I / Conférence à l’Institut La Boétie

Cette conférence, donnée le 31 mai, à Paris, est la première d’une série de trois conférences données par Michael Löwy, à l’Institut La Boétie.

Qu’est-ce que l’écosocialisme ?

L’écosocialisme a pour point de départ les analyses critiques de Marx sur le « progrès destructif » capitaliste, responsable de la « rupture du métabolisme » entre les sociétés humaines et la nature. On peut considérer Marx et Engels comme des précurseurs de l’écosocialisme.

Contre le fétichisme de la marchandise et l’autonomisation réifiée de l’économie par le capitalisme, l’enjeu de l’avenir est, pour les écosocialistes, une transformation radicale du système. Les réformes partielles sont totalement insuffisantes : il faut remplacer la micro-rationalité du profit par une macro-rationalité sociale et écologique, ce qui exige un véritable changement de civilisation.

Une réorganisation d’ensemble du mode de production et de consommation est nécessaire, fondée sur des critères extérieurs au marché capitaliste : les besoins réels de la population et la sauvegarde de l’environnement.

En d’autres termes, une économie de transition au socialisme, « re-encastrée », selon le terme de Karl Polanyi (La Grande transformation, 1944), dans l’environnement social et naturel, parce que fondée sur le choix démocratique des priorités et des investissements par la population elle-même – et non par les « lois du marché » ou par un politburo omniscient.

Cette transition conduirait non seulement à un nouveau mode de production et à une société égalitaire et démocratique, mais aussi à un mode de vie alternatif, à une civilisation nouvelle, écosocialiste, au-delà du règne de l’argent, des habitudes de consommation artificiellement induites par la publicité, et de la production à l’infini de marchandises nuisibles à l’environnement.

II / Entretien avec Michael Löwy, par Margot L’hermite, pour Génération.s

« Pourquoi l’écosocialisme est pleinement de l’écologie ?
Qu’est ce qu’il nécessite comme rupture avec le capitalisme pour faire face à la crise écologique, démocratique et sociale ?
Et qu’est ce que le métabolisme chez Marx ?
Et comment déjà le sujet de l’épuisement de la fertilité de la terre était articulé avec l’épuisement des travailleurs, les deux exploitations du capitalisme productiviste…
Et plein d’autres choses.
Pour paraphraser Paul Valéry, extrêmement utile dès qu’il s’agit d’évoquer un sujet qui se fertilise en surface dans le flou : Les gens ont de l’écosocialisme une idée si vague, que ce vague même de leur idée est pour eux la définition de l’écosocialisme. (Valéry parlait de poésie, bien sûr)
Nous clarifions ! »

Margot L’Hermite

III / Repères

« Si nous devions réaliser le bonheur de tous ceux qui portent figure humaine et destiner à la mort tous nos semblables qui portent museau et ne diffèrent de nous que par un angle facial moins ouvert, nous n’aurions certainement pas réalisé notre idéal. Pour ma part, j’embrasse aussi les animaux dans mon affection de solidarité socialiste. »
Élisée Reclus, « Lettre à Richard Heath », 1884

« Ainsi la loi de solidarité des actions individuelles finit par apparaître, entre les hommes, les groupes d’hommes, les sociétés humaines, avec le même caractère qu’entre les êtres vivants, c’est-à-dire non comme une cause de diminution, mais comme une condition de développement non comme une nécessité extérieurement et arbitrairement imposée, mais comme une loi d’organisation intérieure indispensable à la vie non comme une servitude, mais comme un moyen de libération. »
Léon Bourgeois, Solidarité, Armand Colin & Cie, 1896

« Retrouver la nature sera le suprême effort de la civilisation et du socialisme. »
Jean Jaurès, Études socialistes, 1, 1888-1897, textes présentés par Max Bonnafous, Éditions Rieder, 1931, p. 376. Lire Jean-Michel Le Lannou, « Jean Jaurès. La communion de la nature », dans Olivier Bloch (dir.), Philosophies de la nature, Éditions de la Sorbonne, 2000, pp. 345-355.

« Les Lumières du XXIe siècle doivent traduire cet espoir qui s’appuie sur un projet écologique impliquant la sortie d’un modèle de développement destructeur et violent et la décolonisation de notre imaginaire marqué par la domination de la nature, des autres, et par la répression de notre sensibilité. »
Corine Pelluchon, Les Lumières à l’âge du vivant, Seuil, collection « L’ordre philosophique », 2021

Brefs rappels historiques :

  • L’écosocialisme est né au début des années 1970 (cf., entre autres, le discours d’Indira Gandhi, en juin 1972, à Stockholm, le premier Sommet de la Terre – ONU, dans lequel elle met en cause les méfaits écologiques du système capitaliste), puis se répand dans la gauche écologiste radicale à partir des années 1980, selon Michael Löwy (« Qu’est-ce que l’écosocialisme ? », 2004 ; Écosocialisme, Paris, Mille et une nuits, 2011), admirateur de Walter Benjamin et d’André Gorz.
  • Il est, pour résumer au maximum, la synthèse théorique et stratégique entre le socialisme et l’écologie politique, synthèse incarnée, en France, d’abord par les héritiers de l’ex-LCR, qui a introduit la notion d’écosocialisme en France (NPA, Ensemble), puis par les organisations successives de Jean-Luc Mélenchon (Parti de Gauche, LFI…).
  • Le Parti de gauche organise en décembre 2012, à Paris, des « Assises pour l’écosocialisme », à l’issue desquelles il publie un manifeste intitulé 18 thèses pour l’écosocialisme et l’intègre dans sa plateforme politique lors de son congrès national de Bordeaux (mars 2013).
  • En novembre 2016, la France insoumise adopte officiellement le programme L’Avenir en commun (perfectionné en 2021-2022) dans lequel les idées écosocialistes jouent un rôle essentiel, même si le terme n’y figure pas. Il s’agit de « la règle verte » : ne pas prélever sur la nature davantage que ce qu’elle peut reconstituer, ni produire plus qu’elle ne peut supporter.
  • En juin 2022, la Nouvelle union populaire écologique et sociale (Nupes) fédère la France insoumise (LFI), le Parti socialiste (PS), Génération.s, Europe Écologie Les Verts (EELV), le Parti communiste français (PCF), la Révolution pour le vivant (REV), le Parti ouvrier indépendant (POI)… Sa clé de voûte programmatique est « la volonté d’harmonie entre les êtres humains et avec la nature » !

Antoine Peillon