci fut remplacé en 1836 par une place circulaire de 110 mètres de diamètre, d’environ 8600 m², délimitée par une double-rangée de platanes, agrémentée de pelouses et de bancs en pierre, avec, en son centre, un bassin de 27 mètres de diamètre et de 70 cm de profondeur.

Grâce à l’ingénieur Henry Darcy, c’est l’inauguration, le 28 juillet 1841, de 17 jets d’eau (celui du milieu dépasse 13 mètres de haut) qui sont approvisionnés par les réservoirs de la Porte Guillaume et de Montmusard. Par ailleurs, l’église Saint-Pierre, œuvre de Jean-Baptiste Antoine Lassus de style néogothique, y est édifiée de 1853 à 1858.

Un kiosque à musique en bois est installé en 1869. Il est remplacé par un nouveau kiosque en pierre et en métal, inauguré en 1912.

À partir de 1895, la Ville décide la création d’un « réseau urbain d’omnibus à traction hippomobile sur chaussée ». Tirés par des chevaux, ces cars pouvaient transporter jusqu’à vingt personnes et sillonnaient Dijon sur deux lignes, dont l’une reliant la gare PLM à l’actuelle place Wilson. C’étaient les ancêtres des omnibus-tramways, arrivés dans la foulée et présents jusqu’en 1961.

Collection particulière

Place capricieuse, elle a changé trois fois de nom… Dénommée place Saint-Pierre en 1840, avant la construction de l’église qui prit son nom, la municipalité socialiste d’Henri Barabant, en réaction aux « temps pénibles d’obscurantisme et d’oppression cléricale», la renomme place du Peuple ! Mais, le 4 juillet 1918, elle sera rebaptisée place du Président-Wilson (Woodrow Wilson, 1856-1924, 28e président des États-Unis), en hommage aux soldats américains envoyés en France durant la Grande guerre.

La place Wilson est reliée au parc de la Colombière par les Allées du Parc. Louis XIV aimait à dire qu’elles étaient les plus belles de son royaume… Deux immeubles d’angle, de style néoclassique, sont construits à partir de 1838 de part et d’autre de la rue Chabot-Charny.

Le 20 juillet 1889, la IIe Internationale socialiste décide de faire de chaque 1er mai une journée de grève et de manifestation, avec pour objectif la réduction de la journée de travail à huit heures. La revendication étant satisfaite, cette journée devient une journée de célébration des combats des salariés et du mouvement ouvrier. À Dijon, où manifester sinon à la Bourse du Travail et place du Peuple toute proche ?

Mais le 1er mai n’a pas toujours été une promenade tranquille de commémoration. Ainsi, les manifestations organisées par la CGT pour le 1er mai 1906 sont interdites par Georges Clemenceau, ministre de l’Intérieur. Les ouvriers se mettent en grève et manifestent quand même.

Cette année-là, suivis par un millier de personnes, 500 syndicalistes dijonnais se retrouvent place du Peuple (Wilson) pour une manifestation agitée. Les magasins ont fermé leurs portes, les tramways ne circulent pas. Les manifestants s’arrêtent rue du Transvaal, devant Faucillon-Lavergne (ateliers de métallurgie fondés en 1861) et brisent les vitres de l’établissement parce que ses ouvriers n’ont pas pu faire grève. Puis ils continuent dans la rue d’Auxonne et stoppent de nouveau devant Gros Père & Fils, (société de construction de machines agricoles) pour les mêmes raisons, entraînant les mêmes sanctions. Le commissaire de police et ses agents envahissent la Bourse du Travail pour arrêter deux des manifestants. L’intervention provoque une émeute, un gendarme qui a reçu une pierre derrière la tête est grièvement blessé.

Le même jour, de violents affrontements avec la police et l’armée ont lieu dans toute la France. Cet épisode nous rappelle que la lutte syndicale est étroitement liée à la conflictualité dans la rue et que la conquête des droits ne se fait pas toujours pacifiquement.

Nous ne reviendrons pas sur les manifestations actuelles contre la réforme des retraites…

Dans les années qui ont suivi la Deuxième Guerre mondiale, jusqu’aux années 1960 et plus, la place Wilson fut le centre de la vie de nombreux Dijonnais qui n’ont oublié ni les jeux de leur enfance, consistant à courir sur le parquet du kiosque pour le plaisir de faire du bruit, ni les baignades d’été dans le bassin, ni les glissade, l’hiver, sur la glace, au même endroit, ni la fleur chapardée dans les parterres, ni les premières rencontres, les premiers émois sous les arbres en fleurs, ni les concerts gratuits de musique, militaire ou autre, donnés presque tous les week-ends d’été, lorsque les employés municipaux sortaient de sous le kiosque les chaises pliantes qu’ils installaient sur le kiosque pour les musiciens et tout autour pour les adultes, ni les guinguettes improvisées ensuite…

Nostalgie ! Une association loi 1901, « Faisons vivre notre place Wilson », créée en 2022, veut redonner à cet endroit sa vocation de rencontres et de convivialité.

Lieu incontournable des promenades dominicales et des contestations populaires, la place Wilson reste et restera encore longtemps dans les cœurs de nombreux Dijonnais.

Jeannine Tisserandot